Lundiiiii ! C'est l'heure d'un nouveau chapitre ! Espérons que cette fois-ci il n'y ait pas de bug, la dernière sortie a été complètement perturbée par un bug de fanfiction-net qui a mis près d'une semaine à être résolu... Enfin, je crois que vous l'avez constaté par vous-même ! Vous avez été plusieurs à me contacter à ce sujet, et encore plus nombreux à commenter ce chapitre riche en émotions. Vos messages m'ont beaucoup motivée, même si j'ai un peu honte de vous donner envie de pleurer, hurler, ou les deux. Je crois que c'est loin d'être fini en plus... *tousse avec embarras* Vous pouvez partir du principe que vous aurez ce genre de réaction à chaque fin de chapitre ou presque, jusqu'à la fin de la partie 5. Voilà, c'est dit ! .
Merci en tout cas de me suivre avec passion et de me le faire savoir ! Avec ce chapitre, on a dépassé les 350 commentaires... Ecrire cette fic est sans doute le projet le plus ambitieux que j'ai jamais mené, et je ne sais pas si j'aurais eu le courage de continuer sans vos reviews pleines d'enthousiasme, de frustration et d'hypothèses. Donc, merci !
Sinon, le Nanowrimo continue, même si la deuxième moitié du mois a été plus chaotique, j'en suis quand même à 45 k sur 50 ! La sixième partie est difficile à écrire pour plein de raisons et j'ai un planning assez dense, puisque je participe à deux événements virtuels à la fin du mois : vous pourrez me retrouver durant la convention Virtual Market les 28 et 29 novembre, qui rassemble une foultitude d'exposants qui ont troqué la vie de festivalier pour s'adapter au contexte avec une convention en ligne. Pour l'occasion, je mettrai en vente des illustrations originales, et je voudrais aussi proposer des carnets customisés. Tous ces préparatifs me laissent moins de temps pour écrire...
Ensuite, je serai participerai à l'Autre Marché, le marché de Noël de Nantes, du 27 novembre au 24 décembre (un peu planquée, puisque que je serai glissée dans la boutique Osez Entreprendre). J'étais censée y participer IRL, mais le covid, toussa... En tout cas, je serai sur le site et j'y proposerai une partie de mes produits, entourée de plein d'artisans locaux. En cette période troublée, n'oubliez pas que votre manière de dépenser votre argent, c'est un peu comme un vote quotidien. En privilégiant des commerces locaux plutôt que des multinationales, vous contribuez à rendre le monde un peu meilleur ! ;) (Bon, je dis ça, mais faites selon vos moyens, hein ! Je sais que c'est une période difficile pour tout le monde, alors prenez soin de vous avant tout...)
Enfin, qui dit "décembre" dit "calendrier de l'avent". Comme les années précédentes, je tâcherai de publier un dessin par jour sur les réseaux sociaux, des choses assez libres dans le sujet et la forme, tant que l'on reste sur le thème de la tendresse. De quoi reprendre le rythme, tester des choses et égayer un peu les fils d'actus.
J'espère que vous tenez le coup, que ces dessins vous plairont si vous allez les voir, et que vous prendrez plaisir à découvrir ce nouveau chapitre (que je me suis régalée à l'écrire, je dois dire). Sur ce, bonne lecture ! ;)
Chapitre 72 : Trahis (Roxane)
La soirée battait son plein et j'étais en train de servir des bières à la chaîne. Jessica, debout sur scène, avait transformé la foule en chorale improvisée tout en chantant, tandis que Wilhelm l'accompagnait au piano. Les yeux brillaient, il faisait chaud, et il y avait tellement de monde, tellement d'animation, que l'espace semblait se boursoufler et pencher dans toutes les directions. À moins que ça soit simplement la fatigue.
Pour ma part, j'avais beau chanter, suivant les gestes de Jess tout en gardant un œil sur les pressions pour éviter que les verres débordent, je commençais à m'inquiéter. En arrivant pour prêter main-forte à Tallulah dont j'avais appris qu'elle avait — encore — cassé un verre, j'avais vu passer Andy, la chemise trempée, tourbillonnant de colère. En discutant avec Neil, j'avais découvert que c'était Roy Mustang lui-même qui l'avait douché en lui jetant un ballon de vin rouge au visage. Andy était d'autant plus humilié que ses collègues lui avaient fait savoir plus ou moins explicitement qu'il l'avait bien cherché. Moi, ce que j'avais retenu surtout, c'était l'idée que Mustang soit finalement revenu au cabaret en dépit des mots d'adieu qu'il avait livré à Angie.
Et, de ce qu'il semblait, l'un et l'autre avaient disparu.
Andy, après avoir tourné comme un lion en cage, avait fini par obéir au sage conseil de Lily-Rose et était parti se changer pour garder un espoir de sauver sa chemise, et moi, j'avais guetté la pièce, me demandant quelle tournure avait pu prendre leur discussion. Je n'allais pas chercher à les débusquer, si Edward se décidait enfin à dire la vérité, ce n'était pas pour que je l'interrompe une fois de plus… mais j'étais malgré tout fébrile à cette idée.
Je connaissais peu Mustang moi-même, mais les derniers échos que j'avais eus de Jean m'inquiétaient pour eux deux. Il me l'avait décrit comme une personne froide, dure parfois, à mille lieues du regard que portait Angie sur lui. Il m'avait aussi raconté le désarroi terrifiant de son supérieur quand il avait appris son enlèvement. Ce Général soi-disant insensible s'était massacré les mains à force de frapper pour passer sa rage, et avait pleuré toutes les larmes de son corps en croyant Angie morte. Comment aurait-il réagi s'il avait su que c'était Edward qui se cachait derrière ces lunettes ? Se montrerait-il tout aussi violent face à la trahison ? J'avais peur pour elle, pour lui, pour les deux.
Dur de se forcer à rester pudique dans cette situation, alors qu'une curiosité inquiète me taraudait. Heureusement, il y avait trop à faire pour que je ne puisse m'autoriser à y trop y penser.
J'en étais à peu près là quand Jean me rejoignit au bar.
— Salut belle gosse, souffla-t-il d'un ton amusé.
— Bonjour cher client, vous prendrez bien une pinte ?
— Avec plaisir ! Pourriez-vous me servir une Loreleï s'il vous plaît ? Même si j'en ai déjà une sous les yeux.
Je lui lançais un sourire amusé et pris un verre pour le servir. C'était un de nos nombreux jeux, échanger des répliques de mauvaise drague. Si Jean était le premier à dire qu'il n'avait aucun talent avec les filles, il arrivait très bien à me faire rire en faisant preuve d'inventivité avec des répliques toutes plus ridicules et inefficaces les unes que les autres.
— Voici Lieutenant ! fis-je avec un clin d'œil.
Il prit son verre et s'apprêta à boire, quand Claudine débarqua, se jetant presque sur le comptoir.
— Roxane !
— Quoi ? fis-je d'un ton inquiet en voyant sa mine défaite.
— Je crois qu'Angie va avoir besoin de toi.
— Qu'est-ce qui s'est passé ? bredouillai-je.
Depuis son enlèvement, l'idée qu'il arrive quelque chose à mon amie était une idée très concrète et angoissante.
— C'est Mustang, il l'a… larguée ? Je suppose ? Même s'ils ne sortaient techniquement pas ensemble…
— Mustang était là ? Je ne l'ai même pas vu, s'étonna Jean, rangeant la cigarette qu'il s'était apprêté à sortir.
— En même temps, tu as vu le monde ?
— Mais il avait dit qu'il ne viendrait pas à cette soirée…
— Et bien il a dû changer d'avis, soupira la violoniste, les sourcils abaissés par la peine. Il aurait pu s'en passer, Andy est furieux de s'être fait doucher au vin rouge et Angie est inconsolable depuis son départ.
— Et merde… fis-je tristement, attrapant tout de même les verres qu'on me rapportait pour les mettre dans l'évier.
Je fouillai la foule des yeux, cherchant quelqu'un pour me relayer, avisai Natacha et mis deux doigts dans ma bouche pour siffler bruyamment par-dessus le vacarme. Elle sursauta et se retourna vers moi, me voyant faire de grands signes.
— Nat', tu peux prendre la relève s'il te plaît ?
— Ça marche ! s'exclama-t-elle avant de se frayer un chemin vers nous.
Je levai les deux pouces en signe de remerciements et servis deux dernières pintes et quittai le bar. Je fendis la foule vers les toilettes, attrapant un rouleau de papier avant de ressortir, retrouvant Jean qui me regarda d'un air perplexe.
— Qu'est-ce que tu fais ?
— Je m'équipe… apparemment on a des dégâts à éponger, répondis-je sommairement.
— Je reconnais là ton esprit pratique, admit le grand blond avec un demi-sourire.
Je traversai dans l'autre sens, passai par la verrière et entrai dans les coulisses, guidée par Claudine. Sans dire un mot, Jean me suivit.
En tant que client, il n'était pas censé m'accompagner dans les espaces privés du Cabaret, mais c'était mon petit ami et il avait une affection toute fraternelle pour Angie. De toute façon, aucun membre ne se servait des lieux comme vestiaire à ce moment-là et personne ne fit la moindre remarque.
Je retrouvai donc Angie assise sur un des tabourets des loges, en train de sangloter lamentablement dans les bras d'Andy qui l'enlaçait avec une expression tout aussi défaite. Son visage s'éclaira un peu quand il nous vit arriver, et il relâcha sa prise pour murmurer à la petite blonde.
— Roxane est là.
Elle releva la tête, les yeux rougis, le visage ravagé par les larmes, et perdit le peu de contenance qui lui restait en nous voyant.
— … Jean ? bredouilla-t-elle, manifestement embarrassée qu'il la voie dans cet état.
Nous nous approchâmes à pas vifs, lui pour s'asseoir à l'opposé d'Andy pour lui tapoter l'épaule, moi en lui tendant une bande de papier toilette d'un geste plein d'autorité. Elle le prit pour se moucher de manière sonore et je continuai à dérouler le rouleau pour la fournir jusqu'à ce qu'elle semble ne plus en avoir besoin. Ce n'est qu'après avoir accompli ce devoir que j'attrapai un autre des tabourets pour le tirer vers moi et m'asseoir face à elle, tapotant le sommet de son crâne complètement ébouriffé.
— Allons, allons, soufflai-je comme pour rassurer un animal apeuré. Ça va aller…
— J'ai fait n'importe quoi, sanglota-t-elle.
— Ça nous arrive à tous, tempérai-je.
— À certains plus qu'à d'autres, grommela Andy. Si je le retrouve, je lui refais le portrait.
— Tu sais te battre, toi ? demandai-je d'un ton surpris.
Le jeune danseur se redressa en rougissant d'indignation, tandis que Claudine lâcha un rire. Même Angie sourit à travers ses larmes.
— Arrêtez de remettre en question mes capacités de combattant, enfin !
— Et toi arrête de te faire mousser, répliqua Claudine. On sait bien que tes principaux combats pendant ta jeunesse, c'était des duels de regards pour qu'on t'achète un nouveau poney.
— Mais ! C'est arrivé une fois ! Une seule fois ! Tu vas me le ressortir toute ma vie ?!
— Je… Est-ce que c'est le bon moment pour parler de ça ? fit remarquer Havoc.
— Pourquoi pas ? fis-je avec un sourire en coin, bien placée pour voir qu'Edward riait à travers ses larmes.
Andy jouait le clown à ses dépens, et s'il détestait sans doute le rôle, cela avait un effet bénéfique sur notre amie, dont les sanglots se tarirent peu à peu. Entre moi qui lui fournissais de quoi se moucher et tout le monde qui lui tapotait les épaules en disant des platitudes ou des idioties, elle retrouva son calme. Finalement, elle releva la tête pour regarder Andy et Claudine droit dans les yeux.
— Je… merci, vous deux. Merci d'avoir été là et de m'avoir écoutée, mais, euh… est-ce que vous pouvez… me laisser un moment ?
Andy afficha une mine boudeuse, mais Claudine posa une main apaisante sur son épaule.
— Tu veux parler tranquillement avec Roxane, je suppose ? fit-elle de sa voix grave.
Angie hocha la tête d'un air contrit, et Claudine lui ébouriffa les cheveux d'un geste affectueux avant de partir, traînant bon gré mal gré Andy dans son sillage. Elle claqua la porte derrière eux et le silence retomba. Jean, qui était resté immobile, faute d'avoir été interpellé, pointa l'index vers lui-même.
— Et moi, tu veux que je m'en aille ?
— Étant donné que tu m'as vu pleurer comme une daube, je n'ai plus grand-chose à perdre, fit-elle avec un pauvre sourire, avant de s'essuyer les yeux, laissant des traînées noires sur ses gants rouges.
Il eut un sourire mitigé, à la fois triste de la voir dans cet état et touché d'être accepté, et tapota de nouveau son épaule avec la posture d'un grand frère protecteur. Je me relevai pour m'asseoir à côté d'Angie, croisant mon bras contre le sien pour l'envelopper de toute mon amitié.
— Alors, qu'est-ce qu'il s'est passé ? Tu lui as…
— Non, murmura-t-elle, fixant droit devant elle en rougissant. Je n'ai pas dit la vérité. Je crois que je peux juste pas… juste pas lui avouer.
Je hochai la tête. Je m'en doutais, malgré mes encouragements, ça faisait un moment qu'elle ne semblait même plus essayer. Je pouvais comprendre son découragement après tous ces échecs successifs et l'équivoque de leur relation.
— Alors, il s'est passé quoi ?
— On a… parlé. Je me suis excusée de lui avoir causé du soucis, et lui de m'avoir impliqué dans ces histoires. Il ne sait pas que c'est aussi ma faute si on en est arrivés là. Et… je…
Elle rougit, baissa la tête, pelotonnée entre nous comme un enfant se réfugiant auprès ses parents après un cauchemar.
— Il m'a dit… qu'on ne pourrait plus se voir. Parce que même si Harfang… Greenhouse… était sous les verrous, il avait d'autres ennemis. Que je ne serai jamais en sécurité près de lui.
Je baissai la tête, lâchant un soupir. Je comprenais son dépit, la violence de ses faux espoirs, quand il était revenu seulement pour mettre fin aux choses de manière officielle.
— Il parle des Homonculus, n'est-ce pas ? souffla-t-elle à mi-voix.
— Je suppose, oui.
Je la serrai un peu plus près de moi tandis qu'elle reniflait, et le silence retomba.
— Il ne sait pas que c'est aussi mes ennemis, que cette décision ne change pas grand-chose, murmura-t-elle. Enfin, en même temps, je ne sers à rien face à eux, la dernière fois que je les ai croisés, je me suis fait exploser au combat, et ça fait des mois que je ne fais rien d'autre que me cacher…
— Rester libre, c'est important, fit remarquer Havoc.
— Je ne suis pas sûre d'être libre, lâcha Angie d'un ton cynique.
— Mais tu ne fais pas rien, soulignai-je. Tu as fait des recherches à propos de King Bradley, tu les as transmises à Riza…
— Pour ce que ça nous sert…
— Personne ne sert à rien, à ce compte-là. En plus, tu as pu retrouver ton père, et il t'a appris énormément de choses, non ? Quand je moment sera venu je suis sûre que tu sauras comment agir.
— Mouais…
Les yeux baissés sur ses jambes qui se balançaient, elle poussa un profond soupir.
— Je ne sais pas quoi faire après ça, avoua-t-elle dans un souffle. Je ne sais même pas comment je pourrai de nouveau le regarder en face.
— J'avoue qu'à ta place, je serais un peu emmerdé, admit Jean en grattant la barbe naissante qu'il avait sous le menton. Ce genre de situation est beaucoup trop délicate pour un mec comme moi.
— Personne ne serait à l'aise, ajoutai-je. Ce n'est pas ta faute.
— Si, c'est de ma faute si on en est là. Parce que j'ai laissé les choses se faire, et parce que, égoïstement, j'ai voulu cacher mon secret… maintenant je n'ai plus d'autre choix que de continuer comme ça… Je n'en peux plus, de tout ça.
Il y eut un silence lourd que ni moi ni Jean n'osâmes interrompre. De l'autre côté des rideaux, on entendait le brouhaha de la fête, la fanfare et les violons, le piano et la batterie, les gens qui tapaient du pied et les rires. Pendant ce temps, Angie encaissait péniblement sa première déception amoureuse, infiniment pire que celle de la plupart des gens de son âge.
D'un coup, je repris conscience de ce fait : derrière les combats, le titre d'Alchimiste d'État, l'armée qui le recherchait, le complot des Homonculus et son enlèvement récent, il y avait un gamin orphelin d'à peine seize ans, qui vivait sous une fausse identité, avec un sexe qui n'était pas le sien, loin du peu de famille qui lui restait et privé de l'affection de l'une des personnes auxquels il tenait le plus au monde. Un gosse, brillant, surdoué peut-être, mais un gamin malgré tout, écrasé de devoir vivre plus de traumatismes en six mois que la plupart des gens dans leur vie entière et forcé d'affronter des sentiments auxquels il était tout sauf préparé.
Mon enfance n'avait pas été toute rose, dans la pauvreté de l'orphelinat, mais je n'avais jamais eu à faire face à autant de choses en aussi peu de temps.
Je n'étais pas sûre d'en avoir été capable à sa place.
— Je suis désolée, murmurai-je en caressant ses cheveux, sa tresse ébouriffée dont les fausses fleurs semblaient s'enfuir.
Ed ne répondit rien, mais se cala un peu plus contre moi, réclamant plus de tendresse.
— Est-ce qu'on peut faire quelque chose pour toi ? demanda Havoc d'un ton très sérieux. À part rester à tes côtés et te soutenir autant qu'il le faudra ?
La petite blonde hocha la tête.
— Je… si je retrouve mon corps, que je redeviens la personne que j'ai toujours été… est-ce que vous pourrez garder le secret ? Parce que, je… je crois qu'à ce stade, il vaut mieux que Roy n'apprenne jamais la vérité, murmura-t-elle.
Je sentis mon cœur se briser en entendant cette petite toute voix, en sentant toute sa détresse et son épuisement face à la situation, et je ne pus m'empêcher de me pencher sur elle pour la serrer dans mes bras, très fort.
— Bien sûr qu'on gardera le secret, soufflai-je à son oreille.
— Bien sûr, oui, ajouta Jean en lui tapotant la tête d'un geste plus distant, mais tout aussi affectueux.
Je savais qu'il en coûtait à quelqu'un d'aussi droit et simple que lui d'être dans la confidence et de devoir cacher des choses aussi complexes et troublantes ; mais je savais aussi qu'il était trop loyal et attaché à Edward pour envisager de le trahir. Et Ed s'en doutait sans doute.
— Des fois, il n'y a juste pas de bonne solution, je suppose, soupira finalement l'adolescent.
— Yep…
— Bon, je ne vais pas rester enfermée là éternellement, fit-elle en s'essuyant les yeux sur ses gants déjà trempés de larmes sales. il paraît qu'il y a une fête en mon honneur… même si tout le monde a manifestement oublié que c'était le cas.
— Ce n'est peut-être pas plus mal, fis-je. Tu imagines si tout le monde était entré dans les coulisses pour venir te réconforter ?
— Le bordel… admit la petite blonde avec un rire. Ça m'aurait agacé plus qu'autre chose, j'aurai vite eu envie de les frapper.
Elle reprit son sérieux et tourna la tête vers moi.
— Par contre, je n'ai pas vu ma gueule, mais je suppose que je vais avoir besoin de ton aide, fit-elle avec un pauvre sourire.
— Je confirme, on dirait que tu as fourré la tête dans un sac de charbon. Viens par ici ma belle ! fis-je en la levant d'autorité, l'attirant vers les miroirs et l'éclairage.
Nous nous assîmes face à face tandis que je fouillai dans les affaires communes pour trouver de quoi la débarbouiller. Sous le fond de teint et les coulures de mascara, elle avait le visage plus rouge et marbré que jamais. Jean, resté pour discuter avec nous, avait tiré une chaise d'un peu plus loin, et s'était assis à califourchon, les bras croisés sur le dossier, bien plus curieux qu'il ne voulait l'admettre de savoir par quelle magie le maquillage pouvait rendre Edward aussi méconnaissable.
— C'est fou comme ça peut changer un visage, répétait-il avec étonnement tandis que je faisais à Angie des yeux de biche.
Cela m'amusait, mais commença à agacer Angie, qui finit par attraper le premier rouge à lèvres venu pour le tendre vers le militaire.
— Si ça te fascine à ce point, tu n'as qu'à tester par toi-même !
— Ça va pas la tête ?! s'exclama-t-il en rougissant.
— Ça va, je le fais tous les jours, j'en suis pas mort, fit remarquer l'adolescente. Bon, la seule condition est que je ne me maquille pas moi-même, je suis bon à rien.
— Bonne à rien, corrigeai-je en ponctuant ma remarque d'un dernier coup de pinceau avant de me tourner vers Jean pour le scruter avec un sourire gourmand.
— Pourquoi tu me regardes comme ça ?
— J'essaie d'imaginer ce que tu donnerais maquillé, fis-je sans parvenir à dissimuler l'amusement que me procurait cette idée.
— Je… non ? fit le grand blond en se redressant de toute sa hauteur. Non ! ajouta-t-il en me voyant échanger un regard avec Angie.
— Pour me faire plaisiiiir ! minauda Angie, jouant de sa tristesse pourtant bien réelle.
— Tu peux pas me faire ça ! grommela-t-il en rougissant, aussi humilié par l'idée que pris au piège de l'affection qu'il portait pour l'adolescente qui le suppliait. C'est absolument déloyal !
— Allez, fis-je en en remettant une couche. Pour nous faire plaisir ! Tu verras c'est super drôle !
— Ça dépend pour qui !
— Je suis sûre que même toi tu trouveras ça drôle.
— J'ai le droit de ne pas être convaincu par cette affirmation ? grinça le militaire.
— Tu ne veux pas être le seul, c'est ça ? fis-je avec un sourire.
— Tout à fait ! Échange équivalent comme disent les alchimistes !
— Alors j'ai une proposition d'équivalence, fis-je avec un large sourire. Puisque tous les deux, je vais vous maquiller…
— Hé, j'ai pas dit que j'acceptais !
— Si tu acceptes que je te maquille, Angie et toi, vous pouvez me maquiller en retour, annonçai-je solennellement.
— Quoi ?! Alors que tu refuses toujours que je me maquille moi-même ? s'exclama la petite blonde.
J'observai alors Jean croiser les bras et pencher la tête dans tous les sens au fil du dilemme qui se déroulait dans son esprit, torturé entre l'inquiétude de se rendre ridicule et la curiosité de voir l'issue d'un tel marché. Comme je m'y attendais, il finit par céder.
— OK, je le regretterai sans doute, mais marché conclu !
— Yeah ! s'exclama Angie en jetant ses poings en l'air, emportée par l'enthousiasme. Ça s'annonce historique !
Le terme « historique » était sans doute exagéré, mais il fallait avouer que maquiller mon petit ami fut un moment aussi improbable que mémorable, le plus dur étant de ne pas déraper sous l'effet de nos fous rires. Le décalage entre les traits marqués de Jean et les couleurs pastels de son maquillage étaient irrésistiblement drôles.
J'eus un petit moment de frayeur quand Tallulah entra sans frapper, mais elle sembla ne même pas remarquer que le militaire avait été repeint, toute son attention s'étant portée sur la coiffure déglinguée d'Angie, auquel elle s'employa à remettre de l'ordre. Le grand blond, qui s'attendait à des moqueries, en fut tellement désarçonné qu'il semblait presque déçu.
Après la danseuse, ce fut Andy, Clara et Claudine qui arrivèrent en coulisses. Andy eut un rire en nous voyant, mais s'attabla ensuite devant un des miroirs pour se prêter au jeu. Jean le regarda mettre des faux cils avec l'assurance d'un habitué, s'étouffant d'incrédulité.
— Sérieux, t'es un mec et tu te maquilles carrément mieux que moi ! s'indigna Angie. Comment c'est possible ?!
— Tout le monde se maquille mieux que toi, princesse ! lança le danseur avec un clin d'œil impertinent.
— Je ne suis pas une princesse ! Et ce n'est pas gentil de me charrier comme ça.
— Tu n'as qu'à répliquer, répondit Claudine en ébouriffant les cheveux d'Andy. Ce n'est pas difficile de trouver de quoi le titiller, môsieur est un grand susceptible ! Tu comprends, il n'a pas eu son poney quand il était petit !
— Mais c'est qu'elle se fout de moi la vieille peau ! pesta Andy en agitant les mains au-dessus de la tête pour la chasser avant de reprendre son œuvre.
— Qui aime bien châtie bien, tu le sais pourtant !
Ce fut à mon tour de tenir ma promesse de me laisser faire par le duo de blonds, il fallait avouer que j'étais un peu inquiète en voyant leurs expressions machiavéliques, tandis qu'ils se « partageaient le territoire ».
— Alors, on fait moitié-moitié ? demanda Ed en penchant la tête de côté.
— Je prends la gauche, tu prends la droite ?
— Vendu ! Hé, Andy, tu me passes le truc que tu viens d'utiliser ? Avec les paillettes, là.
— Grands dieux, fis-je en voyant les deux attraper tout ce qui leur passait sous la main avec l'expression joyeuse d'une paire de savants fous.
— Tu te sacrifies pour la science ? commenta Clara avec un sourire.
— C'est à peu près ça, oui, fis-je avec un sourire crispé et pourtant sincère.
— Qu'est-ce que vous… faites ? fit Maïwenn en arrivant à son tour, se figeant en découvrant la scène. Havoc ?! Qu'est-ce qui t'est arrivé ?
— Ah, Hayles ! Merci ! Enfin, quelqu'un qui réagit de manière logique ! Je pensais me rendre ridicule, mais finalement, je crois que voir tout le monde trouver ça normal, ça fout encore plus les jetons !
La militaire eut un grand rire, se tenant les côtes.
— Dommage que R… le lieutenant Hawkeye soit rentrée, sinon je l'aurais fait venir ici sur-le-champ pour admirer le spectacle.
— Ce qui se passe au Bigarré reste au Bigarré ! rugit le militaire qui se redécouvrait soudainement un sens de l'honneur.
— D'accord, d'accord, fit-elle en essuyant ses larmes.
— On n'a pas appliqué cette règle pour Byers, commenta Clara avec un sourire.
— Aucun regret, commenta froidement Maï.
Clara posa le pouce sur la tempe de sa sœur pour faire tenir la tresse extravagante qu'elle avait commencée et leva l'autre main sans quitter son ouvrage des yeux. Maï la claqua en signe de complicité avant de demander à la cantonade.
— Eh, ça vous dit que je vous ramène à boire, le temps que vous finissiez de jouer ?
— Oh oui, une bonne bière ! s'exclama Jean, le regard illuminé de joie.
Je ne pus m'empêcher de sourire en le voyant si enthousiaste, émue de me dire que ce mec si profondément bon, droit et tendre était le mien, et Hayles reparti avec les souhaits de chacun. Angie, quant à elle, était en train de me tartouiller une couche atroce de blush sur la joue avec une grande application. Je vis son sourire s'éroder, et je sentis les souvenirs remonter, une envie de pleurer qui menaçait de nouveau et me pinça le cœur.
— Dites, c'est quoi cette histoire avec Byers ? demanda Jean d'un ton plus sérieux. Je sais qu'il a quitté l'armée la semaine dernière, mais… j'avoue qu'il ne m'a pas dit pourquoi.
— Hé bien, vois-tu, commença Clara, il a voulu poser ses sales pattes sur notre petite Maï.
— Il a… quoi ?
— Il a essayé de la violer, traduisit Andy d'un ton qui laissait deviner la rage.
— QUOI ?! s'exclama Jean, horrifié.
— Il a été jugé par l'armée, mais il en a été quitte pour un blâme.
— Ce qui est dégueulasse.
— J'avoue… Je suis sous le choc, commenta le militaire.
— Alors, quand il a eu l'audace de mettre les pieds au cabaret le soir du Nouvel An, j'ai décidé de lui donner une leçon.
— Oh, non, fit Angie.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Jean.
— Je suppose que les menottes que je vous ai empruntées, à toi et Breda, ont joué un rôle ?
— Tu supposes bien, confirma l'accordéoniste avec un sourire félin. Je l'ai séduit — ce qui n'était pas difficile, il était manifestement « en chasse » — je l'ai amené dans la chambre de Tallulah…
— Pourquoi pas la tienne ?
— Parce que les gens normaux s'enfuient en courant en voyant sa chambre, répliqua sa sœur.
— Bref, une fois qu'il a complètement baissé sa garde, je l'ai attaché au lit. À poil. Vous auriez vu sa tête quand j'ai sorti un rasoir en lui conseillant de ne pas s'agiter, il a bien déchanté ! Il avait tellement peur qu'il n'a pas bougé d'un iota.
— … Qu'est-ce que tu lui as fait ? demandai-je d'un ton vaguement inquiet.
— Je lui ai rasé la poitrine et le kiki, répondit-elle en se redressant avec un sourire satisfait. Et croyez-moi, une fois qu'on avait enlevé les poils, il n'y avait plus grand-chose à voir. Puis j'ai sorti de sous le lit une pancarte de la honte ou il était écrit la vérité, à savoir qu'il était un gros dégueulasse qui agressait sexuellement ses collègues, et, à ma suggestion, Maï s'est chargée des photos.
— Vous avez… pris des photos ? bafouilla le militaire, choqué par le récit.
— Oui. Et on les a pas juste prises. On les a développées et distribuées à un maximum de filles de l'armée, pour qu'elles soient au courant de la menace qu'il représentait pour elles. Bon, il se peut qu'elles aient tourné tellement largement et que quelques collègues masculins soient tombés dessus aussi. Il se peut qu'il y ait un lien de causalité avec sa démission, mais bon, qui suis-je pour juger une reconversion professionnelle ?
— … Je croyais que tu étais une personne douce et gentille, mais en fait, tu es LA PIRE ?! s'exclama Jean d'un ton où l'horreur se mêlait au respect.
— Merci ! se contenta-t-elle de répondre avec son sourire le plus lumineux.
— Putain, faut vraiment pas te mettre en colère, toi… fit le grand blond en secouant la tête, choqué par sa découverte.
— Je suis un ange de vertu à côté d'elle, commenta Andy. C'est dire !
— T'as rien d'un ange, lâcha Angie. T'es un morceau d'enfer sur terre.
— C'est vrai, les mecs qui partagent mon lit me trouvent à se damner, fit le danseur avec un clin d'œil.
— Euh, j'ai pas envie de savoir ce genre de choses moi ! bredouilla Havoc sous les rires des autres.
Sur ces entrefaites, Maï revint avec les boissons, s'attirant une exclamation enthousiaste, et le chahut reprit. Les conversations et la situation elle-même, entre rires, rouge à lèvres et paillettes, à plus de trois heures du matin, semblaient n'avoir aucun sens.
Mais, je le savais, les autres aussi souriaient avec tendresse en voyant Angie rire aux éclats, de ce rire victorieux qui étouffait les sanglots. Au fond, nous savions que tout ceci avait plus de sens que jamais.
J'entendis toquer à ma porte et me redressai.
— Entre !
Je savais déjà que c'était Angie qui allait pousser la porte pour entrer dans la pièce, la mine défaite. Je lui lançais un sourire encourageant tandis qu'elle s'approchait, fébrile.
— Je lace mes chaussures et je suis prête, annonçai-je.
— Pourquoi ils nous ont convoquées ?
Elle était blême, taraudée par l'inquiétude.
— Tu crois qu'ils ont découvert mon secret ? Si ça se trouve, ils vont m'emprisonner aussitôt que j'aurai posé un pied dans le QG.
— Allons, Angie, calme-toi. N'oublie pas qui se charge de cette affaire. Si tu courais le moindre risque, crois-moi que Hawkeye, Havoc et Breda feraient des pieds et des mains pour te protéger.
Je n'osais pas ajouter le nom de Mustang dans la liste pour ne pas remuer de mauvais souvenirs, même si je ne doutais pas un instant qu'il la défendrait aussi sans hésiter, mais je me rendis compte que son absence résonnait tout autant que si j'avais prononcé ce nom. À côté de moi, la petite blonde affichait une expression fermée, lasse, profondément triste.
Il lui faudrait du temps.
Je me redressai, prête à partir, lui tapotai la tête, et nous quittâmes la chambre pour descendre les escaliers grinçants du Cabaret. En bas, Wilhelm flattait le piano d'une mélodie pleine de douceur, tandis que Tallulah fredonnait en caressant Cerise qui s'était pelotonnée sur ses genoux en ronronnant. On entendait Lily-Rose, Jess et Andy s'affairer pour le prochain repas depuis la porte ouverte de la cuisine. Pendant ce temps, Aïna et Ray s'étaient attelés au dépoussiérage approfondi des bas-reliefs qui surplombaient les portes.
C'était un début d'après-midi normal au Bigarré, alors que chacun vaquait à ses occupations, le cœur apaisé de savoir qu'une ou deux pièces plus loin, leurs amis en faisaient autant. Même si nous ne faisions que passer, cette atmosphère resta imprégnée en moi une fois que nous leur avions annoncé notre départ et poussé la porte d'entrée pour déboucher dans la rue étincelante sous le soleil hivernal.
La vie avait repris son cours. La veille, Angie était même remontée sur scène pour son numéro du mercredi.
Si elle s'était montrée plus retenue que la première fois, je m'étais demandé ce qui se passait dans sa tête en suivant le fil de cette chorégraphie érotique devant un public. Sans doute le même mélange d'indignation et de curiosité que quand le spectacle s'était construit. Elle y était allée à reculons, râlant sur ce costume trop découvert, se plaignant de l'exigence professorale d'Andy et de cette danse inconfortable, mais avait refusé catégoriquement quand Mel lui avait proposé d'annuler le numéro. Comme si elle ressentait le besoin de dire que ce n'était pas de son fait, pas de sa faute, tout en voulant quand même aller au bout.
Certains irradient en dansant ou captent la complicité du public, mais en la voyant sur scène, j'avais senti une nouvelle fois à quel point elle était détachée du monde, tournée à l'intérieur d'elle-même d'une manière dont elle semblait incapable le reste du temps. Peut-être qu'elle avait besoin de ça sans être prête à l'admettre, qu'elle avait besoin de ce numéro qu'elle n'assumait pas pleinement. En tout cas, les autres avaient joué le jeu sans relever le paradoxe, entre défis et portes de sortie, et j'avais fini par en faire autant.
La pluie, qui avait duré des jours, avait fini par cesser, et c'était maintenant un ciel vide de tout nuage, d'un bleu intense, qui nous surplombait. Il faisait beaucoup plus froid qu'il y a une semaine encore, signe que nous étions bel et bien en hiver. Je renfonçai le nez dans mon écharpe tandis qu'Angie se remit à parler, lâchant devant elle des nuages de buée.
— Tu crois que je vais le croiser ?
— Je l'imagine assez adroit pour éviter d'être dans ton passage au moment ou tu es convoquée, non ? Il doit sûrement être au courant de ta venue.
— Mouais…
— La vraie question, c'est plutôt : est-ce que tu as envie de le revoir ?
— Je… ne sais pas, murmura-t-elle en rougissant, les yeux baissés sur le trottoir.
Je poussais un soupir attristé. La vérité, c'est que j'avais beau promettre une épaule compatissante à Angie et lui dire que les choses iraient mieux, je n'en étais pas si sûre moi-même. Contrairement à un certain nombre de mes amies de Lacosta, je n'avais pas l'impression que c'était le genre de cœur d'artichaut qui se remettait d'une déception amoureuse en retombant rapidement sous le charme d'un autre. L'idée d'aimer quelqu'un de cette façon n'avait à ses yeux rien d'inné ni de confortable et ce sentiment lui était venu bien malgré elle, détruisant tout sur son passage. Moi-même, qui n'avais jamais ressenti ça, je ne pouvais qu'imaginer à quel point c'était rude.
Ce genre de choses, c'est bien beau dans les histoires, mais dans la vraie vie c'est assez merdique en fait…
C'était d'autant plus attristant que je savais par Havoc que Mustang tenait réellement à Angie. À Edward aussi, d'ailleurs. Mais que resterait-il de tout ça s'il apprenait la vérité ?
Je tournai la tête vers mon amie qui arpentait les rues d'un pas assuré pour rejoindre la ligne de trolley. Elle connaissait bien la ville pour y avoir déjà vécu bien avant moi, et elle n'aurait nullement besoin d'être guidée pour retrouver le bureau de l'équipe, même si officiellement, elle n'y avait jamais mis les pieds.
En baissant les yeux vers elle, je détaillai son profil au regard résolu, et je songeai que je n'arrivais pas à y voir autre chose qu'une môme.
Était-ce l'avis biaisé de celle qui l'avait vu enchaîner les catastrophes ménagères au début de notre colocation, ou la lucidité quelqu'un qui connaissait toute la vérité à son sujet ? Malgré toute la force et la maturité dont elle pouvait parfois faire preuve, je n'arrivais pas à la percevoir autrement que comme une personne à protéger. Cela la mettrait sans doute en rage, mais cette naïveté-là, je n'avais pas envie de la voir disparaître. Si je m'étais retrouvée dans la situation de Mustang, si je m'étais découvert du désir pour quelqu'un d'à ce point plus jeune que moi, je me serais sans doute sentie sale.
Au fil de ces pensées, nous arrivâmes à hauteur de l'arrêt de trolley.
— Tu veux qu'on l'attende ? demandai-je.
— Non, marchons, plutôt, ça fait du bien de se dégourdir un peu les jambes !
Elle me jeta un de ses sourires francs qui ne parvenaient pas à effacer sa tristesse, et je sentis à quel point ces émotions coexistaient chez elles depuis la dernière fois.
— J'ai passé trop de temps enfermée, j'ai juste envie de sortir et marcher le plus possible, fit-elle, les mains dans les poches, respirant à pleins poumons l'air glacé. Ça fait vraiment du bien.
— Je comprends, à ta place, je réagirai de la même manière, je pense… Tu es restée confinée à l'hôpital pendant une bonne semaine.
— Alors que je n'étais même pas malade… Enfin, il paraît que c'était un moyen de me protéger, alors…
— Je suis tellement contente que ton maître chanteur ait été arrêté.
— Oui, moi aussi. Enfin, je suis soulagée, mais… j'avoue que j'ai très peur qu'il vende la mèche à mon sujet, quoi qu'en dise Riza…
— Avec tout ce dont il est accusé, il sera sans doute condamné à mort, non ?
— Comment dire… de ce que je connais de l'armée, ça ne suffit pas à me rassurer.
Je hochai la tête avec une grimace, me remémorant un vague souvenir à propos d'un alchimiste soi-disant condamné qu'il avait retrouvé par la suite dans un bâtiment contrôlé par ses ennemis.
— … Je vais sans doute devoir partir, murmura Angie, les yeux perdus dans le vague.
Partir se battre pour fuir les Homonculus, l'armée, son secret… partir avant que Mustang ne découvre la vérité à son sujet, pour pouvoir disparaître sans heurts et s'autoriser à le revoir en tant que Fullmetal Alchemist. Il y avait mille et une raisons à cette décision, mais l'idée n'avait rien de joyeux.
— Je ne sais pas comment annoncer ça à Mel et aux autres… après qu'ils nous aient accueillis comme ça…
— Je comprends, c'est difficile.
— Je n'ai pas envie de me retrouver seul de nouveau.
— Tu ne seras pas seule, va. Si tu pars, je t'accompagnerai. Il te faut bien quelqu'un pour te tapoter la tête de temps en temps et t'empêcher de faire n'importe quoi, non ?
Elle ne répondit rien, mais tourna vers moi un regard ému.
— Merci… Tu ne te rends sans doute pas compte de ce que tu dis, mais… merci.
— Oh, arrête, j'ai déjà risqué ma vie avec toi… Souviens-toi quand même que j'ai assommé un garde du corps à coup de casserole !
— Ahaha, c'est vrai ! Je te vois encore débarquer avec cette monstrueuse casserole dans la chambre.
— À l'époque, je ne savais pas que c'était toi le monstre ! fis-je en riant. Tu m'avais vraiment épatée, je n'aurai jamais imaginé que tu puisses avoir une telle force.
— J'étais fort à l'époque, murmura-t-elle d'un ton douloureux.
— Tu l'es toujours… c'est juste que tu affrontes d'autres difficultés que celles que tu avais vécues jusque-là.
— Je me suis quand même fait enlever comme un bleu. Encore.
— Ça aurait pu arriver à n'importe qui, tempérai-je.
— C'est pas censé m'arriver, à moi.
— Je sens un petit accès de susceptibilité par ici, fis-je avec un sourire.
— Arrête…
— Je te sens un petit peu agacée.
— Mais arrête ! s'exclama-t-elle en me courant après, sans que je ne puisse m'empêcher de rire. Je sais que tu le fais exprès !
Elle avait beaucoup changé depuis notre arrivée au Cabaret, mais cette réaction qu'elle parvenait à réprimer le plus souvent était un vestige purement Edwardesque. J'enchaînai les calembours contenant le mot maudit en courant pour qu'elle ne me mette pas la patte dessus, croisant des passants qui s'écartaient en nous voyant les doubler, interloqués de voir deux jeunes femmes gambader en pleine rue comme des enfants jouant à chat. De conversation en chahut, la fin du trajet se fit dans une ambiance légère, que je tâchais d'entretenir pour l'empêcher de retomber dans une fébrilité inquiète. Ne pas penser à ce qui nous attendait.
J'y parvins jusqu'à ce que nous arrivions devant les grilles de l'entrée principale du QG, montrant nos convocations au garde de l'entrée. Il héla deux collègues qui nous guidèrent à travers le complexe, traversant des cours, des couloirs, montant et descendant des escaliers, dans une ambiance de plus en plus pesante. Je n'aurais pas su dire d'où ne venais ni comment ressortir, et, coincée entre ces deux soldats, je sentis une peur s'insinuer en moi. Et si, en dépit de toutes les paroles rassurantes que j'avais pu avoir, nous étions en réalité en grand danger ? Je jetai un coup d'œil à Angie, espérant ne pas trop transmettre mon angoisse, mais elle me regarda d'un air confiant qui me rassura. Peut-être reconnaissait-elle le chemin ? Je m'en remis à elle et tâchai de cesser de m'en inquiéter.
Notre arrivée dans le bureau de l'équipe donna finalement raison, et Havoc se leva pour nous accueillir et remercier ses collègues de nous avoir guidés jusqu'ici. Ils repartirent, nous laissant là, et je levai les yeux pour étudier la pièce, découvrant avec curiosité le lieu de travail de Jean et ses amis.
C'était une pièce assez grande pour contenir cinq bureaux plus ou moins bien rangés, et dont les murs clairs étaient masqués en grande partie par des étagères chargées de dossiers et de livres. Je regardai les militaires, cherchant à deviner à qui appartenait chaque espace de travail. Le plus éloigné de l'entrée, tourné vers les autres et dressé avec une précision chirurgicale, ne laissait aucun doute sur son propriétaire. Sur un autre, plutôt ordonné, se trouvait un paquet de papier gras qui avait dû contenir des viennoiseries.
Une paire de fenêtres donnait sur la cime des arbres, et une deuxième porte, face à la première, s'ouvrait sur un autre bureau, plus petit et rempli d'un amas de papiers chaotique. Angie le fixa d'un air interdit et je regardai dans la direction à mon tour, devinant que c'était là le bureau de Mustang. Enfin, si on pouvait appeler bureau cette pièce impraticable.
Hawkeye ferma la porte et fit geste de nous asseoir, redonnant une atmosphère sérieuse à la situation.
— Nous allons recueillir vos témoignages séparément, pour éviter que vous influenciez mutuellement en vous écoutant. Mademoiselle Penovac, je vous laisse ici, Angie, si tu veux bien venir avec Breda et moi…
Elle hocha la tête en déglutissant, et la gradée lui adressa un sourire rassurant.
— Ne t'inquiète pas, il n'y a pas de raison que ça se passe mal, c'est juste qu'il y a certains points que nous voudrions éclaircir…
Je donnais une tape rassurante dans le dos de la petite blonde avant qu'elle ne quitte la pièce et la suivit des yeux en l'encourageant intérieurement. Si j'avais eu des inquiétudes, retrouver la fine équipe les avait aussitôt fait disparaître. À peine la porte refermée, les militaires se mirent à parler avec un certain enthousiasme.
— Hey, bienvenue chez nous, s'exclama Fuery. Tu veux des chouquettes avant l'interrogatoire ?
— Avec plaisir, fis-je en plongeant la main dans le paquet.
— Alors, voyons si tu connais bien Havoc… tu devines quel est son bureau ? demanda-t-il en souriant de toutes ses dents.
Je croquais dans la sucrerie, détaillant des yeux les différentes options qui s'offraient à moi. Je pouvais déjà exclure les bureaux de Hawkeye et Fuery, il en restait donc trois. Sur l'un des bureaux se trouvaient des piles assez hautes de livres et dossiers truffées de petits marque-pages, ainsi qu'un carnet ouvert couvert de notes en pattes de mouches. J'étais sûre que ce n'était pas lui. À côté, c'était une autre pile de dossiers moins ordonnée et une série de feuilles volantes couvertes d'une écriture ronde et brouillonne. On y trouvait aussi une tasse qui avait contenu du café, le papier froissé d'un sandwich et une tour d'échec en bois blanc.
Je ne pris même pas la peine de détailler davantage le dernier bureau, complètement chaotique, avant de le désigner du doigt en mâchant mon goûter improvisé.
— Ahaha, cette tête ! commenta Falman.
— C'est bon, on ne m'avait pas prévenu pour la convocation, sinon, j'aurais mis un peu d'ordre, bredouilla le grand blond, vexé.
— On lui aurait quand même dit que tu avais le bureau le plus mal tenu de l'équipe, tu sais, fit Falman en haussant les épaules.
— Je suis désolé, mais Mustang me bat à plates coutures !
J'eus un petit rire en l'entendant se défendre, amusé de le voir essayer de faire bonne figure alors que c'était justement ce genre de défauts qui lui avaient fait gagner mon affection.
— C'est à lui, le bureau du chaos, là ? demandai-je en désignant la porte que Hawkeye avait refermée.
— Alors, c'était son bureau avant, mais depuis sa promotion il a son propre office à l'étage des officiers. Maintenant, en théorie c'est Hawkeye qui devrait s'y installer, mais…
— En pratique, il a entassé toute la documentation autour de notre enquête en utilisant une méthode de tri très… personnelle.
— Il s'octroie deux bureaux ? Il ne s'en fait pas ! commentai-je en haussant les sourcils.
— Le contexte est particulier, aussi, tempéra Fuery avec une grande loyauté. Je crois que c'est l'affaire la plus difficile qu'on ait eu à traiter ces dernières années.
— D'ailleurs, il n'est pas là ?
— En réunion. Il a préféré organiser la convocation à un moment où il ne risquait pas de croiser Angie.
— Hm… je vois.
Comme je m'en doutais, il avait pris ses dispositions. Je n'arrivais pas à savoir si cette décision était sage ou cruelle. Je me mordillai la lèvre en explorant la pièce, les mains dans les poches.
— Et donc, c'est ici que vous bossez… Ou est-ce que je peux mettre mon manteau ?
— Passe-le-moi, on a des patères dans ce coin.
Je m'assis au bureau de Jean, m'amusant à ouvrir les tiroirs pour observer sa mine défaite tandis que je commentais mes découvertes d'un ton taquin, quand la sonnerie du téléphone résonna dans la pièce adjacente. Jean s'y dirigea avec une mine inquiète, et revient quelques secondes plus tard, l'air penaud.
— C'était Hawkeye.
— Elle a dit quoi ?
— « Arrêtez de bavarder et occupez-vous de l'interrogatoire. »
— Elle vous connaît bien, commentai-je avec un rire.
— Tristement bien, opina Falman.
— Où est-ce que je m'installe du coup ? Comment ça se passe ?
— Ne bouge pas de là, Falman va s'assoir en face, fit Jean avec un sourire.
— Tu ne fais pas l'interrogatoire ?
— Ce serait un peu trop biaisé, répondit le grand blond avec un sourire qui me donna envie d'être ailleurs et sans témoins.
— J'avoue.
— Bien, mettons-nous au travail. Plus vite on s'y colle, plus vous pourrez vous remettre à roucouler.
— On ne roucoulait pas !
J'eus un rire en voyant ses oreilles rougir, et c'est avec le sourire que je répondis aux questions de Falman, le menton calé dans la paume de ma main. Ce sourire, je tâchai de le garder alors que je me retrouvais à mentir au sujet de ma rencontre avec Angie. Je ne pouvais décemment pas balancer la vérité sans prendre de gants à Falman et Fuery, qui était juste à côté, occupé à rédiger un rapport. Je déroulai donc très sagement mes mensonges, sachant que de son côté, Angie livrait une version plus honnête, mais qui serait gardée confidentielle par Hawkeye et Breda. Falman m'interrogea surtout sur Lacosta, ma rencontre avec « le Fullmetal Alchemist » et mon rôle dans l'arrestation d'Ian Landry. Sa véritable question reposait sur les complices d'Ian Landry, parce qu'ils supposaient qu'il avait un lien avec Harfang. Seulement, même si c'était un nom connu à Lacosta, je n'avais aucun souvenir que Greenhouse a été directement lié à l'affaire, et si Edward l'avait su, il ne m'en avait pas parlé. Je n'avais donc rien de solide pour étayer ou infirmer leurs théories.
— Vous savez, moi, la politique du pays, ça me passait bien au-dessus de la tête… Jusqu'à ce qu'Edward Elric arrive, j'essayais surtout de vivre au jour le jour, tout cela me dépasse pas mal.
— Pourtant vous avez risqué votre vie pour l'aider.
— Je voulais retrouver une très bonne amie, qui avait été enlevée par Landry, expliquai-je. C'était surtout ça, ma motivation. D'ailleurs, Edward Elric, je ne l'ai pas revu après son départ.
Du moins, pas officiellement.
Falman hocha la tête et soupira.
— Je vois, vous ne savez rien de plus… C'est dommage.
— Je suis désolée de ne pas pouvoir vous aider davantage, répondis-je sincèrement.
— Ce n'est rien, on a l'habitude, répondit Falman avec un sourire las. Dans ce cas, nous en avons terminé.
— Attendez, je repense à quelque chose, murmurai-je.
— Quoi ?
— La mort de Berry. C'était un militaire, celui qui avait monté le dossier et lancé l'alerte en le transmettant au QG. Il nous avait aidés lors de l'attaque, et il a joué un grand rôle pendant la période qui a suivi le passage d'Edward Elric. Il a fini par mourir dans un accident de voiture. Pénélope avait insisté pour qu'il y ait une enquête, même s'ils ont conclu à l'accident… elle était convaincue que quelqu'un avait voulu l'éliminer.
— Ce serait bien le genre de Harfang, oui, soupira Falman. Faire disparaître les preuves, c'est un peu sa spécialité. Tu penses que c'est directement lié à l'affaire Ian Landry ?
— Je n'en sais rien… Vous savez, les relations entre les habitants et l'armée sont très tendues à Lacosta, et elles l'étaient déjà à l'époque. Il y a pu avoir d'autres ennemis, mais…
— Dans tous les cas, s'il est mort, il ne pourra pas nous apprendre grand-chose de plus, soupira Falman en passant la main dans ses cheveux. Je note tout de même l'information, sait-on jamais, cela permettra peut-être de trouver un lien entre toutes ces affaires.
Je hochai la tête et après quelques questions supplémentaires, l'entretien prit fin. Le militaire, peu désireux de rester seul avec un jeune couple depuis que Fuery était parti déposer une demande de documents chez les standardistes, prétexta avoir des dossiers complétés à confier au secrétariat. Je me retrouvai donc seule avec Jean, ce qui n'était pas pour me déplaire.
— Les autres ne sont pas revenus…
— Je suppose qu'Angie a beaucoup à dire.
— Et toi, il n'y a rien que tu pourrais dire de plus ? Maintenant qu'on est juste entre nous.
— Je… tu sais sur quoi j'ai menti. Mais cela ne m'a pas vraiment empêché de dire ce que je savais sur l'affaire, c'est-à-dire pas grand-chose…
— Mm, je comprends… soupira le grand blond avant de s'avancer pour m'enlacer et fourrer le visage dans mes cheveux, poussant un soupir bienheureux.
— Ça va ? Tu as l'air fatigué…
— Tu sais, cette affaire nous épuise… Même si le coupable est sous les verrous, ses aveux sont très fragmentaires, et il y a encore beaucoup de choses que l'on ignore… On ne veut pas passer à côté de quelque chose d'important.
— Comme Lacosta ?
— Par exemple.
— Et est-ce que laisser le pays à l'abandon, ce n'est pas passer à côté de quelque chose ?
— Je te jure que Mustang fait déjà tout ce qu'il peut pour empêcher la situation de dégénérer… Mais là où nous sommes, nous n'avons pratiquement pas de pouvoir sur ta région natale. Crois-moi, je le regrette.
— C'est leur faute, hein ?
— Étant donné que les ordres viennent d'en haut, c'est très probable, souffla-t-il à mon oreille. Raison de plus pour les combattre.
Ces derniers mots, murmurés à mon oreille, m'amenèrent un petit frisson qui, malgré leur sérieux, me détourna de ces sombres pensées. Je tournais la tête pour l'embrasser, avant de le regarder d'un œil pétillant. Nous étions seuls tous les deux, les autres semblaient s'éterniser à faire autre chose, et j'avais bien une idée d'occupation. Jean le comprit et se mit à rougir violemment en voyant mon air mutin. Je me redressai de nouveau pour l'embrasser plus passionnément, m'autorisant quelques caresses coquines qui eurent un effet immédiat.
— Tu ne t'es jamais demandé ce que ça ferait de le faire au travail ? soufflai-je en déboutonnant son col.
Des rougeurs explosèrent sur ses joues et il bredouilla, perdant tous ses moyens. Je trouvais ça très satisfaisant et jetai un coup d'œil vers le bureau adjacent dans une invitation muette qu'il comprit parfaitement.
— Mais on p-peut pas faire ça là. Imagine s'ils reviennent…
— Tu es tellement vertueux, fis-je avec une petite moue.
— Et toi, tu es une diablesse, répondit-il en souriant tout de même. Tu sais bien qu'ils pourraient revenir n'importe quand. Imagine la tête de Hawkeye et Angie s'ils nous retrouvaient en train de…
Je poussai un soupir, sachant pertinemment qu'il avait raison, mais regrettai un peu son esprit loyal. Malgré tout, je ne cessai ni mon étreinte ni mes caresses, et lui n'avait pas la moindre envie de me repousser. Flirter ainsi n'avait rien de désagréable, surtout en sachant que ce n'était que partie remise et que nous nous retrouverions une fois sa journée terminée.
— Je vais avoir du mal à me concentrer sur mon travail après ça… commenta-t-il d'un ton amusé.
— Mince alors, soupirai-je en commençant à déboutonner sa chemise.
À ce moment-là, la porte s'ouvrit sur Fuery qui rentra dans la pièce, s'arrêta pour nous regarder et nous demanda candidement.
— Je vous dérange ?
Havoc bondit et passa par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, et je me sentir rougir et rire nerveusement. Comment pouvait-il poser la question avec un regard véritablement interrogatif ?
— N-non, bredouilla Havoc, préférant mourir plutôt que d'admettre le contraire, redoutant peut-être de devoir expliquer pourquoi à son naïf collègue.
L'équivoque de notre comportement semblant lui être passé totalement au-dessus de la tête, il s'installa à sa place et une ambiance studieuse reprit ses droits. Jean resta à une distance respectable le temps de retrouver une contenance et je m'assis à son bureau, cachant mon sourire dans mon poing, amusée de le voir dans tous ses états.
J'étais peut-être véritablement une diablesse.
Nous nous mîmes tous les trois à discuter, et Fuery répondant avec beaucoup de patience et d'application à mes questions, j'en appris plus sur leur manière de travailler, les comptes-rendus de mission, les rapports d'enquête, et tout le processus complexe qui se cachait derrière leur statut. Emporté par ses explications, Havoc semblait même avoir oublié nos batifolages, tandis qu'il sortit de l'armoire verrouillée une boîte contenant les preuves de l'enlèvement d'Angie.
— Tu vois, tout est en sachet, numéroté, avec un dossier de description associé. Par exemple, là, la boucle d'oreille, fit-il en montrant le bijou niché au fond d'un petit sac de kraft, on a transmis la pièce au bureau des recherches et il nous a ressorti tout ça !
Il me montra alors un feuillet que je feuilletai, fascinée.
— On a retrouvé la date du bijou, de quel atelier il venait, la composition du métal…
— Et la deuxième ?
Fuery secoua négativement la tête.
— Le hangar a été fouillé de fond en comble, mais on n'a pas remis la main dessus.
— Et ça ? fis-je en avisant un sac plus gros. C'est quoi ?
— Ses vêtements, murmura Jean. Mais tu n'as peut-être pas envie de voir ça.
Je me mordis les lèvres. Il m'avait raconté la scène, cela me suffisait. Je ne voulais pas voir la robe déchirée, gorgée du sang de mon amie.
— Ce qui est intéressant, ce sont les lunettes, fit Fuery en se penchant à son tour. On a pu confirmer qu'on avait retrouvé les agresseurs d'Angie, entre autres parce qu'on a retrouvé un fragment du verre gauche dans la voiture. Comme quoi, ça peut vraiment tenir à des détails.
— C'est pour ça qu'on ne peut pas rendre les éléments saisis avant la clôture de l'enquête.
J'eus une petite pensée pour Edward durant son passage à Lacosta. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'avait pas suivi la procédure. La connaissait-il seulement ? Il me semblait surtout compétent pour foncer dans le tas et troubler l'ordre établi.
— Bon, techniquement, on ne devrait même pas te montrer ça, grimaça le grand blond en refermant la boîte pour la ranger. Mais bon, je suis content que tu puisses découvrir un peu ce que je fais.
— Moi aussi, répondis-je avec un sourire.
Cela ne valait pas le Bigarré, mais il y avait dans la pièce un je-ne-sais-quoi de chaleureux. Le lien qui l'unissait avec le reste de son équipe était fort, je m'en rendais bien compte. J'étais d'autant plus contente de pouvoir me glisser dans ce monde, si étrange et différent du mien.
Breda arriva à son tour, et Falman, après être revenu, décida qu'il était temps pour lui de repartir chez lui. Pour ma part, j'attendais surtout le retour d'Angie et Riza. Breda avait beau nous dire qu'elles lui avaient demandé de partir devant et qu'elles ne devraient pas tarder, j'avais l'impression que l'attente était sans fin. J'espérais que la discussion n'avait pas été trop pénible, même si Breda semblait plutôt souriant et détendu.
Finalement, la porte s'ouvrit sur les deux blondes, et Angie m'adressa un soupir las, mais pas spécialement triste. La conversation avait juste était longue.
Je bondis sur mes pieds, annonçant qu'il était temps pour nous de rentrer au Cabaret, et je fis un clin d'œil à Havoc, murmurant un « la prochaine fois » qui le fit rougir jusqu'aux oreilles. Angie embrassa Riza, salua les autres, et me regarda d'un œil perplexe.
— Qu'est-ce que tu as dit à Havoc ?
— Rien, je le taquinais juste, fis-je avec un sourire de chat.
Je n'allais pas lui expliquer que j'avais tenté de le dévoyer dans son lieu de travail, c'était une idée qui l'aurait sans doute outrée.
— Je suis désolée pour l'attente, soupira Angie. On m'a reparlé d'un vieux dossier, pour voir si j'arrivais à retrouver des choses à ce sujet.
— Lacosta ?
— Comment tu le sais ?
— On m'en a parlé aussi, répondis-je.
— Ah, j'aurais dû y penser, oui. Enfin, je n'ai pas eu grand-chose à dire de plus à ce sujet, j'avoue qu'avec tout ce qui s'est passé depuis, je garde un souvenir un peu flou de cette période.
— Surtout que tu manquais sacrément de sommeil à ce moment-là.
— M'en parle pas, grimaça-t-elle. Enfin, voilà, j'ai fait de mon mieux, mais ça n'était pas très utile. Par contre, j'ai appris que mon frère et mon amie d'enfance étaient à Central.
— Oh !
— Comme tu dis. C'est pour ça aussi que j'ai traîné, Riza m'a dit qu'elle essaierait d'organiser nos retrouvailles, même si…
— Oui, ce n'est pas évident, si tu ne veux pas attirer l'attention, grimaçai-je.
— Voilà. Enfin, ça me fait plaisir de penser qu'ils sont près de moi, même si je ne peux pas les voir, fit-elle en laissant son regard flotter avec un sourire rêveur, un peu triste.
Je lui tapotai la tête, et la conversation reprit tandis qu'Angie me guidait dans les couloirs vers la sortie du complexe. Je lui racontai les explications de Jean, elle râla un peu, regrettant qu'il n'ait pas été aussi bavard à propos de l'enquête pendant son hospitalisation. Je la fis un peu bisquer, allant jusqu'à lui raconter qu'il lui avait montré les preuves, dont sa boucle d'oreille. À ces mots, elle se figea.
— Il t'a montré la boucle d'oreille ? Celle que je portais quand ils m'ont retrouvée ?
— Oui, il m'a même montré le dossier d'information sur elle, c'était impressionnant tout ce qu'ils avaient retrouvé à partir de ce bout de métal.
Mon sourire s'évanouit quand je vis qu'elle s'était rembrunie et fronçai les sourcils, réfléchissant intensément.
— Angie ?
— On fait demi-tour. Il faut que je parle à Riza, fit-elle d'un ton sérieux.
À cet instant, son expression était celle d'Edward, sans l'ombre d'un doute. Elle ne me laissa pas le temps de s'appesantir dessus et repartit à pas vifs là d'où l'on venait, m'obligeant à lui courir après.
— Tu ne vas pas me dire ce qui te fait réagir comme ça ? soufflai-je en montant les escaliers.
Elle ignora ma réponse, et je gravis les dernières marches alors qu'elle tournait déjà au coin du couloir suivant. Encore un peu et j'allais la perdre. J'allongeai le pas pour la rattraper, jusqu'à ce que je la voie s'arrêter.
L'élan de ma course m'amena juste à côté d'elle, tandis que je fixai la raison de son immobilité.
Dans le couloir, quelques mètres face à elle, se tenait Mustang, figé comme un renard pris dans les phares d'une voiture.
Je ne pus m'empêcher de faire une grimace, embarrassée par la sa situation. En tournant la tête vers Angie, je vis une panique débordante dans son regard. Le militaire, lui, avait détourné les yeux et semblait tout aussi mal à l'aise derrière ses airs froids. Le silence tomba comme une chape de plomb. Il était trop tard pour faire semblant de n'avoir rien vu, et chaque seconde qui s'écoulait rendait toute tentative de reprendre contenance plus laborieuse et artificielle que la précédente.
Être témoin de ces retrouvailles était peut-être le moment le plus gênant de mon existence et je priai pour quelque chose, peu importe quoi, interrompe ce silence atroce.
Des bruits de pas se firent entendre, un cri derrière moi, qui semblaient venir de très loin, comme si nous étions tombés dans une dimension autre, plus lourde et interne que le reste du monde. Pourtant, la réalité reprit ses droits quand la cavalcade s'approcha, accompagnée d'un grondement de rage presque animal. Mustang tourna vers nous un regard agrandi par la surprise, et ne n'eus pas le temps de me retourner que je vis voler un éclat brillant qui heurta le militaire en plein visage, le jetant au sol. Le projectile rebondit, heurta le mur et tomba au sol dans un bruit métallique, s'avérant être une clé à molette.
J'entendis une porte s'ouvrir tandis qu'une silhouette blonde passa entre Angie et moi sans que ni l'une ni l'autre n'ayons la présence d'esprit de la retenir, trop stupéfaites que nous étions.
— ENFOIRÉ ! cracha-t-elle d'une voix que les sanglots faisaient dérailler en se ruant sur le militaire à terre. JE VAIS VOUS BUTER !
Elle leva le bras pour lui donner un coup de poing quand une silhouette bleue lui tomba dessus, l'arrêtant dans son élan, et elle se débattit en hurlant. C'était Jean, qui luttait pour la maintenir à terre avec une expression horrifiée.
— QUAND JE PENSE QU'ON VOUS A FAIT CONFIANCE. ON VOUS A FAIT CONFIANCE, ALORS QUE C'EST VOUS ! cracha-t-elle en direction de Mustang, qui s'était redressé sur son coude, l'autre main tenant son nez ensanglanté, les yeux plissés par une émotion que je n'arrivais pas à définir.
— On se calme, souffla Jean, qui peinait à la maîtriser malgré l'aide de Hawkeye qui s'était précipitée à sa suite.
— Winry ! cria une autre voix. Attends !
— C'EST VOUS QUI LES AVEZ TUÉS !
Je fixai la scène, éberluée par ce soudain chaos, incrédule de voir débouler un gamin à la tignasse trop longue et au visage familier, suivi de deux militaires. Il nous doubla en courant, catastrophé et tomba à genoux à côté de Breda pour parler à l'adolescente.
— Calme-toi, je t'en prie, calme-toi, souffla-t-il comme on l'aurait fait à l'oreille d'un cheval effrayé.
— Je suis désolé Général, bredouilla l'un des militaires qui lui tendait une main pour se relever. Elle ne se rend pas compte de ce qu'elle a fait…
— JE me rends compte de ce que LUI a fait ! cria-t-elle d'une voix éraillée avant de renoncer à lutter, effondrée au sol. Il les a tués, putain ! C'est lui… qui a tué mes parents.
Sa voix s'était étranglée à ces derniers mots, comme si l'adolescente retenue par trois personnes s'était finalement laissée rattraper par son impuissance. La violence de son émotion déferlait comme une vague.
À côté de moi, j'entendis un bruit de chute.
Angie était tombée à genoux.
