Ça y est, on est lundi, c'est l'heure de découvrir un nouveau chapitre. Après les événements de la dernière fois, vous avez été plusieurs à vous questionner en commentaire sur ce qui s'était passé et ce qui allait se passer ensuite… Vous n'aurez pas les réponses à toutes ces questions dans ce chapitre (ça serait trop facile : P), mais certaines choses devraient s'éclaircir. Pour ceux qui se demandent où on en est de la partie 5 : on attaque l'avant-dernier point de vue, donc il reste 4 chapitres en incluant celui-ci. J'attends la publication de chacun d'entre eux avec un mélange d'impatience et d'angoisse (et celui-ci n'y fait pas d'exception). J'espère que ça vous plaira — même si vous allez sans doute me maudire — donc n'hésitez pas à commenter pour me dire ce que vous en pensez. J'adore lire vos réactions et vos hypothèses, ça me motive toujours à écrire la suite.

Comme la dernière fois, la playlist YouTube de Bras de fer s'enrichit d'un nouveau morceau pour accompagner ce chapitre. C'est un peu chaotique, avec des styles et des ambiances radicalement, mais c'est l'occasion de découvrir des musiques qui m'inspirent et m'accompagnent dans l'écriture de cette histoire. Si ça vous intéresse, le lien est disponible dans mon profil ;).

Le mois de février est souvent un cap difficile à passer… en tout cas pour moi, c'est souvent une période de creux de vague et cette année n'y fait pas exception, avec une grosse perte de moral et de productivité : cela faisait plusieurs mois que je peinais à dessiner et même écrire est devenu difficile récemment. J'ai fini par prendre les vacances que je m'étais refusée cet été à cause de Stray cat et je réalise à quel point j'en avais besoin (donc, pas la peine de m'inquiéter, ça va beaucoup mieux). Bref, tout ça pour dire, prenez bien soin de vous en attendant le retour des beaux jours.

Sur ce, bonne lecture !


Chapitre 76 : La débâcle (Riza)

Dimanche.

Je restai les yeux fermés, le visage niché dans l'oreiller tandis que je sortais doucement du sommeil, savourant le silence feutré, la chaleur du lit et l'odeur douce qui m'enveloppait. Le dernier jour de la semaine avait cela de spécial d'être mon seul moment de liberté, même si elle était limitée par les besoins naturels de Black Hayatte qui venait généralement me réveiller à coups de truffe. Ces derniers mois, je n'avais pas toujours pu profiter de mes congés, emportée dans le tourbillon des enquêtes, mais ce matin, je savourais d'autant plus que c'était un jour spécial.

Je poussai un soupir bienheureux, apaisée que j'étais d'être là, de sentir la chaleur d'une présence, et en même temps embarrassée à l'idée d'ouvrir les yeux. J'avais dit et fait des choses qui me ressemblaient assez peu pour que je sois tentée d'en rougir, et en même temps, je ne regrettais rien. Je sentis contre le bout de mon nez un fragment de peau et entrouvris les yeux.

Il faisait encore nuit, mais la lumière des réverbères filtrait à travers les rideaux, prenant une teinte rosée et dessinant les reliefs d'une silhouette endormie, la rondeur d'une épaule, la courbe d'une joue et d'un nez retroussé. Dans ses cheveux ébouriffés, les reflets dessinaient une fontaine de lumière. Elle avait vraiment des cheveux magnifiques… brillants et d'une douceur scandaleuse. Je cédai à la tentation et levai la main pour les effleurer. Elle bougea un peu, fronçant les sourcils sans se réveiller réellement, puis s'immobilisa de nouveau, respirant paisiblement. Et moi, je la regardai en silence, bercée par sa présence, sentant l'empreinte de son contact et une bienheureuse indolence. Voir dormir la personne qu'on aimait était peut-être le plus beau spectacle dont on puisse rêver, et j'avais bien besoin de savourer un peu de douceur après les derniers événements.

Tant de choses s'étaient passées…


Suite au moment où Winry avait découvert la vérité sur la mort de ses parents, je n'avais pas remis les pieds au Bigarré pour ne pas froisser davantage Angie. Je n'avais pas eu l'occasion d'en parler avec elle, mais les échos de Havoc et Breda qui avaient passé une partie de la soirée là-bas m'avaient confortée dans l'idée que j'avais sans doute bien fait de laisser un peu de temps. Même avec Roxane, la situation était tendue et j'avais entendu Havoc larmoyer d'être rejeté pendant une bonne partie de la journée de vendredi, ce qui m'avait agacée au plus haut point.

— Si ça vous travaille à ce point, allez lui demander en face ce qu'elle attend de votre relation, mais arrêtez de vous lamenter auprès de vos collègues. On a déjà assez à faire avec la préparation du jugement de Greenhouse.

J'avais fini par lui lâcher sèchement cette phrase, mais rien ne m'avait préparé aux conclusions qu'il en avait tiré.

— Vous avez raison. Je vais la demander en mariage.

— … QUOI ?!

— À quel moment tu as compris que c'est ce qu'on te disait de faire ? bafouilla Falman.

— Ta copine te fait la gueule et toi la conclusion que tu en tires, c'est qu'il faut la demander en mariage ? Sérieux, le jour où tu meurs, faudra léguer ton cerveau à la science ! fit Breda en le regardant avec une perplexité teintée de jugement.

— Je veux lui montrer qu'elle est importante pour moi, articula le grand blond en fixant le plafond, un stylo entre les dents.

— Oui, enfin… t'as pas peur de te prendre un râteau ?

— Bien sûr que si ! pesta-t-il. Tu imagines l'enfer ?

— Un truc comme ça, c'est quitte ou double, commenta Falman. Je ne te pensais pas aussi audacieux.

— Je ne sais pas, je suis bien avec elle, ça paraît tellement naturel, commenta-t-il, les bras croisés, grimaçant au fil de ses réflexions. Moi, je suis prêt à passer toute ma vie à ses côtés, mais…

— Franchement, tu la connais depuis même pas deux mois ? Tu crois pas que c'est un peu précipité ? demanda Breda.

— Non ?

Breda le regarda avec des yeux ronds et poussa un profond soupir.

— Je sens que ça va encore finir en grosse cuite à te taper dans le dos pendant que tu pleures comme un veau… mais bon, tu fais ce que tu veux hein, t'es un grand garçon.

— … Tu seras là si je me fais larguer ?

— Bien sûr… Je vais pas louper une occasion de picoler ! ajouta-t-il avec un sourire moqueur, comme pour tempérer la gentillesse de sa réponse.

— Bon, puisque l'affaire est réglée, remettez-vous au travail, tous, fis-je d'un ton sec.

Ils baissèrent le nez sur leurs dossiers respectifs d'un air honteux et je me renfrognais. Normalement, j'aurais dû mettre fin à la discussion bien avant, mais la réaction de Havoc m'avait réellement désarçonnée. C'était sans doute signe que je me laissais dépasser par les événements. Enfin, j'étais tellement lasse… Le regard d'Angie quand elle avait appris la vérité sur Mustang me hantait. Comment ses yeux clairs pouvaient-ils avoir terni à ce point ?

Enfin, si j'avais été à sa place, la nouvelle m'aurait fait un choc aussi. Je pouvais imaginer la sensation que le sol se dérobait sous ses pieds tandis qu'elle réalisait que c'était Mustang qui les avait tués.

Je savais ce qui s'était passé ce jour-là. Quand il avait touché le fond et que Hugues et moi l'avions retrouvé acculé, à bout, il n'avait pas eu d'autre choix que de tout nous raconter. Sa jeunesse, Ishbal, la pierre philosophale, les Rockbell, Mila… Chacune des marches de sa descente aux enfers. Hugues et moi avions étés au front aussi, nous avions participé à cette guerre. Ça aurait aussi bien pu être à son ami ou à moi qu'on aurait confié cette tâche, et dans ce cas, cela aurait été une autre personne que les trois adolescents auraient haïe à juste titre.

Je me demandais si je n'en aurai pas moins souffert que Mustang et me dit que ça aurait probablement été le cas.

Je repensai à la discussion à laquelle j'avais assisté, au cas où les choses tournent au vinaigre, à cette ambiance si pesante. Winry, si elle était arrivée ici débordante de rage, avait vu celle-ci se tarir en découvrant l'océan de culpabilité dans lequel baignait le tueur qui lui faisait face. Elle s'était sans doute attendue à de la fierté, de l'indifférence ou des arguments politiques, à la place, elle avait eu la vérité dépouillée de fausses excuses et le visage de la douleur. Alors que ça n'arrivait presque jamais, même avec moi, Mustang avait accepté de baisser ses barrières face à elle et répondu à toutes ses questions. La raison de leur mort, les directives, le nom des supérieurs qui lui avaient confié cette terrible mission, l'ordre de leur exécution et leurs dernières paroles.

« Nous faisons notre devoir, et nous le ferons jusqu'à notre mort. »

Il lui avait tout raconté d'un ton calme, plein de retenue, mais si sa voix ne s'était pas altérée, des larmes avaient coulé. Winry, face à lui, s'était effondrée sur elle-même, dévastée de ne pas pouvoir simplement haïr et souhaiter la mort la personne qui lui avait retiré sa famille et son enfance. C'était étrange et terrible d'avoir vu ces personnes si distantes et familières partager leur deuil. Si j'avais tâché de rester impassible, j'en étais moi-même bouleversée.

L'entrevue avait été entrecoupée de silences pesants et s'était arrêtée sur la promesse solennelle de Mustang.

« J'ai des ennemis à abattre et c'est aussi les vôtres. Je ne peux pas me laisser arrêter par ce qui s'est passé à cette époque… Mais s'ils ne m'emportent pas dans leur chute, quand tout sera fini, vous aurez le droit de me juger et de me condamner. Votre sentence sera la mienne. »

Il avait littéralement mis sa vie entre ses mains. Et s'il l'avait fait en ma présence, c'était pour sceller cette promesse, ce contrat entre elle et lui. Il ne demandait pas un pardon, il se savait impardonnable. Tout ce qu'il espérait de sa part, c'était une alliance provisoire.

Je poussai un soupir las en me remémorant le visage rond que j'avais croisé dans le manoir de mon père, il y avait si longtemps de cela. Je l'avais espionné de loin et j'avais pu constater que c'était un garçon au caractère doux, patient et courageux face à la pluie de critiques de mon père. Aujourd'hui encore, derrière le Général au regard froid se cachait un enfant hurlant et pleurant de douleur face aux crimes qu'il avait vus et commis.

Personne ne méritait de ressentir ça.

— Ça va, L-Colonel ? demanda Havoc d'un ton inquiet. Vous avez mauvaise mine.

Je me redressai, reprenant contenance et répondis en passant sous silence mes véritables pensées. Contrairement à lui, je n'étais pas du genre à m'épancher auprès de mes collègues.

— Certains points de l'enquête me préoccupent.

— Ah ?

— Moi aussi, fit Breda

— Ah ? répéta Havoc d'un ton perplexe.

— Greenhouse a avoué un certain nombre de choses, et les preuves retrouvées dans son bureau ne laissent aucun doute sur ses implications dans la mafia, mais… s'il y a des sujets sur lesquelles on a pu lui tirer des aveux assez étoffés, sur d'autres points, il est vraiment peu loquace…

— Oui, voilà, il n'a rien dit sur les raisons de la mort de Geoffrey Lane, alors que c'est son ambassadeur.

— Mais Lane a été tué par un concurrent, non ? s'étonna Fuery.

— Ne me parle pas de concurrence, notre Harfang-Greenhouse me donne déjà assez mal au crâne à lui seul, souffla Falman en passant la main dans ses cheveux gris.

— J'avoue que j'ai renoncé à comprendre depuis un bout de temps, souffla le grand blond en s'étirant en arrière. Je me borne à remplir la doc et à suivre les ordres des supérieurs.

— Tu ne devrais pas le claironner aussi fièrement, fit remarquer Breda d'un ton acide.

— Un autre point qui m'étonne, c'est le peu qu'il a dit à propos d'Angie, ajoutai-je.

— Comment ça ? demanda Fuery.

— Je pensais qu'il serait plus bavard à son sujet, mais il n'a pas l'air d'y accorder beaucoup d'importance.

— Ce n'est qu'une personne parmi d'autres, non ? Il est déjà responsable de la mort de tellement de gens, ça ne m'étonne pas vraiment qu'il n'y accorde pas tant d'importance… commenta Falman.

Bien sûr, ils ne savent pas tout, donc ils ne se rendent pas compte… Moi, ce qui m'étonne, c'est qu'il n'essaie pas de négocier avec l'armée en échange de l'information de sa véritable identité. Dans sa position, c'est la meilleure carte qu'il a à jouer pour obtenir une remise de peine. Pourtant, rien dans son discours ne laisse penser qu'il connaît la vérité à propos d'Angie…

Non, ça n'a aucun sens, c'est lui qui a causé toute cette situation, on a retrouvé les preuves chez lui…

— Il y a peut-être une stratégie derrière ses silences, non ? fit Falman. C'est quand même l'ennemi le plus retors que j'ai jamais contribué à arrêter, cela ne m'étonnerait pas qu'il dresse encore des plans pour s'en sortir ?

— C'est vrai qu'étant donné sa manière de procéder, on peut s'attendre à ce qu'il nous donne encore du fil à retordre.

— Là, il ne se sortira de rien du tout, vu tous les chefs d'accusation qui sont contre lui, fit remarquer Havoc.

— Je sens qu'on n'a pas fini de parler de lui, en tout cas. Comment un seul homme a pu mettre le nez dans autant d'affaires illégales ?

— Ça… je suppose que c'est une forme de talent.

Je poussai un soupir. Outre la disparition inquiétante de Tony Digger et des plans de sa bombe chimique, il restait des zones d'ombres, des choses dont la logique nous échappait. Qu'on le veuille ou non, c'était notre travail de mettre au clair tous les tenants et aboutissants de l'affaire.

Je replongeai dans les dossiers, luttant contre le sommeil et le reste de l'après-midi se déroula laborieusement. En passant dans le bureau pour poser une question à Mustang, je le retrouvai endormi sur ses dossiers, la tête nichée dans ses bras. Je renonçai à le réveiller et refermai la porte. Tout le monde avait remarqué que depuis l'enlèvement d'Angie, ses traits étaient tirés par le manque de sommeil. Je pouvais être sévère habituellement, mais je ne comptais pas le priver d'un repos dont il avait cruellement besoin. Il avait dit qu'il n'espérait pas dormir tant que l'agresseur d'Angie n'était pas sous les verrous. C'était maintenant chose faite, qu'il en profite.

Un peu plus tard, le téléphone sonna dans son bureau et j'entendis un remue-ménage avant de le voir sortir à la hâte, les yeux encore flous de sommeil, un dossier sous le bras, les contours d'un trombone marqués sur sa joue.

— Général… commençai-je.

— Vous auriez pu me rappeler que j'avais une réunion à cinq heures trente.

— Vous ne me l'aviez pas dit, répondis-je d'un ton de reproche. Je ne suis ni secrétaire ni devin.

Il lâcha un soupir agacé et s'apprêta à repartir.

— Général… faites attention, vous avez la marque d'un dossier sur votre joue gauche.

Il posa la main sur sa joue en plissant les yeux, et repartit en bougonnant, frottant dans l'espoir que la marque disparaisse plus vite. Il poussa la porte du talon et celle-ci claqua derrière lui.

— Il n'a pas l'air très en forme, pour s'endormir au bureau, commenta Breda.

— Je suis jaloux, j'en aurai bien fait autant, soupira Havoc.

— Avec moi dans la pièce, contentez-vous d'en rêver, ça n'arrivera pas, répondis-je d'un ton sec.

— Je sais, c'est mon grand malheur, répondit Havoc d'un ton théâtral.

— Utilise la nuit pour dormir.

— C'est que d'habitude, je fais d'autres choses à ce moment-là !

— Havoc ! fis-je d'un ton outré sans parvenir à empêcher les autres de rire. Épargnez-nous ce genre de répliques.

— Je n'ai rien dit, fit-il d'un ton faussement vertueux.

Je poussai un soupir, le regardant d'un œil noir jusqu'à ce qu'il baisse les yeux sur son travail d'un air contrit, ce qui arriva assez rapidement. Néanmoins, l'ambiance générale était au relâchement, et l'équipe ne tarda pas à abandonner leur bureau pour profiter de leur soirée. Je ne pouvais pas leur en vouloir de relâcher la pression, ces derniers temps avaient été éprouvants pour nous tous. Pour être honnête, j'étais soulagée qu'ils s'en aillent, j'allais enfin pouvoir travailler au calme. Du moins, c'était ce que je me disais, mais peu après cette réflexion, j'entendis quelqu'un toquer à la porte. Je me levai pour ouvrir, intriguée, et vis Hayles plantée sur le pas de la porte avec un mélange d'assurance et d'embarras.

— Oh, les autres sont partis, commenta-t-elle en rougissant. Le Général est peut-être là ?

— Non, il est en réunion, répondis-je en posant une main sur le chambranle de la porte.

Il y eut un silence et elle se mordilla la lèvre inférieure d'un air hésitant.

— Entre.

Son regard s'éclaira et elle s'avança tandis que je refermais la porte derrière elle.

— Hé bien, ça ne s'est pas arrangé depuis la dernière fois que je suis passée dans ce bureau.

— Hem, oui, on a un peu négligé le rangement ces derniers temps.

— Mon supérieur serait en train de tempêter s'il voyait ça…

— Mon supérieur est le pire de l'équipe, répondis-je sans pouvoir m'empêcher de sourire.

Elle eut un rire pétillant et se cala dans mes bras. Je restai un instant désarçonnée par la simplicité avec laquelle elle m'avait enlacée, puis, passé la stupéfaction, la serrai contre moi avec un sourire. Nous restâmes comme ça un moment, dans la pièce silencieuse.

C'est fou comme le temps s'écoule différemment à ses côtés, pensai-je en fourrant le nez dans ses cheveux.

Je n'avais plus envie d'aller nulle part, et j'avais le sentiment que j'aurai pu rester là encore longtemps.

— Tu n'étais pas au Cabaret hier…

— Oui, il s'est passé quelque chose en présence d'Angie et de Roxane dans l'après-midi, disons que ça a provoqué quelques tensions.

— Encore ?

— C'est quoi cette impertinence ? fis-je d'un ton un peu trop sérieux, assez pour qu'elle s'écarte et me regarde d'un air un peu inquiet avant de se rendre compte que je le disais ironiquement.

— Enfin, Angie a de bonnes raisons d'avoir de la rancœur envers Mustang… et un peu contre moi par la même occasion. Je ne vais pas lui imposer ma présence si elle n'a pas envie de me voir.

— Je vois, murmura-t-elle.

— Ne fais pas cette tête-là.

— C'est dommage de se priver de venir.

— J'imagine que c'est compliqué pour Mustang, mais moi, je ne me prive pas vraiment… J'aime bien l'ambiance du cabaret, mais j'apprécie aussi d'être tranquille chez moi. Toute cette animation a tendance à me fatiguer.

— Je vois…

— Et puis, ma principale motivation est déjà ici, alors…

Hayles se redressa et rougit, le regard brillant de joie en m'entendant dire ça. Ses joues rondes me donnaient envie de la couvrir de baisers. Seulement, je n'osais pas esquisser ce geste, de peur d'être emportée par l'élan, assoiffée que j'étais de contact. Si Mustang revenait de réunion et qu'il nous voyait… Il ne dirait rien à personne, mais tout de même.

La brunette s'écarta un peu et me prit doucement la main, levant les yeux vers moi.

— L'ennemi est sous les verrous maintenant, fit-elle remarquer.

Je souris en l'entendant prononcer ces mots.

— Oui.

Je me penchai en avant, rabattant machinalement une mèche derrière mon oreille, et l'embrassai timidement. Elle approfondit le baiser puis s'écarta.

— Et maintenant ? Qu'est-ce qu'on fait ?

— … je ne sais pas, avouai-je après un moment d'hésitation.

Ses sourcils s'arquèrent tandis qu'elle me regardait avec une moue à mi-chemin entre la perplexité et le reproche, et je me sentis rougir.

— Je… recommençai-je avant de tousser pour m'éclaircir la gorge. Je ne suis pas très à l'aise avec… tout ça.

Elle me regarda avec des yeux ronds.

— Vraiment ?

— Ça te surprend à ce point ? soufflai-je, embarrassée.

— De la part de quelqu'un d'aussi classe que toi, ça m'étonne, oui ! Ceci dit, tu es tellement intimidante que ce n'est peut-être pas si surprenant.

— Intimidante ?

— Tu fais peur aux hommes, tu le sais, non ? commenta-t-elle en souriant. En tout cas, ceux qui ne sont pas stupides. Mais bon, je ne m'en plains pas, ça arrange mes affaires.

— Moi aussi, répondis-je avec un vague sourire, un peu dépassée par la discussion.

— Mais la dernière fois, tu avais l'air de parfaitement savoir ce que tu voulais, fit-elle remarquer.

Cette fois, je rougis pour de bon sous son regard noisette.

C'est direct, comme approche. Ceci dit, elle a dû remarquer que c'était le meilleur moyen de faire avancer les choses avec moi…

— Je sais ce que je veux, admis-je. Mais tu as ton mot à dire. Qu'est-ce que tu attends de moi ?

— Je ne sais pas… que tu m'invites quelque part ? fit-elle en penchant la tête avec un sourire mutin.

— Tu veux… venir chez moi ? proposai-je avec une certaine raideur.

— Oh, ça c'est audacieux ! s'exclama-t-elle, ouvrant de grands yeux.

Je me sentis rougir brutalement. Je devais avoir l'air ridicule, mais si je tentais d'expliquer que ce n'était pas dans l'intention de me montrer entreprenante avec elle je n'allais rien arranger. D'autant plus que cette idée ne me déplaisait pas forcément. Je restais donc stoïque, tâchant de garder ma contenance même si intérieurement, j'étais en train de me consumer d'embarras.

— D'accord, ça me ferait très plaisir ! fit-elle avec un sourire éclatant. En plus je pourrai revoir Black Hayatte.

Je m'autorisai à sourire et respirer de nouveau, soulagée de sa réponse.

— Il faut juste que je prévienne le Bigarré, mais je pense que ce soir ça sera assez tranquille. Je suis ravie de ta proposition, surtout que je suis curieuse de voir à quoi ça ressemble, chez toi.

— Il n'y a rien de spécial à voir, minimisai-je.

— Il y a toujours quelque chose de spécial à voir.

C'est ainsi que je refermai les portes du bureau pour quitter le QG et passer ma première soirée en tête-à-tête avec Maïwenn Hayles. Je n'étais pas près de le regretter.


La soirée s'était passé très naturellement, à choyer Black Hayatte et à discuter lovées l'une contre l'autre sur le canapé, parlant de tout et de rien jusqu'à ce que la faim nous pousse à préparer à manger. Après un repas passé à se découvrir davantage, sans le regard de nos collègues, nous étions retournées sur le canapé avec une tasse d'infusion et les choses avaient pris une tournure plus audacieuse. Finalement, elle avait passé la nuit chez moi.

Nous nous étions séparées à ma porte le lendemain matin afin de ne pas attirer l'attention des collègues à notre arrivée, mais je craignais quand même que ma bonne humeur me trahisse en arrivant au bureau. L'arrivée de Havoc avait immédiatement dissipé cette inquiétude, il était tellement occupé à annoncer à la cantonade ses fiançailles avec Roxane que personne n'allait se préoccuper de mon sourire en coin. L'ambiance, ce matin-là, avait été particulièrement joyeuse dans notre bureau. Seule exception, Mustang, qui, lorsqu'il n'était pas en réunion ou dans son propre bureau, restait totalement hermétique au bonheur qui l'entourait. Vu sa propre situation, cela n'avait rien d'étonnant, mais j'étais tout de même triste pour lui. J'avais beau savoir que c'était une idée catastrophique, j'en venais presque à espérer que lui et Angie se parlent de nouveau. Seulement, quand bien même j'aurais osé me décider à mettre le sujet sur le tapis, l'emploi du temps de Mustang ne m'en aurait de toute façon pas laissé le temps.

Après un repas rapide, je passai une partie de l'après-midi à tenter d'arracher des aveux à Greenhouse. Depuis mon succès face à Mary Fisher, mes collègues m'avaient proclamée « Spécialiste de l'interrogatoire » sans me demander mon avis, mais ce jour-là, je n'eus pas le sentiment de mériter ce surnom. En sortant de la cellule, je n'avais appris guère plus que ce que les preuves nous avaient déjà délivrées, et je me battais avec le sentiment confus et inconfortable que quelque chose clochait.

Le soir venu et la semaine de travail achevée, je me laissai traîner au Cabaret par Havoc qui voulait célébrer ses fiançailles avec Roxane en compagnie de son équipe. Mustang avait refusé sèchement en disant qu'il avait trop de travail, et j'en aurais sans doute fait de même si je ne m'inquiétais pas pour Angie… et si je n'avais pas été très tentée de revoir Hayles.

Le trajet se passa avec le récit détaillé d'Havoc sur sa demande en mariage, que ses collègues raillèrent sans pitié, puis le Bigarré nous ouvrit les portes : les numéros que nous commencions à bien connaître à force de venir, Roxane dont le sourire dévorait le visage en permanence, Angie qui nous avait brièvement salués, mais s'était surtout appliquée à faire son travail pour nous éviter, signe que la rancœur restait bien présente, et Maï, qui nous rejoignait aussi souvent que possible, sans pour autant se montrer trop familière avec moi. Elle semblait avoir compris que je ne me sentais pas prête à m'afficher dans une relation avec quelqu'un. Et quand bien même, jamais je n'aurai pu être aussi bavarde qu'Havoc sur le sujet. Je trouvais ça gênant.

Au bout d'un moment, l'ambiance bruyante et la présence des autres me pesèrent trop et j'annonçai que je rentrai chez moi. Maïwenn s'était habilement débrouillée pour me retrouver dans le couloir de l'entrée au moment de mon départ et m'avait demandé si elle était bienvenue ou si je préférais rester seule.

La réponse était évidente, et nous étions donc rentrées ensemble chez moi. Après nous être occupées de Black Hayatte comme il se devait, nous avions passé un long moment silencieux, blotties l'une contre l'autre dans le canapé, laissant passer de longs silences. D'autres se seraient sans doute ennuyés ferme à notre place, mais ça me convenait très bien. Il me semblait que quand on était bien avec quelqu'un, il n'y avait pas besoin de parler pour meubler. À moins qu'à force d'avoir vécu seule avec mon chien, ma perception des relations humaines se soit trop déformée.

Je n'en savais rien, mais Maïwenn l'acceptait, et c'était un sentiment merveilleusement apaisant.


C'était à tout cela que je pensais, en regardant son profil enfoui dans l'oreiller et ses cheveux ébouriffés, le cœur gonflé de joie et d'affection. J'avais beau m'être satisfaite de ma vie quotidienne jusque-là, je devais avouer que cette nouveauté lui donnait beaucoup plus de charme.

Je sors avec Maïwenn Hayles, pensai-je en souriant. Quand on pense à la quantité de collègues qui en ont rêvé, je suis vraiment privilégiée.

Je me demande ce qu'elle me trouve, au juste.

Le téléphone sonna dans le salon et je me redressai, brutalement tirée de ma rêverie, tandis que la brunette à côté de moi se renfonça sous la couette comme pour y disparaître. L'envie de sourire en la voyant jouer les marmottes fut éclipsée par mon inquiétude et je me dépêchai de traverser l'appartement pour répondre. Les appels chez moi étaient rares, d'autant plus un dimanche matin. Cela devait être important… et si ça ne l'était pas, mon interlocuteur allait le regretter.

— Allô ? fis-je.

— Colonel Hawkeye ?

— En personne. Qui êtes-vous et pourquoi m'appelez-vous à mon domicile un jour de congé ?

— Secrétaire Grip, je suis désolée de vous déranger durant votre période de repos, mais il fallait que je vous prévienne… la gendarmerie a appelé dans la nuit, Alphonse Elric et Winry Rockbell ont disparu.

— Comment là, ils ont disparu ?! Ils étaient sous la garde de militaires !

— Justement… Les militaires en question ont été tués… souffla la femme d'une petite voix.

Je pris une grande inspiration pour me retenir de lui crier dessus sous l'effet de la panique. Elle n'en menait déjà pas large, et elle n'y était pour rien si elle m'apportait de si mauvaises nouvelles.

— Vous vous rendez compte que c'est extrêmement grave ? Pourquoi je n'ai pas été prévenue avant ?

— L'appel a eu lieu dans la nuit, et les standardistes présents n'avaient pas accès à vos coordonnées personnelles. J'ai appelé dès que j'ai été avertie de l'événement, à mon arrivée.

— Vous avez prévenu le Général Mustang ?

— On a essayé de le contacter, mais il ne répond pas au téléphone.

Je me sentis blêmir. Alphonse et Winry disparus, leurs gardiens tués, Mustang qui faisait le mort… Bon sang, que s'était-il passé dans la nuit ?

— Donnez-moi les coordonnées de la scène de crime. Je vais voir de quoi il en retourne pour Mustang et je viens sur place juste après. Si vous pouvez contacter le reste de mon équipe et leur dire d'y aller aussi, vous me gagnerez un temps précieux.

— À vos ordres Colonel.

J'attrapai le crayon posé à côté du téléphone pour noter l'adresse où logeaient les deux adolescents avant leur disparition et quelques informations supplémentaires, et vis du coin de l'œil que Maï s'était finalement levée. Je mis fin à la discussion avec la standardiste, plus sèchement que je l'aurai voulu, puis me tournai vers elle.

— Ça va ? fit-elle d'un ton inquiet.

Je secouai négativement la tête.

— Alphonse Elric et Winry Rockbell ont disparu. Et Mustang ne répond pas au téléphone…

— Oh.

Elle fit demi-tour et retourna dans la chambre, me laissant en plan, mais je n'eus pas le temps de me sentir offusquée qu'elle en ressortait déjà, habillée de pied en cap.

— Vous savez où il habite, n'est-ce pas ? Allons le voir.

Je hochai la tête et me dépêchai de me préparer à mon tour. En apprenant la nouvelle, Maï était passé de la jolie marmotte au sergent prêt à l'action, et cela me faisait du bien de la voir prête à m'épauler. Je ne pouvais pas flancher. Il fallait agir, et vite.

D'abord, Mustang. Il faut que je l'informe de l'événement, et son absence de réponse m'alarme… j'espère qu'il ne lui est pas arrivé quelque chose hier soir, il ne manquerait plus que ça…

Black Hayatte leva vers moi des yeux larmoyants. Bien sûr, il avait besoin de sortir. J'ouvris la porte et lui fis signe de m'accompagner.

— Ça ira si on le prend avec nous ?

— Ça lui fera de l'exercice… Et je ne sais pas quand je rentrerai, alors autant ne pas prendre le risque de l'enfermer trop longtemps.

Je partis d'un pas hâtif, refaisant mon chignon en marchant, la barrette coincée entre les dents, le regard fixé sur le bout de la rue. Il avait neigé dans la nuit, une de ces neiges lourdes et molles qui se changeraient vite en verglas, et l'air était froid et humide. Hayles me suivait en courant presque, et Black Hayatte, s'il avait commencé par trouver un tronc d'arbre adapté, ne se laissait pas trop distancer. Je sifflai pour qu'il me rejoigne au carrefour afin qu'il traverse à côté de moi, puis il continua à tracer son propre rythme, entre pauses et courses. Je ne m'inquiétais pas pour lui, il avait largement assez d'énergie pour nous suivre et il serait obéissant.

— Vous pensez que le Général Mustang a un problème ?

— Je n'en sais rien, mais ce n'est pas son genre de ne pas répondre, ça mérite d'aller voir ce qu'il en est. En plus, il connaît bien les frères Elric, il sera le plus à même d'enquêter sur leur disparition.

— Vous prenez soin de lui…

Je restai silencieuse, faute de savoir quoi répondre à ce constat. Je n'habitais pas très loin de chez lui, et il ne nous fallut pas longtemps pour arriver jusqu'à la porte de son immeuble. Je sonnai jusqu'à ce qu'un concierge à l'œil vitreux vienne ouvrir en me demandant pourquoi je faisais un tel raffut un dimanche, alors qu'il n'était même pas huit heures et demie. Je lui répondis simplement que c'était une urgence et si j'acceptai sa demande de laisser Black Hayatte dans la cour, je lui ordonnai de me montrer quel était l'appartement de Mustang avant de tambouriner à la porte sans délicatesse.

Le temps du trajet m'avait suffi à avoir une angoisse réelle. Était-il blessé, disparu ? Son absence de réaction avait-elle un lien avec la disparition d'Alphonse et Winry ? Avec l'enquête sur Harfang ? Greenhouse aurait-il assez de pouvoir pour nous nuire, même sous les verrous ? Ne pas le voir m'ouvrir malgré mes coups faisait monter une angoisse croissante.

— Général, c'est Hawkeye ! Je vous préviens, si vous ne répondez pas dans les prochaines secondes, je fais sauter la serrure.

À ce moment-là, la porte s'ouvrit vivement, laissant voir le militaire débraillé, les cheveux ébouriffés, les yeux pochés par la fatigue.

— Qu'est-ce qui vous prend ? fit-il sèchement, la voix encore rauque.

Je me sentais soulagée, mais en le voyant m'ouvrir en sous-vêtements, mal réveillé et ignorant des derniers événements, je ne pouvais pas m'empêcher d'être également en colère. Pourquoi n'avait-il pas répondu s'il était présent ? Que fichait-il ? Heureusement, il n'avait rien de grave, mais l'idée que je me sois inquiétée pour rien m'agaçait d'autant plus.

— Si vous répondiez au téléphone, vous le sauriez, répondis-je en entrant d'autorité dans l'appartement.

Mon regard parcourut la pièce en quelques secondes. Ce fut assez pour découvrir un certain désordre et de trop nombreuses bouteilles vides posées à côté de la table basse en marqueterie. J'en conclus qu'il avait abusé de la boisson la veille et le regardais d'un œil d'autant plus torve tandis qu'il frottait son bras gauche, comme pour dissimuler quelques bleus dans le creux de son coude qui n'avaient pas échappé à mon observation.

— J'ai eu le sommeil plus lourd que je le pensais.

Les somnifères. Évidemment… J'aurais dû y penser.

Je jetais un coup d'œil aux bouteilles vides et le regardai avec une méfiance teintée d'inquiétude. Je ne m'y connaissais pas vraiment, mais il me semblait que le mélange était très imprudent.

— Vous ne devriez pas faire ça.

— Quoi ? fit-il d'une voix pâteuse, se rasseyant sur la chaise pour mieux se prendre la tête entre les mains.

— Vous savez très bien de quoi je parle, répondis-je sèchement.

— Vous venez sérieusement tambouriner à ma porte un dimanche matin à l'aurore pour me faire la morale ?

Il soupira, passant une main lasse sur son visage. Il avait une mine terrible, son regard me rappelant la période qui avait suivi Ishbal. Était-ce la fatigue, le contrecoup de l'enquête, la discussion avec Winry, son renoncement à Angie ? Je n'en savais rien, mais sans aucun doute, il était en train de partir en vrille. Je me mordis les lèvres, jetant un coup d'œil à Hayles, consciente que je ne pouvais pas développer le sujet en sa présence, puis décidai de reporter la leçon de morale à plus tard et rentrai dans le vif du sujet.

— Alphonse et Winry ont disparu.

— QUOI ?! s'exclama le militaire, soudainement bien réveillé. Comment ? Depuis quand ?

— L'armée a été contactée dans la nuit, mais les standardistes de garde n'avaient pas accès à nos coordonnées privées et l'information a attendu la rotation du matin pour nous arriver.

Mustang ouvrit la bouche pour répondre et se figea, désignant Hayles de l'index avec un éclair de compréhension dans le regard. Il avait pris conscience de la raison de sa présence à mes côtés.

— Allez vous habiller, il n'y a pas de temps à perdre, lançai-je sèchement pour couper court à ses questions.

Il obéit et se précipita dans sa chambre avec la diligence d'un enfant pris en faute. Hayles lâcha un petit sifflement admiratif.

— Et c'est toi la subordonnée ?

— Nous avons un accord tacite, commentai-je sans entrer dans les détails. Il est meilleur dirigeant que moi, mais parfois il a besoin d'être un peu… recadré, et c'est là que j'interviens.

Cela faisait des années que je le connaissais, assez pour savoir qu'il fallait le surveiller, parfois. En témoignaient la mauvaise tenue de l'appartement pourtant luxueux et les trop nombreuses bouteilles vides.

Il allait vraiment falloir qu'on en discute.

— Je ne pensais pas entrer chez lui un jour, commenta la brunette fascinée. Ce n'est pas vraiment ce à quoi je m'attendais…

— Gardez ça pour vous, s'il vous plaît.

— Évidemment !

Mustang revint, habillé à la hâte, ses bottes à la main, et m'ordonna de lui résumer la situation tandis qu'il finissait de se préparer.

— Des coups de feu ont été signalés entre 23 h et 23 h 15, et les soldats Flint et Gordon ont été retrouvés morts dans l'immeuble où ils logeaient tous les quatre, Flint dans le couloir de l'appartement, Gordon sur le palier. On a retrouvé des traces d'évasion, notamment une transmutation le long de la façade, côté cour, qui a sans doute permis à Alphonse et Winry de s'enfuir, ainsi que des traces de lutte dans la boucherie chevaline se trouvant au rez-de-chaussée.

— Ils auraient tué les militaires avant de fuir ? demanda Hayles.

— Jamais de la vie ! m'indignai-je avant de me radoucir, me rappelant qu'elle ne connaissait les frères Elric que de réputation et ne pouvait pas réaliser à quel point cette idée était une énormité. Ce n'est pas leur genre, surtout Alphonse, il est d'un tempérament très calme. Non, ils ont forcément été attaqués.

— Attaqués ? Mais par qui ?

— À nous de le découvrir, répondit Mustang en sautant sur ses deux pieds.

Il attrapa son manteau et nous fit signe de sortir pour pouvoir fermer derrière nous, et nous dévalâmes les trois étages. Black Hayatte bondit joyeusement en nous voyant revenir, et je saluai brièvement le concierge qui sembla soulagé de voir que nous n'allions pas le déranger davantage.

— Vous avez emmené Black Hayatte avec vous ?

— Vu le contexte, je n'avais pas vraiment le temps de le promener avant de partir, et je n'allais pas le laisser enfermé…

— Je vois.

— On prend votre voiture ?

— Elle est encore chez le carrossier, répondit Mustang avec une grimace.

— Tant pis, ce n'est pas très loin, le trolley nous permettra d'y arriver rapidement, annonçai-je en ouvrant la marche, ressortant le papier sur lequel j'avais noté les informations.

— Vous croyez que c'est lié à Harfang ? demanda Hayles. Pardon, Greenhouse ?

— Non, il est emprisonné, je ne vois pas comment il aurait pu leur nuire… Surtout qu'ils n'ont pas vraiment de lien avec l'affaire.

— Vous oubliez le rapport d'Edward sur Lacosta, que Mary Fisher a fait disparaître, fis-je remarquer.

— C'est vraiment tiré par les cheveux, quand bien même il le pourrait, je ne vois pas ce qu'il gagnerait à faire faire ça maintenant.

— Il y a des choses que l'on n'a pas encore éclaircies… Si ça se trouve, même Marshall & co pourrait avoir un rôle dans les affaires de Harfang.

— Ce serait un peu gros, quand même, il est déjà impliqué dans tellement de choses…

— Vu l'homme, plus rien ne m'étonnerait, lançai-je avec un soupir las.

— Je vois ce que vous voulez dire. Mais à mon avis, les coupables sont autres.

— On va vite le savoir.

Après avoir sauté dans le trolley qui passait à ce moment-là, le reste du trajet se déroula sous nos pas au rythme de nos hypothèses. Black Hayatte, quant à lui, gambadait à nos côtés, ravi de pouvoir profiter d'une promenade plus longue et animée que d'habitude. Il sautait partout, quêtait des caresses dans le trolley jouant dans la neige molle. Vu le ciel brumeux et la température plutôt douce, je doutais qu'elle tienne la journée. Nous allions sans doute avoir du verglas demain.

Nous arrivâmes enfin à l'adresse indiquée. Devant la vitrine de la boucherie qui donnait sur la rue, des rubans interdisaient l'accès à la scène de crime. Derrière le grillage de fer, l'une des grandes vitres avait été brisée, et la porte bâillait sur la rue, laissant entrevoir un profond chaos, plongé dans la pénombre. Les bras croisés, plusieurs gendarmes gardaient les lieux, répondant d'un ton sévère aux badauds venus poser des questions.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? souffla Hayles, estomaquée.

— Ils avaient parlé de traces de lutte au rez-de-chaussée, répondis-je.

— C'est plus que des traces, à ce niveau.

— Mon amie habite au second ! Est-ce qu'elle est saine et sauve ?

— Les habitants de l'immeuble ont été évacués dans la nuit et mis à part ceux qui résidaient au troisième étage, porte gauche, tout le monde est sain et sauf.

— S'il vous plaît, pas de photos !

— Général Mustang, désolé pour notre arrivée tardive, lâcha mon supérieur en montrant sa montre d'Alchimiste d'État après avoir réussi à atteindre le Gendarme qui répondait aux questions d'une voix forte et était manifestement le responsable. Quel est l'état des lieux ?

— Ah, Général ! souffla-t-il, soulagé. Colonel Hawkeye, je suppose ? Et…

— Sergent Hayles, se présenta Maïwenn en lui tendant la main.

— Inspecteur Wolf. Venez discuter plus au calme, fit le Gendarme en soulevant le ruban pour nous inviter à passer. Stew, je te laisse prendre le relais.

Après avoir passé les rubans de la zone de crime, l'homme qui nous avait accueillis, un quinquagénaire aux traits pendants, nous mena jusqu'au hall de l'immeuble et referma la porte derrière lui avant de pousser un soupir.

— Je suis content que vous soyez là.

— C'est à cause des badauds ?

— Non, ça encore, on a l'habitude, même si tout à l'heure une petite militaire a insisté pour qu'on la laisse voir la scène de crime. Elle avait l'air d'être de la bleusaille, je doutais qu'elle fasse partie de votre équipe du coup je lui ai refusé l'accès sans attestation de ses supérieurs. J'en ai déjà vu vouloir jouer les enquêteurs de génie et ruiner l'enquête au lieu de l'aider.

— En effet, vous avez sans doute bien fait. Je n'ai envoyé personne, commentai-je.

— Si ce n'est pas les badauds qui vous gênent, quel est le problème ? demanda Mustang.

— J'ai… j'ai jamais vu ça, souffla le gendarme. Venez, vous allez comprendre. Je vous préviens, c'est pas joli joli.

Le militaire poussa du bout des doigts la porte enfoncée qui donnait sur la boucherie. Mustang, pendant ce temps, avait posé la main sur le mur, le fixant avec attention. Sur celui-ci, une coulure de sang spectaculaire, mais pas de trace de chute ni d'impact. Quelle arme pouvait avoir fait ça ? Je croisais le regard de Maï qui avait blêmi à cette vue et effleurai sa main dans une tentative de la rassurer, puis nous entrâmes dans l'arrière-boutique. En passant, je fixai les boiseries de la porte trouée et déchiquetée. Aucune balle, aucun couteau ne pouvait créer ce genre d'impacts. Aucune arme normale ne pouvait faire ça. Cette conclusion me noua la gorge. Je savais ce que ça signifiait.

À l'intérieur de la boutique plongée dans la pénombre, le désordre d'un combat. Une table renversée, une partie des couteaux suspendus le long du mur en alignement soigneux avaient été pris, et gisaient maintenant au sol, au milieu des éclats de verre et des flaques de sang. Au beau milieu de la pièce, le carrelage s'était descellé, explosé, et était surplomblé par une marque d'impact spectaculaire au plafond, étoile de fissures et de sang.

Mustang s'approcha et se pencha, plissant les yeux avant de désigner des marques à peine visibles. Je m'approchai à mon tour.

— Alchimie, commentai-je.

— Sans doute l'œuvre d'Alphonse. Il a aussi transmuté le mur du couloir.

— Ah bon ? s'étonna Hayles. J'ai vu une trace de sang, mais… de l'alchimie ?

— Oui, on voit que la transmutation est bâclée, la surface est pleine d'aberrations alchimistes, comme ici. Il a fait ça dans l'urgence… En plein combat sans doute.

— C'est donc de l'alchimie qui a fait ça ? commenta le gendarme. Bon Dieu…

— Croyez-moi, ce n'est pas ce qu'on peut faire de pire, commenta Mustang en se relevant.

— Tout ce sang… souffla Hayles, estomaquée en observant les amples flaques rouge-brun qui avaient séché sur le carrelage.

On voyait des traces de chaussures, de corps traînés… même des fragments de doigts d'une taille anormalement grande. Je ne pouvais pas dérouler le fil du combat en détail, mais la lutte avait été âpre. M'imaginer les deux adolescents au milieu de ce chaos me nouait la gorge. Ils ne méritaient pas ça.

— Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais une chose est sûre, vu la quantité de sang, il y a eu des morts.

Je me sentis blêmir. Al et Winry étaient-ils morts ? Comment allais-je pouvoir annoncer ça à Edward ? Le général, lui observait les lieux, l'air sombre, aussi concentré que sa probable gueule de bois lui permettait.

— Et les militaires, où sont-ils ?

— À l'étage, mais… Vous ne relevez pas les indices ?

— J'en ai assez vu pour me faire une première idée. Ceci dit, Hayles, si vous pouvez commencer à faire des relevés photographiques en attendant que le reste de l'équipe arrive, cela pourrait nous être utile. Par contre, ne touchez à rien.

La brunette hocha la tête, l'air sérieux, sans doute plus bouleversée par le spectacle qu'elle voulait le montrer.

Ce n'était pas comme ça que nous avions prévu de passer notre premier dimanche matin ensemble.

Je montai les marches, sentant une angoisse sourde, le gendarme ouvrant la marche.

— On est d'accord, c'est eux ? soufflai-je discrètement à mon supérieur.

— Oui.

— Mais alors, Alphonse et Winry ?

— Je ne sais pas. Manifestement, ils se sont défendus âprement.

— Vous pensez qu'ils sont morts ?

— Non. Je ne pense pas… ils auront plutôt cherché à les capturer. En tout cas, Alphonse leur serait trop utile pour qu'ils le sacrifient. Pour mademoiselle Rockbell… c'est… moins sûr.

Je hochai la tête, pas vraiment rassurée. Morts, Capturés, libres ? En pensant à ces deux adolescents face à des Homonculus immortels, la dernière option me paraissait bien trop optimiste.

Je me figeai, frappé par une crise de conscience.

Si les Homonculus les avaient capturés, ils s'appliqueraient sans doute à les faire parler et n'auraient aucun scrupule à les torturer pour leur faire avouer tout ce qu'ils savaient sur les Homonculus et Dante. Ils seraient obligés d'avouer qu'ils étaient au courant pour Juliet Douglas… et ce n'était même pas le pire.

Ils avaient rencontré Angie, ils savaient même où elle travaillait. Cela voulait dire qu'Edward aussi était en danger.

— La situation est grave, soufflai-je.

— Je ne vous le fais pas dire, commenta Mustang, gravissant les dernières marches.

Je le suivis, arrivant sur le palier du troisième étage. Au sol, deux draps blancs masquaient les corps des victimes, l'une à l'entrée de l'appartement, l'autre affalée contre la fenêtre ouverte du palier qui donnait sur la rue. Un vent froid traversait la pièce faisant danser légèrement le drap, dévoilant par instants l'uniforme.

L'inspecteur s'agenouilla près du corps le plus proche, tombé sur le seuil de la porte, pour soulever le drap et montrer le visage d'un militaire roux, les yeux exorbités, les mains encore crispées sur son arme. Je reconnus l'un des deux soldats que j'avais vus en croisant Alphonse et Winry à la bibliothèque, avant le drame. Puis il souleva une large planche de bois qu'il posa contre la rambarde de l'escalier, dévoilant une flaque de sang.

— On a essayé de dissimuler au mieux la scène au moment de l'évacuation des habitants, expliqua le Gendarme en voyant les yeux plissés du militaire. Vous comprenez, y'avait des mômes et tout ça…

Leurs efforts étaient compréhensibles, mais paraissaient bien dérisoires étant donné la longue traînée de sang qui traversait le palier entre la porte et la fenêtre, sans parler de l'odeur écœurante des viscères qui avait eu le temps de s'installer dans la nuit malgré les courants d'air. Je relevai les yeux vers l'autre corps, celui de l'autre soldat qui s'était manifestement hissé jusqu'à la fenêtre dans un but précis. Lequel ?

— Vous avez des témoins ?

— Tout le monde a entendu les bruits de combat au rez-de-chaussée et les coups de feu, mais pas de témoins oculaires. Enfin, si, on en a un qui a dit avoir vu deux silhouettes s'enfuir, puis deux autres les suivre moins d'une minute après. Elles se seraient même effondrées au moment des derniers coups de feu, puis relevées, et ça… ça se serait passé deux ou trois fois. Difficile d'accorder du crédit au témoin, ce qu'il décrit est assez surréaliste, et pour dire les choses poliment, il n'était pas tout à fait sobre à ce moment-là.

Je hochai la tête, comprenant très bien pourquoi l'inspecteur ne pouvait pas prendre ce témoignage au sérieux. Contrairement à Mustang et moi, il ne pouvait pas accepter l'idée que cet événement puisse être vraiment arrivé. Je ne pouvais pas croire aveuglément ce récit, mais il me rassura tout de même. Si cette personne disait bien la vérité, Al et Winry avaient peut-être réussi à leur échapper…

Je posai un genou au sol et soulevai le drap, dévoilant le corps du soldat replié sur lui-même au milieu de douilles vides, les mains crispées sur son arme. Sa veste d'uniforme était déchiquetée et trempée de sang, et pourtant, même éventré, condamné, il avait continué à lutter pour protéger les deux adolescents dont il avait la garde, pour leur permettre de fuir. Je ne savais pas s'ils avaient réussi, mais si c'était le cas, c'était à coup sûr grâce à lui.

Je ne pouvais pas m'empêcher de me sentir émue de penser à l'abnégation de cet inconnu qui, sans savoir à quoi il s'opposait et l'importance de son geste, avait choisi de leur consacrer ses dernières forces. J'espérais que ce n'était pas en vain. Ses yeux sans vie étaient restés vissés sur la rue, vers un point invisible qu'il tenait en joue, le visage crispé par une douleur éternelle.

Délicatement, je glissai ma main à l'intérieur de son col pour tirer hors des plis du tissu ses plaques d'identification, que j'examinai avec attention.

— Merci, Sergent Gordon, murmurai-je d'un ton emprunt de respect.

— Qu'est-ce que vous dites ? demanda Wolf en se retournant.

— Rien, je pensais à voix haute.

— Inspecteur ! D'autres militaires sont là !

— J'arrive ! fit le gendarme avant de redescendre.

Mustang, qui avait discuté et pris des notes à propos des témoignages, enjamba la flaque de sang pour me rejoindre. En me penchant par la fenêtre, je vis les silhouettes de Breda et Fuery qui passaient sous les rubans de sécurité comme nous l'avions fait un peu plus tôt.

— Il manque Havoc et Falman, commentai-je.

— Falman a un appartement plus à l'Ouest de la ville, il risque de mettre du temps à arriver. Havoc…

— Havoc doit être au Bigarré.

Mustang confirma d'un hochement de tête.

— Général, m'autorisez-vous à quitter la scène de crime pour aller le chercher ? Son aide pourrait nous être utile, et… il y a quelqu'un que je voudrais contacter.

La mine sombre, il hocha la tête, devinant sans doute à qui je faisais référence. Alphonse et Winry disparus, la moindre des choses était de prévenir Edward. Angie. À cette simple idée, j'avais une boule au ventre. Comment lui annoncer une nouvelle pareille ?

— Dites, Hawkeye…

— Oui ?

— Les chiens ont un bon sens de l'odorat, non ? Vous croyez que Black Hayatte pourrait nous aider à les retrouver ?

Je regardai Mustang qui me tournait le dos et sentis à travers sa question une détresse bien plus profonde que ce que son ton impassible laissait voir. Je secouai négativement la tête, à regret.

— Je l'ai un peu entraîné à pister, mais je ne pense pas que ça soit à sa portée… Surtout qu'il a plu et neigé toute la nuit, s'il y avait une odeur à suivre, elle a été lessivée depuis longtemps.

Il hocha la tête, ravalant sa déception, et je fis demi-tour, posant une main sur son épaule.

— Ça va aller, Général. Il faut croire en eux.

Il lâcha un soupir sec et se redressa.

— Oui… on n'a pas le choix.

Cela dit, il avait repris contenance, prêt à descendre l'escalier pour prendre en main nos subordonnés qui venaient d'arriver.


Une fine bruine s'était mise à tomber, donnant des airs fantomatiques aux rues déjà peu animées. À neuf heures un dimanche, il n'y avait pas grand monde dehors, et vu le temps sinistre, je pouvais le comprendre. Je courais dans la rue qui menait au Bigarré, Black Hayatte sur les talons, surchauffant dans mon manteau trop chaud pour le temps et l'effort.

Falman était arrivé alors que je m'apprêtais à partir et avait aussitôt mis le nez dans les notes qu'avaient pris les gendarmes sur les témoignages de ceux qui habitaient l'immeuble, alors que Mustang discutait avec l'inspecteur Wolf pour s'accorder sur ce qu'ils devaient laisser savoir à la presse. Breda, lui, avait rejoint Hayles au milieu de la boucherie saccagée et discutait avec elles des premières informations qu'elle avait tirées au fil de ses photographies.

Si j'avais pu courir sur les traces d'Alphonse et Winry, je l'aurais fait sans hésiter, mais pour l'instant, tout ce que nous savions, c'était qu'ils avaient disparu à l'angle d'une rue, poursuivi par leurs ennemis… ou du moins c'était ce qu'affirmait avoir vu un témoin imbibé comme une éponge. Wolf, n'avait pas retenu le témoignage peu crédible de personnes se relevant après s'être fait tirer dessus, mais pour Mustang et moi, l'information était on ne peut plus sérieuse.

C'était aussi plus rassurant que l'idée que le sang déversé sur le sol de la boutique puisse être celui des adolescents.

Je frappai vivement à la porte du Cabaret, sans obtenir de réponse, puis avisai une sonnette et l'actionnais vivement. Je restai sur le pas de la porte, essoufflée, les joues brûlantes, trépignant intérieurement en attendant que quelqu'un daigne me laisser entrer. Finalement, ce fut la silhouette familière de Neil qui m'ouvrit la porte.

— Oh… Que nous vaut l'honneur de votre présence ? demanda le barman avec une surprise teintée de déférence.

— Il faut que je parle à Havoc.

— Houla, je pense qu'il dort encore !

— C'est une urgence, annonçai-je.

— Entrez, je vais le chercher. Le chien peut entrer aussi, s'il s'essuie les pattes, fit-il avec un sourire en coin.

Je hochai la tête et passai la porte en me débarrassant de mon manteau, soulagée. Black Hayatte resta sur le pas de la porte, attendant de voir s'il avait le droit d'entrer. Je lui fis signe et lui tapotais le garrot pour le rassurer.

— Il faudrait aussi que je voie Angie, ajoutai-je.

— Elle est réveillée depuis un bout de temps. Elle doit être dans la bibliothèque ou dans sa chambre. Je vous laisse attendre ici le temps que j'aille les chercher.

Il avait parlé avec douceur et une certaine forme d'autorité, m'interdisant implicitement de fouiller par moi-même le Cabaret, et je me résolus à m'asseoir sur le premier fauteuil venu, en tâchant de contenir ma nervosité. Comment attendre dans un contexte pareil ? Black Hayatte, sentant mon inquiétude, posa sa tête sur mes genoux et leva vers moi ses yeux humides, attendant des caresses. Je m'exécutais et lui lançai un sourire. Sa présence me rassurait.

J'entendis le son d'une porte qu'on ouvrait et vis la tignasse bouclée de Lily Rose apparaître dans l'entrebâillement. En me reconnaissant, elle poussa plus franchement la porte, une théière fumante à la main, une tasse dans l'autre.

— Bonjour, je suis étonnée de vous voir ici de bon matin. Vous voulez du thé ?

— Je… Oui, je veux bien, lâchai-je après un instant d'hésitation.

Le détachement de la femme qui me faisait face était tellement en contradiction avec mon propre état que ça en était absurde, mais en vérité, je n'avais rien bu ni mangé depuis mon réveil et j'avais réalisé que j'avais la gorge sèche.

— C'est un thé au jasmin, simple, mais efficace, expliqua Lily-Rose. Maï n'est pas avec vous ?

Je restai figée, perdant quelques secondes à la regarder avec surprise au lieu de prendre la tasse qu'elle me tendait.

— Je suis désolée si je vous ai froissée, mais ça reste ma meilleure amie, elle me parlait de vous bien avant que je vous rencontre.

— Je n'ai pas très envie de parler de ça… pas que les choses se passent mal, corrigeai-je en me sentant rougir légèrement, mais ce n'est pas pour cette raison que je suis venue. En fait, à l'heure qu'il est elle est sur les lieux d'une scène de crime, en pleine enquête avec mon équipe.

Les mots résonnaient bizarrement dans le calme des lieux. Le soleil filtrait vaguement à travers les tentures rouges qui nous surplombaient, colorant toute la pièce, et il régnait un silence feutré qui n'avait rien à voir avec l'effervescence des soirées. Je n'avais jamais eu l'occasion de voir le Cabaret hors de l'ouverture, et si je n'avais pas été aussi soucieuse, j'aurais sans doute apprécié cette atmosphère paisible qui tranchait avec les raisons de ma venue.

La silhouette d'Aïna, grande perche aux yeux encore flous de sommeil, descendit l'escalier principal et nous salua.

— Bonjour. C'est ici le petit déjeuner ce matin ?

— Si tu veux, répondit simplement la couturière.

La nouvelle venue ne semblait ni surprise ni incommodée par ma présence, et après avoir fait un crochet dans la salle à manger pour en revenir avec un mug et un journal sous le bras et s'asseoir à nos côtés.

— Vous m'avez attendue pour le lire, j'espère ?

— Bien sûr, répondit Lily-Rose. On l'a laissé à a Angie en t'attendant.

Je tournai la tête en entendant des bruits de pas hâtifs, et vis arriver Havoc qui descendait l'escalier en boutonnant sa chemise, l'air inquiet, suivi de près par Roxane et Neil.

— Qu'est-ce qu'il se passe, Colonel ? J'imagine que ça doit être grave si vous êtes là ?

— Alphonse et Winry ont disparu.

Roxane plaqua une main sur sa bouche. Elle ne les avait vus qu'une fois, mais elle savait à quel point l'information était critique.

— Comment ça, ils ont disparu ?

— Ils se sont fait attaquer, les soldats qui les protégeaient ont été retrouvés morts aux portes de leur appartement. Ah… Je suis désolée de vous infliger ça au réveil, fis-je à l'intention des deux femmes assises face à moi.

— Ne vous inquiétez pas, ça ne nous dérrrange absolument pas, fit Aïna avec un geste de la main.

Je hochai la tête et regardai en direction de Neil. Le barman posa la main sur les hanches et secoua négativement la tête.

— Elle n'était pas dans sa chambre. Elle doit encore être au grenier, en train de fouiller des vieux journaux.

— Ou dans la bibliothèque.

— Ou dans la remise.

Ils se turent en voyant mon regard noir, et Roxane se contenta d'un sommaire :

— On va la chercher.

Roxane partit vers une porte, Lily-Rose se releva pour traverser la pièce dans l'autre sens et voir ailleurs, et Aïna posa sa tasse pour suivre Neil qui remontait les escaliers à pas hâtifs. Je me retrouvai avec Havoc qui tirait une tête de deux pieds de long, sa chemise boutonnée de travers.

— Ils ont été attaqués… par eux ?

Je hochai la tête.

— On a pas grand-chose en termes de témoignage, mais les dernières informations laissent un espoir qu'ils aient réussi à prendre la fuite. Ils étaient poursuivis, mais apparemment, l'un des soldats a tiré sur les ennemis depuis la fenêtre.

— … ça n'aura fait que les ralentir, n'est-ce pas ?

Je hochai la tête.

— Oui, en effet, mais ça aura peut-être suffi à faire la différence. En tout cas, je l'espère. Mais pour l'instant, on ne peut être sûr de rien.

— Comment on va lui annoncer une chose pareille ? Vous croyez qu'ils sont… ?

— Mustang pense qu'Alphonse leur est trop précieux pour ça, mais pour Winry, il n'est pas aussi confiant. Dans tous les cas, c'est une véritable catastrophe.

— Elle n'est pas dans la salle à manger, ni dans la bibliothèque, mon atelier, la cuisine ou les réserves, annonça Lily Rose en revenant dans la salle depuis la porte de la verrière.

— Je suis allée voir dans les coulisses, les remises et le grand salon, elle n'y est pas non plus.

— Elle doit être dans les étages, souffla Roxane. Le Cabaret est grand et elle va souvent au grenier.

La rousse avait beau dire ça d'un ton rassurant, je sentais qu'elle commençait à être gagnée par la même nervosité que moi. La dernière fois qu'Angie avait disparu, les conséquences avaient été tout sauf positives. J'espérais que cette pensée n'avait pas lieu d'être, mais quand je vis Aïna et Neil redescendre sans la petite blonde, mon angoisse monta d'un cran. D'ailleurs, le barman avait le front barré par une ride soucieuse.

— Elle n'était pas au grenier ni dans les salles du second ou les douches.

— Pas ici non plus.

— Je ne comprends pas, elle a pris son petit déjeuner avec nous, tout avait l'air normal pourtant…

— Non, il y a un problème, répondis-je d'une voix blanche. Il faut la retrouver.

— Je vais voir au sous-sol. Elle n'a aucune raison d'y être allée, mais sait-on jamais, fit Neil en repartant.

— Je retourne à l'étage réveiller les autres, annonça Aina qui avait perdu ses airs éthérés et semblait elle aussi inquiète.

Qui ne le serait pas ?

— Vous pensez qu'il s'est passé quelque chose ? s'inquiéta Lily-Rose.

— Oui, j'en ai peur, fit mon collègue.

— Mais vous avez arrêté la personne qui l'avait fait enlever, n'est-ce pas ?

— Oui, mais…

— Vous avez pris le repas avec elle ? demandai-je fébrilement, coupant Havoc. Elle a dit ou fait quelque chose d'inhabituel ?

— Pas vraiment… répondit Lily-Rose en levant les yeux, essayant de se remémorer. Elle avait une petite mine, mais ça fait un moment que c'est le cas. Depuis… enfin, vous savez, avec le Général Mustang… Bref, elle était tristounette, mais tâchait de ne pas le montrer. On a mangé ensemble en discutant de tout et de rien, et elle a feuilleté le journal en profitant du fait qu'Aïna n'était pas encore levée pour la lecture commune.

— Vous lisez le journal ensemble ? s'étonna Havoc.

— Oui, les faits divers et les actions irrésolues. C'est notre plaisir coupable avec Neil et Aïna. Enfin, elle n'a rien fait de particulier, elle a posé son bol dans l'évier et est remontée.

— Et vous ne l'avez pas revue après ?

La costumière secoua négativement la tête, réajustant son châle pour se couvrir les épaules. La chair de poule que j'avais devait être contagieuse.

Angie ne pouvait pas s'être évanouie comme ça. Pas maintenant, alors qu'Alphonse et Winry venaient de disparaître.

Pourtant, au fil de la discussion, j'avais entendu les bruits de pas et de cavalcades, les portes qui s'ouvraient et les voix qui criaient son nom en vain. Le Bigarré avait quitté l'indolence bienheureuse qu'il avait à mon arrivée, faisant monter un bouillonnement croissant de panique.

Tout le monde avait beau la chercher en tous sens, Angie était introuvable.