-Essaie de te calmer.
Scorpio avait débarqué à l'isba quelques minutes plus tôt, au bord des larmes. Cela faisait un an que chaque futur chevalier suivait son entraînement et, s'il y en a un qui donnait du fil à retordre à son maître, c'était bien Milo.
Non seulement il avait l'impression que chacun de leurs entraînements se transformait rapidement en un combat à mort mais en plus son coeur ne tenait pas du tout la cadence et Milo refusait d'admettre qu'il aurait été préférable pour lui d'abandonner. Cette simple idée le rendait fou de rage et il était persuadé que Scorpio cherchait à se débarrasser de lui et -surtout- à l'éloigner de Camus.
Scorpio avait tout essayé: le dialogue, les marques d'affection, la sévérité, la punition, mais rien n'y faisait. Pire, lorsqu'il lui avait confisqué le papier dont il se servait pour écrire à Camus, Milo était devenu totalement incontrôlable et il avait bien cru que son coeur allait exploser ce jour-là. Après cet épisode, l'apprenti scorpion était resté cloué au lit pendant des jours, passant le plus clair de son temps à pleurer. Et le scorpion ne savait pas du tout comment gérer cette situation; voilà pourquoi, une fois encore, il était venu se réfugier auprès de Cristal en Sibérie.
-Je ne sais plus quoi faire, Cristal. Et j'ai peur… si son coeur ne tient pas le coup? Qu'est-ce que je peux faire? Dis-moi quoi faire, s'il te plaît.
Le verseau était tout juste capable de le laisser se blottir dans ses bras pour pleurer: il n'était pas de très bon conseil dans ce genre de situation; il ne pouvait tout simplement pas envisager de tolérer une telle insubordination. Camus était un élève très appliqué, il avait toujours été obéissant et, maintenant que son entraînement avait pleinement commencé, il se donnait corps et âme pour atteindre son but. Il ne pouvait envisager que les choses se soient passées autrement.
-Ça fait des années que je te dis que tu es bien trop souple avec lui. Tu ne devrais pas le laisser te traiter comme il le fait.
-J'ai essayé de le punir! Dois-je te rappeler ce qu'il s'est passé que je l'ai empêché de communiquer avec Camus? Et quand tu as toi-même demandé à ton élève de ne plus lui répondre?
En effet, Cristal avait jugé bon de demander à Camus de ne plus répondre aux lettres de Milo, dont il connaissait déjà le comportement impardonnable. Le verseau n'avait pas été facile à convaincre, bien sûr - Milo n'était finalement pas le seul à tant tenir à cette amitié- mais il avait finalement accepté. C'est alors que l'apprenti scorpion, terriblement déstabilisé par la situation, certain que son Camus était mort, avait tout tenté pour fuguer. Il ne voulait pas de cette armure d'or, il ne voulait pas de cette vie si Camus n'en faisait plus partie. Finalement au bout de quelques jours, Camus lui avait de nouveau écrit, prétextant que son maître l'avait puni et qu'il regrettait de ne pas avoir pu lui écrire.
-C'est de notre faute, déclara Cristal.
Scorpion releva vers lui un regard incertain, lui adressant une interrogation silencieuse.
-Si on ne les avait pas laissés devenir si proches - si nous ne nous étions pas montrés si proches- alors…
-Non, stop! Ne recommence pas avec cette théorie! Et quoi est-ce mal de les avoir laissés se rapprocher? Ils ont besoin de ce lien!
-Pourquoi en auraient-ils besoin, ce sont des chevaliers et…
Cristal fut coupé net dans sa phrase quand Scorpio, qui était jusqu'alors affalé contre lui, se leva d'un bon. Le regard qu'il posait sur lui était chargé de reproches mais aussi de tristesse.
-Tu n'as peut-être pas besoin de moi mais moi, j'ai besoin de toi. -Ce n'est pas ce que j'ai dit, je…
-J'ai bien compris que j'étais un fardeau pour toi et je suis désolé d'avoir à ce point peser sur ton existence. Milo et moi ne viendront plus troubler ta tranquillité, Cristal.
Le verseau voulut le retenir mais, en un claquement de doigt, Scorpio avait disparu. Le verseau soupira tout en se passant une main sur le visage: son ami était si impulsif! Malgré les années, il lui arrivait encore d'oublier à quel point le scorpion était un être sensible et fragile, le traitant comme n'importe lequel autre de ses pairs. Il secoua la tête de gauche à droite: Scorpio finirait bien par revenir, il revenait toujours.
Dans un coin de l'isba, à l'abri des regards et alors qu'il était supposé être endormi depuis longtemps, Camus avait suivi la conversation des chevaliers en titre sourcils froncés: Milo lui avait bien parlé de la relation tendue qu'il entretenait avec Scorpio mais à aucun moment il n'avait mentionné son coeur et, bien que Cristal lui enseigne le contraire, il ne pouvait pas s'empêcher de s'en faire pour lui: il connaissait bien Milo, s'il lui avait caché ce problème c'est qu'il l'estimait suffisamment préoccupant pour en être conscient et ça, ça suffisait à mettre ses sens en alerte: Milo ne prenait jamais rien au sérieux à moins que ce soit extrêmement grave.
« Angelo, j'espère que tu as une bonne raison pour ne plus m'écrire depuis des mois; comme être mort, par exemple ».
Aphrodite ratura violemment la phrase qu'il venait tout juste de coucher sur papier: il était si en colère contre le futur cancer qu'il en venait à espérer qu'il soit mort. Il n'avait plus répondu à ses lettres de moins en moins enflammées depuis presque trois mois. Il savait pourtant de source sûre qu'il était en vie, ce crétin malhonnête et déloyal; et c'était bien ça qui le mettait le plus en colère: que pouvait-il avoir de mieux à faire sur son volcan que de lui écrire, à lui, Aphrodite des poissons, être le plus éblouissant sur terre? S'était-il entiché d'un ado poisseux qui avait surgi d'entre les cendres tel un phénix?
Il chiffonna la feuille avec rage: si Angelo avait tiré un trait sur lui alors il allait le lui faire regretter. Il parsema ses paupières d'un dégradé de quatre couleurs vives et englua ses cils de trois couches de mascara avant d'oser croiser son propre regard: il n'avait rien à envier à la beauté de la déesse Aphrodite elle-même, alors pourquoi n'était-ce pas suffisant pour le garder? Angelo était un petit ingrat incapable de reconnaître la valeur de ce qu'il avait, voilà tout! Et il était hors de question que lui, Aphrodite, se laisse abattre par sa grossièreté et son manque de considération. S'il y en avait bien un qui serait perdant, ce serait ce rustre d'italien!
Bien décidé à mettre une bonne fois pour toute un terme à cette relation platonique et à sens unique, il s'arma d'une plume, prêt à répandre son venin sur papier comme il le faisait jusqu'au coeur de ses ennemis.
« Mon très cher Mu,
Merci pour ta lettre. J'ose espérer que chacune de tes journées s'écoule dans la sérénité et la plénitude. Moi aussi je m'ennuie de toi mais sois confiant, Mu, bouddha m'a promis que nous nous retrouverions très bientôt. Puisse-t-il veiller sur toi.
A bientôt, Mu.
Shaka. ''
Mu sourit en relisant encore et encore la lettre manuscrite de son ami: sérénité et plénitude n'étaient pas vraiment les mots qu'il aurait employés pour décrire son quotidien mais il n'avait pas vraiment à se plaindre de son entraînement. Dohko était quelqu'un d'exigeant mais de juste, qui savait se montrer doux et compatissant lorsque ça s'avérait nécessaire.
Non, ce n'était pas à cause de Dohko qu'il se sentait souvent nostalgique: son maître lui manquait, Shaka lui manquait et son temple lui manquait. Il avait du mal à s'habituer à cette nouvelle vie et il lui tardait vraiment de retrouver son petit quotidien, de pouvoir passer de longues heures auprès de Shaka à méditer ou à discuter, de pouvoir à nouveau se recueillir sur la tombe de son maître.
Il soupira: dans un peu moins d'un an il deviendrait chevalier. Il occuperait la place que son maître avait occupée avec fermeté et justesse durant des siècles avant lui. Et il se montrerait digne de la confiance qu'il avait placée en lui, digne de ses enseignements et de son amour.
Il ignorait qu'au sanctuaire, quelqu'un avait de tout autres projets.
Aiolia releva la tête et essuya la poussière qui était venue se coller à sa sueur: il s'entraînait sans relâche depuis des mois pour devenir chevalier d'or à son tour: il voulait que son frère soit fier de lui. Il ne relâcherait la pression qu'une fois qu'il aurait atteint son objectif. Il n'y avait pas de place dans sa vie pour du divertissement.
Shura lui manquait-il? Il préférait ne pas se poser la question. Il ne voulait pas penser à lui ni à qui que ce soit d'autre d'ailleurs. Il devait rester focalisé sur le but qu'il voulait atteindre et il ne doutait pas que son ami partageait son état d'esprit. Il n'y avait jamais eu de place pour des niaiseries entre eux, et c'était très bien comme ça.
Sa salive avait le goût du sang mais il ne s'en formalisa pas: c'était le goût de la victoire.
-Ouais, bientôt toi et moi on sera chevaliers, Shu.
-Cesse tes enfantillages, Milo, gronda Scorpio. Tu es venu ici pour devenir chevalier d'or, pas pour devenir écrivain!
-Jamais vous ne m'empêcherez de lui parler, vous m'entendez?!
Quand il était rentré de l'isba, son coeur était en miettes. Et, en bon chevalier du scorpion qu'il était, il choisissait toujours de transformer sa tristesse en colère. Alors ce jour-là, il avait décidé de prendre Cristal au pied de la lettre et d'interdire à Milo le moindre échange avec Camus. Oui, cette technique s'était déjà montrée infructueuse, mais il était persuadé d'avoir cédé trop vite, préoccupé par l'état de santé de son élève. Cristal avait raison: il avait été trop tendre avec lui. Les choses devaient changer et elles allaient le faire, se promit-il comme il plongeait son regard dans celui plein de haine de Milo.
-Camus ne veut plus de toi, cingla-t-il.
-C'est faux!
-Il ne veut pas d'un faible pour ami!
-Vous mentez, encore!
-Il ne veut pas avoir à supporter ton coeur malade!
Scorpio cherchait volontairement à lui faire mal, il cherchait à déclencher quelque chose en lui, à l'obliger à se battre. Camus avait toujours été son point faible, il ne savait que trop bien à quel point les verseaux pouvaient happer le coeur en feu d'un scorpion. Il savait à quel point c'était facile de devenir dépendant de ce coeur de glace à la fois fascinant et terrifiant.
-C-Camus ne dirait jamais une chose pareille! Affirma de nouveau Milo avec un peu moins d'aplomb.
-Il l'a pourtant dit. Tu crois qu'il a envie de t'avoir dans ses pattes? De toi qui n'est même pas capable de faire le deuil d'un stupide animal alors que lui veut devenir chevalier d'or?
Il déversait sur lui des flots de paroles ignobles et il voyait ses yeux se remplir de larmes. Des larmes de tristesse mais aussi des larmes de colère. Pourtant il ne s'arrêta pas en si bon chemin: Milo le détestait de toute façon, autant chercher à en tirer profit.
-Tu es faible, Milo. Tu ne deviendras jamais chevalier. Je ferai mieux de t'abandonner ici plutôt que de perdre mon temps avec toi. Tu ne reverras jamais Camus.
La colère de l'apprenti scorpion explosa de façon si soudaine et si intense qu'il fut projeté contre le rocher derrière lui, sentant ses côtes se briser sous la force de l'impact. Il releva péniblement la tête comme l'intensité du cosmos de son élève virevoltait dans une danse erratique autour de lui.
Scorpio se redressa dans bien que mal, ignorant la douleur. Il hurla à Milo de se calmer mais le scorpion ne l'écoutait plus. Il semblait fou de rage. La chaleur de son cosmos était à ce point puissante qu'elle lui brûlait la peau.
-Milo, calme-toi! Supplia-t-il encore. Calme-toi, tu vas nous tuer!
Mais il savait qu'il hurlait dans le vide. Il fit alors la seule chose qu'il pouvait faire pour reprendre le contrôle de la situation: il amplifia son cosmos à son tour et attaqua Milo par derrière. Le jeune apprenti scorpion ne vit rien venir et il s'effondra au sol. Scorpio s'approcha alors de lui et le secoua, en vain.
-Milo! Milo! Bon sang, réveille-toi!
Il regrettait déjà atrocement ce qui les avait menés à cette situation. S'il n'avait pas poussé Milo à bout alors… l'avait-il tué?! Non, il respirait toujours. Mais il semblait cruellement blessé: son corps était couvert de brûlures mais ce qui l'inquiétait le plus, c'était sa main agrippée à sa poitrine alors que son visage se tordait en une moue de souffrance. Bon sang, comment allait-il parvenir à se sortir de cet enfer?
Angelo se tenait debout au flan du volcan qui grondait sous ses pieds, une lettre entre les mains. Une lettre d'Aphrodite, à n'en pas douter. Qui d'autre aurait bien pu lui écrire? Et puis il reconnaissait l'écriture fine et distinguée du poisson, bien qu'elle soit plus saccadée, comme s'il avait écrit sous le coup de la colère.
Angelo ne l'ouvrit pas, il ne la lut pas. Il se contenta, comme il le faisait depuis plusieurs mois, de la jeter tout droit dans la lave en ébullition. Il la regarda disparaître et quand il n'en resta rien, il fit volte-face retournant à son entraînement sans le moindre état d'âme. Il n'y avait plus de place pour cela dans sa vie. *
Aldébaran se regardait dans le miroir depuis de longues minutes. Non pas qu'il soit tombé amoureux de son reflet, certainement pas. Il avait la sensation de n'en plus finir de grandir et de grossir jour après jour. Son maître affirmait que cette évolution était tout à fait normale: après tout il se devait d'être imposant et puissant pour pouvoir défendre son temple.
Aldébaran, lui, n'était pas convaincu par ces centimètres et ces kilos qui s'imposaient à lui. Quand il avait quitté le sanctuaire, les autres lui semblaient déjà si frêles à côté de lui. Qu'en serait-il maintenant?
Une lueur d'espoir subsistait cependant: peut-être que quand il le verrait dans ce corps déjà adulte, Aphrodite oublierait Angelo qui aurait alors l'air d'un oisillon tout juste tombé du nid à côté de lui, et qu'il lui tomberait enfin dans les bras.
« Mon très cher Shaka, Tu me manques beaucoup mais je sais que chaque jour qui passe me rapproche du moment où nous nous retrouverons. Il me tarde de te boire et de te porter… »
Shaka fronça les sourcils, plissa le nez et se décida à enfin ouvrir les yeux. Visiblement, il n'était pas encore tout à fait prêt à lire via son seul esprit guidé par sa main qui retraçait les signes couchés sur le papier.
« Il me tarde de te voir et de te parler. J'espère que tu es heureux et que ton entraînement et ton cheminement spirituel se déroulent comme tu l'espéraient. Prends soin de toi s'il te plaît,
Avec tout mon amour, Mu »
A chaque fois, cette signature le faisait rougir sans qu'il comprenne vraiment pourquoi. Il secoua finalement la tête: il ne devait pas se laisser distraire des enseignements de bouddha. Au plus vite il deviendrait chevalier, au plus vite il pourrait retrouver le confort de son temple et la compagnie de Mu autour d'un thé de tilleul.
Sur son île tropicale, Shura n'avait pas le temps de s'embêter. Il vivait au rythme de journées bien remplies et s'entraînait du lever du jour jusqu'au coucher du soleil. Son maître ne lui laissait pas une seule minute de répit et son corps était à ce point couvert de blessures qu'il avait la sensation de ne plus sentir la douleur.
Pourtant, lorsque comme aujourd'hui il pouvait s'évader pour profiter du spectacle du ciel étoilé, il ne pouvait s'empêcher de penser à Aiolia. Il aurait aimé qu'il soit là avec lui pour faire les quatre cent coups. Son ami lui manquait bien plus qu'il l'aurait cru. Lorsqu'une étoile filante traversa le ciel, il se demanda s'il la voyait lui aussi de là où il était avant de se dépêcher de faire un voeu: celui de devenir chevalier d'or aux côtés de son meilleur ami.
Le sanctuaire vidé de ses défenseurs, Saga avait eu tout le loisir de mettre sur pieds son plan pour renverser le pouvoir en place. Son frère avait beau le surveiller comme une mère louve, il ne pouvait pas avoir les yeux partout, d'autant que Saga avait fait mine de reprendre ses esprits ces dernières semaines; poussant son jumeau à baisser sa garde.
Son objectif était simple: trouver la réincarnation d'Athéna, la tuer et mettre ainsi un terme à cette légende divine. Lui, Saga, pourrait alors prendre place sur le trône et gouverner d'une main de maître les chevaliers d'or.
Ceux qui tenteraient de se mettre en travers de sa route subiraient le même sort que l'enfant. Il n'aurait aucune pitié pour ses pairs. Il avait d'ailleurs déjà Aiolos dans le collimateur. Ce sale petit fouineur était toujours dans ses pattes. Il planifiait de se débarrasser de lui depuis quelque temps déjà. Son maître étant décédé depuis longtemps, il avait été proclamé chevalier d'or du sagittaire à un très jeune âge, il n'était donc à ses yeux pas tout à fait légitime.
Oui, il s'occuperait de son cas très bientôt. Et ensuite, quand la nouvelle génération de chevaliers serait de retour, il les ferait plier jusqu'au dernier. Son règne de terreur pourrait bientôt commencer.
Cristal avait été réveillé en sursaut par un Camus en furie qui était entré en trombes dans sa chambre. D'abord légèrement décontenancé, il lui avait ensuite fermement demandé de quitter sa chambre, ce que son élève avait refusé de faire. Il allait pour lui faire un sermon dont il se souviendrait quand il l'avait entendu dire:
-Milo va très mal. Je crois que… je crois qu'il est mourant. Je ne sais pas comment je le sais mais… je le sais, c'est tout. Il a besoin de moi. Je dois le voir.
Il lui avait d'abord demandé d'aller se remettre au lit et lui avait promis d'en discuter le lendemain mais Camus n'en démordait pas. -Demain il sera trop tard! Il a besoin de moi tout de suite.
Le verseau en titre avait alors toisé son élève, se demandant s'il devait vraiment céder à ce caprice. L'emmener voir Milo, c'était non seulement aller à l'encontre de toutes les règles du sanctuaire mais ça signifiait aussi être confronté à Scorpio alors même qu'ils s'étaient quittés fâchés quelques jours plus tôt. Son orgueil et sa fierté lui criaient de se rendormir mais son élève qui se tenait fermement devant lui ne semblait pas de cet avis.
Comment pouvait-il ressentir que Milo était en mauvaise posture alors qu'ils se trouvaient à des milliers de kilomètres l'un de l'autre?
-Je dois le voir, s'il vous plaît. Je… je ferai ce que vous voudrez mais s'il vous plaît laissez-moi le voir.
Cristal fut très étonné par les paroles de Camus. Son apprenti était aussi fier et imperturbable que lui; alors l'entendre presque le supplier d'accéder à sa requête était très déstabilisant pour lui. Pour que Camus en arrive là, c'est qu'il devait être véritablement inquiet pour Milo. Cristal finit donc pas abdiquer comme il hochait la tête, lui faisant néanmoins promettre de ne jamais en parler à personne. Personne ne devait savoir, il en allait de leur avenir de chevalier à tous.
Agenouillé au chevet de son élève, prit de panique, Scorpio avait à peine réagit quand il avait senti deux cosmos pourtant familiers derrière lui. S'il avait s'agit d'ennemis, il serait probablement mort avant d'avoir réaliser ce qu'il se passait. Ça avait toujours été son problème: il était beaucoup trop sentimental. Voir Milo dans un tel état de détresse, se tordant de douleur, perdant de temps à autre connaissance et ne rien pouvoir faire pour l'aider, ça le rendait fou. Il avait tout essayé mais le jeune scorpion ne semblait pas du tout réceptif.
Il ne reprit ses esprits que lorsqu'il sentit une main se poser sur son épaule. Il releva alors la tête et son regard embué de larmes croisa le seul qu'il voulait voir:
-C-Cristal?!
Il n'aurait jamais pensé que son meilleur ami viendrait jusqu'ici: après tout, ils s'étaient quittés en mauvais termes et, d'aussi loin qu'il se souvienne, Cristal n'avait jamais fait le premier pas après une dispute. Il s'aperçut rapidement qu'il n'était pas venu seul et, quand il vit le jeune Camus, il posa sur Cristal un regard mi-terrifié, mi-soulagé.
-Qu'est-ce que…?
-Camus dit avoir ressenti la détresse de Milo. Il était catégorique quant au fait qu'il avait besoin de lui. Il semblait si déterminé que je… je n'ai pas eu le coeur à le lui interdire. Personne ne doit jamais savoir, Scorpio.
Ce dernier hocha simplement la tête et attrapa la main que Cristal avait posée sur son épaule tandis que Camus avait déjà rejoint Milo qui, suffoquant de douleur, ne l'avait pas senti arriver.
-Calme-toi, Milo, murmura-t-il. Tout va bien se passer, je suis là.
Le jeune verseau posa sa main au-dessus de la poitrine brûlante de son ami et, aussitôt, les traits de son visage se détendirent. Camus laissa un instant son cosmos se répandre jusqu'à son coeur enflammé et les battements de son propre coeur se calmèrent à mesure qu'il sentait que ses fonctions vitales n'étaient plus engagées.
Derrière lui, Scorpio lui aussi reprit son souffle: il avait vraiment eu peur pour la vie de son élève. Il avait cru le perdre mais il s'était également senti profondément coupable: s'il n'avait pas cherché à le pousser à bout, Milo n'aurait pas fini dans cet état.
-Il semble hors de danger, affirma Cristal qui avait lui-même senti le cosmos de son propre élève se calmer. -Je m'en veux tellement, murmura Scorpio. Tout ça c'est de ma faute et…
-Non, stop, l'arrêta Cristal. Ce n'est pas de ta faute si Milo est malade. La façon dont tu agis avec lui et la même que nous tous avec nos élèves. Ce n'est pas ton apprentissage le problème, et encore moins toi. S'il avait eu un autre maître que toi, Milo aurait été banni du sanctuaire depuis longtemps et tu le sais au fond de toi.
Le scorpion ne dit rien, se contentant de fixer son élève qui semblait enfin apaisé. Il sursauta lorsqu'il sentit la main de Cristal se glisser contre la sienne: ce n'était pas du tout son genre de se montrer si démonstratif et encore moins devant son élève. Il l'interrogea du regard non sans refermer ses doigts autour de lui: il ne supportait pas lorsqu'ils étaient fâchés.
-Je suis désolé si tu as pu croire que je n'avais pas besoin de toi, tu sais bien que c'est faux.
Scorpio ne put retenir un sourire: même s'il savait au plus profond de lui-même que Cristal tenait à lui, à eux, il aimait toujours entendre ces mots de sa bouche. Il hocha simplement la tête: il n'avait pas besoin de parler, contrairement à son homologue verseau, il n'avait jamais eu le moindre mal à lui exprimer son attachement envers lui.
-Nous devons rentrer à présent, Camus.
Cristal vit son élève faire la moue avant de poser son regard sur son ami. Il allait pour protester mais le verseau ne lui en laissa pas le temps.
-Nous avons déjà pris d'énormes risques en venant ici. Les règles sont strictes: aucun contact entre apprentis chevaliers n'est permis durant l'entraînement. De plus, Milo a besoin de repos. Il ne se réveillera certainement pas avant plusieurs heures.
Camus grimaça mais il finit par acquiescer à contre-coeur. Il était déjà reconnaissant envers son maître de lui avoir permis de venir en aide à son meilleur ami. Juste avant de quitter la chambre à la suite des deux chevaliers en titre, il glissa quelque chose à côté de l'oreiller de Milo et ensuite, il disparut dans la nuit.
Lorsque Milo se réveilla, deux jours plus tard, vidé de toute énergie, il se souvenait du merveilleux rêve qu'il avait fait encore et encore tout au long de son sommeil: son Camus était là, auprès de lui. Il avait la sensation de sentir encore son cosmos glacé sur sa peau.
Il soupira, bien conscient que tout cela n'ait été qu'un rêve, et retint une grimace de douleur tandis qu'il se redressait dans son lit. Son regard fut aussitôt attiré par un éclat dans la pénombre. Il tendit la main et sursauta aussitôt lorsque ses doigts entrèrent en contact avec une surface glacée. De la glace? D'une main tremblante il mena à lui l'objet pour découvrir un minuscule scorpion sculpté dans la glace. Il ne comprit d'abord pas avant de découvrir une lettre sous son oreiller.
« Milo,
Il te reste un an pour trouver un moyen de te faire pardonner de m'avoir fait une peur pareille. Tu crois peut-être que tu peux prendre tes problèmes de coeur à la légère et te comporter comme un irresponsable fini mais tu te trompes, imbécile. Fais-moi confiance pour te congeler moi-même vivant la prochaine fois que tu me tires de mon lit en me hurlant que tu vas mourir. »
Bien que les mots de Camus soient extrêmement durs, Milo ne put s'empêcher de sourire de façon extrêmement niaise: ce n'était pas un rêve, son Camus s'était bien retrouvé là avec lui. Il l'avait appelé et il était venu. Il savait à présent qu'il pourrait toujours compter sur lui et il ne l'en aimait que plus. Il était à présent bien déterminé à devenir chevalier pour retrouver celui qui lui avait sauvé la vie bien plus souvent qu'il ne le croyait.
