On est lundi, youpi ?
(Bon, je ne sais pas si on peut dire youpi vu le ton actuel de ma fic, mais chuut.)
J'aimerais bien faire les petites annonces habituelles avec plein de points d'exclamation et compagnie, mais pour être honnête, mon moral est plutôt en berne en ce moment donc je n'ai pas trop le cœur à ça. Rien de grave hein, pas de drame en tant que tel si ça peut vous rassurer, mais... je suis en plein black-out créatif. Ça faisait un moment que c'était devenu pas simple, et là j'arrive complètement à sec.
J'ai une grosse panne de motivation et j'empile les blocages, je n'arrive plus à dessiner, ni vraiment à écrire, d'ailleurs (ça m'apprendra à mettre le problèmes sous le tapis au lieu de les affronter en face). J'ai beau avoir mis au point pas mal de choses côté scénario et avoir envie de terminer la partie 6 lors du prochain NaNoWriMo, erhm... j'ai de gros doutes sur mes capacités à le faire. ^^° Du coup, je pense que je vais mettre en place ce que j'avais déjà évoqué, à savoir un passage de la publication de Bras de fer à un chapitre toutes les 4 semaines, pour éviter de cramer toute mon avance trop vite et pouvoir continuer à écrire sereinement en respectant mon rythme (très irrégulier).
J'imagine que ça sera un peu frustrant pour vous de devoir attendre la suite plus longtemps que prévu et j'espère que vous ne m'en voudrez pas... mais dans le contexte, je préfère éviter de me rendre malade en me mettant la pression pour écrire alors que c'est censé être un plaisir. Bref, je suis désolée si je casse un peu l'ambiance, on va dire qu'il fallait que ça sorte. Mais ne vous inquiétez pas pour moi, je suis bien entourée et je me dis que je vais bien finir par trouver des solutions (en tout cas j'y travaille).
Pour le reste, c'est un peu comme d'habitude : n'hésitez pas à aller découvrir les morceaux qui m'ont inspirés dans la playlist Youtube que je mets régulièrement à jour (le lien est dans mon profil) et sachez que je serai bien présente à Art to Play (Nantes) le weekend du 13 & 14 novembre. Comme toujours, je serai ravie de vous y croiser IRL.
Sur ce, je vous laisse découvrir le nouveau chapitre. Bonne lecture !
Chapitre 86 : Ce qui subsiste (Roy)
Après l'avoir ouverte d'une main tremblante, je poussai la porte du hall d'un coup d'épaule et avançai, pris par un sentiment de décalage incongru en voyant la rangée de boîtes aux lettres. Je m'appuyai sur ma béquille pour m'avancer sous l'arche blanche et relever mon courrier qui avait eu le temps de s'accumuler en deux semaines d'absence. J'entrevis deux journaux et quelques factures que je ramassai et calai sous mon bras en écharpe avant de refermer la porte.
— Je peux vous aider, Général ?
— Contentez-vous de vous occuper des dossiers, je peux encore monter un escalier seul, grommelai-je.
J'avais beau dire ça, entre ma cuisse gauche qui me lançait et mon bras droit encore en écharpe, gravir les trois étages qui me séparaient de mon appartement se profilait comme un défi qui suffisait à me pousser dans mes limites. Ces fichues blessures n'en finissaient pas de guérir… Les deux militaires qui m'accompagnaient, des cartons de paperasses dans les bras, me jetaient des coups d'œil oscillant entre l'inquiétude et la pitié, ce qui était le meilleur moyen pour entamer un peu plus mon humeur déjà en berne.
— Nous sommes vraiment désolés de vous solliciter alors que vous êtes encore en arrêt maladie.
— Ce n'est pas comme s'il y avait le choix, étant donné la situation… Tenez-moi ça le temps que je monte les marches, finis-je par lâcher, comprenant que ma béquille ne ferait que me compliquer la vie alors que je tentai d'agripper la rampe de mon bras valide.
— À vos ordres, Général.
Le silence retomba tandis que je me concentrais sur ma tâche la plus immédiate, tâchant de garder l'air aussi digne que possible durant mon ascension, bien qu'elle me fasse sentir toute l'ampleur de mon affaiblissement et la fragilité de plaies qui pourraient encore se rouvrir en cas d'excès. J'avais l'impression d'avoir pris quatre décennies en deux semaines et cette pensée n'avait rien de réjouissant.
L'idée que les militaires me voient aussi diminué non plus. Autant j'avais réussi à sauver les meubles lors de mes interrogatoires, même si l'aveu de ma stupidité était désagréable, autant depuis mon arrivée à l'hôpital, je me sentais vraiment pitoyable. Je savais bien que ma convalescence était un excellent prétexte pour me mettre au placard et que l'Armée ne comptait plus me confier de tâches de responsabilité après la terrible erreur que j'avais commise en ne reconnaissant pas Edward derrière le déguisement d'Angie. C'était une faute comparable à celle d'Erwing. Je n'avais pas oublié la manière dont sa relation avec Mary Fisher, la taupe du Front de l'Est et de Harfang, avait abrégé sa carrière en le poussant à une retraite anticipée. Je m'étais préparé à l'idée que j'allais devoir développer des trésors d'ingéniosité pour retrouver un tant soit peu de légitimité au sein de l'Armée… mais ça, c'était avant l'attaque de la prison centrale et la catastrophique évasion qui s'en était suivie.
L'attentat avait été revendiqué par les Snake & Panthers qui avaient contacté directement les médias, et vraiment, l'Armée n'avait pas besoin de ça en ce moment. La population de Central-City avait déjà été choquée par l'attaque du Bigarré qui avait touché directement des civils, mais ce coup en traître, s'il n'avait — pas encore — fait de victimes civiles, avait des conséquences autrement plus graves. Avoir réussi, avec aussi peu de moyens, à monter l'évasion la plus massive de l'histoire du pays, vidant toutes les cellules de la prison principale, c'était à la fois un coup de maître de leur part, un coup dur pour la crédibilité de l'armée et un moyen de terrifier les populations.
Et ça marchait. L'armée avait beau avoir été sur place rapidement et avoir cueilli une grande partie des évadés, face à un événement d'une telle ampleur, beaucoup étaient passés entre les mailles du filet, perturbant le quotidien. Commerces fermés, vie nocturne en berne… je n'avais pas les détails chiffrés, mais l'impact économique était déjà présent et un climat de peur pesait sur la ville. Je ne pouvais même pas leur donner tort… Évidemment, ceux qui leur avaient échappés étaient les plus habiles, les plus dangereux. Parmi eux, deux inquiétaient particulièrement la tête de l'État : d'un côté, Kobor, anciennement le chef charismatique d'un groupe révolutionnaire du sud qui menaçait de renaître de ses cendres, de l'autre, Kimblee, dont l'intelligence n'avait d'égal que son amour pour le chaos et les explosions. À titre personnel, c'était sans doute lui que je me méfiais le plus.
Mais cette évasion n'avait pas eu que des désavantages : avec tous ces criminels dans les rues, la situation était tellement chaotique que mes supérieurs avaient renoncé à me punir pour mes échecs. Lewis m'avait contacté depuis l'hôpital pour savoir si je pouvais prêter main-forte pour les recherches. En effet, je connaissais un certain nombre d'entre eux pour avoir contribué à les envoyer en prison et il était logique de compter sur moi pour prédire leurs prochains mouvements. L'équipe médicale était réticente à l'idée de me voir reprendre le travail alors que je peinais toujours à m'alimenter, mais j'avais accueilli cette tâche à bras ouverts dans l'espoir que cette occupation m'aide à échapper à la culpabilité et la rancœur qui me rongeaient dès que je repensais au mensonge d'Angie.
Face à la situation et à ma soudaine volonté, le compromis avait été trouvé en me faisant travailler à domicile, avec des horaires allégés et un suivi médical plusieurs fois par semaine. Au fil de mes échanges réguliers avec le docteur Houston, elle m'avait fait avouer malgré moi mon goût pour la cuisine et y avait vu une opportunité de renouer un meilleur rapport avec mon alimentation, ce qui l'avait aussi fait pencher en faveur de mon départ de l'hôpital.
J'étais content d'en sortir — aussi content que pouvait l'être une personne ayant l'impression d'être morte — mais quand je voyais comme je devais batailler pour monter trois étages, je commençais à me demander si j'allais seulement être capable d'atteindre les objectifs que je m'étais fixés.
Cette idée me faisait à peu près le même effet que du sel sur une plaie ouverte, et je serrai les dents avec une énergie renouvelée.
Puisque mes sentiments n'avaient aucun sens, puisque tout ce qu'il me restait, c'était une colère sourde et cet objectif datant de la guerre d'Ishbal qui ne m'avait jamais quitté, j'allais me battre.
Faire tomber Bradley et ses alliés avec lui, à n'importe quel prix.
Pour cela, il ne fallait pas que je me laisse enterrer.
Je devais leur devenir indispensable, jusqu'au jour où je pourrai les frapper dans le dos.
La rage froide que j'y associais depuis si longtemps me donna le coup de fouet qui me manquait pour gravir les dernières marches et d'atteindre la porte de mon appartement, que je déverrouillai avec un sentiment de flottement. Je n'y avais pas mis les pieds depuis deux semaines seulement, mais après tout ce qui s'était passé, j'avais l'impression que c'était une autre vie.
Je poussai la porte et avançai en boitant, laissant mon regard parcourir cette pièce étrangère tandis que les militaires qui m'accompagnaient entraient à leur tour.
— On vous dépose ça où, Général ?
— Sur la table basse, répondis-je en la désignant d'un mouvement de tête avant de replonger dans l'observation attentive de mon salon.
— J'imagine que ça doit vous faire du bien de revenir chez vous après tout ce qui s'est passé.
— Mh, oui, fis-je d'un ton absent.
— Est-ce que l'on peut faire quelque chose pour vous aider ?
— Je vais me débrouiller seul à partir de maintenant.
— Vous êtes sûr ? Le Lieutenant Falman ne pourra pas être présent avant demain matin et le Général Lewis nous a dit de rester à votre disposition autant que nécessaire. Donc, si vous avez besoin que l'on fasse quoi que ce soit pour vous, une course, par exemple…
Son regard était tombé sur la béquille qui me soutenait plus que je l'aurais voulu et je me sentis d'autant plus agacé qu'il n'avait pas forcément tort. Certes, il me restait des choses en cuisine, mais après quinze jours d'absence imprévue, je pouvais d'ores et déjà en jeter une bonne partie… et si j'étais honnête avec moi-même, je doutais d'avoir le courage de cuisiner quoi que ce soit aujourd'hui.
— Au 54, rue des lys, il y a une échoppe qui fait des tourtes excellentes. S'il n'a pas fermé boutique avec l'évasion, prenez-m'en une au bœuf.
— Bien Général.
— Rompez.
Les deux militaires me saluèrent avec un sursaut et repartirent prestement, me laissant sentir que je n'avais pas perdu trop d'autorité, auprès d'eux, au moins. J'attendis que la porte claque derrière eux pour lâcher un profond soupir.
Enfin chez moi. Enfin seul. Je pris quelques secondes pour m'autoriser à me relâcher, à ne plus masquer la douleur et la lassitude, puis je me dirigeai vers ma cuisine en boitant pour me servir un verre d'eau que je bus à petites gorgées malgré ma soif. Je m'étais amélioré depuis mon arrivée à l'hôpital, mais avaler quoi que ce soit continuait à être laborieux.
J'allais devoir trier le contenu de mes placards, séparer ce qui était sauvable de ce qui risquait de m'empoisonner et penser les repas au mieux pour perdre le moins possible, mais je n'étais même pas sûr d'avoir envie de manger le moment venu. Même si j'avais progressé, j'étais encore loin d'avoir retrouvé une alimentation et un poids normaux.
J'ouvris le frigo pour jeter à la poubelle ce qui devait l'être, grimaçant en retrouvant des feuilles d'épinard tellement vieilles qu'elles s'étaient liquéfiées et un fromage qui avait développé une nouvelle forme de vie. Je m'occupai de jeter le tout et nettoyer le frigo malgré la nausée, puis ouvris un placard pour continuer mon inspection.
— Fait chier… quel gâchis, soupirai-je machinalement.
Les produits secs semblant être restés consommables, je décidai de retourner au salon pour m'asseoir et me mettre au travail en attendant le retour des militaires qui m'annonceraient sans doute que le tourtier était fermé. Je me laissai tomber dans le fauteuil, face à la table basse encombrée de cartons de dossiers et me tournai pour poser ma béquille contre l'étagère qui couvrait le mur. Elle retomba et je dus me pencher dans un grognement endolori pour la remettre en place, m'appuyant sur le meuble au passage. Je soufflais, pestant intérieurement d'être en si piteux état, quand un détail attira mon attention.
La poussière.
Ou plutôt, l'absence de poussière. Je me penchai de nouveau pour passer le doigt sur l'une des tablettes de bois, constant qu'elle était à peine grisée. Je plissai les yeux en frottant machinalement mon index contre mon pouce, puis tournai la tête vers le reste de la pièce, envahi par un mélange de malaise et de rage froide.
Je connaissais assez mon appartement pour savoir qu'après deux semaines d'absence, je pouvais m'attendre à retrouver une couche de poussière bien plus conséquente… mais ce n'était pas le cas, sur ce meuble du moins.
Quelqu'un était venu chez moi en mon absence.
Vu le contexte, je doutais qu'ils se soient contentés de passer un coup de chiffon sur mes étagères. S'il s'agissait de simples voleurs, ils se seraient contentés de saccager les lieux et de vider les meubles de tout ce qui pouvait avoir une valeur…
Je me renfonçais dans mon fauteuil et jetai un coup d'œil au tableau de ma mère, comme si cette toile peinte avait pu raconter ce dont elle avait été témoin. Ce n'était pas le cas, j'allais donc devoir me contenter de mes capacités d'observation et de déduction, même si l'expérience m'avait montré qu'elles passaient parfois à côté de l'essentiel.
Je n'ai pas demandé à ce qu'on fasse le ménage chez moi, et pour le reste, tout est en ordre… Les personnes qui sont venues ne voulaient pas que je remarque quoi que ce soit. Mais s'ils ont pris la peine de dépoussiérer une étagère, c'est qu'ils ont dû salir les lieux d'une manière ou d'une autre… en ayant percé des trous, par exemple.
Je fermai les yeux en comprenant et laissai un sourire amer barrer mon visage.
Ils m'ont mis sous écoute, les salopards.
Cela aurait dû être une hypothèse, mais c'était en réalité une évidence. Cela expliquait pourquoi ils ne m'avaient pas mis au placard, et cela confirmait l'évidence : ils ne me faisaient pas confiance. Je pouvais le comprendre, si j'avais été à leur place, je me serai considéré comme un suspect de par ma relation avec… qui qu'elle soit. Rien de plus naturel que de vouloir en savoir plus sur mes opinions réelles, sans compter l'hypothèse qu'elle, il, me recontacte. Je serrai les dents à cette idée. Cela aurait été un choix désastreux et je ne savais pas si j'aurais supporté d'entendre de nouveau sa voix après tout ce qui s'était passé.
Ils m'ont mis sous écoute, mais comment? me demandai-je pour couper court au tournant dangereux qu'avait pris mes pensées. Dans quelles pièces, à quels endroits?
J'aurais sûrement été tenté de fouiller les lieux pour identifier les points d'écoute si j'avais été seulement capable de me lever, mais en réalité, la meilleure stratégie était encore de faire mine de ne rien avoir remarqué. Après tout, je m'étais montré assez stupide ces derniers temps pour que ce soit crédible.
Allez, au boulot.
Je me penchai en avant pour tirer de la boîte d'archive un dossier sur l'un des évadés et le feuilletai en tâchant de me remémorer l'affaire sur laquelle j'avais travaillé, prenant quelques notes au passage, le bras posé sur mon accoudoir faute d'être encore bien guéri. Elles étaient à la limite de la lisibilité, mais il faudrait s'en contenter. Je savais que le résultat de ma main gauche serait pire encore.
J'avais à peine commencé quand on sonna à ma porte et je vis revenir les militaires qui m'apportaient victorieusement à manger. Ils insistèrent encore pour savoir s'ils pouvaient faire quelque chose pour moi et je les rembarrai poliment en annonçant qu'il fallait surtout que je me concentre sur mon travail. Il fallut que je leur dise que je les appellerai en cas de besoin, que j'informerai le QG au fil de mes comptes-rendus et que je leur répète que j'avais tout ce qu'il me fallait pour la journée pour qu'ils quittent mon salon pour monter la garde. Je ne savais pas trop si c'était parce qu'ils avaient reçu des ordres ou si c'était parce qu'ils s'inquiétaient sincèrement de ma santé et de ma capacité à me défendre, mais leur insistance m'avait limé les nerfs. Je fermai la porte derrière eux d'un geste d'autant plus rageur que je savais n'être pas tout à fait seul, pas tout à fait libre de me laisser aller à être moi-même.
À défaut de mieux, j'avais tout de même en main une tourte encore chaude dont le fumet parvenait à m'ouvrir l'appétit. Je retournai m'asseoir à mon fauteuil en claudiquant, puis me remis au travail en mangeant.
Le QG avait défini des dossiers à traiter en priorité, les évadés ayant été évalués selon leur seuil de dangerosité pour la population et l'état lui-même, et mon travail était de réévaluer la justesse de leurs pronostics sur les cas où j'avais moi-même enquêté et de les informer de toutes les informations supplémentaires qui permettraient de les retrouver plus facilement. Cela pouvait aussi bien être un mode opératoire, des relations privilégiées, des lieux importants pour eux ou encore des traits de caractère. Tout était bon à prendre pour mieux prédire leurs actions et puisque j'étais bien incapable de leur courir après, je pouvais au moins aider de cette manière à ramener le calme dans la capitale où soufflait un vent de panique.
Un dossier de prisonnier sur les genoux, je mordis dans la tourte et mâchai lentement, sentant que manger était aussi laborieux que penser. Pourtant, l'un et l'autre étaient vitaux. Je préférais encore peiner et lutter que retomber dans l'inertie désespérée que j'avais vécue à l'hôpital. Avoir quelque chose sur lequel projeter des efforts était rassurant et je savais déjà que j'allais me consacrer corps et âme à mon travail, parce que je ne pouvais rien faire d'autre et parce qu'au milieu des débris de ma vie, protéger la population en conseillant les équipes pour arrêter au plus vite des criminels en liberté était une des rares choses qui avaient encore du sens.
Quand j'avais entendu qu'une attaque avait eu lieu depuis l'hôpital, cette annonce m'avait fait l'effet d'un électrochoc et j'avais rassemblé le peu de forces que j'avais à disposition pour me traîner au téléphone le plus proche et appeler Gracia, lui dire de se calfeutrer chez elle avec Elysia et ne pas sortir. J'avais travaillé sur plusieurs affaires, certes, mais Hugues était à Central depuis bien plus longtemps et avec son travail au département des enquêtes, il pouvait se vanter d'avoir largement rempli la prison de Central. Il suffisait d'un fondu en quête de vengeance parmi eux pour que Gracia et sa fille soient en danger de mort.
Si je n'avais pas été diminué et boiteux, j'aurais foncé à leur domicile pour veiller sur elles moi-même toute la nuit, mais je n'en étais pas capable… alors, à défaut, j'avais contacté l'un des bureaux de l'Armée pour demander à ce qu'elles soient mises sous escorte à partir du lendemain, bataillant pour obtenir gain de cause. Je n'avais pas eu de réponse positive tout de suite, mais j'avais appris après coup qu'ils avaient donné suite à ma demande, me soulageant terriblement.
Ce n'est qu'après coup que je m'étais rendu compte que cette catastrophe était parvenue à me sortir de ma léthargie, à me ramener dans le monde réel. J'avais ensuite concentré toute mon attention sur cet événement et ses conséquences, comme on fixe le sentier quand on marche à deux pas d'un précipice, et je comptais continuer aujourd'hui et les jours suivants… aussi longtemps qu'il le faudra.
Même si mon esprit vagabondait, incapable de ne pas penser au fait que j'étais sans doute sous écoute, et que la fatigue éteignait un peu mes capacités mentales, je parvins à terminer ma tourte avant qu'elle soit complètement froide et à avancer dans mon travail. Je passai un premier appel pour partager les découvertes que j'avais pu faire sur nos évadés avant de continuer mes recherches, puis de les balancer pour revenir au dossier de Kimblee, que je relus de bout en bout avant de fixer le mur face à moi, plongé dans les souvenirs d'Ishbal.
Je n'avais pas besoin de lire son dossier et la longue liste de ses victimes pour savoir que c'était un psychopathe de la pire espèce. Je l'avais vu en action, il avait œuvré à mes côtés à l'extermination pure et simple d'Ishbal, plusieurs années auparavant.
Sauf que la différence, c'est que là où la culpabilité face à l'horreur de mes actions avait failli me tuer, tout ce que Kimblee avait éprouvé, c'était le regret de ne plus être autorisé à continuer son génocide. Faute d'ennemis, il s'était rabattu sur ses alliés. Il avait été incarcéré, condamné à mort plusieurs fois, mais en avait réchappé à chaque fois on ne sait comment. Connaissant les condamnations parfois expéditives de l'armée je soupçonnais fortement Bradley et Dante de vouloir garder dans leur manche l'atout que représentait pour eux cet agent du chaos.
Définitivement pas un atout pour moi… pensai-je en me servant à boire, fronçant les sourcils et regardant le mur sans le voir. Le connaissant, la seule raison pour laquelle il ne s'est pas contenté d'exploser tout ce qui se trouvait sur son passage à sa sortie, c'est parce qu'il a la perspective d'avoir une capacité de nuisance encore plus élevée s'il attend. Mais où? Quand?
Sa disparition, son silence, ce n'était rien de moins que le calme avant la tempête. Et connaissant le personnage, la tempête risquait de faire de sacrés dégâts.
Comment l'arrêter ? Je ne savais rien de ses plans, il pouvait être parti n'importe où dans le pays… L'armée avait beau fouiller de toutes parts, les soldats étaient débordés et tout le monde nous filait entre les doigts.
Si seulement, on avait des informations sur la direction dans laquelle il est parti… Pour savoir dans quel coin il a prévu de faire tout exploser.
Liore était en pleine guerre civile, et Lacosta au bord de l'explosion… deux lieux de tension ou il pourrait s'en donner à cœur joie… mais il pourrait tout aussi bien choisir d'autres cibles. La seule chose que je savais, le connaissant, c'est qu'il voudrait provoquer le chaos, et surtout, viser grand. Après tout, lui-même se définissait comme un esthète de l'explosion, un artisan du chaos… Quoi qu'il fasse, il chercherait quelque chose de fastueux, mémorable…
Quelque part, je pouvais le comprendre.
Si on résume. On ne sait pas où il est ni quels sont ses plans… à part faire exploser des choses, ce qui est plutôt vague. Avec sa technique d'Alchimie et sa manie de transformer les gens en bombes, il n'a pas spécialement besoin de matériel, donc on n'a pas de raison de s'attendre à ce qu'il cherche à accumuler de l'équipement. Une attaque d'usine ou d'entrepôt d'armement est sans doute peu probable. Bon, d'autres évadés risquent d'avoir cette idée, mais je pense que des soldats bien entraînés sont en capacité de repousser une attaque de ce genre, surtout avec des ennemis sous-équipés.
Pour arrêter Kimblee, la difficulté est avant tout de savoir où il compte frapper. Et ça… En l'absence d'indice, on en arrive à une question d'instinct.
Je laissai ma tête basculer en arrière et fermai les yeux pour me remémorer les jours passés avec cet homme. Ce n'était pas des choses dont j'aimais me souvenir, mais les moments étaient encore bien vivaces. La peur qu'il inspirait à tous, et cette espèce de complicité à sens unique dont il m'avait gratifié.
Parce que j'étais aussi un Alchimiste d'État. Parce que moi aussi, mon travail était de tout exploser sur mon passage. La technique différait, mais là où il montrait un mépris marqué pour à peu près tous ceux qui l'entouraient, j'étais une des rares personnes qu'il traitait comme un égal.
Il me respectait pour ma prétendue intelligence, et surtout pour mon efficacité durant le génocide.
Et même… il me parlait.
Un souvenir précis me revint. Après l'application du décret n° 3066, alors que j'étais je m'étais effondré contre un mur en ruines, à tenter de prendre la mesure de l'horreur que je venais de commettre, il s'était assis à côté de moi en roulant une cigarette avec un des sourires prédateurs dont il avait le secret.
— J'ai vu le quartier Est. Enfin, ce qu'il en reste.
— Hm.
— Beau travail, Flame Alchemist.
Je tournai la tête vers lui, les yeux vides, trop épuisé et dévasté pour répondre.
— Tu as un vrai talent pour détruire, et un petit truc en plus, une signature comme je les aime.
Il tira une bouffée et me tendit son sachet de tabac que je refusai d'un léger signe de tête.
— Un vrai artiste. C'est un plaisir de travailler à tes côtés.
Je ne pouvais pas en dire autant, alors je gardais le silence. J'avais envie qu'il meure et envie de mourir aussi, parce que même si, contrairement à lui, je n'y prenais aucun plaisir, en pratique, j'avais fait exactement la même chose et j'étais tout aussi impardonnable.
— Il n'y a plus rien à détruire ici… je me demande où ils vont nous envoyer après.
— La guerre est terminée, Kimblee, murmurai-je d'un ton las.
— Les conflits ne sont jamais terminés, Mustang. Et quand bien même… il suffit d'une étincelle pour démarrer un nouveau feu. Psh…
Il mima une explosion avec une expression de profonde satisfaction qui ne m'arracha pas le sourire espéré. Un silence. Au loin, le cri des manœuvres, des soldats qui pliaient le camp en laissant derrière eux une terre anéantie.
— Ça ne te dirait pas de faire équipe ? Avec ces superbes joujoux que l'Armée nous a donnés, nous serions inarrêtables.
Il faisait jouer la pierre rouge entre ses doigts, baissant des yeux presque attendris sur ce sacrifice humain qui en permettait d'autres, plus grands encore.
— Ça ne me dit rien, non, répondis-je avec une pointe de lassitude.
— Oh, vraiment ? fit-il d'un ton déçu. Ne me dis pas qu'il n'y a rien ni personne que tu n'as envie de détruire ?
L'image de Bradley et du QG de Central me vint à l'esprit, dangereusement tentante. En vérité, l'idée, si terrible qu'elle soit, était séduisante. Détruire cet état qui nous obligeait à tuer, le réduire en cendres… J'en rêvais chaque nuit.
— Bien sûr que si, murmurai-je.
— Alors, allons-y, fit Kimblee en me tendant la main. Je suis prêt à m'adapter, tes ennemis sont les miens ! Montrons-leur que rien n'est jamais acquis et que leur existence n'est pas moins fragile que les autres.
Il était beau parleur, et au milieu des ruines et de la rancœur qui m'habitait, j'avais presque envie d'accepter… mais je connaissais assez Kimblee pour savoir qu'il ne s'arrêterait jamais là. S'il renversait le pouvoir, ça ne serait pas pour construire quelque chose de nouveau à la place, au contraire. Je l'avais vu à l'œuvre, je le connaissais… il aimait le chaos, le sang et la mort, il vivait pour détruire. Je savais que sans l'Armée, il ne serait rien d'autre qu'un feu de forêt qui se propage sans fin, détruisant tout sur son passage. Si je lui ouvrais la voie, je le regretterais éternellement.
Et puis… Mila ne me pardonnerait jamais une chose pareille.
Je levai les yeux au ciel en repensant à la dernière fois que nous nous étions vus, à cette dispute qui me hantait, en me demandant si j'allais être capable de la regarder dans les yeux après ce que j'avais fait sur le front et ce que nous nous étions dit. Si elle, elle en serait capable.
— Je ne peux pas faire ça, Kimblee.
— Pfff, tant de potentiel gâché… Dommage que tu sois un tel sentimental !
Le téléphone sonna, me faisant bondir hors de mon souvenir dans un sursaut, me tirant hors de cette autre époque.
Je grimaçai en étendant le bras pour décrocher le combiné, mais parvins à l'atteindre sans me lever du fauteuil où j'avais élu domicile.
— Allô ?
— Allô ma poule ? Enfin, j'arrive à t'avoir, je commençais à sérieusement m'inquiéter !
Reconnaissable entre toutes, la voix de Hugues avait résonné dans le combiné, vibrant de soulagement et me donnant l'impression qu'une boule de chaleur venait d'exploser au milieu de mes pensées glacées.
Sur le coup, j'avais juste envie de lui répondre sur le même ton, de lui confier tout ce qui s'était passé, d'aller chercher un peu de réconfort à défaut d'un véritable pardon… mais j'étais sous écoute.
Alors je pris sur moi pour enterrer toutes ces émotions, toutes ces questions, avant de répondre.
— Plaît-il ? fis-je d'un ton emprunté et distant.
Il y eut un long silence, je le sentis décontenancé à l'autre bout du fil. Oui, il avait de quoi se poser des questions, même si je n'étais pas aussi expansif que lui, cette réponse ne me ressemblait pas. Je ne doutais pas qu'il avait compris qu'il y avait un problème. Et puisqu'il y avait un problème… il allait utiliser le code.
— Sam n'est pas là ?
— Comment avez-vous eu mon numéro ? demandai-je sèchement.
Hugues et moi avions un plan pour les situations de ce genre, même si nous ne pensions pas avoir à nous en servir un jour. Jouer la comédie d'un faux numéro était encore le meilleur moyen de ne pas attirer l'attention et de nous garder en sécurité, l'un et l'autre. Comme je savais ce qu'il nous restait à faire, j'attrapai aussitôt mon stylo.
Il y eut un silence pesant, qui aurait pu être un signe d'embarras, mais dont je connaissais la véritable cause. De l'autre côté, il devait être en train de peser ses mots en sachant qu'un silence trop long deviendrait suspect.
— … Je… Attendez, ce n'est pas chez Samantha ? tenta-t-il en prenant un ton plus déconfit que nature.
J'avais noté sa phrase mot pour mot et répondis tout en terminant d'écrire le prénom.
— Non, aucune Samantha ici. Vous avez dû faire erreur.
— Je vais réessayer, je suis désolé de vous avoir dérangé, répondit-il en bafouillant un peu.
— Vous feriez mieux d'attendre qu'elle vous recontacte, je n'aimerais pas être dérangé de nouveau en cas d'erreur. Et puis, une journée fait parfois toute la différence, ajoutai-je en laissant peser un peu plus cette dernière phrase.
Je faisais de mon mieux pour avoir le ton poli de celui qui relevait l'erreur d'un inconnu, et lui n'avait qu'à prétendre être idiot et embarrassé. Je savais qu'il n'était pas idiot, mais il savait parfaitement faire semblant.
— Oh, je vois. Désolé pour le dérangement, je suis confus.
— Je comprends, l'erreur est humaine.
— Je ne vous dérange pas plus longtemps alors.
— Merci.
— Je suis vraiment désolé. Bonne soirée à vous.
— De même, répondis-je d'un ton plein de retenue.
Il raccrocha, et je restais silencieux quelques secondes avant de reposer le combiné d'une main tremblante, luttant contre une envie de hurler de frustration. J'avais besoin de parler et j'avais moi-même coupé la conversation, j'avais sabré notre échange alors qu'il était inquiet et que j'étais le premier à avoir besoin d'entendre sa voix. J'enrageais de n'avoir pas eu d'autre choix.
Heureusement, il me restait ce papier où j'avais écrit quelques mots et qui se froissa sous mes doigts tandis que je me crispais, retenant mes larmes.
. Je. Attendez, ce n'est pas chez Samantha?
Nous avions un code. Chaque mot était un chiffre et cette simple phrase devait me permettre de le recontacter moi-même. Il m'avait transcrit son numéro et dans vingt-quatre heures, en appelant d'une ligne moins risquée, je pourrai entendre de nouveau sa voix. Je pourrai l'appeler et cette fois, je lui parlerai non pas comme à un inconnu, mais en tant qu'ami.
Il fallait juste que je tienne jusque-là.
Le souvenir d'un sourire.
Des ombres.
Je me redressai, m'extirpant du fauteuil dans lequel je m'étais endormi, empâté dans un demi-sommeil qui amortissait tous mes gestes, et mes yeux tombèrent sur la petite silhouette blonde assise dans le canapé en face de moi.
Edward.
Il était flou, vibrant dans une superposition d'images tremblantes. Edward. Angie. Edward plus jeune. Angie blessée. Un homme adulte. Un enfant mutilé, l'épaule ensanglantée, la jambe amputée. Une belle femme aux cheveux détachés. Ces images se succédaient comme autant de personnes différentes, et au milieu de tout ça, seul restait son regard doré qui me traversait de part en part.
— Vous aviez dit que vous m'aideriez.
Je serrai les dents, pris par la colère en sentant le reproche dans sa voix.
— Je croyais que vous me protégiez, que vous me protégeriez encore.
— Tu te fous de moi ? lâchai-je sèchement.
Ce n'était pas ce que je voulais dire. Ce n'était pas ce à quoi je voulais penser.
— Pourquoi vous ne m'avez pas reconnu ?
— Tu ne voulais pas que je te reconnaisse ! m'exclamai-je. Tu me l'as caché, et à cause de ça…
Je voyais se mêler la femme que j'avais désirée à l'enfant qu'il était lors de notre première rencontre et je me sentis écoeuré par cette superposition. J'avais envie de le frapper, envie de mourir, aussi.
— Vous auriez dû me reconnaître, même si je ne voulais pas ! Vous auriez dû savoir qui j'étais ! Qui je suis…
— Ne rejette pas la faute sur moi, petit con ! criai-je. J'ai fait tout ce que je pouvais ! Et je n'ai pas choisi, je n'ai pas voulu ce qui est arrivé ! Tout ça, c'est de ta faute ! Ne t'avise pas de venir me faire la morale alors que tu es encore plus impardonnable que moi ! C'est toi qui m'as menti !
Edward s'apprêtait à parler, mais s'était figé à ces mots qui le secouait autant que des coups, sans que cela parvienne à m'empêcher de parler. Sa silhouette tout entière semblait de plus en plus terne et inconsistante, à chaque mot que j'assénais. Je voyais dans son regard blessé que je lui faisais du mal et me sentis horrifié d'y trouver malgré moi un plaisir obscène.
— Tu m'as berné et tu espères encore mon aide ? Sérieusement ? Tu crois que je vais te pardonner aussi facilement de m'avoir trahi comme ça ?
— Roy… fit-il d'un ton suppliant.
En entendant sa voix qui sonnait comme un appel au secours, je me rendis compte que de la personne insaisissable qui se trouvait en face de moi, il ne restait plus que le regard. Le reste de son corps s'était dissout dans l'obscurité. J'aurais dû m'en inquiéter, mais j'avais dépassé le stade de toutes les émotions que j'avais connues dans ma vie, et, pétri de douleur et de rage, je ne voulais plus qu'une chose : lui renvoyer toute la souffrance que j'avais subie par sa faute.
— Je te hais, Edward.
Le coup de grâce. Ses yeux se fermèrent sur des larmes retenues, et sa présence s'évanouit, me laissant seul dans ma haine et la gravité de mes actes.
J'avais l'impression de l'avoir assassiné, et cette pensée me réveilla en sursaut.
Je restai pétrifié dans l'obscurité, le cœur battant à tout rompre après cet énorme spasme, puis, après avoir réussi à respirer de nouveau, me redressai sans attendre que ma tête cesse de tourner. Je savais que c'était un rêve, je l'aurais su dès le premier instant si j'avais pris le temps d'y réfléchir, mais j'étais encore noyé par l'émotion d'avoir revu cette personne à laquelle je ne pouvais plus penser sans ressentir une profonde panique.
Restant immobile quelques secondes, je repris péniblement ma respiration, tâchant de mettre au clair mes pensées.
J'avais rêvé d'Edward. J'avais rêvé de lui, et tout ce que j'avais su faire, c'était lui balancer des remarques assassines malgré ce déchirant appel au secours dans ces yeux. Je savais que ce n'était qu'un rêve, pas la réalité, que cette discussion n'avait pas réellement eu lieu, mais en posant la main devant ma bouche, j'avais l'impression de me retenir de vomir une haine tellement dense qu'elle était devenue matérielle.
Je sentais bien ce qui se passait. J'avais aimé Angie à la folie, et comme je ne pouvais plus supporter cette idée maintenant que je connaissais la vérité, j'étais en train de transmuter cet amour en haine, inexorablement, comme par instinct de survie. Sachant l'intensité de ces sentiments et ce dont j'étais capable quand j'étais dépassé par la colère, je commençais à avoir peur des dégâts que je pourrai faire si je me laissais glisser sur la pente de la vengeance. Cette pensée me terrifia.
— Fait chier… murmurai-je. Je suis en train de mal tourner.
Je m'assis sur le bord du lit, terrassé par l'épuisement et la brutalité de mon réveil, puis passai une main sur mon visage et m'appuyai sur mon bras valide, le coude calé sur le genou. Même si mon bras droit guérissait et que je pouvais le bouger sans danger, il me lançait encore trop pour que je m'en serve normalement.
Le regard d'Edward, d'Angie, me hantait et je sentais dans chacun de mes muscles la douleur d'un repos insuffisant. Au fur et à mesure que je reprenais pied avec la réalité, ma rage viscérale s'adoucissait peu à peu, laissant place à un désespoir profond qui, paradoxalement, me rassura. Je me souvenais de la colère que j'avais éprouvée après notre premier baiser, quand je n'avais pas compris pourquoi elle chauffait le chaud et le froid, je me rappelais la violence dont j'avais fait preuve quand j'étais tombé sur un des ambassadeurs de Harfang. J'avais encore la perception du corps de l'homme dont la peau se disloquait sous mes gestes rageurs, et ce souvenir fit remonter un nouveau spasme.
J'avais oublié à quel point la frontière qui me séparait d'un monstre était ténue. En vérité, après tous ces événements je n'étais pas sûr que cette frontière existe encore.
J'allais devoir me surveiller. Garder le contrôle.
Garder le contrôle.
J'étais encore épuisé, perclus de douleurs, mais je savais que je ne me rendormirais pas de sitôt avec ce que j'avais en tête. À tâtons, je retrouvai l'interrupteur de ma lampe de chevet et l'allumai. Le réveil m'annonça qu'il était à peine plus de six heures du matin. Je poussai un soupir.
Ça aurait pu être pire.
Ça aurait pu être bien mieux, et j'étais loin des neuf heures de sommeil qu'il m'aurait fallu pour bien me rétablir, mais je pouvais faire avec. Je devais faire avec pour pouvoir agir, retrouver le pouvoir sur quelque chose.
Je ne voulais pas retourner à l'hôpital.
Après un coup d'œil à ma table de chevet, avec sa lampe, son réveil, le verre d'eau et la boîte de somnifères qui ressemblait furieusement à un ticket pour l'oubli éternel, je me relevai en boitant pour me préparer, espérant que mon malaise s'estompe après une douche et que je sois en état de travailler. Une longue journée m'attendait, dans quelques heures, Falman allait venir en renfort pour m'aider sur l'enquête.
Au moins un domaine où je pourrai me rendre utile…
Une douche plus tard, je préparai mon café d'un œil vide, repensant à cette image d'Edward s'évanouissant dans le néant. Je revoyais sa détresse, le dédale ses identités passées et futures, tout ceux qu'il avait été et aurait pu être…
Je ne savais plus qui il était… peut-être que lui non plus.
Le silence de la pièce laissa toute la place au mélange de rage et d'amertume qui accompagnait désormais le souvenir d'Angie, d'Edward. La dernière fois que je l'avais vu, c'était une silhouette couverte de sang, pétrie d'angoisse, qui avait fui avant même que je sois en état de lui poser la moindre question.
Il avait disparu, encore, et je n'avais aucune idée de quand je pourrai le revoir. Jamais, peut-être. En pensant que l'Armée et les Homonculus étaient à ses trousses, l'incertitude totale de ce qu'il était devenu me trouait le ventre. Je pouvais refuser d'y penser, refuser de me dire que c'était moi aussi qu'il avait fui ce soir-là, je pouvais le haïr et le maudire, me dire qu'il pouvait bien crever après avoir fait ce qu'il m'avait fait, la peur était toujours là, d'autant plus présente que je savais qu'elle reposait sur des dangers on ne peut plus réels.
Cette peur impossible à extraire, c'était peut-être le signe que malgré tout, mes sentiments pour « elle » n'étaient pas réellement morts.
En pensant à tout cela, j'en oubliai que j'avais fini de presser le café que je préparai et je n'aurais su dire combien de temps j'avais passé à appuyer sur la poignée sans que cela serve à quoi que ce soit. J'étais en train de perdre pied… encore.
Ce n'est pas le moment de perdre le sens des réalités… au contraire, il faut que je reste sur mes gardes.
Ce rappel à l'ordre me poussa à faire un tour d'horizon mental, ramenant à ma mémoire plusieurs informations factuelles.
J'étais sur la sellette et si je ne fournissais pas un résultat satisfaisant à mes supérieurs, ma carrière dans l'Armée pourrait bien prendre fin très rapidement.
Mon appartement était sur écoute, dans le salon à coup sûr, et sûrement dans d'autres pièces.
Ce soir, j'allais pouvoir contacter Maes.
Le soir de l'attaque, Angie m'avait donné quelque chose.
Bon sang, le portefeuille.
Je me redressai puis bataillai avec ma béquille et ma cafetière que je finis par caler en équilibre précaire dans l'écharpe de mon bras. Il me fallut un deuxième trajet pour me rapporter une tasse, un troisième pour les deux tartines qui me feraient office de petit-déjeuner. Enfin, je traversai encore une fois la pièce à vivre pour extirper de ma poche ce portefeuille, tirant au passage un papier sur lequel Houston m'avait noté des adresses de psychanalystes, me suggérant de parler. Je n'avais aucune intention de suivre les conseils de cette femme que je connaissais à peine, si compétente qu'elle puisse être en tant que médecin. Je le roulai en boule et le fourrai dans ma poche avec l'intention de le jeter quand j'aurais une poubelle à portée de main.
De toute façon, parler à cœur ouvert à quelqu'un était un luxe que je ne pouvais définitivement pas me permettre. J'avais avoué mes sentiments en discutant avec Gracia, mais je n'avais pas le courage de lui raconter le détail de ce qui s'était passé avec Angie, et je ne pouvais décemment pas lui parler de ce qui était arrivé cette nuit-là, dans les coulisses.
La seule psychanalyse que je vais pouvoir me permettre, c'est retourner me défouler au stand de tir dès que je serai capable de me traîner jusque-là.
Je n'aurai plus de professeur particulier, mais j'avais tellement envie de frapper Hawkeye à chaque fois que je pensais à elle que c'était sans doute mieux comme ça. Et puis, j'avais fait suffisamment de progrès pour être autonome.
Je m'assis à table, me versai une tasse, puis repris le portefeuille pour l'examiner plus en détail. Je n'avais pas vraiment eu le temps de l'étudier le soir même et par la suite, entre mes interrogatoires et mon hospitalisation, j'avais eu d'autres chats à fouetter. Les rares fois où j'y avais pensé, je ne pouvais tout simplement pas me permettre d'attirer l'attention dessus.
«Il contient quelque chose de précieux et vous saurez quoi en faire… apparemment.»
C'était ce qu'Angie avait dit, maladroitement, quand elle s'était prétendue intermédiaire d'Edward. Quand elle m'avait menti en bonne et due forme.
J'espérais que l'objet en valait la peine, même si rien ne pourrait effacer mon amertume. Ayant posé mon bras blessé sur la table, je fouillais le portefeuille et le faisais tourner dans mes mains. Il était plutôt imposant, et même vide, il pesait lourd… Je me bus une gorgée de café, scrutant sans être sûr de rien. Était-ce un indice ?
Elle a dit qu'il contenait quelque chose, donc ce n'est pas l'objet lui-même, mais ce qui se trouve à l'intérieur…
Je tâtai les rabats en les trouvant bien lourds, tordis légèrement le cuir pour tester sa souplesse, et en arrivai à la conclusion que quelque chose se cachait dans la doublure. Il aurait fallu que je prenne un couteau pour faire sauter les coutures, mais l'idée de devoir me lever me déplaisait. Je décidai plutôt de me servir dans les papiers et crayons qui traînaient sur la table pour tracer un cercle de transmutation que j'activais ensuite, démontant le portefeuille. Puis je soulevai la pièce de cuir, découvrant des pages manuscrites.
Je pris la liasse avec déférence, reconnaissant immédiatement des notes d'alchimie. Elles n'avaient pas été écrites par Edward, j'avais vu passer assez de ses rapports pour en être convaincu. Cette écriture datée était celle de quelqu'un d'autre et le papier dégageait l'odeur typique des vieux livres. Les feuilles que je tenais avaient des dizaines, peut-être même une centaine d'années.
Et si elles étaient entre mes mains aujourd'hui, c'était que j'avais quelque chose à en retirer, que cela valait la peine de déchiffrer le code et de fouiller ces pages de bout en bout. Alors, après un coup d'œil à ma montre pour estimer le temps dont je disposais avant que Falman n'arrive pour m'aider, je me plongeai dans la lecture, un crayon à portée de main, prêt à étudier ce carnet démonté, quoi qu'il ait à m'apprendre.
Il fallait que je comprenne.
Après tout, c'était Edward qui me l'avait confié, juste avant que l'illusion prenne fin et qu'il disparaisse une fois encore dans les méandres de l'inconnu. Sauf que cette fois, je ne risquais pas d'avoir de ses nouvelles, encore moins de le retrouver par hasard. Il ne restait rien, pas même cet espoir.
Tout ce qui subsistait, à présent, c'était l'amertume d'une relation faussée, ma place menacée au sein de l'armée et cette précieuse liasse de papier.
Aussitôt Falman reparti, mes gardes du corps s'étaient postés à la porte de mon appartement, et si, officiellement, j'étais supposé me reposer, je m'étais en réalité replongé dans les notes d'Alchimie avec une attention renouvelée. Il ne m'avait pas fallu longtemps ce matin pour comprendre de quoi il retournait… j'avais immédiatement reconnu le cercle de transmutation humaine.
Après tout, je l'avais moi-même tracé, plusieurs années auparavant. Et si Maes n'avait pas été là, je serais peut-être allé jusqu'au bout de ma tentative de ramener la seule personne qui semblait pouvoir me permettre de me racheter.
Le souvenir de cette époque douloureuse entra en résonance avec le désespoir dans lequel j'étais plongé aujourd'hui, et seule la conscience du fait que j'avais peu de temps parvint à me tirer de cette ornière et avancer.
Ce manuscrit était plutôt court, mais condensait beaucoup d'informations sur les Homonculus. Le fait de savoir déjà certaines choses à son sujet rendit le cryptage d'autant plus facile à craquer, et je commençais déjà à décoder les annotations quand Falman avait annoncé son arrivée.
Maintenant qu'il était reparti, et que j'étais de nouveau tranquille, j'allais pouvoir tirer davantage d'informations. Après le décodage, je passai rapidement sur les notes d'Alchimie pure, trop techniques à mon goût, puis j'arrivai à des observations notées comme celle de sujets d'étude.
« Âme synthétique, instabilité. »
« Perte progressive des souvenirs. »
« Leur complexité émotionnelle diminue au fil du temps pour se condenser en un trait de caractère principal. »
« Il est aisé d'implémenter des faux souvenirs, surtout dans leurs premières années d'existence. »
Malgré une concentration en chute libre après une journée de travail plutôt intense, je me plongeai plus avant dans les annotations, étonné de découvrir autant de détails sur ces créatures ennemies. On y trouvait des notes sur l'assimilation de pierres incomplètes qui était la véritable source de leur immortalité, ainsi qu'un cercle qui, si j'avais bien compris, permettait de les purger de cette pierre, les rendant beaucoup plus vulnérables. Je retraçai le cercle en raisonnant pour en comprendre la structure et le mémoriser, ne doutant pas un instant de son utilité, et bénis la personne qui avait compilé des informations si utiles sur le sujet. Puis je continuai ma lecture et changeai d'opinion à ce sujet.
Les pages passant, je retrouvai des annotations sur les Homonculus eux-mêmes, et ouvris de grands yeux en découvrant que chacun d'entre eux était catalogué et analysé, avec des remarques sur leurs traits de caractère, leur perception de leur vie passée et son évolution au fil du temps, ainsi que des informations sur leur ancienne vie, la date de leur mort, et même, pour certains, la tombe de ceux qu'ils étaient supposés remplacer.
Cette confirmation qui me semblait annexe prit tout son sens quand je tombai sur une page rapportant des expériences menées sur la réaction des Homonculus quand ils faisaient face aux ossements de leur ancienne vie et la manière dont ils perdaient leurs moyens. Paralysie, panique, allant jusqu'au vomissement pour certains d'entre eux, selon la quantité de restes et leur proximité avec ceux-ci. Sans le moindre scrupule, l'auteur de ces textes avait relevé que c'était un excellent moyen de recadrer des Homonculus s'ils s'avéraient partir hors de contrôle.
Un moyen de contrôler et repousser les Homonculus… Il nous faut ça.
En arrivant à ce stade de ma lecture, je pris conscience d'une chose : pour avoir condensé autant d'informations à leur sujet, la personne qui avait écrit ce manuscrit devait avoir une position privilégiée vis-à-vis des Homunculus, avoir été des observateurs directs, et même pu pratiquer des expériences à leur sujet, et ce, durant plusieurs années.
Ces feuilles que je tenais dans les mains avaient sans doute été écrites par la personne qui contrôlait tout, l'Armée comme les Homonculus. Ce carnet, arrivé chez moi Dieu sait comment, avait sans doute été volé à notre ennemi le plus haut placé.
Je posai mon crayon et enfouis mes mains dans mes cheveux, luttant pour continuer à penser malgré la profonde fatigue qui me tenaillait. Il fallait que je parvienne à comprendre les tenants et aboutissants de ce que j'avais devant moi. Ce carnet et la manière dont il était arrivé jusqu'à moi avaient sans doute des secrets à délivrer.
En fouillant dans mes souvenirs, je repensais aux informations qu'Edward m'avait fait parvenir par l'intermédiaire de Hawkeye. La suspicion que Dante soit en réalité en vie et que ce soit elle qui tire les ficelles des Homonculus, l'hypothèse que King Bradley soit en réalité un Homonculus d'un nouveau genre, étayée par des articles de journaux introuvables en bibliothèque… Tous ces sujets dont j'aurais voulu discuter de vive voix sans jamais savoir que mon interlocuteur était en réalité à mes côtés me revenaient encore et encore. Comment Edward avait-il appris ces choses-là ? Comment avait-il mis la main sur ce carnet ? Comment… ?
Comment, je n'en savais rien, et découvrir un nouveau pan de mon ignorance à propos de cet infernal petit blond me faisait enrager encore un peu plus. J'avais l'impression que chaque jour qui passait me faisait prendre encore un peu plus la mesure de ses mensonges, me donnant l'impression que bientôt, il ne me resterait plus aucune certitude, plus aucune réalité à laquelle me raccrocher à son sujet. Peut-être que le Fullmetal que je connaissais n'avait jamais existé.
De quoi le haïr d'autant plus.
Ce n'est pas le moment de penser à ça. Concentre-toi sur ta tâche.
Je me repris et chassai ces pensées sombres pour replonger dans ma lecture. Je retombai sur une page à propos de King Bradley qui mentionnait les conditions spécifiques de sa transmutation : son père avait tenté de ressusciter son fils ainé en utilisant le cadet comme matériaux de base, associé à quelques compléments. Le père n'avait pas survécu à la transmutation, la porte ayant pris son cœur comme contrepartie, et les témoins étaient arrivés après coup, trouvant le fils difforme, en larmes au milieu du cercle de transmutation, et que l'auteur avait recueilli et soigné. Un récit qui confirmait l'hypothèse d'Edward…
Je me forçai à rejeter son souvenir dans un coin sombre pour me recentrer sur ma tâche et continuai ma lecture, qui m'informa rapidement que Bradley était un Homonculus à part, qui vieillissait comme un humain normal et ne souffrait pas de la même instabilité de la mémoire, mais restait immortel tant qu'il avait suffisamment de pierre philosophale incomplète dans le corps. Il était, en quelque sorte, à mi-chemin entre un Homonculus et un humain.
S'il a les compétences et l'intelligence d'un humain normal, cela explique sa place au sein de l'armée… Il doit être beaucoup moins facilement manipulable que les autres… sachant que même sans montrer ses talents surnaturels, il est un excellent bretteur, il y a de bonnes chances pour qu'il soit notre ennemi le plus redoutable… avec Dante elle-même.
Autrement dit, il est crucial de pouvoir l'éliminer.
Si on peut récupérer ses ossements, alors…
Je continuai ma lecture, découvrant les informations concernant Lust. Jeune Ishbale morte de maladie il y avait près de dix ans, elle avait développé un tempérament particulièrement séducteur et érotique, que l'auteur semblait avoir manipulé et réorienté pour l'adapter davantage à ses propres centres d'intérêt. Elle faisait partie des Homonculus les plus récents, et avait, semble-t-il, échappé aux tests de réaction vis-à-vis de ses propres ossements, puisque l'auteur de cette compilation avait simplement marqué « emplacement inconnu ».
Cette information me fit penser à Hugues qui côtoyait les Ishbals, d'autant plus que j'étais supposé l'appeler dans moins de deux heures. Hugues m'avait informé, entre de nombreuses autres choses, que Scar semblait connaître Lust, plus exactement, son ancienne vie. Peut-être en saurait-il plus sur les circonstances de sa mort, et par conséquent sur l'endroit où elle était enterrée…
L'idée de traverser les ruines du territoire Ishbal en plein hiver n'avait rien de séduisant, mais si cela pouvait permettre de dominer ne serait-ce qu'un des Homonculus, cela valait largement la peine de fournir cet effort.
Je sens que Hugues va être ravi de la mission que je vais lui confier… pensai-je avec un sourire ironique, avant de tâcher de dresser un bilan récapitulatif.
Bon, les Homonculus subsistant grâce aux pierres philosophales incomplètes, on sait pourquoi l'Armée s'applique à provoquer des conflits et encourage les alchimistes à tenter de créer la pierre. Le conflit d'Ishbal lui-même venait servir de prétexte à la création et l'expérimentation de pierre philosophale à grande échelle… J'en ai moi-même fait partie.
Pour pouvoir arrêter notre ennemi, il faudrait réussir à assécher leurs ressources en pierre philosophale, ce qui est inenvisageable à l'heure actuelle, ou bien posséder leurs ossements pour les neutraliser. Encore faut-il savoir où ils sont, en espérant que l'ennemi n'ait pas déjà mis la main dessus…
Je m'autorisai quelques notes pour me mettre les idées au clair, tout en me disant que j'aurais sans doute intérêt à les brûler ensuite.
Les tombes aux emplacements connus sont celles de Greed, d'Envy, du frère de Bradley et de Trisha Elric. Si Edward a lu ce carnet… il ira sûrement à Resembool, et se penchera sur la question de Cub, sur lequel je ne sais pas grand-chose. Partant de ce postulat, il vaut mieux que je me concentre sur le reste. Greed s'étant rebellé, on peut supposer qu'il a été éliminé, ou du moins qu'il n'est pas notre ennemi. Envy est un des Homonculus les plus anciens, et vu les notes du carnet, on peut être sûr que l'auteur a ses ossements en sa possession… Même en allant sur place, je doute qu'on retrouve quoi que ce soit de son côté. Les pistes les plus prometteuses sont celles de Bradley frère et de Lust, si Scar peut nous informer à ce sujet. Quant à Gluttony… étant donné son ancienneté, enquêter sur son passé est sans doute une cause perdue.
À défaut de pouvoir enquêter moi-même, c'était au moins un point sur lequel j'allais pouvoir tirer quelques ficelles.
Il faut que j'en parle à Hugues… quelle heure est-il, déjà?
Consulter ma montre me fit constater que le temps était passé plus vite que prévu, et je tentai de me précipiter pour me préparer, sans grand succès. Puisque j'étais sous écoute, j'allais devoir téléphoner dehors sans attirer les soupçons, le tout avec des soldats collés à mes basques… Je refermai le cuir du portefeuille sur le manuscrit et le glissai dans la poche intérieure de mon manteau avec mes notes. Hors de question de laisser une chose pareille traîner dans l'appartement en mon absence.
Quelques minutes plus tard, j'empoignai ma canne pour sortir et refermer la porte derrière moi. Les deux soldats qui faisaient le guet devant chez moi se levèrent en sursaut et jetèrent leurs cartes pour me faire un salut militaire.
— Général. Vous sortez ?
— Je pense que la réponse est évidente.
— Nous vous accompagnons.
Je hochai la tête d'un air las et me dirigeai vers l'escalier en boitant, pendant qu'ils se pressaient de remballer leurs cartes, oubliant qu'ils auraient presque le temps de faire une bataille avant que j'atteigne le bas des marches.
Bon sang, le corps humain est vraiment une saloperie, pestai-je en descendant les marches, constatant que contrairement à ce que j'aurai pu espérer, ce n'était pas plus facile que les monter. Une fois dehors, je fus accueilli par un rideau de pluie qui nous fit tous grimacer.
— Vous tenez vraiment à sortir ?
— Je tiens à manger, répondis-je.
Ou en tout cas, à maintenir un état de santé suffisant pour ne pas retourner à l'hôpital.
Je me lançais sous la pluie, avançant aussi vite que je le pouvais avec ma béquille, et levai les yeux en réalisant que je n'étais pas mouillé et en entendant le son caractéristique des gouttes frappant une toile. Le soldat qui se tenait à ma droite tenait un parapluie au-dessus de ma tête, quitte à ce que sa propre épaule soit trempée.
Je soufflais et continuai ma route, incapable de décider si j'étais soulagé ou agacé par ce geste, faute de savoir s'il était causé par la déférence due à mon grade ou la pitié face à mon état.
Comme annoncé, je fis des courses, m'achetant un filet de poisson en prenant sur moi pour me montrer aussi léger que possible auprès de la caissière, malgré la fatigue, la douleur et l'inquiétude. Après tout, j'avais une réputation de joli cœur à conserver. Un dernier coup d'œil me confirma que l'heure approchait. Une fois sorti de la poissonnerie, je me dirigeai vers la première cabine téléphonique venue.
— Vous m'excuserez, j'ai un appel à passer.
— Général ?
— Vous n'avez qu'à m'attendre sous le porche, suggérai-je en le désignant du menton. Je ne devrais pas en avoir pour longtemps.
— Bien Général.
Je m'enfermai dans la cabine et les regardai s'éloigner sous le porche avec une pointe de satisfaction, avant de ressortir le papier froissé ou j'avais noté le numéro de Hugues, glissai quelques pièces dans la fente et composai le numéro.
Je craignais qu'ils risquent de m'entendre, mais avec la pluie, ils sont obligés de s'éloigner… ça ne pouvait pas mieux tomber, finalement, pensai-je en décrochant le combiné.
— Brasserie du cerf, bonsoir.
— Bonsoir, je voudrais savoir s'il est possible de parler à un de vos clients. Est-ce que Sam est là ?
— Sam ?
— Si vous pouvez demander en salle.
— De la part de qui ?
— Je préférerai lui laisser la surprise, si vous me permettez.
J'avais souri en disant ces mots, comme si j'avais en face de moi la personne qui me répondait pouvait le voir. Il ne le voyait pas, mais je savais que ce genre de détails pouvait faire la différence. Il y eut un instant d'hésitation, puis l'homme répondit.
— Je vais voir ça, je vous laisse patienter un instant.
Je restai silencieux et je profitai de l'attente pour poser le sac à mes pieds le temps de l'appel. Engoncé avec mon manteau, ma canne, mon bras encore en écharpe pour un jour ou deux, la bandoulière coincée sur l'épaule, le combiné et son fil, le tout dans une cabine étroite et humide, la manœuvre n'avait rien d'une partie de plaisir. Finalement, j'entendis que quelqu'un avait repris le combiné et une voix familière résonna à mes oreilles.
— Allô ?
— Allô ma poule ? répondis-je d'un ton moqueur.
— Putain, Roy, tu m'as fait peur, lâcha la voix de Maes, cédant au soulagement en me reconnaissant. C'était quoi ce cirque hier ? Et ça fait un mois que j'essaie de te joindre. Un mois, merde !
— Hé, tu ne crois pas que tu es mal placé pour te plaindre de mes silences radio ?
— Toi, tu n'es pas en cavale…
— Mais je suis sous écoute. N'appelle plus chez moi.
— Putain, sous écoute ?! Mais pourquoi ? Par qui ?
— Ça, ça reste à découvrir.
— Comment veux-tu que je ne me fasse pas un sang d'encre dans ces conditions ? J'ai vu dans les journaux, pour l'attaque du cabaret et de la prison… et même l'appel d'hier m'a foutu les jetons.
— Toujours aussi mère poule à ce que je vois, commentai-je avec un soupir.
— Tu t'en sors ? Et les filles, elles vont bien ?
— Les filles vont bien. Moi…
Je pris une grande inspiration et restai en suspens. Je ne pouvais pas mentir, mais tant de choses m'étaient tombées dessus que je ne me sentais pas capable de tout dire. Je ne savais même pas par où commencer.
— Toi… souffla Maes. Ça ne va pas, c'est ça ?
— Disons que la vie est une saloperie, mais qu'elle n'a pas encore eu ma peau, fis-je d'un ton faussement détaché.
— Tu as été blessé dans l'attaque, c'est ça ? J'ai appris, pour Breda… Hawkeye… Tu dois être dévasté.
Oui, je l'étais. Mais je devais garder le contrôle.
Si je m'étais laissé aller à mes émotions, j'aurais peut-être pleuré et hurlé au téléphone, écrasé par les événements et la douleur viscérale de savoir que je ne pouvais pas franchir dans un claquement de doigts la distance qui me séparait de Hugues pour le revoir sourire et le serrer dans mes bras. Mais depuis que j'étais ressorti de l'hôpital, j'avais décidé de renfermer mes véritables émotions à double tour, parce que je m'étais de nouveau fixé un but et que j'étais prêt à me laisser consumer pour ça. Tant pis pour les sentiments, s'ils continuaient à me freiner, j'allais devoir m'en débarrasser, d'une manière ou d'une autre.
De toute façon, je ne pouvais pas me permettre de me comporter comme ça alors que deux militaires me scrutaient en m'attendant quelques mètres plus loin.
— C'était un coup dur, en effet, fis-je d'une voix maîtrisée.
— Tu as des nouvelles de Hawkeye ?
— Elle est sortie du coma et son état s'améliore, mais elle n'a toujours pas parlé…. Enfin, c'est ce qu'on m'a dit, on m'a interdit de la voir.
— Comment ça, interdit ? s'étrangla-t-il. C'est quoi ce bordel ?
— Ils l'isolent avec l'intention de l'interroger. Complicité de terrorisme. Elle couvrait Edward.
— Et toi ?
— Je n'étais pas au courant, dis-je d'une voix nouée.
L'image d'Angie me hantait et j'avais envie de hurler de rage en repensant à tout ce qui s'était passé.
— Vraiment ?
— Vraiment.
— Hum… ça n'a pas dû te plaire. Enfin, au moins, tu es en liberté. Et Ed est toujours en cavale ?
— Ils en parlent, dans les journaux ? demandai-je d'une voix hésitante.
Est-ce que Maes savait ? S'il avait découvert la vérité à propos d'Edward, peut-être que je pouvais envisager de lui en parler. Peut-être.
— Ils disent juste qu'il est recherché, haute trahison, tout ça… Enfin bon, il y en a tellement en ce moment, des évadés, qu'il se perd un peu dans la masse.
— Oui… Avec l'évasion de l'autre jour, c'est un bordel sans nom… Sans compter qu'on n'a toujours pas remis la main sur Tony Digger. J'ai vu les infos sur le projet Manticore… la personne à qui il va revendre ces plans risque de faire de sacrés dégâts.
— Tu m'en avais parlé, oui… Tu penses qu'il arrivera à les revendre ?
— Je n'en doute pas… la question, c'est de savoir à qui.
— Des terroristes ?
— Ou l'étranger.
— Tu penses qu'il ferait ça ?
— On a retrouvé des traces de son passage en direction du sud-est, c'est possible qu'il ait décidé de rejoindre Aerugo. Il bossait pour Harfang, alors je doute qu'il soit spécialement patriote.
— À surveiller, donc, conclut Maes. Et toi, tu arrives à gérer la situation ?
— Du côté de l'Armée, c'est un sacré foutoir avec l'évasion de la prison. La sécurité a été renforcée en attendant la reconstruction et une révision totale du système de sécurité. Quant aux évadés… honnêtement, l'Armée est débordée. La priorité va aux criminels et aux gens qui menacent la sécurité du pays, mais beaucoup sont passés entre les mailles du filet. Dont Kimblee.
— Kimblee en liberté… Fais gaffe à toi, il pourrait bien vouloir ta peau.
— Boiteux comme je suis, je ne pense pas être un challenge assez intéressant pour lui à l'heure actuelle.
— Quand même, fais attention à toi.
— Je vais essayer… Et toi, qu'est-ce qu'il s'est passé de ton côté ?
— C'était plutôt calme comparé à Central. On a quitté la forteresse quand tu nous as avertis que l'armée allait être envoyée pour démanteler le réseau. Bon, j'avoue que l'on s'est pas mal servis au passage.
— En armes ?
— En tout. Armes, argent, vivres… ça a bien facilité les choses, le trajet a été plutôt calme.
— Vous allez où ?
— Pour l'instant, on approche de Liore. Il y a des échos comme quoi il y a une communauté Ishbale à Aruego, ils envisagent de rejoindre des caravanes pour passer la frontière.
— Faites attention du côté de Liore. Depuis le soulèvement, le coin est une véritable poudrière.
— Je sais. C'est pour ça qu'on fait escale avant.
— Sage décision.
Il y eut un silence, troublé par une pluie battante, avant qu'on se remette à parler au même instant.
— Maes…
— Roy…
— Vas-y.
— Je m'inquiète pour toi… vraiment. Tu nous fais pas de conneries, hein ? Promets-moi que tu ne gardes pas tout pour toi, tu sais que c'est pas bon.
— Non, promis, répondis-je d'un ton rassurant tout en sachant que j'étais en train de mentir. Gracia est sur le coup, elle me surveille de près.
— T'avises pas de me piquer la place, hein ?
— T'es con ! fis-je en riant. Jamais je ferais ça ! Et tu sais bien que quand bien même j'essayerais, elle me remettrait salement à ma place. Elle me connaît beaucoup trop bien pour vouloir de moi !
Mon rire rencontra un écho, puis je retrouvai mon sérieux.
— Hugues, j'ai un travail pour toi. Pas le plus drôle.
— Je t'écoute.
— Scar connait Lust, n'est-ce pas ? Enfin, je veux dire, son ancienne vie.
— Oui, on en a pas mal parlé. Il l'a reconnu, c'était la femme de son frère, avant qu'elle meure, et que…
— Est-ce qu'il sait ou est sa tombe ?
— Quoi ?
Je pris une grande inspiration et lui résumai ma découverte du jour. Le carnet des Homonculus. Les ossements qui étaient leur faiblesse, l'emplacement inconnu de la tombe de Lust.
— Donc, si je résume… Tu voudrais que j'aille dans les ruines d'Ishbal pour aller déterrer le cadavre d'un membre de la famille de Scar ?
— C'est ça.
— Je sens que je vais me faire aimer en annonçant ça.
— Il vaut mieux éviter d'en parler trop largement… Enfin, le détail, du moins.
— Je vais voir avec Scar, il comprendra l'intérêt stratégique, je pense… après, est-ce que les autres voudront retourner là-bas…
— Personne n'aurait envie d'y retourner… mais vous n'aurez pas besoin d'être nombreux pour ça. Après tout, la région est désertée maintenant que tout est en ruines.
— On y a travaillé, oui, soupira Hugues d'un ton grave.
— Je vais devoir te laisser, il pleut des cordes et mes gardes du corps s'impatientent.
— Dans ce cas, on se recontacte quand ?
Après s'être fixé un nouveau rendez-vous, je raccrochai, écourtant ses nouvelles questions sur mon état de santé et son incitation à parler à quelqu'un. Hugues était du genre persévérant et si je restais au téléphone, je risquais de craquer, de lui dire la vérité : que j'avais complètement déconné avec Edward, que je n'en pouvais plus de tout et que si je m'égarais à penser à ce que je ressentais, je me surprenais vite à hésiter entre tout brûler sur mon passage et me tirer une balle dans la tête.
Mais il ne pourrait rien faire, sinon se mettre en danger s'il tentait de me revoir, alors ça ne servait à rien.
Et puis, j'avais sans doute un peu peur de sa réaction en apprenant ce qui s'était passé.
Je suis un putain de lâche, pensai-je en rattrapant mon sac et en me harnachant. Tant pis.
À défaut de mieux, son appel m'avait un peu remonté le moral.
En ressortant de la cabine, je vis les soldats se précipiter vers moi, l'un d'eux éteignant sa cigarette conter le mur, l'autre rouvrant son parapluie au-dessus de ma tête.
— Vous auriez été mieux chez vous pour téléphoner, Général.
— Je voulais contacter Mme Hugues pour savoir si je devais faire des courses pour sa venue demain, pour éviter de ressortir. Sa fille a tenu à me parler au téléphone, et… vous connaissez les enfants.
Ma réponse leur amena un sourire attendri, me laissant penser que l'alibi était convaincant.
— Donc, vous avez encore des courses à faire ?
— Non, elle a dit qu'elle s'occupait de tout. Rentrons, il fait vraiment un temps de chien.
— Je suis bien d'accord avec vous, Général ! répondit le soldat, le regard s'éclairant à l'idée de pouvoir retrouver la chaleur du couloir.
Le retour se fit dans un silence pensif, le temps se prêtant peu à parler, et mes subordonnés se montrant plutôt intimidés par notre écart de grade.
Hugues est au courant pour Lust, les choses avancent. Reste à savoir comment je pourrais placer quelqu'un sur l'affaire Bradley.
Bon, et à dénicher cet enfoiré de Kimblee avant qu'il se décide à tout faire exploser…
Après être rentré en boitant, m'être enfermé chez moi, je pus enfin me débarrasser de mon manteau et partir dans ma chambre pour troquer mon pantalon trempé par la pluie contre quelque chose de plus confortable. En jetant le vêtement à sécher sur la chaise la plus proche, je vis tomber un papier froissé et le ramassai pour le déplier, reconnaissant les adresses de psychiatres que le docteur Houston m'avait fournies.
«Promets-moi que tu ne gardes pas tout pour toi, tu sais que c'est pas bon.»
Je secouai tristement la tête en pensant à la requête de mon ami.
Désolé, Hugues, je ne peux pas me permettre de partager les choses que j'ai en tête.
Malgré cette conviction, je restai immobile, titillé par l'idée que j'avais peut-être tort sur toute la ligne et qu'il vaudrait mieux que je me confie à quelqu'un. Après tout, même si je me méfiais d'elle, Houston s'était avérée plutôt compétente, et je lui devais en partie d'avoir pu sortir de l'hôpital… Je pouvais au moins y réfléchir, non ?
Non, pensai-je en scrutant ces quelques lignes.
Non, je ne pouvais pas faire ça, parce que ces mots avaient un je-ne-sais-quoi de familier qui me laissa figé. En comprenant pourquoi, je me sentis blêmir.
Dites-moi que c'est pas vrai, pensai-je en empoignant ma béquille pour retourner dans l'entrée, le visage fermé. J'ai dû trop bosser aujourd'hui pour avoir une idée pareille…
Je tirai de ma poche de manteau le manuscrit et l'ouvris à l'une des dernières pages, là où l'écriture s'était un peu relâchée. Peut-être que l'auteur de ces lignes était pressé à ce moment-là… mais à la limite, je m'en fichais.
Ce qui me préoccupait, c'était de voir autant de similitudes entre les deux écritures une fois que je les mettais côte à côte. Moi qui avais ignoré la vérité à propos d'Angie, je ne comptais pas laisser une erreur du même genre arriver de nouveau. Ne plus jamais passer à côté d'une chose pareille.
Je pouvais me dire que je me faisais des idées, mais tandis que mon regard allait et venait entre le manuscrit sur les Homonculus et les adresses griffonnées par le docteur Houston, je retrouvai les mêmes formes, les mêmes gestes. Tout était moins soigné, mais cette manière de tracer les a et les s, et ces chiffres placés à différentes hauteurs, comme sur les livres anciens…
Oh bordel.
L'outil était différemment, le soin apporté aussi, mais j'en étais persuadé : c'était la même écriture, la même personne qui avait écrit ces mots. Plus je regardais, moins je trouvais de contradictions dans le tracé, les proportions…
Houston était l'auteur de ce manuscrit.
Un manuscrit vieux de plusieurs dizaines d'années, alors qu'elle semblait avoir à peu de chose près mon âge.
Et avec les informations que j'avais accumulées jusque-là, il ne me restait plus qu'une seule conclusion possible.
Houston était Dante.
Le médecin au sourire bienveillant qui suivait mon dossier depuis mon séjour à l'hôpital était en réalité l'ennemi à la tête des Homonculus.
Assommé par cette révélation, je restai immobile quelques secondes, appuyé sur la table, avant de me redresser en plaquant la main sur ma bouche pour me retenir de parler à voix haute, laissant toute une bordée de jurons défiler dans ma tête.
Oh bon sang oh bon sang oh bon sang, Dante était sous mon nez depuis des jours.
Et moi sous le sien… Un pas de travers et c'est fini pour moi.
Je jetai un coup d'œil à l'étagère qui m'avait fait comprendre que j'étais sous écoute, les rouages de mon cerveau tournant à mille à l'heure.
J'étais pris au piège, sous surveillance constante de la personne qui tenait mon dossier médical, une personne qui pouvait ordonner mon retour à l'hôpital, augmenter la dose de mes somnifères…
C'était sans doute la même qui contrôlait ma place dans l'armée, les missions qui me seraient données ou non.
Celle qui me suggérait, l'air de rien, de prendre un rendez-vous chez un psy, pour me pousser à parler, à me livrer encore un peu plus… à un complice, sans doute ?
Derrière son physique relativement banal et son sourire doux, cette femme avait pris un contrôle presque absolu sur ma vie.
Cette idée était proprement terrifiante.
Et pourtant quand je posais de nouveau les yeux sur le manuscrit, je parvins à lâcher un rire froid.
Parce que, même si j'étais dans une position proche de la souris dans les griffes du chat, cette découverte changeait tout.
Je savais.
Et le savoir, c'était le pouvoir.
Elle avait un œil sur moi, elle pouvait me manipuler, mais en passant du temps avec moi, la réciproque était vraie.
Je posai la main sur les feuillets, les fixant intensément, me rendant compte que sous les cendres de mon existence dévastée, la braise brûlait encore.
Si elle m'accordait autant d'importance, j'avais un rôle à jouer.
La question était… « lequel » ?
