Hey !

Bon bon, on a passé le plus dur. Après l'Angst le réconfort. Donc, voilà un nouveau chapitre du point de vue de Sanae.

Merci à Lae pour sa review sous le chapitre précédent !

Bonne lecture !


Avant le matin

.

Il y a de la lumière dans le couloir, Sanae remarque. Pourtant, Megumi n'est pas sorti de sa chambre. Uzuki et Kariya non plus, il suppose, puisque la porte de leur piaule était fermée.

Il s'approche, l'oreille tendue. Personne ne parle. Bon, c'est sans doute un membre du personnel qui a oublié d'éteindre en partant hier. Le surveillant va pour chercher l'interrupteur dans la salle qui fait lieu de cantine.

Et il tombe sur un Joshua réveillé bien trop tôt, qui s'est installé sur une chaise haute.

Posé face au bar, les coudes sur la table. Ses yeux assombris de sommeil.

Oh. Lui, il a passé une sale nuit.

– Les élèves ne sont pas censé se lever avant au moins une heure, il glisse en guise de bonjour.

– Je n'arrivais pas à dormir.

Ce serait sans doute inutile de lui faire remarquer qu'il n'a pas le droit d'être ici avant 7h, Joshua n'en fait toujours qu'à sa tête. Alors Sanae se contente de tirer une chaise et il s'installe près de lui.

– T'as mal ?

– Non ?

– Et pour de vrai ?

– Je suis tout à fait sérieux.

Effectivement. Quand il ment, Sanae le grille tout de suite. Et s'il a tendance à minimiser les choses, il ne lui ment jamais à ce sujet. Alors, le problème est ailleurs.

– Qu'est-ce qu'il y a ?
– J'ai du mal à dormir, c'est tout.

Faux. Si c'était le cas, il serait resté au lit, à contempler son très cher camarade. A moins qu'il n'y ait eu un problème avec ce dernier ?

Maintenant qu'il y pense… oui, c'est évident.

– Il s'est passé quelque chose avec Neku ?

Joshua hausse les épaules. Il cale sa joue molle au creux de sa main, sur une petite grimace.

Grillé.

– Raconte-moi.

A choisir, il aimerait que Joshua trouve quelqu'un d'autre à qui déballer ses malheurs. Pas que ça lui déplaise foncièrement, de l'écouter, mais il sait que le garçon n'arrive pas à se lier avec les adolescents de son âge - qui seraient pourtant mieux placés pour le comprendre. Et il doute que ce soit bon pour lui, de n'avoir qu'un seul ami qui a, qui plus est, le double de son âge.

A vrai dire, il espérait qu'en se rapprochant de son camarade de chambre, Joshua trouverait le moyen de s'intégrer. Il avait l'air de bien s'entendre avec Eri, pendant leurs sorties. Mais il faut croire qu'il s'est trompé.

– Il n'y a rien à raconter.

Il le voit cacher ses mains sous le bar.

– Je me suis fait des idées, c'est tout.

– Neku t'a mis un râteau ?

Oh, ça, ça l'étonne. Quoi que. Il a l'air craintif, le gosse. Possible qu'il n'assume pas encore son orientation. Vu son passif, ça ne l'étonnerait pas. Et pour peu que Joshua se soit montré trop franc… C'est qu'il manque de délicatesse, tout précieux qu'il soit. A tous les coups, il a poussé le bouchon, et ça l'a fait fuir. Ça lui ressemblerait bien.

Mais Joshua sait quand il doit calmer le jeu. Même s'il a du mal à s'arrêter.

– Oh, non, encore heureux. Je me suis évitée cette humiliation.

– Alors qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Un instant, Sanae s'inquiète. Mais non. Neku n'aurait pas fait de mal à Joshua - pas volontairement, tout du moins. C'est un gars un peu paumé, mais ça reste un brave petit bonhomme. Et puis il les a vu, tous les deux, plantés derrière leur chocolat maison. A se regarder, leurs mains en balade sur la table. Hier encore tout allait bien. Non, si problème il y a eu, c'est survenu le soir. La nuit ?

Il ne sait pas. Mais vu la trogne dépitée du garçon, ce n'est pas l'histoire d'une petite chamaillerie qu'il lui cache.

– C'est si terrible ?

– Pas vraiment.

Oh. Si Joshua ne se plaint, c'est que c'est la fin du monde. Pour lui, au moins.

Ça le mine. C'est qu'il le connaît bien, ce gosse. Pas depuis sa naissance, ce serait exagéré. Mais il fréquente son père depuis longtemps, et s'il n'a pas vu Joshua grandir, il l'a au moins suivi toute son adolescence. Il sait comme il se cache, quand il ne veut pas qu'on le voit. C'est dur, de le faire sortir de sa coquille.

Et là, monsieur ramasse sa première peine de cœur. C'est à la fois triste et émouvant.

Sanae songe malgré lui que ce n'est pas son rôle, de s'occuper de ça. Il connaît deux adultes que Joshua devrait appeler. Deux adultes qui, s'il ne les contacte pas quand ça va mal, n'ont pas assez bien joué leur rôle. La communication, dans cette famille.

Enfin, c'est un autre problème.

– Tu as l'air au bout de ta vie.

– C'est nul, la vie.

– Oh, Josh.

Comme le garçon se laisse glisser sur le bar, le nez enfoui entre ses bras croisés, il décide d'adopter une autre technique. Il se lève, passe par la cuisine, et emprunte de quoi préparer une boisson qui devrait lui faire plaisir. Il n'est pas censé fouiller dans le coin, mais il le fait depuis qu'ils sont arrivés ici et personne ne l'a encore repris, alors…

– Allez, relève le nez.

Le garçon obéit, tombe face à la tasse qu'on pousse doucement. Il regarde, inspire. S'approche comme une bête curieuse.

– J'ai mis de la cannelle.

Il tapote sa tignasse sauvage. Ça ne le consolera pas, mais au moins, il passera un bon moment.

Joshua tire le présent à lui, pose ses lèvres au bord et couine en se les brûlant. Il souffle, pousse devant lui l'odeur sucrée qui s'échappe du chocolat chaud. Son regard tristoune s'attarde sur les formes que la mousse dessine. Quand il se penche, à nouveau, il prend une gorgée. Passe ses deux mains autour de la porcelaine pour en chercher la chaleur. A leur teinte violine, Sanae comprend qu'il a froid.

– Alors ?

Il pose ses mains à plat contre le bar.

– Il semblerait que Neku n'apprécie pas que je vienne lui parler en public.

– Et qu'est-ce qui te fait dire ça ?

– La manière dont il m'a jeté, je dirais. Et crois-moi, ce n'était pas une erreur d'interprétation.

Oula. Ça, ce n'est pas la réponse que Sanae attendait. Il imagine assez mal Neku faire quelque chose du genre sans que Joshua ne l'y ait poussé. Mais si Joshua était le responsable de la mésentente, il le saurait. Il serait mécontent, vexé tout au plus, mais pas blessé.

– Il t'a jeté ? En public ?

– Tu as bien entendu.

– Et pourquoi ça ?

– Ce n'est pas de ma faute, il réplique aussitôt.

Le surveillant lève les mains.

– Calme, c'est pas ce que je voulais dire.

Joshua fait la moue. Mais il continue de boire.

– Pour te répondre, il semblerait que je sois… Lourd. Je gêne. Et on a pas envie de voir ma gueule, si tu me passes l'expression.

– Ouch. Il a vraiment dit ça ?

– La dernière vient de son très cher ami. Mais il n'a pas désapprouvé, loin de là.

Merde. Sanae n'imaginait clairement pas Neku agir comme ça. Il y a sans doute un truc qu'ils ignorent là-dessus, mais pour l'heure, Joshua n'a ni la force ni l'envie de creuser. Ce qu'il peut comprendre. La nuit a dû être gênante, après ça. A moins que Neku n'ait choisi d'aller dormir chez un de ses amis, à l'instar de leur autre camarade de chambre.

Dans tous les cas, Joshua ne passe pas un bon moment. Et pour une fois, ce n'est pas de sa faute.

Sanae tire une chaise derrière le bar pour s'installer à sa hauteur.

– Et il t'a pas parlé, depuis ?

– Je n'étais pas d'humeur à faire la conversation.

Ce qui se comprend.

– Mais il a voulu s'expliquer, Sanae termine pour lui.

Joshua relève encore un peu sa tasse.

Le connaissant, il a dû éviter la confrontation. Joshua est passé maître dans l'art d'esquiver ce qui fait mal. Et… Oui, cette fois, c'était sans doute justifié. Mais Sanae doute qu'il ait envie que leur séjour ici se termine de cette manière. Sur le moment, il va se renfermer. Et après, il regrettera. Même s'il ne l'avouera pas.

– Je n'ai pas envie d'être la petite chose honteuse qu'on cache à ses fréquentations.

– Ça, c'est pas à moi qu'il faut le dire.

Il passe sa main dans la tignasse folle de Joshua. Il sait qu'il n'aime pas se cacher. Et s'il ne s'en plaint jamais sérieusement, Sanae a conscience du prix qu'il paie pour s'afficher ouvertement dans la cour du lycée. Ça jase aussi dans la salle des profs. Mais il ne pensait pas que, venant de Neku…

Enfin, c'est sans doute bien plus compliqué qu'il ne le pense. C'est aussi pour ça qu'ils devraient discuter.

– Et à qui veux-tu que j'en parle ?

– A ton avis ?

– J'aimerais autant m'éviter une nouvelle humiliation.

Joshua ajuste les mèches qui passent devant ses yeux.

– Vous êtes dans la même chambre, Sanae lui fait remarquer. Tu comptes l'éviter jusqu'à la fin du voyage ?

– Oui.

– Et comment tu comptes faire, pour l'atelier d'aujourd'hui ?

– L'atelier ?

Ah, vu son regard, il avait oublié.

– Les élèves qui ne vont pas skier participent à l'organisation de la fête, Josh, il explique en lui tapotant l'épaule. Et Uzuki n'accepte pas les dispenses pour peine de coeur.

– Mais je suis sûr que tu pourrais lui en toucher deux mots ?

– Je pourrais.

Il sent son petit regard pressant sur lui. La détresse alertée qui l'anime. Il aimerait bien lui éviter cette angoisse, mais laisser Joshua fuir encore… Ah, il déteste ce genre de situation. La décision ne lui appartient pas. Et en même temps, il le voit déjà rentrer chez lui, dépité, à s'asseoir derrière son piano pour éviter le regard de ses parents.

– Mais tu connais Uzuki.

– Justement, je sais qu'elle t'écoute.

– Pas toujours.

Joshua baisse les yeux vers son fond de verre vide. Ses mains serrées autour de la porcelaine cherchent le peu de chaleur qu'il leur reste à savourer. Merde, c'est qu'il lui fait de la peine, là.

– Je verrai ce que je peux faire.

Il n'aime pas mentir. Mais sa mine attristée, ça lui pique le cœur. Même s'il sait qu'il y a une part de comédie là-dedans. Au pire, s'il voit que ça tourne mal, il pourra toujours intervenir.

Mais s'il ne leur file pas un petit coup de pousse, ces deux-là vont rester terrés dans leur coin à remuer leur malheur.

Surveillant sa montre, Sanae note que l'heure du réveil approche.

– Les élèves vont bientôt descendre, il lui fait remarquer.

Une petite tape sur son épaule.

– Mm. On ne peut pas annuler le petit déjeuner ?

Sanae rit. Celui-là, alors… Allez, s'il a encore la force de dire des bêtises, c'est que tout n'est pas perdu.

Il le regarde filer, récupère sa tasse pour aller la laver. Plus tard, il ira chercher l'endroit où Uzuki a entreposé les cartons de décorations. Mais pour l'heure, il s'autorise une clope bien méritée sur la terrasse du chalet.


Voilà. C'était au moins un peu mignon ? C'est chouette de faire des scènes avec ces deux-là, en vrai.

Bon, j'ai encore deux chapitres à écrire et on est bon. On y croit.

A demain !