Hey !
Et voilà un très gros chapitre. Peut-être le plus gros de l'histoire, d'ailleurs. Et j'ai dû calculer tout mon plan pour être sûr de le caser aujourd'hui, parce qu'aujourd'hui c'est l'anniversaire d'une personne grave chouette. (Coucou Lae !) (Passe une bonne journée. Je fais des coeurs avec mes mains.)
Du coup c'est tout fluff et choupi, même si y a un tout petit peu d'Angst. Mais c'est pour le bien commun.
Merci à Lae - justement et à Snow in Universe pour les reviews !
Bonne lecture !
Chacun son tour
.
Quand Neku ouvre les yeux, il comprend immédiatement que l'heure du réveil est loin. La nuit encombre encore la chambre, les couloirs sont silencieux. Son réveil n'a pas sonné - et ne le fera pas avant plusieurs heures - et pourtant, il y a bien un bruit qui l'a tiré du sommeil. Un son lourd. Une couette qui bouge et se froisse. Un souffle court.
D'abord, l'ado attrape son portable pour vérifier l'heure. Un joli trois s'affiche sur son écran. Clairement, il ne va pas aller déjeuner maintenant. Il ferme les yeux, va pour se rendormir. Mais ça bouge encore. Près de lui. Ça frotte. Riku ? Non, Riku a quitté la chambre avant qu'ils ne se couchent. Il l'ont à peine croisé. A moins qu'il ne soit rentré pendant la nuit ? Il zieute quand même vers son lit, par précaution, mais il n'y a là qu'une couverture lisse.
Alors, c'est Joshua.
Il doit se redresser pour regarder dans sa direction. Plisser les yeux, chercher un sens aux formes de la nuit. C'est bien son camarade qui remue. Redressé, le dos contre la tête du lit, l'insupportable garçon appuie son front contre ses genoux. Passe sa main le long de sa cuisse, la serre. Ses petits doigts empoignent férocement le tissu de son pyjama. Serrent. Juste de voir ça, Neku grimace.
Et son souffle. Il l'entend respirer d'ici. Couiner. Dans d'autres circonstances, il aurait trouvé ça douteux, mais là…
Joshua inspire et passe ses bras sous ses jambes. Il se replie, tout tendu. Agrippe ses propres bras.
– Eh ? Josh ?
Le concerné se fige.
Ok. Ça c'est pas normal.
L'élève redresse la tête. Sursaute, peut-être. Neku n'est pas sûr du mouvement. Mais il capte son regard, et il oublie définitivement l'idée de se rendormir.
– Ça va ?
Bien sûr, il connaît la réponse.
– C'est rien.
Il l'entend déglutir d'ici.
– Ça va passer.
Et répondre de sa voix toute pétée. Un timbre épuisé qui tire sur les forces qu'il n'a plus. Evidemment, Neku n'y croit pas une seule seconde. En revanche, il s'inquiète. Joshua adore se plaindre, il est réputé pour ça. Et quand il a l'occasion de geindre, il essaie de lui faire croire que ça va ? C'est sans doute mauvais signe.
Il repousse la couverture, ignore le froid de la pièce et va s'asseoir près de lui. Il n'a aucune idée de ce qu'il doit faire, là, mais laisser Joshua gérer tout seul, ce n'est pas la bonne option. Pas besoin d'être premier de la classe pour le savoir.
– Explique.
Et comme il sent la sécheresse dans sa propre voix, il ajoute, plus doux.
– C'est tes jambes ?
Il voit comme Joshua les tiens, les serre et les relâche, se contente de les garder repliées contre son torse. Il peut bien essayer de sourire, le petit prince, ça sonne pire que la seule et unique fois où il a entendu Beat faire un karaoké.
– Oui.
Même pas un petit sarcasme sur sa perspicacité ?
– C'est… Tu sais ce que t'as ?
– Mal.
Oui. Ça, il avait deviné. Mais sa question est con, aussi.
– J'veux dire, tu sais pourquoi ?
Il le voit replier ses bras contre son ventre, remonter aussitôt sa main contre sa bouche. Mordre la peau tendre à la jonction de son poignet - et pas délicatement. Un frisson désagréable lui passe le long du dos. Il a envie de lui prendre les doigts pour le forcer à arrêter. Ça a l'air désagréable. Douloureux. Merde. C'est quoi cette saloperie ?
– Disons que j'ai… Un peu trop forcé, aujourd'hui.
– Forcé ?
Il faut le temps que ça monte au cerveau. Joshua, ses histoires de dispense en sport. Et comme Neku percute, il se sent stupide. Incroyablement idiot maintenant qu'il le voit là, tout replié. C'est parce qu'ils ont couru, c'est ça ? Est-ce que c'est de sa faute ? Ils ont vachement marché aussi, et… Merde. Il aurait dû faire plus attention.
Joshua exagérait pas ses histoires de courbatures chelous, alors.
– C'est le contrecoup de notre petite balade.
Et lui, il a pris ça à la légère.
– Je n'ai pas l'habitude de bouger autant.
– Ah.
Sa réponse est minable. Même lui, il s'en rend compte. Ça a le mérite de faire sourire Joshua, mais pour l'expression que ça lui fait, il aurait encore préféré éviter. Même ça, on dirait que ça lui fait mal. Ou alors il s'imagine des choses ? Bordel. Qu'est-ce qu'il lui arrive ? Est-ce qu'il a juste mal aux jambes, ou ailleurs ? C'est quoi exactement, son truc ? Ça peut empirer ? Est-ce qu'il doit aller chercher un surveillant ? Peut-être même qu'il lui faut une ambulance. Si ça se trouve, c'est grave.
Il ne va pas mourir, hein ?
– Je vais chercher Hanekoma, il lâche.
– Non.
Joshua attrape son poignet avant qu'il n'ait le temps de se lever, et Neku s'en veut aussitôt de l'avoir poussé à bouger.
– Il ne pourra rien faire.
– Il peut t'emmener à l'hosto.
Il a déjà fait le trajet pour lui, après tout.
– Ça ne changera rien.
D'accord. Ok. Merde, il ne veut rien faire sans son accord. Joshua sait sans doute mieux que lui ce dont il a besoin, mais là... Putain, il ne risque pas de tomber dans les pommes ou quoi, hein ? Et s'il minimisait ? Eri fait ça aussi, parfois. Elle en fait trop, et elle finit à plat. Mais Shiki sait l'aider à gérer. Neku, lui, n'a aucune idée de ce qu'il doit faire.
– T'as quelque chose pour ça ?
Joshua hésite. Relève un peu la tête. L'ado sent qu'il tient un truc.
– Des médocs, ou un truc qui aide pour la douleur ? J'ai du Doliprane dans mon sac, si jamais.
Sa mère lui en colle toujours une boite entre les pattes, au cas où. Bon là, il doute que ça suffise, mais si jamais... Au pire, il peut demander à récupérer les cachets qu'on lui a filés pour sa main.
– Dans ma valise.
Joshua finit par acquiescer. Il pointe son nez vers le tas noir près de son lit.
– Il y a une boite verte et blanche.
Neku ne se fait pas prier. Il quitte le lit, tâtonne et ouvre la valise.
– La poche au fond.
Il cherche à la main, mais la lumière survient brusquement. Depuis la table de chevet de Joshua. Une lampe qu'on allume. Aussitôt qu'il repère le zip, il l'ouvre et fouille à l'intérieur, jusqu'à ce que ses doigts s'enroulent autour d'une petite boîte rectangulaire. Du carton fin.
– Antarène ? il déchiffre.
– C'est ça.
Parfait. Un verre d'eau plus tard, il regarde Joshua sortir deux cachets de leur plaquette. Ses gestes sont maladroits, pressés. Sa peau lui semble trop blanche, mais c'est sûrement son esprit qui lui joue des tours. Et s'il n'avait pas juste mal ? Non. Il faut qu'il arrête de paniquer. Joshua ne va pas tomber raide mort dans son lit, tout va bien se passer. Il avale ses médocs, abandonne la plaquette près de sa lampe, puis il se replie à nouveau sur lui même. Ses jambes ont l'air toutes molles. Et son visage sans sourire, là…
Merde. Neku se sent si con. Comme ces crétins qui s'offusquent quand Eri se lève de son fauteuil. Il y croyait tellement, que Joshua exagérait le trait pour éviter les tâches chiantes…
– Ça met longtemps à faire effet ?
Il voudrait s'excuser, mais d'une, l'autre ne comprendrait sans doute pas. De deux, il a mieux à faire que de gérer son égo plein de culpabilité. Alors il garde ça pour plus tard.
– Un moment.
Pas trop longtemps, il espère. Il faut qu'il dorme, qu'il se repose. Il s'occupera de prévenir Hanekoma demain matin. Voir s'il ne peuvent pas rester ici pour la journée. Ce ne serait pas plus mal. Ils pourraient genre, regarder un film ? Ça vaut mieux qu'un énième musée tout pourri. Joshua pourra reposer ses jambes, ils resteront au chaud.
C'est égoïste, ce sentiment qui lui noue les intestins, mais il ne veut plus voir Joshua dans cet état.
– Tu peux retourner te coucher, le garçon lâche finalement. Il n'y a rien d'autre à faire.
Il a le souffle lourd.
– Non.
Il croit sérieusement qu'il va se rendormir après l'avoir vu comme ça ? C'est hors de question. Impossible, de toute façon. L'inquiétude lui broie les neurones. Puis Joshua couine quand il a mal, et Neku ne peut s'endormir que dans le silence complet.
– Tu seras fatigué, demain.
– Tant pis.
Joshua a bien veillé, lui, jusqu'à ce qu'il rentre. Bon, ce n'était pas si tard, mais quand même. Il s'est inquiété. Il a attendu.
– J'irai pas skier, de toute façon.
Il y aura bien les cours du matin, mais ce n'est pas la première fois qu'il aura à tenir quatre heures en ayant eu aussi peu de sommeil. Neku est un expert des mauvaises nuits. Ce qui n'est sans doute pas une bonne chose, mais voilà.
– Comme tu voudras, Joshua lâche.
Il recommence à se mordre la main. Et encore, Neku a envie de l'attraper. De la tirer loin des dents blanches qui aspirent la peau. Il se retient Puisqu'il ne sait pas quoi faire, il attrape l'autre. Ses doigts blancs qui traînent. Ce n'est pas déplacé, au moins ? En tout cas, Joshua ne cherche pas à les séparer. Est-ce que ça lui va ? Il a l'impression que ses yeux s'animent, et pas sous le coup de la douleur. Que ses traits se détendent, au moins un peu. Même, qu'il sourit. Mais c'est dur à dire, avec la paume qui cache son visage.
Lui aussi, il sourit. Il s'en rend compte trop tard.
– Merci, le malade ajoute.
– C'est normal.
– Je n'irai pas jusque-là. Rien ne t'oblige à sacrifier ton temps de sommeil pour ma petite personne.
– Y a rien qui t'obligeait à aller chercher de la glace, il rétorque. La dernière fois.
Hier. Ça fait à peine un jour, et pourtant, il a l'impression que ça date.
– Effectivement.
Dans la tête de Neku, ça carbure aussi vite que possible. Bon, il ne peut rien faire de plus pour Josh. Pour la douleur, en tout cas. Mais il peut le distraire non ? Le temps que ça se calme. S'il lui parle, ça aidera peut-être ?
Il passe ses doigts entre les siens pour lui rappeler qu'il est là.
– J'imagine que c'est mort de chez mort pour le ski, alors.
C'est tout ce dont il est capable en termes de conversation ? Neku se déçoit lui-même. Encore une fois.
– Tu imagines bien.
– T'as jamais pu en faire ?
Il ne sait pas même si c'est indiscret, comme question. Aucune idée des limites à ne pas franchir. Ça a l'air vachement personnel, et en même temps, Josh ne semble pas connaître ce mot. Il est toujours partant pour parler de lui, mais ça… Au moins, ça lui occupera l'esprit ?
– J'en faisais, petit, pendant les vacances. J'ai vite arrêté.
Ses boucles s'agitent chaque fois qu'il inspire. Neku a envie d'y passer la main. Les mèches ont l'air humides, il a dû transpirer.
– Tu voudras te changer ?
– Ça devrait aller. Sauf si la vue te tient à cœur.
Ah, il arrive à nouveau à plaisanter. Il lui donnerait bien une petite tape, pour la peine. Mais il va laisser passer pour cette fois.
– Rêve pas trop.
– J'aurai essayé.
Neku rit, un peu. Il essaie d'imaginer Joshua retirer son haut, avec ce petit sourire insupportable qu'il a. Sa tignasse qui passe dans le col de son pyjama, son torse tout fin, et…
Et c'est une mauvaise idée.
– Tu ne m'as toujours pas dit quel genre de musique tu aimes, Joshua fait remarquer, au bout de quelques secondes.
Qu'il en soit vraiment curieux, ou qu'il l'aide juste à trouver un sujet de conversation, Neku le remercie en silence pour sa remarque.
– Y a plein de trucs.
– Ça ne m'éclaire pas plus.
Plein de trucs parfois honteux, si on se fie à l'avis du peuple. Mais vu les artistes que Joshua a évoqués… Eh, bien, doit pouvoir faire un petit effort là-dessus ? Et s'il se moquait ? Merde. En temps normal il n'en aurait rien à faire, de l'approbation de Joshua. Pourquoi ça le stress ?
– Pourquoi ça t'intéresse ?
– J'aime apprendre des choses sur toi.
Ah. D'accord.
– Ne fais pas cette tête. Je ne m'intéresse pas qu'à ma petite personne, tu sais ?
– T'as une drôle de manière de le dire.
– Oh ? J'ai juste formulé la chose comme elle me venait.
– Bah tu fais des phrases bizarres.
C'est vrai. Il a toujours pris ça pour une forme de préciosité, mais Joshua utilise des mots qui ne viendrait pas naturellement dans d'autres bouches. Parfois, on dirait qu'il vient d'un autre siècle. Il le fait exprès, non ?
– Mes camarades me faisaient le même genre de remarques, au collègue.
– T'as jamais remarqué que t'es le seul à causer comme ça ?
– Non. Mais c'est logique, quelque part.
Ah, il le reconnaît.
– Je suis aussi le seul qu'ils ont enfermé dans les vestiaires. C'est lié, je suppose.
Oh. Oh non. Il n'a pas dit ça pour de vrai, hein ?
– Dans les vestiaires ?
– Tu as bien entendu.
– Tu déconnes ?
– J'aimerais, mais non.
Il déglutit. D'accord, ça, c'est horrible. Et c'est d'autant plus dur d'ignorer la pression des doigts de Joshua sur les siens.
– Je ne participais pas aux cours de sport, mais j'étais parfois tenu d'y assister.
– Mais pourquoi ?
– Oh, il y a tout un tas d'activités qui ne nécessitent pas de courir partout. L'arbitrage, par exemple.
En effet. Tenir debout, Joshua sait faire.
– J'ai bien dû prendre la balle dans la figure une fois ou deux. Mais je vais mettre ça sur le compte du hasard.
Même s'ils savent tous les deux que ce n'était pas le hasard. Neku aussi, il en a pris. Des ballons de basket qui n'arrivaient pas là où ils auraient dû. Et puis il se tournait, et… Enfin, il savait. Et il baissait la tête.
Il n'a jamais su quoi dire, dans ces moments-là. Il attendait que ça passe.
– Un jour je suis rentré dans les vestiaires en retard. Et je n'en suis pas ressorti.
– J'suis désolé.
– Oh, tu ne devrais pas. Ce n'est pas toi qui a bloqué la porte.
Non. Mais il est désolé que ça lui soit tombé dessus, à lui aussi. Enfin, Neku ne s'est jamais fait enfermer où que ce soit. Pour autant, il imagine bien ce que c'est, de se sentir seul comme ça. Impuissant.
Minuscule face à quelque chose qu'il ne peut pas contrôler.
– Comment ça s'est fini ?
Il caresse maladroitement le dos de sa main, faute de pouvoir approcher celle qui dort dans l'atèle.
– J'ai attendu que la pause de midi passe, avant qu'une autre classe ne vienne se changer pour son cours et remarque la porte fermée.
Une heure et demie, donc. Il a passé une heure et demie à attendre qu'on vienne lui ouvrir. Sans savoir si quelqu'un viendrait. Personne ne s'est inquiété ? Les gens ont bien dû remarquer son absence, non ? Il va pour lui poser la question, et puis il le revoit assis à sa table. Seul avec son reflet.
Non, sûrement qu'il n'y avait personne pour s'inquiéter de son absence. Et Neku trouve ça horrible, tout à coup. Joshua est là, près de lui, avec son sourire cassé par la fatigue, sa tignasse humide, ses épaules minces. Il ne voit plus le garçon casse-couille qu'il évite au lycée.
– C'est des cons.
C'est ce qu'on lui a toujours dit, à Neku, quand on l'emmerdait. Et il sait que cette phrase ne sert à rien. Mais c'est sa manière à lui de dire qu'il se range de son côté.
– Ça continue encore ?
– Ici ? Non. J'ai changé d'établissement pour éviter ce genre de problèmes, j'aimerais autant éviter que ça ne se reproduise.
Neku n'a pas l'impression qu'il fasse grand chose pour éviter ça. Au contraire, il est plutôt tape à l'œil, du genre à se faire remarquer, et pas par les bonnes personnes. Entre le maquillage, ses manières et son ton insupportable… Est-ce qu'il était déjà comme ça, avant ?
Non. Il n'a pas le droit de penser comme ça. Joshua peut bien être aussi chiant qu'il veut, ça ne justifiera jamais ce qu'il vient de lui raconter.
– Il y a bien Hayner, mais je n'ai pas l'impression d'être sa cible préférée.
– Non. Il est chiant avec tout le monde, lui.
Équitable dans sa connerie.
– Je comprends que tu ne fais pas exception à la règle ?
Neku baisse les yeux sur leurs mains liées. Ses doigts pâles, qui ne tremblent plus.
– Bah, c'est pas trop gênant. C'est plus un petit chien qui aboie en fond.
Ce n'est pas si vrai, mais ça a le mérite de faire rire Joshua, alors Neku s'assoit sur son mensonge. Ça ne regarde que lui, de toute façon. Puis ce n'est pas comme si Hayner l'approchait souvent, de toute façon. Beat effraie les crétins qui voudraient l'emmerder.
Bon. S'il glousse, c'est bien que ça va mieux, non ? Il a l'air plus détendu.
– Mais du coup, pour la musique…
Ce regard scintillant. Franchement, pourquoi est-ce que ça l'intéresse autant ? Oh, tant pis. Neku n'a pas honte de ses goûts. Il se lève, va chercher son portable, check l'heure en passant, puis il revient s'installer près de Joshua. Quitte à mal dormir, autant que ça profite. Il s'assoit.
Joshua tapote la place près de lui.
– Allonge-toi. Ce sera plus confortable.
– Genre j'vais me coucher contre toi.
– Tu me refuserais ça, après ce qui vient de se passer ?
Oh, mais quel petit con.
Ça ne gène pas tant Neku, en vrai. Et c'est ce qui lui pose problème. Mais il voit Joshua déplier ses jambes, les masser doucement. Sans grimacer, cette fois.
Bon. Ça lui arrive bien de dormir avec Beat et Shiki. Et puis au moins, si les douleurs reviennent, il en sera vite informé. C'est plus sûr pour Joshua.
De toute façon, il a juste parlé de s'allonger, pas de dormir ensemble. Il se fait des films tout seul. Il cogite trop. Le lit n'est pas si petit, alors il peut se caler à l'aise. Il pose son portable entre eux, installe son bras blessé comme il peut et débloque l'écran.
– J'aime bien les Cowboy Fringants, il lâche.
– Je n'en ai jamais entendu parler. C'est de la country ?
– Du tout.
Neku n'en écoute pas. Il s'étonne même que Joshua ait pu penser ça. Enfin, c'est vrai qu'avec ce nom…
Il lance Youtube et cherche, regarde les titres qui passent. Ici-bas, tiens, elle est chouette. Aucune idée de si ça plaira à l'autre. Ça ne ressemble pas beaucoup à Lady Gaga. Sa mère appelle ça ses musiques de dépressif. Mais lui, ça lui fait du bien d'écouter ça. Des paroles mélancoliques, des histoires tristes et confortables. Ça lui parle. Il se sent bien, dedans.
Sans juger, Joshua écoute. Il sourit même un peu, pas comme d'habitude, et wow, ça fait un looping dans le torse de Neku.
– Ça te ressemble.
– Ah ?
– On sent qu'il y a quelque chose derrière.
Ses yeux. L'effet que ça lui fait, là.
– Bah, c'est une chanson un peu triste, quoi.
– Pas que.
Neku déglutit.
– Je peux ? Joshua demande en approchant sa main du téléphone.
– Si tu veux.
Lui aussi, maintenant. Il a envie de savoir ce qui ressemble à Joshua. Alors il le laisse taper, et quand la musique qui s'élance dans une langue qu'il ne comprend pas, il écoute. Ce n'est pas de l'anglais. Pas de l'allemand non plus, même si ça le lui rappelle. Ça roule, c'est doux, mais ça rappe par moment. Et c'est nostalgique, comme un long souvenir. Neku ne comprend pas un traître mot de la chanson, mais il imagine de la neige, des paysages blancs, et son cœur se serre.
Jusqu'au bout, il écoute.
InWhite - Спокойных Снов, il lit sur l'écran, alors que tout s'arrête. Enfin, lire, façon de parler, parce qu'il ne connaît pas ces signes.
– C'est du russe ?
– Oui.
– Genre tu comprends le russe ?
– J'ai des bases, disons.
Oh. C'est un peu classe.
– Y a pas d'option au lycée. Tu l'as bossé au collège ?
– Non, chez moi.
– Genre, t'apprends des langues tout seul ?
– C'est un bien grand mot. Disons que j'ai appris les bases seul. Mais je suis loin de le parler couramment.
Wow. Et ça donne quoi, quand il essaie de le parler ? Est-ce qu'il sait reproduire cet accent roulant ? Neku aimerait bien l'entendre. Il se demande si ça lui va. Mais il ne va clairement pas lui poser une question pareille, alors il se contente de l'imaginer.
A son tour, il tape quelques mots. CrushCrushCrush, Paramore. C'est déjà moins assumable, mais Joshua ne fait aucune remarque. Ferme les yeux, le temps que la musique passe. Un sourire s'élève du coin de sa bouche.
– Ça ressemble déjà plus à ce que je t'imaginais écouter.
D'accord. Il doit le prendre comment ?
– C'est-à-dire ?
– C'est plus adolescent, disons. Plus sombre, aussi.
– Parce que j'écoute quoi, d'après toi ?
– Mm, j'aurais parié sur des groupes comme My Chemical Romance. Ou Tokyo Hotel.
Neku souffle. Mais Joshua a raison, alors il ne trouve rien à répliquer.
– C'est cool aussi.
– Je ne dis pas le contraire. Je suis désolé, si tu l'as perçu comme une forme de jugement.
Ça l'étonne ça. De voir qu'il est aussi conciliant avec ses goûts. Lui et ses airs d'aristocrate bourgeois. Remarque, Joshua est loin d'écouter des symphonies qu'il l'imaginait savourer dans son salon, calé dans un fauteuil hors de prix, un verre de vin rouge à la main.
Bon. Il exagère peut-être. Un peu. Est-ce que Joshua boit du vin ?
Ça continue comme ça, de musique en musique. Ghost of you, Applause, Material Girl, Octobre. Joshua écoute patiemment, lui montre en retour des morceaux de lui. Un angle que Neku ne connaissait pas. Et parfois sur certaines notes, un mot précis, il se sent proche de lui. Il le comprend.
Vient un moment où Joshua ne lève pas la main. Il ne choisit pas de musique, reste lové contre son oreiller, les épaules rentrées. Ses traits sont détendus. Il n'a plus l'air de souffrir, et Neku comprend : il s'est endormi.
Il ramène son portable vers lui, et le pose quelque part par terre. Puis il se penche au-dessus du garçon pour éteindre la lumière de sa main valide. Il se rallonge, remonte la couverture sur leurs épaules.
Le souffle de Joshua est léger. Pas assez fort pour l'empêcher de dormir. Il a envie de se rapprocher. Mais il sait pas ce que ça dit de lui, et il n'a pas envie d'y penser, alors il préfère fermer les yeux.
Cette fois, il sombre jusqu'à ce que son réveil le ramène au matin.
Et voilà !
Encore un joyeux anniversaire, Lae !
