Le nouveau chapitre est arrivé, cette fois-ci avec le point de vue d'Havoc ! J'avoue que celui-ci, j'avais hâte de le publier et de lire vos réactions (on ne dira jamais à quel point les reviews sont précieuses pour les auteurs)

Côté écriture, ce NaNoWriMo n'a rien eu de glorieux (16 000 mots, on est bien loin des 50 k visés...) mais il faut admettre que je m'étais surestimée ce mois-ci : les préparatifs d'Art to Play et la convention elle-même m'ont bouffé pas mal de temps et d'énergie, et je ne peux pas me reposer sur mes lauriers puisque je serai présente à l'Autre Marché de Nantes, sur le stand "invitation au voyage" (qui n'a pas encore reçu son enseigne, sniif) du 4 au 10 décembre. Je vais aussi tâcher de faire le traditionnel calendrier de l'avent de tendresses que vous pourrez retrouver sur mes réseaux sociaux jour après jour.

Bref, c'est une période assez intense, à la fois cool et stressante, et je n'ai pas du tout la ressource d'écrire pour le moment. Mon avance continue à diminuer, j'avoue que ça me stresse et je ne sais pas encore ce que je vais faire. Je compte écrire pendant les vacances de Nöel, mais au final, je risque de surtout... dormir ? ^^°

En plus d'être assez occupée, je suis en train de vivre un grand bouleversement de type "neuf mois de délai" - oui, je vous annonce ça comme ça, j'ai une réputation d'indélicate à tenir XD - et je me rends compte que... ça sera sans doute de plus en plus compliqué pour moi de trouver le temps d'avancer cette histoire au milieu de tout le reste. Alors, soyons clairs : je suis ravie et impatiente à l'idée de devenir maman, ce n'est pas le problème, mais je vais sans doute revoir mes priorités et la fréquence de publication de cette histoire risque d'en prendre un coup. Par contre, ne vous inquiétez pas, je la finirai, hein. Même si ça me prend encore des années : je n'en suis plus à ça près après tout X'D.

Bref, Je parle beaucoup de moi sur ce coup-là, pas par plaisir de raconter ma vie, mais pour expliquer pourquoi la publication de Bras de fer va sans doute - encore- ralentir dans les mois à venir. J'espère que vous continuerez à apprécier l'histoire malgré le drama et l'attente.

Sur ce, je me tais et vous souhaite une bonne lectuuure !


Chapitre 88 : Sous pression (Jean)

— Hey, Havoc !

— Salut, Cage, fis-je avec un geste de main en m'approchant à petites foulées.

— En forme pour la reprise ?

— Ma côte a l'air d'être revenue à son état normal et j'ai eu l'autorisation du médecin, donc je suppose que oui, soufflai-je.

Si j'étais honnête, je n'aurais pas craché contre quelques heures de sommeil de plus… mais mon travail avait repris sous les ordres de Mingus et je savais de source sûre que je n'avais pas intérêt à être en retard pour mon premier jour.

Nous étions à l'entrée de la prison, avec une trentaine de collègues, à attendre le sermon du matin, éclairés par les réverbères orangés de la rue. Comme il était encore tôt, certains soldats s'allumaient une cigarette ou papotaient. En les voyant, je cédais à la tentation d'en griller une pour passer ma nervosité, en proposant une à Cage qui accepta avec un sourire éclatant sur son visage mat.

Je tirai une bouffée et la soufflai vers le ciel sale, pétri d'appréhension. Quand j'étais parti à l'enterrement de Tallulah, Falman avait prédit la dissolution de notre équipe et mon atterrissage sous les ordres du Colonel Mingus. J'avais espéré qu'il avait tort, mais c'était sous-estimer l'esprit d'analyse de mon collègue.

Lui qui était aux côtés de Hayles, répondant aux ordres de Kramer — que j'appréciais à peu près dix mille fois plus que mon supérieur actuel — avait sans doute hérité de la place la plus confortable. Hawkeye était encore en convalescence, et si nous avions des échos sur son état qui s'améliorait, nous devions nous contenter de cela : avec ses liens avérés avec Edward, elle avait été interdite de visite et devait être interrogée sur la disparition des frères Elric. J'avais entendu dire qu'elle retrouvait progressivement sa mobilité physique, mais n'avait pas lâché un mot depuis son réveil. De là où j'étais, impossible de savoir si c'était une séquelle ou une volonté consciente de garder le silence.

Faute de mieux, je priais pour que ce soit le second cas. En tout cas, elle me manquait terriblement, et j'aurais aimé pouvoir la voir de mes yeux, debout sur ses deux pieds, me lancer un de ces regards pleins d'autorité dont elle avait le secret et me sermonner pour mon manque de rigueur. Sans cela, je continuerai à peiner à croire qu'elle soit réellement en train de revenir parmi nous.

Fuery, lui, était en arrêt longue maladie et se remettait peu à peu de son amputation. Deux jours auparavant, il était retourné dans sa famille, à East-City. Je l'avais régulièrement au téléphone et j'étais soulagé de l'entendre parler de petits événements du quotidien, de ses visites de contrôle encourageantes, de sa nièce qui faisait ses premiers pas, des nuées d'oiseaux dans le jardin, attirés par les boules de graines que laissait sa sœur.

L'opération avait été terrible pour lui, et le voir avec une manche pendante lors de ma visite à l'hôpital m'avait fait mal au cœur… mais une fois libéré de son infection, il avait pu, doucement, basculer sur la pente de la guérison. Il digérait l'idée que son corps ne serait plus jamais le même, et commençait à caresser l'idée de porter un automail. Comme il fallait attendre la cicatrisation complète pour le poser, il avait encore le temps de réfléchir à ce qu'il ferait après.

Une chose était sûre, il ne reviendrait pas tout de suite à Central.

Mustang, quant à lui, était devenu proprement inaccessible depuis qu'il avait repris du service. Cela faisait une semaine qu'il avait quitté l'hôpital pour travailler de chez lui sur l'affaire de l'évasion et si j'avais entendu dire qu'il était revenu au QG plusieurs fois depuis, le début de la semaine, je n'avais pas eu la possibilité de le croiser dans les couloirs. Mes dernières rencontres m'avaient donné l'impression de parler à un mur en dépit de tous mes efforts et toute mon inquiétude. Je me demandais vaguement s'il se comportait de la même manière avec ses collègues ou si j'avais eu droit à un traitement de défaveur.

Si je résumais, de toute l'équipe, la seule personne avec laquelle je pouvais encore travailler aujourd'hui, c'était Falman. Et en dépit de l'affection que je pouvais avoir pour lui, il n'avait jamais été le collègue avec lequel j'étais le plus complice. Si on ajoutait que les derniers événements l'avaient rendu encore plus sérieux qu'à l'accoutumée, l'humour de Breda me manquait plus que jamais.

N'empêche, t'as vraiment déconné, Breda. T'avais pas le droit de me lâcher seul dans cette merde.

— Ça va, Havoc ?

— Mh… ouais.

— Tu dis ça, mais tu sens les idées noires à deux kilomètres.

— Fiche-lui la paix, Carpenter, fit Cage.

— Non, il a raison, admis-je en écrasant mon mégot avant de le jeter à la poubelle. J'ai un peu de mal à me remettre de tout ce qui s'est passé.

— Je peux comprendre, gars. J'aurais pas aimé être à ta place.

— Mais dis-toi qu'on est là !

— Tu vas voir, on est de bons compagnons de murge.

— Carpenter !

Cage s'était indigné, mais la candeur potache de son collègue avait réussi à m'arracher un rire qui les rassurèrent.

— Tu as prévu un truc pour la fête de la Fondation ?

— Non, c'est ma première année à Central, alors je n'ai pas eu l'occasion de fêter la création de la ville jusque-là.

— Raison de plus pour venir avec nous demain. Tu vas voir, c'est top !

— Bon, on se fait un peu chier pendant le défilé, faut avouer, admit Carpenter, mais après, c'est la grosse fête ! La ville est noire de monde du quartier de l'horloge à la vieille ville. Et ils tirent un feu d'artifice depuis la place du marché, c'est vraiment à voir !

— Après, je ne suis pas sûr qu'il y ait autant de monde, cette année, fit remarquer Cage. Avec les attentats et les évadés, les civils ont un peu la trouille de sortir.

— Ça va, l'Armée en a récupéré de plus en plus, et puis ceux qui restent se sont sans doute taillés loin depuis le temps !

Je pensai à Roxane, me demandant si elle s'était « taillée loin », où elle se trouvait, comment elle allait.

Si elle pensait à moi.

— Vous devriez plutôt vous inquiéter de savoir si on ne va pas être réquisitionnés pour garder la prison ou faire du babysitting d'ivrognes, lâchèrent d'autres collègues d'un ton plus las.

— Hé, j'ai prévu le coup, ça fait des mois que j'ai posé mon jour de congé ! répondit Carpenter avec un clin d'œil.

— Moi je me suis fait avoir, soupira Cage. Je pensais avoir demandé assez tôt, mais on me l'a quand même refusé.

— Et toi, Havoc ?

— Moi ? Je n'ai pas le souvenir d'avoir été réquisitionné, répondis-je, tout en me disant que j'allais devoir vérifier avec l'administration ce qu'il en était.

Connaissant Mustang, je n'aurais pas été étonné qu'il ait trouvé un moyen de nous débarrasser de cette corvée pour nous garder concentrés sur notre mission. En repensant à lui, je poussai un nouveau soupir. Il ne voulait toujours pas de mon aide et je me sentais toujours aussi inutile. Peut-être avais-je intérêt à faire comme il le disait, abandonner le combat, reposer le couvercle sur le complot qu'Edward avait découvert et recommencer à profiter de la vie.

De toute façon, je n'avais rien d'autre à faire, aucun objectif concret qui justifie que je me prive de ce genre de moments… autant rendre cette attente moins pénible.

— Mingus arrive, les gars.

— Il faudra que je vérifie, mais on reparlera de ce projet de cuite après le service, lâchai-je avec un clin d'œil.

Chacun se mit au garde-à-vous, écoutant l'ordre du jour du Général, qui, avec ses arcades sourcilières avancées et ses bajoues molles, avait des airs de bouledogue que son caractère ne contredisait pas. Il nous engueula sans raison particulière, nous ordonna de patrouiller avec une vigilance accrue, nous interdisant de discuter pendant les rondes pour ne pas nous laisser distraire. Il fit venir les chefs de patrouille, dont je faisais apparemment partie, nous annonça qu'il ne tolérerait pas qu'une bavure arrive sous ses ordres, puis nous abandonna à surveiller les murailles détériorées de la prison.

Elles avaient rapidement été colmatées par Alchimie, bien sûr, mais l'évasion avait laissé des marques plus profondes. Les gardiens qui avaient été abattus cette nuit-là, bien sûr, mais aussi, surtout, une perte totale de confiance envers le système de surveillance des lieux. En attendant que la prison soit repensée pour empêcher ce genre d'attaques à l'avenir, nous étions envoyés en patrouille de renfort, pour augmenter la sécurité des lieux.

Quand je pensais à la puissance de personnes comme Edward, Scar ou les Homonculus, j'avais surtout l'impression que nous étions des petits soldats de plomb, présents à but purement décoratif. Si l'un d'eux avait décidé de passer, rien ni personne n'aurait pu les en empêcher. Bien sûr, je n'en montrais rien durant notre matinée de patrouille, ou je dirigeais les équipes en ne sachant jamais comment me positionner sur l'échelle de l'autorité. J'étais d'un tempérament plutôt coulant, mais avec le supérieur que j'avais, il valait mieux éviter de le montrer. Si les soldats à mes ordres s'autorisaient des approximations, j'allais en essuyer les plâtres.

Dans le doute, je fis de mon mieux pour me montrer sévère, mais juste.


— Hé, Havoc !

La voix de Hayles me fit tourner la tête, alors que je me dirigeais vers le réfectoire avec mes collègues. À côté d'elle, Falman, et des membres de l'équipe de Kramer.

— Tu viens manger avec nous ?

Je jetai un coup d'œil coupable avec mes collègues qui eurent un sourire philosophe.

— On se retrouve cette après-midi ? conclut Cage.

— Ça marche !

Je saluai mes nouveaux collègues pour rejoindre ceux qui s'apparentaient le plus à mon ancienne équipe. Hayles me gratifia d'une accolade qui ne passa pas inaperçue, puis continua à marcher à mes côtés en discutant.

— C'est ton premier jour de reprise, c'est bien ça ? Comment tu te sens ?

— Je n'ai plus mal aux côtes, mais je reste fatigué… et je n'ose pas trop forcer, je pense que je suis encore un peu fragile, avouai-je en empoignant mon plateau pour me faire servir.

— Va à ton rythme, tu as été bien amoché ce jour-là.

— C'est rien comparé aux autres, fis-je remarquer avec un sourire triste. Et vous, ça va ?

— Bah, beaucoup de travail, répondit Hayles. Notre équipe se tape l'étude de l'évasion, on essaie de retracer comment ils ont fait et de trouver des solutions pour que ça n'arrive plus, mais… ce n'est pas si évident de retracer les événements.

— L'ambiance au bureau est plutôt austère en ce moment, ajouta l'un des deux militaires venus s'attablant avec nous.

Je grimaçai en repensant à Kramer la dernière fois que je l'avais croisé. J'avais bien vu comme son visage s'était refermé après la mort de sa femme. Nous étions allés ensemble à l'hôpital après l'évanouissement de Mustang et quand je l'avais senti aussi paniqué que moi, j'avais eu le sentiment de pouvoir le compter comme un allié à part entière.

Mais ça, c'était avant tout parce qu'il voulait venger sa femme.

Je jetai un coup d'œil au plat du jour, puis levai la tête vers mon ancien collègue.

— Et toi, Falman, tu travailles toujours sous les ordres directs de Mustang ?

— Ouais, je suppose qu'on peut dire ça comme ça. Je viens bosser avec lui, on partage des dossiers et on fait remonter les informations qui nous semblent utiles à l'Armée.

Mon collègue aux cheveux gris m'avait répondu sans enthousiasme, plus concentré sur la salade qu'il avait prise en entrée que la conversation.

— Comment il va ?

Il haussa les épaules faute de savoir quoi répondre au juste.

— Sa santé a l'air de s'améliorer, il se sert beaucoup moins de sa béquille et ne porte plus son bras en écharpe… mais pour le reste, il est aimable comme une porte de prison. J'avoue que je n'ai pas hâte de retourner bosser avec lui, l'ambiance est plus que pesante.

— Il doit avoir du mal à se remettre de ce qui s'est passé, soupira Hayles.

— Comme tout le monde… soufflai-je.

— Est-ce que quelqu'un va reparler de l'info comme quoi cette Bérangère, c'était le Fullmetal Alchemist ? commenta leur collègue, un homme aux yeux vert très clair qui secouait la tête d'un air interdit. Parce que s'il y a un truc dont je me suis pas remis, c'est ça ! J'étais allé deux ou trois fois au Bigarré pour voir Hayles, et j'avais des vues sur elle… Quand je pense qu'en vrai, c'était un mec, iiirk !

— Ce qui me « iiirke » c'est surtout de t'entendre dire ça à propos de quelqu'un qui a quinze ou seize ans, lâcha Falman d'un ton lourd.

— Bah, dites ça à votre ancien supérieur hiérarchique, non ? Moi je me suis contenté d'y penser vite fait. Lui, il lui a carrément fait du rentre-dedans.

— Il pouvait pas savoir, répliquai-je, sur la défensive. Personne pouvait deviner un truc pareil.

— Ouais, si vous le dites.

— Si vous, vous l'avez pas reconnu alors que vous le connaissez depuis des lustres, j'imagine qu'il était vraiment méconnaissable, ajouta l'autre militaire d'un ton pensif.

— C'est vrai, surtout que le Fullmetal avait quand même une réputation de bourrin, non ? Il paraît qu'à chaque fois qu'il allait en mission quelque part, l'Armée casquait pour des réparations et des dédommagements derrière.

J'eus un sourire las. J'avais entendu Mustang s'en plaindre plus d'une fois, je ne pouvais pas contredire mon collègue sur ce coup-là.

— Quand même, un gars qui passe sans transition d'Alchimiste d'État à terroriste, c'est pas courant.

— On reparle de Kimblee ? souffla Falman.

— Kimblee a toujours été taré, fit remarquer le plus grand des deux militaires, alors que du peu que j'en ai entendu parler, Le Fullmetal avait plutôt l'air du genre à défendre la veuve et l'orphelin.

— Ouais, confirmai-je. Pas délicat, mais pas méchant.

— Quand même, je me demande ce qui s'est passé pour qu'il décide d'attaquer le QG de Dublith et s'opposer à King Bradley en personne… souffla le grand militaire d'un ton pensif.

— On saura sans doute jamais, coupai-je.

— Vous qui parliez de Kimblee, vos recherches avancent ? demanda Hayles d'un ton inquiet.

— Oui et non, répondit Falman en se grattant la tête. On a contribué à faire coffrer trois évadés qui étaient partis du côté d'East-City en donnant les bonnes infos, et l'Armée a retrouvé la piste d'un autre dans la région Nord, mais on n'a toujours pas mis la main sur Kimblee. Il s'est évanoui dans la nature, impossible de savoir s'il est à Central ou à des kilomètres de là. Du coup, Mustang est complètement sur les dents.

— J'imagine, ouais, grimaçai-je.

Je n'avais pas besoin de beaucoup d'efforts pour l'imaginer sur les dents. Il me suffisait de repenser aux airs rogues qu'il avait après la disparition d'Edward, à son acharnement lors de l'affaire Harfang. L'œil torve, le ton cassant, travaillant avec acharnement et sacrifiant son sommeil.

— J'espère que l'Armée va bientôt le coincer. Autant y'a des prisonniers qui n'ont pas fait des trucs trop graves, autant Kimblee, je l'ai vu à l'œuvre à Ishbal… Ce gars fait froid dans le dos.

— Vous n'avez vraiment aucune piste ?

— Mustang pense qu'il n'a pas quitté la région et se prépare à frapper fort, mais comme il n'y a aucune trace de lui dans la ville, on n'est sûrs de rien.

— Si j'apprends quoi que ce soit qui puisse être utile à l'enquête, je te le transmets.

— Merci Havoc. Et toi, ça donne quoi de bosser pour Mingus ?

— C'est mon premier jour, donc j'ai pas grand-chose à raconter… pour l'instant, je dirai juste qu'il est à la hauteur de sa réputation, répondis-je simplement. Moins on le voit, mieux on se porte.

— Ça doit être un peu emmerdant de faire les rondes.

— Ce n'est que mon premier jour… il faudrait demander ça à ceux qui font ça depuis dix jours.

Je bus une gorgée avant d'ajouter.

— Pour l'instant, ça me va, je respire le grand air, j'ai pas trop besoin de réfléchir… J'ai jamais été un intellectuel, alors le travail de bureau…

En vérité, pendant cette longue matinée à arpenter les rues longeant les murailles de la prison, j'avais quand même passé un certain temps à ruminer au sujet de Roxane. Où était-elle ? Que faisait-elle ? J'étais retourné au Bigarré, qui n'avait pas plus de nouvelles que moi, ce qui ne m'étonnait pas vraiment. M'envoyer une lettre alors que j'habitais au QG aurait été une décision idiote de la part d'une personne en cavale.

Ils ne l'avaient pas retrouvée après l'évasion, et les membres du Bigarré avaient été furieux — à juste titre — de subir une fouille de l'Armée suite à l'événement. Heureusement, ou qu'elle soit, Roxane était ailleurs. En sécurité, du moins, je l'espérais.

La savoir en prison m'avait angoissé et je me sentais exalté de la savoir en liberté. D'un autre côté, j'étais aussi bien plus inquiet à l'idée des dangers potentiellement infinis qui menaçaient une belle femme en cavale quelque part dans le pays. Quand elle était en prison, mes angoisses restaient enfermées entre quatre murs, alors que là, l'infini des possibles me donnait parfois le vertige. Encore plus quand je pensais à Lacosta, dont je suivais l'évolution avec inquiétude. Je connaissais son attachement à la ville, et savoir qu'elle se délitait de plus en plus me faisait mal au cœur, pour ma rouquine, mais aussi tous ses proches restés là-bas. Je craignais aussi qu'elle y retourne, que les militaires là-bas se montrent impitoyables comme je savais qu'ils pouvaient l'être.

D'un autre côté, j'avais une confiance immense en elle. Elle était forte, débrouillarde, optimiste. Des qualités qui me faisaient défaut ces derniers temps. En y repensant, je me désintéressai complètement de la conversation, trop occupé à me demander comment elle allait, si je pouvais espérer avoir de ses nouvelles, et ne parlai plus jusqu'à la fin du repas.

Réalisant que tout le monde avait terminé pour se lever, je repris pied avec un temps de retard. Je me levai pour quitter la table, vis que Falman s'attardait pour remettre son manteau et décidait de l'attendre. Après s'être débarrassé de son plateau, il se tourna vers moi.

— Havoc… il faut que tu parles à Mustang.

— Qui, moi ? m'étranglai-je. Pourquoi moi ?

— Il m'inquiète. Je disais en blaguant qu'il était aimable comme une porte de prison, mais je n'exagère pas. Tu te souviens de la tronche qu'il faisait après l'enlèvement ?

— Ouais, fis-je en me repensant à cette période à l'éclairage de la relation qu'il avait eue avec Angie.

— C'est pas mieux aujourd'hui. Il mange à peine, il travaille comme un fou.

— Ça, on va pas dire que ça m'étonne, ça fait un moment qu'il est comme ça.

— Oui, mais…

Il resta en suspens, les mains dans les poches, cherchant ses mots en sortant du bâtiment.

— Je ne sais pas comment l'expliquer, je n'ai pas vraiment d'exemple concret, mais j'ai l'impression qu'il est en train de mal tourner, avec cette histoire.

Je me remémorai ma visite à l'hôpital avec une angoisse plantée dans les entrailles. En repensant à son apathie cynique, ses rires sans joie et son regard vidé de toute émotion, je n'avais aucune peine à voir ce que Falman voulait dire. Il était amer, désespéré… dur.

Si vous espérez être sauvé par quelqu'un qui arrive à peine à tenir debout et qui est incapable de manger correctement, vous êtes tombé bien bas.

J'espérais qu'il allait mieux, puisqu'il était sorti de l'hôpital, qu'il s'était remis au travail, mais l'inquiétude de Falman laissait penser le contraire.

— Je veux bien te croire, mais qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ?

— Je sais pas, le faire parler, quelque chose comme ça. Tu me connais, les relations humaines, ce n'est pas trop mon fort… mais là, même moi je me dis qu'on ne peut pas le laisser comme ça.

Je grimaçai.

— La dernière fois que j'ai essayé de discuter avec lui, je me suis fait envoyer chier plus qu'autre chose… Je suis pas sûr d'avoir plus de succès en insistant, au contraire, ça risque de l'énerver encore plus.

— On ne peut pas juste… rien faire. Il a de quoi devenir fou avec ce qui s'est passé.

— Rapport à… Angie ?

— Ouais.

Il y eut un silence gêné. Je savais, il l'ignorait, et maintenant qu'il avait découvert la vérité, cette asymétrie créait un fossé qui mettrait du temps à se résorber.

— Tu en penses quoi, de cette histoire ? Eux deux ?

— L'idée me met mal à l'aise, avouai-je en me grattant la tête, et leur relation a des bases complètement foireuses… mais…

— Mais… ?

— Mustang a besoin d'elle.

Falman hocha lentement la tête, et je vis dans son regard la même confusion inquiète que j'éprouvais en pensant à leur histoire. Ce qui n'aurait dû être qu'une bonne blague était devenu un véritable drame. Nous savions, l'un et l'autre, que notre supérieur était fou d'Angie. Et nous savions que c'était mal, parce qu'Angie, c'était Edward, un gamin, son subordonné, et parce que leur histoire était un empilement de quiproquos et de mensonges. Et après ? Qu'est-ce qu'on était censés dire, après ? Qu'est-ce qu'ils allaient pouvoir faire, après ça ?

Bon, déjà, c'est pas trop mes oignons, et ensuite, parti comme c'est, ils vont pas avoir l'occasion d'en discuter de sitôt, pensai-je en me grattant l'arrière du crâne avec un soupir.

— Il faut que je retourne bosser, épiloguai-je. Tu connais la réputation de mon patron.

— Et tu connais le mien, répondit Falman avec un sourire las.

— J'essaierai de lui parler. Mais je ne te promets rien.

Je quittai mon ancien collègue avec un signe de main, puis lâchai un soupir. Parler à Mustang, sur le principe, je voulais bien, mais encore fallait-il que j'arrive à le croiser.

Et encore fallait-il qu'il accepte de me répondre.


L'opportunité se présenta dès la fin d'après-midi, quand, arrivant au stand de tir, je découvris que Mustang avait pris le tiroir du fond pour s'entraîner. Je m'approchai jusqu'à l'emplacement à côté du sien et m'installai, observant sa cible au passage.

Il est manifestement venu se calmer les nerfs, pensai-je en constatant la cadence de ses tirs et le peu de soin dans sa posture.

Malgré le fait qu'il ne faisait pas de grands efforts, je pouvais constater ses progrès. Hawkeye, quand elle lui donnait des cours privés, était restée très évasive à son propos, mais avait laissé échapper une ou deux phrases qui laissaient penser qu'il était catastrophique, et pour avoir espionné une ou deux de ses séances à ses débuts, j'aurais eu du mal à lui donner tort. J'avais vu des bleus meilleurs que ça.

Quand la cloche résonna, annonçant la pause, je n'avais même pas encore tiré. Je retirai mon casque et passai la tête dans la stalle d'à côté.

— Oh, Général, c'est vous ? fis-je d'un ton faussement innocent.

— Havoc… gronda-t-il.

— Heureux de voir que votre bras est rétabli. Ne forcez quand même pas trop.

Mustang souffla avec lassitude et ne répondit pas, se contentant d'attraper sa cible pour la décrocher. Je m'étonnais de découvrir que ses tirs étaient groupés dans les trois premiers cercles, surtout en pensant à la cadence à laquelle il avait tiré.

— Joli tir ! Je savais que vous vous entraîniez, mais je ne pensais pas que vous étiez devenu aussi bon.

— N'essayez pas d'être lèche-botte avec moi, ça ne prendra pas.

Le ton était sec. Il ne me laissa pas le temps de répliquer et remit son casque pour clore la conversation, puis s'appliqua à installer une nouvelle cible qui recula en même temps que les autres. Sa réaction et le fait qu'il soit armé me firent renoncer à insister, et comme le voyant passait au vert, je m'installai pour m'entraîner à mon tour. En entendant la vitesse de ses tirs à côté de moi, je devinais sa rage, et me dis avec un peu de dérision que s'il était armé, ce n'était sûrement pas le meilleur moment pour lui traîner dans les pattes. Je décidai de ne pas insister pour le moment et de retenter ma chance quand il quitterait le stand et serait moins orienté sur sa tâche.

Après tout, je suis avant tout venu pour m'entraîner au tir, hein… pensai-je avec une pointe de culpabilité.

En vérité, même si j'arrivais à l'aborder, je ne savais pas trop quoi dire pour l'aider. « Désolé que la femme que vous aimiez soit Edward Elric, Général. » ou « Vous avez l'air mal dans votre peau, je peux vous aider ? » ne me semblaient pas être d'une grande utilité dans un cas comme dans l'autre. Il n'avait pas envie de me parler, il me le faisait savoir clairement, et moi, que pouvais-je dire pour le soutenir ? J'étais bien incapable de trouver les mots justes.

Je ne savais même pas si des mots justes existaient pour une situation pareille.

Pourtant, quand, une demi-heure plus tard, il remballa son arme et reprit sa canne, je rangeai moi aussi mon arme pour le suivre. Après avoir rendu les munitions restantes et les douilles à l'accueil du centre, je me hâtai à sa suite.

— Général !

Il se tourna vers moi avec l'air un fauve qu'on dérange, mais je ne cessai pas de m'avancer à ses côtés.

— Vous ne voulez pas boire un verre ? Ça fait longtemps que je ne vous ai pas vu, j'aimerais avoir de vos nouvelles.

Avec notre différence de grade, la proposition aurait été insultante si nous ne nous connaissions pas, si nous n'avions pas passé nos soirées ensemble au Bigarré durant les mois passés.

— Les nouvelles, c'est que j'ai du travail, souffla-t-il d'un ton agacé.

— Vous ne pensez pas qu'il est l'heure de raccrocher et souffler un peu ? fis-je d'un ton sincèrement inquiet. Vous êtes encore en convalescence.

— Pas alors que la fête de la Fondation a lieu demain.

— Quel rapport avec vous ?

— La fête va battre son plein demain soir, et tous les militaires qui n'auront pas pris leur jour de congé pour rouler sous la table seront mobilisés pour surveiller le déroulement de la fête, empêcher les débordements et d'éventuelles attaques de nos évadés.

— Et… c'est plutôt bien, non ?

Même si je n'avais pas trop la tête à ça, l'idée que les autres fassent la fête et continuent à vivre était à mes yeux plutôt positive.

— Pas quand je soupçonne Kimblee de préparer quelque chose pour l'occasion.

— Vous pensez qu'il va attaquer ? Qui ?

— Je ne sais pas qui et c'est ça qui m'agace. J'ai conseillé à mes supérieurs de renforcer les patrouilles autour du QG, d'augmenter la garde rapprochée de Bradley et des autres Généraux…

— … Mais ? tentai-je, étonné qu'il daigne me parler.

Je m'engouffrai dans la brèche, même si ce n'était pas le sujet qui me paraissait le plus alarmant.

— J'ai beau analyser les retranscriptions des interrogatoires et essayer de le cerner, je n'arrive pas à savoir quelle sera sa cible. Et mes supérieurs refusent de « déployer des moyens de grande ampleur sur la base de mes intuitions ».

Je jetai un coup d'œil à Mustang qui avait cité ces derniers mots d'un ton amer. Je sentais toute la frustration face à son impuissance et de l'humiliation. Le sous-entendu sur ses instincts devait être une pique sur le fait qu'il n'avait pas reconnu Edward à travers le déguisement d'Angie.

Un instant, je pris conscience du fait que, même s'il était un Alchimiste d'état et une personne remarquablement intelligente, c'était aussi un homme d'environ mon âge, aux prises avec la rancœur de ses subordonnés et le mépris des hauts gradés les plus expérimentés qui ne se privaient pas d'une occasion de le rabaisser. Je l'avais toujours vu lutter pour gravir les échelons et hausser les épaules face aux critiques, comme si ce qu'il faisait était facile.

C'était faux.

C'était épuisant, humiliant, et pendant que j'étais un militaire normal, avec des problèmes de gars normal, lui vivait… ça. Je n'arrivais même pas à imaginer ce que je pouvais ressentir à sa place, mais ma volonté de le soutenir n'en fut que plus forte.

— Pour ce que ça vaut, Général… mon ancien supérieur avait fait poser des congés à toute son équipe pour la soirée de demain… vu que je ne suis pas réquisitionné pour l'encadrement de la soirée, je peux venir vous aider dans vos recherches.

Il tourna vers moi un regard surpris, puis me jaugea de haut en bas.

— Pourquoi pas ? Je ne sais pas à quoi vous pourrez servir, mais sait-on jamais.

Je m'autorisai un sourire victorieux. Bon, j'étais loin de l'avoir fait parler, comme l'espérait Falman, mais j'avais réussi à l'approcher, et ça me paraissait déjà inespéré.

— Bon, maintenant, fichez-moi le camp. Je vous attends demain dans mon bureau, dès que vous avez terminé votre service, mais j'ai des choses à faire en attendant.

— Oui Général ! répondis-je avec un salut enthousiaste


Je toquai à la porte rouge, puis fourrai les mains dans les poches pour les protéger du froid, me balançant d'un pied sur l'autre, la poignée d'un sac pesant sur mon poignet droit. Je me sentais un peu ridicule, à attendre dehors devant le Bigarré fermé… comme si c'était une bonne idée de venir les déranger, alors qu'ils devaient avoir assez de soucis à régler. Bon, d'accord, j'avais acheté une boite de chocolats, mais ça ne changeait rien au fait que je n'étais pas attendu.

Pourtant, quand la porte s'ouvrit sur Claudine, sa surprise laissa vite la place à un sourire doux.

— C'est Havoc ! s'exclama-t-elle à l'intention de l'intérieur du bâtiment.

— Fais-le entrer ! répondit au loin la voix de Mel.

Claudine claqua la porte derrière moi et me proposa de me décharger de mon manteau, tandis que j'entendais le brouhaha d'une discussion animée.

— Quel bon vent t'amène ?

— Je voulais savoir comment vous alliez, tous, depuis la dernière fois ?

— Viens voir par toi-même ?

Je hochai la tête, tellement parti dans l'idée de déposer une boite de chocolats avant de rentrer que j'étais tout désarçonné.

En même temps, les connaissant, j'aurais pu m'y attendre. Ils ont toujours été du genre accueillant.

Accueillant et bruyants. À peine arrivé dans le long couloir, j'entendais déjà les échos d'une discussion animée.

— Non, on ne peut pas la garder, Natacha !

— Mais, regarde-là, elle est toute petite !

— Et elle est trop mignooonne !

— Et où veux-tu la mettre ? On ne peut pas la garder dans le jardin, elle boulotterait tout !

— Je suis prête à la garder dans ma chambre, si ce n'est que ça !

— J'aimerais bien voir ça, tiens !

Claudie poussa la porte donnant sur la grande salle et je découvris un étrange spectacle.

Natacha avait récupéré une des décorations de houx desséchés pour les poser en couronne sur sa tête, et répondait à Mel en faisant de grands gestes empreints de passion théâtrale, pendant qu'une petite chèvre, debout sur les sofas, commençait à croquer un des glands décorant les coussins. Mel s'en rendit compte et tâcha de soustraire le coussin à l'appétit de l'animal tandis que je restai sur le pas de la porte, perplexe.

La plupart de la bande du Bigarré était là, suivant les échanges, certains debout, d'autres assis sur les sièges, plus amusés qu'inquiets. Je vis Andy, assis sur un fauteuil près du piano, engoncé dans ses deux plâtres, mais le visage rieur. Wilhelm, lui, avait tourné le tabouret du piano pour observer l'échange. La petite chèvre, privée de son en-cas, sauta du siège pour aller sur un canapé ou elle rebondit légèrement. Elle retomba sur ses sabots, se figeant quelques secondes puis se remit à sautiller sur place de plus en plus énergiquement, visiblement ravie du ressort du siège.

— Qu'est-ce que… ?

— Comme le Bigarrré est rrresté ferrmé pendant les trrravaux, Natacha en a prrrofité pour visiter sa famille, qu'elle n'avait pas vue depuis longtemps. Et… ils lui ont offerrt une chèvrre.

— Une… chèvre ? Mais on est en ville !

— Ses parrrrents sont comme ça, répondit Aïna en haussant les épaules. C'est à eux qu'on doit les poules, d'ailleurrs. Et les arrbrres frruitiers plantés dans le jarrdin. Et la rréserrve d'arrrdoises, et…

— Oh, Havoc, tu es là ? Je ne savais pas que tu comptais venir ! s'exclama Hayles en s'approchant pour me saluer.

Elle me fit une accolade, suivie de près par les autres qui me saluèrent avec plus de distance, mais de larges sourires. Je leur répondais, rassuré de les voir plutôt joyeux, mais ne pouvais m'empêcher de fixer du coin de l'œil la petite chèvre avec une pointe de méfiance.

— Vous avez l'air plutôt en forme, je suis content, lâchai-je.

— On tient le coup ! Les travaux sont presque finis, on pense rouvrir après la fête de la Fondation. Et toi, ça va ? Ta côte cassée ?

— A priori, je suis comme neuf, répondis-je en étendant les bras. Oh, et j'ai ramené des chocolats !

— Oh, merciii ! s'exclama Natacha en se penchant sur la boite que je tenais dans les mains.

— Nat, on n'a pas fini notre discussion ! rappela Mel avec une autorité toute maternelle.

— Moi je dis, on la garde, répondit Hayles. Elle est beaucoup trop chou.

— Quand même, les animaux, ça sent fort, fit Clara. Et puis, c'est vrai, comment on va la nourrir ? On a du terrain, mais il sert déjà de potager…

— Hé, ce n'est pas le moment de vous gaver de chocolat, le repas est presque prêt ! s'indigna Mel en me voyant entouré comme une petite vieille jetant du pain aux oiseaux. D'ailleurs, Havoc, si tu veux manger avec nous…

— Oh, vraiment ? C'est gentil, mais je ne voudrais pas déranger !

— Tu ne déranges pas.

— Tu as ramené des chocolats. Tu ne peux pas déranger ! ajouta Jessica avec un rire, en refermant tout de même la boite dont le contenu avait commencé à s'évaporer.

— Mais les chèvres, ça donne du lait ! On pourrait faire du fromage ! Un pas de plus vers l'autarcie !

— Ça, ça irait si on avait le terrain qui va avec ! Mais on est en ville et le jardin n'est pas assez grand pour la nourrir.

— Elle pourrait aller se nourrir dans les cours qu'il faut désherber. Je suis sûre qu'il y a des gens que ça arrangerait !

— Et qui s'occupera de la surveiller pendant ce temps ?

Laissant le duel se poursuivre, je traversai la pièce pour saluer Andy et Wilhelm, qui étaient restés à l'écart, mais hochèrent la tête quand j'approchai, apparemment contents de me voir.

— Désolé, je n'ai pas eu le courage de me lever, fit piteusement le jeune danseur.

— Je peux comprendre, fis-je avec une grimace en voyant les plâtres imposants. Ça va, pas trop dur ?

— Ça va mieux, j'ai moins mal qu'avant et les médecins sont plutôt confiants pour la suite… mais ça prend du temps, et qu'est-ce que c'est chiant!

Son ton agacé m'arracha un rire. J'avais peur de le voir plus dévasté que ça, sachant à quel point il était du genre à s'activer et danser au moindre prétexte, mais il était plutôt souriant, même si on voyait qu'il avait un peu grossi et semblait fatigué.

— C'est un mauvais moment à passer, mais tu guériras, répondis-je avec un sourire que j'espérais rassurant.

— Y'a intérêt ! J'en ai ras le cul de passer mes journées assis !

— Ça va, il n'est pas trop pénible ? lançai-je en riant à l'intention de Wilhelm.

Le pianiste sursauta tandis qu'Andy râlait, puis s'autorisa un sourire, d'autant plus étrange et touchant que je ne l'avais jamais vu avoir cette expression.

— Ça va, répondit-il sobrement.

Après ce que m'avaient dit les jumelles le jour de l'enterrement, je regardais le duo avec une perplexité circonspecte. Rien dans leur comportement ne laissait penser qu'ils sortaient ensemble, mais je sentais tout de même un changement, une sorte de complicité paisible qui tranchait avec le souvenir que j'avais de leurs échanges.

J'aimais autant qu'ils ne soient pas trop démonstratifs, je savais que je n'aurais pas pu m'empêcher d'être embarrassé, mais s'ils étaient heureux ensemble, ça m'allait très bien.

Derrière moi, les autres argumentaient pour ou contre la chevrette, pendant que celle-ci continuait à explorer la pièce en sautillant avec insouciance. Sa présence incongrue m'amusait et il fallait avouer que cette petite boule de poils cornue et pleine de joie de vivre collait plutôt bien avec l'esprit des lieux.

— Vous croyez qu'ils vont la garder ? demandai-je.

— Non, répondirent-ils à l'unisson.

— Pourquoi pas ? Elle est mignonne, lâchai-je tout en sachant que j'aurais réagi de la même manière qu'eux si j'avais dû la rapporter chez moi.

— Les chèvres, ça mange n'importe quoi, lâcha Wilhelm. Elle ferait trop de dégâts.

— Et puis, Mel s'occupe en priorité des animaux errants à deux pattes, répondit Andy avec un sourire.

— D'ailleurs, en parlant d'animaux… je ne vois pas Black Hayatte ?

— Il a quitté le Bigarré, lâcha Andy.

— Oh mince ! Mais pourquoi ?

— La cohabitation avec Cerise était compliquée. Elle est très territoriale et lui donnait des coups de patte dans la truffe à chaque fois qu'ils se croisaient. Black Hayatte n'osait pas se rebeller, mais du coup il passait son temps à se planquer ou se faire attaquer injustement.

— Oh non, pauvre bête…

J'oscillais entre la compassion et le rire à l'idée de voir ce gros chien se faire dicter son comportement par un chat qui pesait un cinquième de son poids. En même temps, en étant éduqué par Hawkeye, je l'imaginais mal se rebiffer face à une forme d'autorité, surtout féminine.

— Du coup, on tâchait de les garder dans des pièces différentes, mais ça faisait beaucoup de logistique…

— Mais dans ce cas, il est parti où ? Il va bien au moins ?

— Pas trop loin, répondit Andy avec un sourire. Il a été placé chez les Luther, les parents de Molly, en attendant de voir comment les choses se passent du côté de Hawkeye. Il est bien soigné et tout le monde l'adore là-bas. Et puis, apparemment, sa présence fait du bien à Molly. Elle joue avec lui, recommence à sortir pour le promener… il l'aide à surmonter ses peurs depuis… depuis l'attaque.

— Oh… je vois. C'est bien, alors.

Je repensais à la petite joueuse de batterie. La dernière fois que je l'avais vue, c'était ce soir-là, alors qu'elle était terrée contre un mur, hurlant de terreur. Elle était jeune et en plus de cela, avait un je-ne-sais-quoi d'étrange et de sauvage. Le choc de l'assaut l'avait traumatisée et après avoir entendu qu'elle allait plutôt mal au moment de l'enterrement de Tallulah, l'idée qu'elle reprenne pied me soulageait. Et du peu que j'avais pu voir de Black Hayatte, c'était un chien affectueux qui serait ravi de prendre soin d'elle.

— Dans ce cas, on pouvait difficilement imaginer une meilleure solution.

— Tu aurais voulu l'adopter ? demanda Wilhelm en voyant que j'avais malgré tout l'air mélancolique.

— Houla ! Dans ma chambre en caserne ? Je n'aurais pas le droit, et ça serait de toute façon invivable !

Je tâchai de rire, essayant d'effacer l'inquiétude lancinante que j'avais à chaque fois que je pensais à Hawkeye, à sa guérison invisible, à son silence. Ne pas parler pendant des jours pouvait sembler surréaliste, mais si quelqu'un dans mes connaissances était capable d'avoir cette persévérance austère, c'était bien elle.

Des claquements sur le parquet me tirèrent de mes sombres pensées et je tournai la tête, découvrant que la chevrette s'était approchée pour renifler mes bottes. Elle était encore plus petite que je le pensais, dépassant à peine mes genoux au garrot, et j'avais l'impression de voir une peluche sur pattes. Une pensée attendrissante qui s'éteignit aussitôt qu'elle commençant à mâchonner mes lacets.

— Virginie ! reviens ici ! lança Natacha d'un ton autoritaire.

La chèvre s'immobilisa avant de tourner la tête vers sa maîtresse, tirant sur le nœud coincé entre les dents.

— Ça ne se fait pas de manger les chaussures des gens !

Sa réplique arracha un rire à plusieurs témoins bien conscients qu'un animal qui pensait que des chaussures étaient comestibles avait peu de chance de connaître le concept de bonnes manières. Pourtant, quand elle lâcha mes lacets pour bêler en guise de réponse, elle semblait comprendre celui d'insolence.

De mon côté, résolu à ne prendre aucun parti, j'en profitais surtout pour éloigner mes bottes. Natacha s'approcha de la chèvre pour l'attraper, et celle-ci s'éloigna d'autant avant de se mettre à courir en bondissant, apparemment ravie de tester un nouveau jeu. Je me tournai vers Andy et Wilhelm, qui secouèrent la tête.

— Elle est en train de perdre le match, commenta Andy avec un regard distant.

— Je croyais que tu t'entendais bien avec Natacha. Tu ne veux pas soutenir une amie ?

— Quand il s'agit de faire des bêtises avec elle, oui… mais pourquoi je résisterai à la tentation de la regarder galérer alors que c'est beaucoup plus amusant que de trouver des arguments sérieux ? Elle réagirait pareil à ma place, ajouta-t-il en me voyant ouvrir une bouche indignée.

— Je confirme, ajouta le pianiste d'un ton blasé. Andy et Natacha, c'est de meilleurs amis indignes.

— AHA ! Je t'ai eue ! s'exclama la voix victorieuse de Natacha, qui avait soulevé à bras le corps la bête dont les sabots pédalaient énergiquement dans le vide tandis qu'elle tournait la tête dans tous les sens en bêlant. Désolé, Virginie, mais comme tu ne sais pas te tenir, je vais être obligée de te rattacher.

— Tu n'aurais jamais dû la détacher en prremier lieu, signala Aïna, pragmatique.

— C'est prêt, il ne me manque plus que des bras pour mettre la table ! clama Lily-Rose en ouvrant la porte de la cuisine.

— On arrive ! s'exclamèrent Hayles, Aïna, Lia, et Natacha, toujours les mains prises.

— Oh, Havoc, tu es là ? Tu restes manger ? On te rajoute une assiette !

— Je…

Je n'eus le temps ni de la remercier ni de décliner qu'elle retourna dans la pièce, les châles et jupons disparaissant dans son sillage.

— Bon… soupira Andy en se redressant. Quand faut y'aller…

Wilhelm avait aussitôt bondi et l'aida à se relever, le tenant de près. En voyant Anders s'appuyer en toute confiance sur le pianiste qui était pourtant du genre à fuir tous les contacts physiques, j'eus l'impression de surprendre un moment d'intimité qui me poussa à me retourner vivement pour me mettre en marche vers la cuisine qui allait rassembler toute la bande.

Et la chèvre.

Je savais déjà que j'allais passer une bonne soirée.


L'après-midi était déjà bien avancée quand j'avais rejoint le bureau de Mustang pour l'assister dans l'enquête. J'avais pris une grande inspiration avant de toquer à la porte de cette pièce étrangère.

— Entrez !

Je poussai la porte du coude, deux cafés à la main, pour entrer dans le fastueux bureau situé dans une des anciennes ailes du QG ou Mustang avait officiellement déménagé en revenant de son arrêt maladie. La pièce avait beau être assez somptueusement décorée, sa méthode de tri n'avait pas changé : une véritable mer de paperasse avait envahi le parquet et alors que Falman avait pris sa place sur le fauteuil du bureau, Mustang s'était assis à même le sol, affalé contre le meuble, entouré de dossiers disposés en demi-cercle, en poussant certain de sa canne. Il releva légèrement la tête en me voyant arriver.

— Ah, c'est vous, Havoc.

— Bonne idée, le café, commenta Falman.

— Je me suis dit que vous turbiniez depuis un moment et que ça vous ferait du bien.

Falman hocha la tête en attrapant la tasse avec un sourire, quand Mustang attrapa la sienne sans me regarder, les traits tirés, le nez dans les paperasses.

— Où vous en êtes ?

En les voyant plongés dans la documentation, je pris soudainement conscience qu'une personne comme moi risquait d'être bien inutile pour un travail de recherche et de réflexion.

— Pas plus avancés que ce matin, répondit Falman.

— Je suis pratiquement sûr que Kimblee va tenter quelque chose ce soir, répondit Mustang. Symboliquement, l'occasion est trop belle. Mais je ne sais pas qui, ni comment. J'ai prévenu l'Armée d'avoir une surveillance accrue du côté des Généraux, mais je ne pense pas qu'ils me prennent au sérieux. Ils sont convaincus que Kimblee est reparti dans l'Est.

— Qui il voudrait tuer en particulier ? fis-je en me grattant la tête, m'asseyant sur le coin du bureau occupé par Falman.

— C'est la question, soupira Falman. Depuis son évasion, il est littéralement invisible. On n'a eu aucun écho, aucune trace de lui, nulle part. Aucune attaque, aucun mouvement qui permettraient d'avoir des indices sur sa prochaine action.

— Est-ce qu'il ne pourrait pas juste être mort ? tentai-je d'un ton plein d'espoir.

— Ce type est un scorpion, il survivrait même en plein désert s'il avait l'espoir de pouvoir tuer autrui. Connaissant son caractère, je m'étonne qu'il ne se soit pas encore fait remarquer, au bout de 10 jours d'évasion… Pour ne pas céder à ses pulsions, il a forcément un plan.

— Est-ce qu'il ne voudrait pas vous attaquer, vous ? fis-je à l'intention de Mustang.

— Dans mon état actuel, je ne représente pas un défi assez amusant pour qu'il y trouve un intérêt, répondit-il avec un sourire las qui faisait sentir toute la lassitude et tout le mépris qu'il avait envers lui-même.

— N'en soyez pas si sûr, il ne faudrait pas tomber dans l'imprudence, m'inquiétai-je.

Si c'était le cas, je comptais bien le protéger, mais je n'étais pas sûr d'y suffire.

— Il ne doit plus y avoir grand monde dans le QG, insistai-je, inquiet en réalisant tout à coup que nous étions vulnérables. Ils doivent tous être partis pour le feu d'artifice. Que ce soit pour l'admirer ou surveiller la foule, toute la ville sera là pour le bouquet final. Si Kimblee décidait de venir ici pendant ce temps…

Roy se figea et leva les yeux vers moi avec un air défait.

— J'ai dit une bêtise ?

— Un bouquet final… murmura Mustang d'une voix blanche.

— Quoi ?

— Pendant des jours, j'ai pris le problème dans le mauvais sens… Kimblee ne va pas s'attaquer à une personne en particulier. Il n'a pas de désir de vengeance spécifique. Il a des principes, mais ce ne sont pas ceux-là.

En disant ça, il avait plongé en avant pour fouiller le tas de paperasses et en extraire un plan.

— Dans ce cas, quels seraient ses principes ? demanda Falman en se redressant.

— Le sens du spectacle. Il veut juste faire un maximum de dégâts, peu importe la cible.

— … Le feu d'artifice ? fit Falman d'un ton inquiet.

— Le feu d'artifice sera tiré depuis l'île des pairs, donc tout le quartier Est sera bondé. S'il arrive à provoquer une explosion à cet endroit-là, il peut faire des dégâts considérables… fit Mustang en tapotant le plan.

— S'il décide de transmuter un des spectateurs en bombe…

— Ça fera du dégât, oui, mais ça ne lui suffira pas, fit Mustang d'un ton agacé. Avec son tableau de chasse passé, il voudra tuer plus de monde que ça avant de se faire canarder… l'occasion est trop belle pour qu'il la gâche.

— Vous pensez qu'il a décidé de trafiquer le feu d'artifice ? demandai-je.

— Non, fit Falman. Il est seul, et la sécurité a été renforcée sur l'île des pairs. Il se ferait canarder avant de poser un pied sur l'île.

— Il lui faut des ressources pour faire une explosion de grande ampleur…

— On n'a eu aucun report d'effraction ou de vol ces derniers jours, commenta Falman en retournant fouiller une autre pile de papiers.

— Oui, on a surveillé ces informations-là de près. Donc, il n'a pas d'équipement ou de matières premières… Il lui faut quelque chose qu'il n'ait pas besoin de voler… à laquelle il peut accéder seul, ou presque…

À ce moment-là, la porte toqua, laissant passer Hayles qui entra dans la pièce, les bras chargés de sandwiches et s'étonna de nous voir tous les trois, à genoux dans les papiers.

— Qu'est-ce que vous faites ?

— On essaie de déjouer un attentat, répondis-je avec un sourire contrit.

— LE GAZ !

Mustang avait asséné ces mots d'une voix forte, les accompagnant d'une grande claque sur le plan de Central qui nous fit tous sursauter.

— Pardon ? fit Hayles.

— Bon sang, comment j'ai pu passer à côté de quelque chose d'aussi évident ? Falman, allez à la bibliothèque ! Il nous faut la carte du réseau de gaz de Central !

— Oui Général ! fit-il en sautant sur ses pieds pour quitter la pièce.

Mustang leva le bras et tira le téléphone pour le faire tomber sur ses genoux et composer un numéro.

— Allô ? Général Mustang à l'appareil. J'ai besoin des plans du réseau de distribution de gaz d'urgence. Je vous envoie quelqu'un pour aller les chercher. Oui, Falman, exactement. Merci.

Il raccrocha, fouilla ses notes, puis composa un nouveau numéro.

— Allô, je suis bien au deuxième laboratoire ? Oui, Général Mustang à l'appareil, je voudrais parler au Général de Division Lewis, c'est pour une urgence… Quoi, le code ? lâcha-t-il en levant les yeux au ciel. « Trois, œuf, chandelle, huit, sept, clé. » Oui, bien sûr, c'est le bon code, vous me prenez pour un idiot ? Je vous dis que c'est urgent !

De mon côté, je me relevai en m'époussetant, cherchant ce que je pourrai faire d'utile. Je croisai alors le regard de Hayles qui se posait manifestement la même question.

— Qu'est-ce qui se passe ?

— Mustang a eu une épiphanie, répondis-je.

— Mais encore ?

— On se demandait ce que Kimblee allait faire, et en discutant, il a réalisé que le contexte était parfait pour faire un attentat. J'ai pas les détails techniques, mais Mustang pense qu'il va utiliser le gaz d'une manière ou d'une autre. Après, je n'en sais pas plus…

— Allô, Lewis ? Ici Mustang. Oui, je sais que vous êtes occupés par la gestion de la fête, mais justement… il faut annuler le feu d'artifice et évacuer le quartier.

Hayles ouvrit de grands yeux en l'entendant annoncer ça de but en blanc, imaginant sans doute la réaction du supérieur à l'autre bout du fil.

— Non, ce n'est pas une blague. Kimblee va faire sauter le quartier en utilisant les installations de gaz. Oui, j'en suis sûr. Non, je ne sais pas où il est actuellement, mais dès qu'on l'a localisé avec mon équipe, je vous le transmets. Comment j'en suis arrivé à ces conclusions ? Vous croyez qu'on a le temps pour ça ?

Une voix à l'intonation sévère résonna dans le combiné et la mine de Mustang s'endurcit, laissant deviner que la discussion ne prenait pas le tour espéré. La porte claqua, laissant passer un Falman à bout de souffle qui tenait le plan à la main. Mustang lui fit signe de venir tout en continuant à écouter.

— Je vous dis qu'il faut évacuer. Oui, j'insiste. Et oui, il faut absolument annuler le feu d'artifice. Le gaz est plus léger que l'air, si une fuite entre en contact avec une des fusées, c'est l'explosion assurée. Vous ne vous rendez pas compte des dégâts que l'on risque… L'incendie peut toucher tout un quartier, et vous vous vous souciez de l'image publique ? Vous n'avez pas de meilleures priorités ?! Oui, je suis insolent, mais c'est parce que vous ne m'écoutez pas ! Oui, oui, vous pourrez m'envoyer en cour martiale demain si ça vous chante, à condition d'être encore en vie pour le faire. Je vous laisse, j'ai un attentat à déjouer.

Mustang jeta le combiné pour raccrocher d'un geste rageur et se pencha un peu plus sur la carte, tandis que nous échangions des regards estomaqués. Mustang devait être vraiment furieux, paniqué aussi, pour parler ainsi à un supérieur.

— Quelle heure est-il ?

— 9 heures 11, annonçai-je.

— Le feu d'artifice est ?

— À 10 heures, répondit Hayles.

— Savez-vous comment se répartit la population durant ces soirées ?

Hayles se pencha à son tour sur le plan pour détailler ce qu'elle savait. Le téléphone se remit à sonner, mais Mustang l'ignora superbement, les yeux plantés sur la petite brune pour qu'elle en fasse autant.

— Les gens se massent le long des rives, du pont du Boulevard jusqu'à la vielle ville, lâcha-t-elle. C'est là qu'on a la meilleure vue. Traverser les ponts est impossible à cette heure-ci, ils sont bondés.

— Sur quelle rive y aura-t-il le plus de monde ?

— Côté Ouest. La vue est bonne et les gens préfèrent être de ce côté-là pour prolonger la fête dans le quartier de l'Horloge.

Mustang l'écoutait avec attention, tout en suivant du doigt les lignes labyrinthiques de la circulation de gaz, en quête d'un point névralgique.

— Bien, on a une chance d'y accéder, souffla-t-il.

— Qu'est-ce que vous cherchez, Général ?

— Le point qui permet de faire le plus de dégâts sur la rive Ouest.

— Le long de la rivière, c'est le troisième district Nord, il est contrôlé par ce centre de distribution, annonça Falman en pointant un autre point de la carte.

— Il alimente les trois districts, incluant le QG… Havoc, au lieu de bayer aux corneilles, trouvez-moi le numéro d'urgence du centre de distribution Nord !

— Oui Général, bredouillai-je avant de réaliser que je ne savais pas où chercher.

Falman me sauva la mise en désignant l'annuaire militaire posé sur le bureau. Je me précipitai dessus, tournant les pages d'une main maladroite en quête des coordonnées.

— Comment on peut être sûr qu'il va attaquer ici ? Il peut se placer ailleurs, sur un nœud plus petit…

— S'il est au centre de distribution, il pourra contrôler directement l'ensemble du réseau avec l'équipent présent. Créer des surpressions, ajouter de l'air dans les canalisations pour les rendre inflammables… Si j'étais à sa place, c'est définitivement ici que j'irai. Je couperais les vannes du premier district pour réorienter toute la production dans le deuxième district en priorité, mais aussi le troisième — pourquoi se priver d'une opportunité de faire sauter le QG de Central, après tout ?

— Général, vous faites peur, lâchai-je en composant le numéro, avant d'écouter le téléphone sonner dans le vide.

— La surpression des tuyaux va provoquer des fuites un peu partout sur le réseau, selon l'usure — impossible de savoir où il va céder exactement. Le quartier entier se retrouve baignant dans le gaz, et quand le feu d'artifice commence…

— Et si le feu d'artifice ne provoque pas d'explosion ? demanda Falman. La densité de gaz sera peut-être trop faible une fois à l'air libre ?

— Si c'est le cas, il lui suffit de rajouter de l'oxygène dans les tuyaux pour augmenter encore la pression et avoir un mélange inflammable, et une simple étincelle suffira à faire exploser toutes les canalisations du quartier.

— Ça fait froid dans le dos… murmura Hayles.

— Vous pensez vraiment qu'il peut prendre un centre de distribution d'assaut à lui seul ? Ils ne sont pas surveillés par l'Armée ?

— Ils sont tous obsédés par la fête de la Fondation, ça m'étonnerait qu'il y ait grand-monde sur place. Et moi aussi, j'ai insisté pour qu'on renforce la protection des Généraux. Quel idiot j'ai été !

— Quand même, entrer seul et prendre le contrôle d'un bâtiment entier…

— Kimblee reste un Alchimiste d'état, répondit simplement Mustang.

Falman lui lança un coup d'œil, réalisant en même temps que moi que si Mustang avait voulu faire une chose pareille, il en aurait sans doute été capable.

Cette pensée était un peu vertigineuse.

Et le Centre ne répondait pas.

— Personne à l'autre bout du fil, Général, annonçai-je d'une voix blanche.

— C'est ce que je craignais. On y va, répondit Mustang en se levant, attrapant sa canne.

— Quoi ?! Nous ?

— Vous voyez quelqu'un d'autre disponible pour nous aider ? lâcha Mustang d'un ton agacé. Ou vous préférez attendre que des renforts arrivent, sachant qu'ils sont presque tous dans la zone à risque ?

Le téléphone sonna de nouveau et Mustang leva les yeux au ciel, décrochant tout de même.

— Allô, Lewis ? Oui, ça sent le gaz dans les rues, ça vous étonne vraiment ? On a localisé Kimblee, il est au centre de distribution Nord. On y va avec notre équipe, mais du renfort sera bienvenu. Si vous pouvez profiter de votre autorité pour ordonner à l'usine de gaz de couper l'alimentation du centre de distribution Nord, ça nous sera d'une grande aide. Pour le reste, comme j'ai dit tout à l'heure. Annulez les feux d'artifice, évacuez le district 3 et annoncez aux civils l'interdiction d'allumer toute flamme ou étincelle dans le périmètre. Ils risquent « juste » de faire sauter le quartier. Je vous laisse vous occuper de la communication et de l'image publique, je sais que vous tenez ça à cœur.

Mustang raccrocha le téléphone d'un geste assuré et fit volte-face, puis sorti de la pièce, poursuivit par la reste de la bande.

— Attendez… On est vraiment censés arrêter un attentat à quatre ? bredouillai-je.

— Ne me décevez pas, lâcha Mustang d'un ton sec.

Si j'éprouvais la moindre inquiétude à cette idée, je ne me sentis pas le droit de le montrer. Bien qu'il soit encore boiteux de l'attaque, j'eus l'impression de devoir courir pour ne pas me laisser distancer, tandis qu'il se dirigeait vers le garage avec une résolution mêlée de rage.

oOo

Les derniers préparatifs se firent en un temps record. Pendant que Falman passait prendre de nouveaux plans et que Mustang récupérait une voiture de fonction, j'étais allé chercher avec Hayles, l'équipement sommaire que Mustang nous avait ordonné de prendre. Gilets pare-balles, fusil à seringue hypothermique, mégaphone, casques et masques à gaz. Dans le doute, j'avais aussi pris des munitions tout en me disant que nous ne pourrions sans doute pas les utiliser dans le centre de distribution de gaz, au risque de provoquer l'explosion que nous voulions à tout prix éviter.

Après avoir traversé le garage au pas de course, je me retrouvai au volant du fourgon, à côté de Falman, prêt à me guider pour prendre le chemin le plus court vers le centre, pendant que Hayles et Mustang, à l'arrière, enfilaient déjà les gilets pare-balles. Constatant que personne à part moi n'avait sa ceinture, je tâchai de manœuvrer sans à-coup tout en restant rapide.

— Falman, le plan de la station.

— Tenez, Général. Tout droit.

— Je comprends l'intérêt du masque à gaz, si on veut pouvoir rentrer dans le bâtiment en cas de saturation de gaz, mais… Les gilets pare-balles ? demanda Hayles.

— Pour limiter les dégâts en cas d'explosion.

Je grimaçai, doutant de notre survie si cela arrivait.

— Ne portez pas le masque à gaz avant de sentir une odeur suspecte, ça ne sert à rien de gâcher des cartouches. Et j'imagine que vous avez vos armes de fonction sur vous, mais je préfère me répéter : il ne faudra tirer sous aucun prétexte.

— Comment on est censés arrêter Kimblee si on ne peut pas utiliser nos armes ?

— Les seringues hypothermiques. À mon signal uniquement.

— Et vous pensez que Kimblee va tomber dans le piège ?

— Ça, c'est mon affaire, répondit Mustang d'un ton froid. Maintenant, taisez-vous, que je me concentre sur le plan.

Je serrai les dents en prenant le virage. Pour être honnête, cette réponse évasive ne me disait rien qui vaille. Étions-nous réduits au rôle d'épouvantails ? Même si j'avais confiance en lui, l'idée n'était pas rassurante.

Je continuai à conduire, guidé par Falman qui n'eut pas grand-chose à faire, le plus gros du trajet consistant à suivre les voies de tram plein nord. Les rues étaient globalement vides, ce qui était plutôt rare à cette heure. Quand je réalisai que c'était parce que tout le monde s'était agglutiné du côté de la vieille ville, je me sentis blêmir. L'heure tournait, et si l'Armée avait constaté des fuites de gaz dans le quartier de l'Horloge, c'était que le plan de l'ennemie était en bonne voie. J'imaginais les centaines de personnes, poussant, tirant, râlant de l'annulation du feu d'artifice et me demandai s'ils étaient conscients de la menace qui pesait sur eux. Sans doute que non.

J'espérais que non.

Ce serait un coup à ce qu'il y ait une crise de panique.

— À droite, lâcha Falman, troublant le silence pesant de la pièce.

Je tournai, supposant qu'à l'arrière, Mustang étudiait le plan avec attention. Comme s'il pouvait extraire des lignes tracées à la règle une information magique qui ferait toute la différence.

En repensant à la manière dont il avait compris le plan de Kimblee, simplement en discutant et étudiant le plan de la ville, je me rendis compte qu'il en était sans doute capable.

— Ce sera la prochaine rue à gauche, annonça mon copilote, faisant monter la tension d'un cran dans le véhicule.

En me garant, je vis les silhouettes inanimées de soldats à terre et me précipitai vers eux pour les examiner. Hayles, à côté de moi, en avait fait autant. Ils n'avaient pas de signes de blessures, mais leurs yeux exorbités et leur bouche largement ouverte leur donnaient des airs grand-guignolesques.

— Morts, commenta-t-elle en posant une main sous la mâchoire de l'un d'eux.

— Ils n'ont pas de blessures apparentes…

— Je pense qu'ils sont morts par asphyxie, mais… comment ?

— Privation d'oxygène par transmutation, lâcha Mustang en faisant signe d'avancer. D'une simplicité enfantine.

Nous abandonnâmes les corps à contrecœur pour le suivre, prenant la mesure de ce qu'il voulait dire tout à l'heure. Je n'imaginais pas qu'un homme seul puisse prendre d'assaut un bâtiment aussi grand… mais Kimblee n'était pas un homme seul.

C'était une machine de guerre.

Les réverbères éclairaient le bâtiment industriel, faisant luire les poutres métalliques qui découpaient l'espace comme des lames. Je levai les yeux vers les trois étages, prenant la mesure du lieu gigantesque que nous avions à fouiller. L'odeur caractéristique du gaz nous parvenait par vagues, au gré du vent léger qui soufflait ce soir, confirmant que la situation était anormale. Mustang enfila son masque à gaz, nous incitant à en faire autant. Engoncé dedans, ma vision diminuée par les lunettes et le souffle ralenti par le mécanisme de filtrage, j'eus aussitôt la sensation d'être engourdi.

— Comment on est censés le retrouver ? murmurai-je.

Mustang se contenta de faire signe de se taire, faisant comprendre en quelques gestes de main qu'ils voulaient qu'on se déploie à des endroits précis. Je me retrouvai donc en embuscade derrière un pilier métallique, mon fusil hypothermique à la main, me demandant si j'étais vraiment capable de m'en servir, et réalisant que Mustang avait oublié de nous transmettre un quelconque signal.

Je m'apprêtai à le héler pour le signaler, mais dès le premier pas, je le vis se tourner vers moi et faire signe de s'arrêter. Il avait l'air assuré, horriblement calme dans un contexte qui me limait les nerfs. Comprenant que je n'avais pas d'autre choix que de lui faire confiance, je reculai jusqu'à ma cachette, les entrailles nouées.

Je jetai un coup d'œil à ma montre. 10 h 6. Le feu d'artifice n'avait pas commencé, et il ne commencerait pas.

Tout à coup, je me demandai comment les choses se passeraient si la mission était un échec. Si le bâtiment explosait. Si le quartier de l'Horloge tout entier devait sauter. Où en était l'évacuation des civils ? Combien de temps pour désengorger les rues ?

Je n'étais pas bon en calcul, mais j'étais convaincu que le quartier était loin d'être vide. Si l'opération échouait, nous serions loin d'être les seuls à mourir.

Alors, quand je vis Mustang s'avancer en pleine lumière, retirer son masque et lever le mégaphone, je me sentis blêmir.

— KIMBLEE, SORS D'ICI ! IL FAUT QU'ON PARLE !

Sa voix déformée par l'amplification avait déchiré le silence, et je devinais, malgré leurs masques, la stupéfaction de mes collègues.

Qu'est-ce qu'il fout? Il est à découvert! Et pourquoi nous avoir dit de nous cacher si c'est pour faire un boucan pareil juste après? Il est complètement exposé, il pourrait se faire buter en un tir.

Juste après avoir pensé ça, je me rappelai qu'un coup de feu signait probablement l'explosion du complexe entier. Malgré ma protection, je sentais une gêne à la respiration qui me rappela que l'air était tout sauf pur. Et Mustang, lui, restait au beau milieu de la cour, respirant cet air vicié à pleins poumons.

Il veut juste mourir, en fait?

Cette pensée eut le temps de s'installer, la peur de m'envahir, quand j'entendis un claquement métallique.

Je tournai la tête et me collai au pilier pour pouvoir jeter un coup d'œil. Sur la galerie du deuxième étage, je vis une silhouette informe avancer. Non, deux silhouettes. Un homme qui se débattait, et Kimblee qui le tenait par le col.

Un otage.

J'avais à peine eu cette pensée que je vis notre ennemi soulever le corps pour le tenir au-dessus du vide. L'inconnu poussa un cri de terreur, nous confirmant à tous qu'il était en vie, et me laissant face à un dilemme. Si je tirais sur Kimblee, il lâcherait l'otage qui tomberait en chute libre.

Je jetai un coup d'œil à Mustang, qui avait baisé le mégaphone, l'autre main dans la poche, avec un air presque négligent.

Je réalisai alors qu'il n'avait pas pris sa canne.

— Hé bien, Mustang, je ne t'espérais plus ! s'exclama Kimblee d'une voix joyeuse. Tu viens profiter du spectacle ?

— Le feu d'artifice n'aura pas lieu, répondit mon supérieur d'une voix forte et pourtant posée.

— Ce n'est que partie remise. Il y a mille manières de démarrer un incendie, et tu le sais.

— Ne crois pas t'en tirer si facilement.

— Je sais que tu n'es pas venu seul. Dis à ton équipe de jeter les armes et sortir de leur cachette.

Je déglutis, jetant un œil à Mustang qui hocha la tête. Mortifié, je m'écartai du pilier, m'avançant dans la lumière des réverbères. Je vis la silhouette des trois autres jeter leur arme à terre et en fis autant, tremblant de rage et d'impuissance. Il aurait fallu tirer avant. Mais Mustang n'avait pas donné le signal. Et maintenant, Kimblee était là, à quelques mètres au-dessus de nous, si proches et pourtant inaccessibles. Je le voyais en détail, avec son regard dérangeant, sa poigne sur le collet de l'homme qu'il tenait toujours au-dessus du vide, son sourire dément et sa gestuelle trop théâtrale.

Si j'avais pu le tuer d'un seul regard…

— C'est tout ? Tu me déçois ! Pour un Généralissime en puissance, on ne peut pas dire que tu déplaces des foules. Pauvre Flame Alchemist, tu n'es plus que l'ombre de toi-même… avec le gaz, tu ne peux même pas te servir de tes légendaires pouvoirs… Te voilà complètement impuissant ! Dire que je te considérais comme mon égal… Tu aurais mieux fait de t'allier avec moi quand je te l'ai proposé, tu aurais eu tellement plus de p…

Un BANG sonore coupa sa phrase et ralentit le temps. Je vis un éclat bleu, la silhouette de Kimblee vaciller, puis basculer par-dessus la rambarde, emportée par le poids de l'autre homme qui, après un instant suspendu, se mit à chuter dans un hurlement déchirant qui sembla durer bien plus longtemps que la seconde qui le séparait du sol.

Puis je tournai la tête vers Mustang et vis qu'il avait dégainé le pistolet qu'il avait à la ceinture et tenait en joue la galerie.

Il avait tiré sur Kimblee.

De sang-froid, alors qu'il n'était pas si bon tireur, qu'il nous avait interdit d'utiliser nos propres armes et qu'il y avait un otage.

Et pourtant, à son expression froide, métallique, je compris qu'il n'avait pas eu la moindre hésitation, pas flanché un instant.

Il se rapprocha à pas lents des deux hommes tout en tirant une deuxième fois, puis une troisième, vidant son chargeur dans le corps de Kimblee pour être sûr de l'avoir achevé. Et à chaque coup qui partait, le gant blanc qu'il portait s'illuminait, un éclair d'alchimie traversant l'air en même temps que la balle.

Puis après, seulement après, il se pencha vers l'otage que je vis bouger faiblement dans un râle de douleur.

Il n'est pas mort.

— Hayles, j'ai besoin de vos compétences, fit Mustang d'un ton qui ne souffrait aucune réplique. Il est conscient. Falman, allez appeler des secours. Si vous croisez des militaires, expliquez la situation.

La brunette fit un bref salut militaire avant de se précipiter sur la silhouette du blessé, et je mis quelques secondes à réaliser qu'il ne m'avait indiqué aucune tâche.

— Général… bafouillai-je, avec un mélange de répulsion et de déférence.

Un instant, je me demandais ce qu'avait pu ressentir cet homme au moment où Mustang l'avait sacrifié. Je n'étais pas bien sûr de savoir ce que je ressentais moi-même.

— Fractures de la jambe, peut-être de la hanche… Est-ce que vous arrivez à bouger vos orteils ? Oui ? C'est bon signe, monsieur, cela veut dire que votre colonne vertébrale est indemne. Ça va aller, les secours sont en route.

Sortant de ma léthargie, je m'approchai en courant. L'inconnu en uniforme d'ouvrier avait le visage liquéfié de douleur, et leva vers Mustang un regard où la rancœur se mêlait à la peur.

— Vous travaillez ici ? demanda le Général d'un ton calme en s'agenouillant, le regardant droit dans les yeux, manifestement indifférent à la souffrance dont il était pourtant responsable.

— Oui, répondit l'homme d'une voix blanche.

— Dites-nous ce qu'il faut faire pour rétablir la situation.

L'homme lâcha des informations décousues, entrecoupées de râles. Quand il termina ses instructions, je doutais d'être capable de les mettre en application, mais comme il était au bord de l'évanouissement, nous pouvions difficilement lui demander de répéter.

— Héé ! s'exclama la voix de Falman. J'amène du renfort !

Je vis derrière lui une demi-douzaine de militaires, mais aussi des civils en uniforme beige qui devaient être l'équipe de jour du centre, et, encore derrière, des ambulanciers avec un brancard.

Encore sous le choc de ce que je venais de vivre, je vis les nouveaux venus prendre le relais, prendre en charge le blessé, se masquer pour entrer dans le bâtiment, en reprendre le contrôle et corriger les réglages volontairement dangereux de Kimblee. Je me rendis compte que j'avais les jambes en compote, terrassé par le soulagement de ne pas avoir explosé, par l'idée que, peut-être, nous avions sauvé la ville. Enfin… même si c'était surtout Mustang qui avait agi.

J'aurais pu me réjouir de voir cette affaire basculer vers un happy end, mais j'en étais incapable. Ce n'était pas tant parce que j'avais conscience que même si Kimblee avait été éliminé, la menace d'une explosion était toujours bien présente, que parce qu'en observant le regard de Mustang, je n'y trouvais ni joie, ni fierté, ni soulagement, ni même des sentiments plus amers comme de la culpabilité ou de la rage.

Non, quand je croisais ses yeux noirs, ils étaient d'une fixité et d'une inexpressivité presque mécaniques, qui me donnaient l'impression de voir un homme dépourvu de toute âme.

Quelqu'un l'interpella et il se tourna vers le chef de l'équipe venue en renfort, lui résumant la situation. Son visage avait repris vie, et j'aurais pu croire que ce n'était qu'une illusion, un instant d'hallucination… mais je n'avais pas oublié son expression quand il avait tiré, et je sus que ce regard mort continuerait à me hanter.