Note : Romance, pas romance ? Il faudrait pour une romance que Severus plaise à Anhura et que Anhura plaise à Severus… Pour l'instant ce n'est pas encore ça, mais qui sait ce que l'avenir nous réserve ? Et puis, cherchez bien, peut-être qu'entre les lignes vous y trouverez de quoi satisfaire votre soif de romantisme…
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-9-
La Marque du passé.
Trois jours avaient passé, et c'était avec un regard sans vie, des mouvements sans énergie qu'Anhura s'était assise sur un banc de la tour d'Astronomie, sous un ciel obscur et dépourvu d'étoiles, après un dîner bâclé; Eclipse venait de se percher sur son épaule en lui mordillant tendrement l'oreille. Snape ne lui avait plus parlé; quand ils se croisaient dans les couloirs ou dans la salle des professeurs, il l'évitait, et il ne s'asseyait plus à côté d'elle pendant les repas. De toute façon, elle n'aurait pas supporté de déjeuner aux côtés d'un Mangemort. Les Mangemorts étaient pour elle des êtres aussi abominables que leur maître, et sa mère était morte à cause d'eux, pour les espionner, en cette fameuse nuit du 31 Octobre. Elle se demandait comment Dumbledore avait pu engager un Mangemort, au lieu de l'envoyer directement à la prison d'Azkaban; elle se demandait également pourquoi elle n'avait pas suivi les conseils de Gobe-Planche, et traité Snape comme un moins que rien, même si Gobe-Planche, comme les autres professeurs, le faisait sûrement sans être au courant de ce qu'il était. Et si les rumeurs étaient vraies? Peut-être voulait-il réellement devenir le professeur de Défense contre les Forces du Mal, pour enseigner aux élèves, de manière subtile et indirecte, la Magie Noire. Il était en tout cas assez futé et habile pour le faire sans même éveiller les soupçons.
En quelques secondes, une forte et dense pluie avait commencé à s'abattre sur la tour, faisant fuir Eclipse, qui poussa un ululement énervé et qui laissa Anhura seule sur son banc, dans le noir quasi-total. Elle n'avait aucune envie de rentrer; elle se fichait de recevoir sur elle des trombes d'eau. Plus rien ne lui importait à présent. Tout ce qu'elle désirait, c'était retourner plus de quatorze ans en arrière, quand sa mère était encore en vie, qu'elle passait ses journées à lui apprendre le métier d'Auror et que, le soir, elle venait la border comme une petite fille, avec toute la douceur et la tendresse qu'elle n'exprimait pas le jour, pour qu'elle lui confie ses problèmes et la rassurer en retour. Elle voulait avoir à nouveau sa famille au complet, et voir ses parents heureux; elle voulait encore entendre sa mère lui dire qu'elle était fière des progrès qu'elle faisait; elle voulait encore entendre sa voix l'appeler "ma puce" et sentir son parfum quand elle lui disait bonne nuit; mais tout ceci était impossible, à cause de Voldemort et ses Mangemorts. Tout ceci n'arriverait plus jamais.
La pluie tombait encore plus fort. Anhura s'imaginait que si en cet instant elle se permettait de pleurer, ses larmes ne seraient pas moins nombreuses que toutes les gouttes de pluie que les nuages avaient lâchées. A présent, elle comprenait encore mieux les explications de Dumbledore sur le réel et l'imaginaire. Pour elle, sa mère avait toujours été une simple Auror, qui partait de temps à autre pour des missions, et qui reprenait sa paisible vie de mère de famille une fois rentrée à la maison. Rien de plus. Avoir découvert que la réalité était toute autre l'avait blessée, elle qui avait toujours cru connaître sa mère sur le bout des doigts. Et pourtant…
Elle repensait au tout dernier mot qu'avait écrit sa mère, celui qu'elle avait envoyé à Dumbledore; elle disait que c'était son droit de ne pas lui pardonner pour ce qu'elle avait fait. Mais Anhura ne lui en voulait pas. Elle n'avait jamais ressenti un soupçon de rancune pour le sort qu'elle lui avait lancé, ni pour avoir menti pendant deux ans à son père et elle. Ces révélations n'avaient fait au contraire qu'accroître le regret qu'elle ne soit plus là; elle aurait aimé qu'elle lui raconte comment se passaient ses journées d'espionnage, qu'elle lui montre sa forme Animagus et qu'elle lui apprenne à en devenir un. Elle n'aurait peut-être pas réussi, mais ce n'aurait pas été très important car cela lui aurait permis de partager de bons moments avec elle, et c'était tout ce qui aurait compté.
Ses cheveux, tout comme ses vêtements, étaient à présent trempés. De l'eau gelée coulait dans son cou et sur ses chevilles, sans qu'elle n'en ait vraiment conscience. Pour une fois, elle aurait aimé parler avec quelqu'un, mais elle n'avait personne. Hagrid était parti faire sa tournée nocturne dans la Forêt Interdite, et son père était loin d'elle. Ils n'étaient pas au courant pour le sortilège de Mémoire héréditaire : Anhura ne savait pas s'il était sage de le leur avouer, et même si cela l'était, elle n'était pas sûre de trouver les mots pour le leur dire.
Elle leva les yeux lorsqu'elle entendit, tout près d'elle, des bruits de pas sous la pluie. L'ombre, grande et un peu courbée, d'Albus Dumbledore, s'approchait d'elle, comme si ce dernier avait senti son besoin de parler à quelqu'un… Il était réellement déconcertant, parfois. Il leva un bras et, avec un doigt, traça une ligne horizontale au-dessus de la tête d'Anhura et sur toute la longueur du banc. La pluie cessa immédiatement de s'abattre à cet endroit, et en l'espace de quelques secondes, Anhura et le banc étaient redevenus aussi secs qu'ils l'étaient avant l'averse. Le bruit de l'eau s'écrasant au sol, qui se faisait étouffé et lointain, donnait à Anhura l'impression d'être dans une pièce du château aux murs et au plafond invisibles.
Dumbledore s'assit à côté d'elle. Ils restèrent silencieux pendant cinq longues minutes, jusqu'à ce qu'Anhura se mette enfin à parler à voix basse, sans même lever les yeux vers lui.
"Pourquoi ne nous a-t-elle jamais rien dit?"
Il mit tellement de temps à répondre qu'elle se demanda s'il avait entendu sa question.
"Je crois qu'elle n'aurait pas aimé que sa fille et son mari se fassent un sang d'encre pour elle à chaque fois qu'elle s'en allait espionner. Qu'en penses-tu?"
Elle réfléchit. Elle aussi cachait des choses à son père quand elle savait qu'il s'inquièterait.
"C'est vrai," murmura-t-elle tristement.
Il esquissa un faible sourire.
"Je suis certain que cela lui brisait le coeur de vous mentir," dit-il d'une voix douce, "mais elle n'avait pas vraiment le choix. Tu comprendras mieux quand tu seras, toi aussi, mère de famille."
Elle hocha la tête en se disant qu'elle ne comprendrait donc jamais mieux, puis un nouveau grand silence s'installa entre eux.
"As-tu parlé à Severus?" finit par demander Dumbledore.
"Oui," répondit-elle avec une inhabituelle amertume.
"Que t'a-t-il dit?"
"Qu'il était un Mangemort," répliqua-t-elle sèchement. "Ou plutôt, il me l'a crié."
Même dans la pénombre, elle pouvait voir le regard stupéfait d'Albus Dumbledore.
"Vraiment?"
"Oui," dit-elle en essayant d'adopter un ton plus calme, un peu surprise par la réaction du vieux sorcier. "Pourquoi? Ce n'est pas vrai?"
"Si," répondit-il d'un air songeur. "Si, c'est vrai. Seulement, je n'aurais jamais imaginé qu'il te l'avoue. Ce n'est pas dans ses habitudes de parler de lui, et encore moins de son passé."
Elle ne savait pas vraiment quoi lui répliquer, mais se décida finalement à dire, avec mauvaise humeur, "Eh bien, je suppose que ma question l'a tellement énervé qu'il en a parlé sans s'en rendre compte."
Le regard perplexe et pensif de Dumbledore se perdit dans l'horizon, avant de se poser à nouveau sur Anhura.
"C'est rare de te voir en colère," dit-il posément, comme pour souligner un fait qu'il trouvait intéressant.
"Ce n'est pas tous les jours que j'apprends que l'un de mes collègues est un Mangemort," marmonna Anhura.
Les yeux de Dumbledore, rendus gris par l'obscurité, s'illuminèrent subitement.
"Ah, voilà ton erreur. Severus n'est pas un Mangemort. Il en était un."
Elle regarda d'un air absent la pluie pourtant presque imperceptible et vrombissante tomber tout autour d'elle, ne trouvant rien à répondre.
"Il a fait une erreur, et l'a reconnue," continua d'expliquer Dumbledore. "Il a quitté le camp de Voldemort avant sa chute pour devenir l'un de nos espions, à ses risques et périls."
Avant la chute de Voldemort. Il n'était donc plus à son service la nuit où sa mère s'était fait tuer; ce n'était pas pour l'espionner luiqu'elle était morte ; ce n'était donc pas entièrement sa faute. Anhura tripota son pendentif en silence, avant de reprendre plus calmement la parole.
"Si ce que vous dites est vrai… et ça l'est sûrement… c'est déjà mieux. Mais rien ne me prouve qu'il est vraiment dans notre camp."
Il sourit.
"C'est vrai que tu n'as pas encore eu le temps d'apprendre à lui faire confiance. Crois-tu qu'un véritable Mangemort se serait senti blessé par ta question?"
Elle lâcha son pendentif et regarda Dumbledore d'un air un peu surpris.
"Blessé?"
"Il s'est énervé après toi parce que tu lui as parlé d'une chose dont il n'était pas fier. Tu l'as agressé, il s'est défendu."
"Mais je ne voulais pas…"
"Je sais, Anhura," coupa Dumbledore avec un petit rire. "Je sais. Mais tu vois, s'il était réellement du côté de Voldemort, il n'aurait pas réagi de cette façon."
"Peut-être," admit-elle avec un certain scepticisme, cependant.
La gaieté de Dumbledore fut rapidement remplacée par le sérieux; il la scruta d'un regard pénétrant, à travers les verres de ses lunettes.
"Jusqu'à présent, j'ai toujours eu l'impression que tu le défendais."
"Non," répliqua-t-elle posément. "Je ne le défendais pas, j'essayais simplement d'être juste avec lui."
Il esquissa un petit sourire.
"Alors, continue de l'être."
"De toute façon, il ne m'adresse plus la parole," dit-elle en haussant les épaules. "Il fait tout pour m'éviter."
Dumbledore eut un rire teinté de tendresse, ses yeux brillants plissés d'amusement.
"Par expérience, je peux te dire qu'il ne te fait pas vraiment la tête. Il cherche à savoir si tu le lui pardonnes, même si lui-même ne s'en rend peut-être pas compte."
Anhura regarda le vieux sorcier, qui était en train de se lever, d'un air déconcerté.
"Si je le lui pardonne?"
"Pour ce qu'il a été," compléta Dumbledore. "Si tu le pardonnes d'avoir un jour été un Mangemort."
Un petit temps de réflexion fut nécessaire avant qu'Anhura n'arrive à trouver la pièce qui manquait pour permettre à sa logique de fonctionner.
"Il se tient à distance et attend un geste de ma part," conclut-elle à mi-voix, plutôt étonnée par ce qu'elle venait de découvrir.
"Exactement. Il t'a fait une confidence, il veut maintenant savoir ce que tu en fais."
Elle laissa échapper un léger rire.
"Ce n'était pas très explicite. Merci de m'avoir éclairée, professeur."
"Avec le temps, tu comprendras que le meilleur moyen de le connaître, ce n'est pas de l'interroger, mais de l'observer," dit-il avec un sourire serein. "Bonne nuit, Anhura."
"Bonne nuit."
Tandis que Dumbledore s'éloignait sous la pluie, Anhura restait assise, perplexe, sur le banc, où les gouttes évitaient toujours de tomber. Dumbledore venait de lui montrer Snape sous un angle qu'elle n'avait jamais envisagé. Il avait réagi violemment parce que, sans le savoir, elle avait sauté à pieds joints sur la fine et fragile couche de glace qu'il avait commencé à construire par-dessus son profond lac de remords et de culpabilité. En prenant ses distances, il cherchait à savoir quel impact avaient eu ses révélations sur elle; il se demandait si, après ce qu'elle avait appris, elle lui donnait encore le statut d'être humain et souhaitait renouer le contact, ou bien s'il était définitivement un Mangemort pour elle et avait gagné une nouvelle ennemie. Ses comportements n'étaient pas dus à une personnalité empoisonnée, mais à de profondes et réelles raisons qu'il ne pouvait pas exprimer autrement.
Elle venait de trouver un nouvel indice qui pouvait la conforter dans l'idée que Snape n'était plus du côté de Voldemort. Quand elle s'était trouvée dans son bureau, seule avec lui et sans baguette magique, il n'avait pas cherché à la blesser, à la tuer, ni même à la menacer, alors qu'il savait parfaitement qu'elle pouvait avoir en elle quelques-uns des plus précieux secrets de Voldemort et ses Mangemorts, des secrets qui permettaient peut-être de trouver une solution pour tuer Voldemort une fois pour toutes, ou pour ne jamais le faire renaître une fois qu'il était dans le corps de son protecteur. Un véritable Mangemort aurait sauté sur l'occasion pour l'empêcher d'intervenir dans le retour au pouvoir de son maître; pourtant, Snape l'avait simplement mise à la porte.
Après tout, quand elle avait eu un souvenir dans la salle des professeurs, c'était lui qui était allé chercher Dumbledore. Il avait sans doute remarqué que son étrange malaise était survenu à l'instant même où sa propre marque l'avait brûlé, et les dates des précédents étourdissements qu'elle avait eus avaient dû correspondre à celles où sa tache s'était manifestée. Si un Mangemort s'était aperçu qu'elle aussi pouvait avoir une quelconque connexion à Voldemort, sa première réaction n'aurait sûrement pas été de courir avertir Dumbledore, son plus grand adversaire.
Aucun de ses comportements actuels n'était en fait douteux, sauf son alliance contre-nature avec les Serpentard, qui n'était peut-être cependant qu'un simple reste d'un moment de sa vie qui l'avait trop marqué. Le pardonner signifierait fermer les yeux sur son passé et reconnaître ses efforts pour devenir meilleur. Mais sur quel passé fermerait-elle les yeux? En tant qu'ancien Mangemort, Snape avait probablement torturé et tué d'innocentes personnes simplement pour leur sang "impur". Le pardonner voudrait dire accepter le pire de lui comme le meilleur, et l'assumer entièrement; il ne suffisait pas de faire comme si rien ne s'était passé.
Il a fait une erreur, et l'a reconnue. Aussi facile que cela puisse paraître, peu de gens étaient capables d'en faire autant. Reconnaître une si grave erreur lui avait sûrement demandé une sacrée dose d'humilité, lui qui, d'ordinaire, utilisait sa mauvaise foi pour avoir le dernier mot et prouver qu'il avait toujours raison.
Oui, mais à un moment donné de sa vie il a choisi de devenir un Mangemort, se rappela-t-elle avec colère ; et tout à coup, toutes les excuses que lui avait données Dumbledore s'effondrèrent comme un château de cartes. Elle recommençait même à le détester, se demandant comment il avait pu prendre une telle décision. Et puis, il n'a pas l'air d'avoir autant de remords que le prétend Dumbledore. Elle supposa également avec une certaine lucidité, que quoiqu'en dise Dumbledore, Snape se fichait complètement du fait qu'elle ne lui parlait plus, et qu'il n'était pas dans l'attente désespérée d'un signe de sa part.
Une anxiété assez confuse naissant en elle, elle se mit à triturer un bout de sa ceinture en tissu. Elle devait admettre qu'avoir de la rancune envers Severus ne lui convenait pas trop. Pourquoi ? se questionna-t-elle, et instantanément elle obtint une réponse, des morceaux de sa vie. Dans les magasins, à la caisse, elle était toujours celle que les gens doublaient sans aucune vergogne ; elle essayait de protester, mais ils lui riaient au nez, et elle était tellement humiliée qu'elle se taisait. Dans son village, certains habitants ne se souvenaient jamais de son nom, tant elle était insignifiante pour eux. Dans une conversation avec plusieurs personnes, il fallait toujours qu'elle répète sa phrase trois ou quatre fois pour que les autres réalisent qu'elle avait parlé. Même son père était parfois trop fatigué ou soucieux pour l'entendre.
Ici, le peu de fois qu'elle ouvrait la bouche provoquait diverses réactions. McGonagall était souvent trop pressée ou occupée pour l'écouter jusqu'au bout ; Jumble enchaînait directement sur une blague ou une anecdote, si bien qu'au bout du compte sa propre phrase était tombée aux oubliettes ; Dumbledore restait neutre, et même un peu trop lisse et détaché: elle aurait aimé parfois qu'il ait une réaction humaine à ses propos. Hagrid, quant à lui, l'écoutait sans vraiment la comprendre ; même s'ils s'aimaient bien, elle et lui étaient beaucoup trop différents.
Mais Snape, lui, écoutait sa phrase jusqu'au bout ; il prenait le temps d'y réfléchir, et enfin d'y répondre, même si c'était d'une façon fort désagréable. C'était uniquement dans ces moments qu'elle se sentait exister dans l'esprit de quelqu'un ; il était la seule personne qui lui donnait un sentiment d'importance, aussi minime soit-il. Et elle ne voulait surtout pas perdre ce privilège.
Les traits de son visage s'apaisèrent, tout comme ses pensées. Il y avait beaucoup de raisons pour le croire mauvais, certes. Mais aucune des personnes prétendument « bonnes » qu'elle avait rencontrées jusqu'à présent ne lui avait accordé le peu de respect que lui, lui apportait. Qui était mauvais, à ce moment-là ? Celui qui, un jour, avait été un Mangemort, et qui prenait la peine de l'écouter, ou ceux qui n'avaient jamais vraiment commis de délit grave et qui n'avaient aucune considération pour elle ? Anhura avait vite fait son choix. Et elle se trouva vraiment stupide d'avoir douté des arguments que lui avait avancés Dumbledore concernant ses remords et son désir de se racheter, en plus de se sentir coupable pour l'avoir blessé.
Réalisant subitement le froid qui lui traversait la peau, elle se leva et fit quelques pas sous la pluie en direction des escaliers qui menaient à l'intérieur du château. Quand elle passa, cinq minutes plus tard, devant la porte de son bureau pour se rendre dans ses appartements, elle se souvint de la première fois qu'elle avait vu Snape. Ce jour-là, il avait été extrêmement déplaisant; mais il avait ramassé l'un des livres qui étaient tombés par terre pour le lui donner. Avec le point de vue de Dumbledore, tout semblait différent. Le meilleur moyen de le connaître, c'est de l'observer… Toi aussi, si tu avais fait une aussi grave erreur, tu aurais aimé pouvoir te racheter. C'était avec un très faible sourire qu'elle pénétra dans son salon : elle avait fait son choix.
Ce ne fut que jeudi après-midi, pendant son heure de libre, qu'elle eut la possibilité d'en faire part à Snape. Quand elle entra dans la salle des professeurs, il était le seul à s'y trouver, assis à la table, visiblement en train de prendre des notes sur un parchemin à partir d'un livre. Elle s'installa en face de lui, ouvrit son propre livre qu'elle avait emporté avec elle, mais ne le lut pas. Elle regardait Snape écrire, ses cheveux noirs lui tombant sur le visage, hésitant à l'interrompre dans son travail.
"Severus?" appela-elle à voix basse.
Comme il continua d'écrire, elle attendit quelques secondes avant de retenter sa chance.
"Severus!"
Il n'eut aucune réaction. Elle se demanda s'il était trop absorbé dans son travail ou s'il était toujours décidé à ne pas lui parler. Elle choisit la deuxième probabilité.
"Severus!" répéta-t-elle, toujours à voix basse mais avec plus de vivacité.
Il s'arrêta d'écrire. Seuls ses yeux avaient bougé : il la regardait durement, et d'un air glacial, ce qui lui ôta tout le courage qu'elle avait rassemblé pour oser l'affronter à nouveau.
"Ca va?" bredouilla-t-elle nerveusement sans sourire. "Ca fait longtemps que nous ne nous sommes plus parlés."
Il se redressa complètement, tout en continuant de la fixer.
"Je ne vois pas en quoi ça vous dérange," répliqua-t-il d'un ton agressif.
Elle resta un instant silencieuse, se forçant à ne pas éviter les yeux flamboyants de son collègue. Puis elle prit une grande inspiration avant de répliquer, très calmement :
"Ecoutez, Severus… Je suis vraiment… sincèrement désolée pour ce qui s'est passé l'autre jour. Je n'ai jamais eu l'intention de vous blesser… Je ne vous aurais jamais posé cette question si j'avais su que la réponse était quelque chose de si… si difficile pour vous."
Il baissa la tête et se remit à écrire comme si de rien n'était. Elle était un peu découragée, mais n'avait pas du tout envie d'abandonner. Il était têtu; eh bien, elle aussi.
"Severus, s'il vous plaît," dit-elle avec douceur, "montrez-moi encore votre bras."
Il se redressa à nouveau et la regarda d'un air irrité.
"Mon bras n'est pas un musée," dit-il avec un calme glacial.
"Je sais," dit-elle toujours aussi doucement, "et je ne vous demande pas ça pour m'amuser. S'il vous plaît."
Il ne bougea pas.
"Severus," dit-elle patiemment, "je vous jure que ce n'est pas de la curiosité malsaine. Ce que je vous demande là est très sérieux, j'ai vraiment besoin de voir votre bras une nouvelle fois. Juste une."
Il la regarda d'un air dubitatif, avant de poser ses yeux sur la porte d'entrée et de remettre sa plume dans l'encrier qui se trouvait juste devant lui, avec un mélange de mauvaise humeur et de résignation. Il releva sa manche et exposa son bras où se trouvait la marque, plus rouge et plus nette que la semaine précédente, tout en scrutant Anhura avec méfiance. Celle-ci l'examina, sans aucune expression sur le visage.
"Je ne vois rien," dit-elle platement.
Il parut un court instant légèrement déconcerté.
"Eh bien, regardez de plus près ou mettez vos lunettes," dit-il d'un ton sec.
Elle examina à nouveau le bras.
"Non. Je ne vois vraiment rien."
"A quoi jouez-vous?" demanda Snape avec colère, en retirant son bras et en le recouvrant.
"Ce que je veux dire par là, c'est que pour moi, vous êtes Severus Snape, et non pas Severus Snape le Mangemort. Je me fiche de votre Marque. Elle m'est totalement invisible."
Il demeura un instant silencieux, puis il demanda, d'une voix faussement délicate, "Vous vous sentez mieux? Vous avez soulagé votre pauvre petite conscience?"
Elle ne fut pas surprise de sa réaction; elle avait compris que la bataille serait longue et difficile avant de parvenir à le convaincre. Un très faible et amer rire précéda sa réponse.
"Si j'avais simplement voulu soulager ma conscience, je vous aurais envoyé une boîte de chocolats avec un mot d'excuse. Je n'aurais pas fait tant d'efforts pour parler. Croyez-moi, moins je parle, mieux c'est pour moi."
Il ne répliqua pas.
"Et je ne vous aurais jamais dit une chose pareille si je ne la pensais pas," ajouta-t-elle. "Je connais et j'assume pleinement la signification de mes paroles."
Il baissa les yeux sur son parchemin avant de se lever subitement, de rassembler ses affaires dans ses bras et de dire, d'une voix basse et nerveuse :
"Alors, permettez-moi de vous dire que vous êtes complètement folle. Complètement folle."
Il sortit de la pièce en claquant la porte, plus bruyamment encore que les fois précédentes. Un caractère un peu empoisonné quand même, songea Anhura, qui ne savait pas si elle avait finalement accompli sa mission ou si ses propos étaient tombés dans l'oreille d'un sourd. Quand elle entendit la porte s'ouvrir de nouveau, un soupçon d'espoir la traversa. Il fut cependant très vite remplacé par la déception, puisque le visage qui apparut était celui, mauvais et renfrogné, de Mrs Gobe-Planche.
"Tiens, Snowerskin, je viens de croiser ton cher collègue", dit-elle d'un ton abrupt. "Il n'avait pas l'air de bonne humeur. Qu'est-ce que tu lui as fait? Tu lui as lancé l'une de tes douces et délicates phrases?"
N'ayant pas envie de se faire toucher par son venin, Anhura fit semblant de ne rien avoir entendu, se leva et quitta la salle, son livre sous le bras.
Il restait trois quarts d'heure avant que le dernier cours de la journée ne soit terminé. Pendant que ses élèves de Gryffondor étaient plongé dans leur nouveau sujet de dissertation, Anhura était assise à son bureau, les lunettes posées sur son nez, en train de copier les parties les plus intéressantes d'un livre – Des siècles de Magie : les formules rares et oubliées – qu'elle avait emprunté à la bibliothèque, parcourant les lignes avec le bout de sa plume.
'Il semblerait que les premières utilisations du sortilège de Mémoire héréditaire remontent à l'Antiquité. Il consiste, pour les espions, à transmettre à l'un ou plusieurs de leurs descendants, toutes ses connaissances ayant de près ou de loin un lien avec la personne qu'il espionne – il est risqué, pour la santé de l'héritier, de lui transmettre des souvenirs concernant plusieurs personnes espionnées, à cause d'une éventuelle saturation de sa propre mémoire. Quand le père ou la mère lance ce sort sur son fils ou sa fille, il lui donne en quelque sorte une copie des éléments importants qu'il aura obtenus jusqu'à cet instant; mais à partir de ce moment, le parent et l'enfant sont également liés par ce sortilège jusqu'à la mort de l'un d'entre eux, et le parent transmet ainsi au fur et à mesure toutes les nouvelles informations qu'il obtient, quelle que soit la distance qui le sépare de son enfant, qui intègre donc, en même temps que lui et sans s'en rendre compte, de nouvelles connaissances.
Ces souvenirs ne sont accessibles pour l'enfant qu'à partir du moment où il est utile pour lui de les connaître, ce qui signifie que tant que son père ou sa mère est encore en vie – et qu'il n'est donc pas nécessaire pour lui de prendre la relève –, ou bien si son parent est décédé mais que la personne espionnée l'est également – et donc sans plus aucun intérêt –, il lui sera impossible de se les remémorer. Si le sortilège de Mémoire héréditaire est mal appliqué, il peut déboucher sur une amnésie totale et irrémédiable du descendant en question, de même qu'il peut l'amener à posséder les souvenirs de la vie entière de l'espion au lieu de moments significatifs, et par conséquent à avoir une vie mentale particulièrement confuse, partagée entre deux vécus.'
Anhura haussa les sourcils. Heureusement, sa mère semblait ne pas avoir échoué dans sa formule. Elle ne l'aurait de toute façon jamais appliquée si elle n'avait pas été sûre du résultat, pensa-t-elle avec conviction.
'D'autres effets secondaires peuvent apparaître même si le sort est parfaitement réussi. Ainsi, l'enfant de l'espion, dans une période où les souvenirs de son parent lui sont inutiles et donc inaccessibles, est capable malgré tout d'avoir de forts pressentiments, qui sont en réalité des résidus des souvenirs qui lui ont été transmis, se manifestant sous forme d'instinct.'
Elle leva les yeux quand elle s'aperçut que quelqu'un était devant son bureau : c'était Ronald Weasley, un rouleau de parchemin à la main.
"Tu as déjà fini?" chuchota-t-elle.
Il hocha la tête d'un air gêné en lui tendant son devoir.
"Je peux sortir?" demanda-t-il à voix basse.
"Attends."
Elle déroula le parchemin, avant de constater que Ron n'avait écrit qu'une vingtaine de lignes. Elle regarda à nouveau celui-ci, visiblement avec sévérité, puisqu'il paraissait apeuré.
"Tu peux sortir, mais viens me voir dans mon bureau après la fin des cours, j'aimerais te parler."
Il fit un bref signe de tête, alla ranger ses affaires dans son sac et sortit de la salle, sous le regard réprobateur de Hermione.
Elle venait tout juste de s'installer dans son bureau quand on frappa à la porte.
"Entrez!"
Comme prévu, Ron pénétra dans la pièce.
"Assieds-toi," dit-elle poliment.
Pendant qu'il prenait place, elle s'efforçait de paraître moins dure qu'elle l'était toujours face à un élève; puis elle s'éclaircit la voix.
"Ronald," commença-t-elle calmement, "si je t'ai convoqué, c'est simplement pour te dire encore une fois que tes résultats sont alarmants, et je sais que cela ne concerne pas seulement la Défense contre les Forces du Mal. J'ai consulté toutes tes moyennes du premier trimestre."
"Je sais." Il avait parlé d'une voix presque inaudible, les yeux rivés au sol.
"Je ne peux pas te forcer à me parler de tes problèmes", poursuivit-elle d'un ton neutre, "mais il serait peut-être bon pour toi que tu te confies à quelqu'un. A tes amis, ou un autre professeur par exemple. Mrs McGonagall est la directrice des Gryffondor, et elle est prête à venir en aide à quiconque le lui demande."
"Je n'ai rien, professeur," répliqua-t-il avec lassitude. "C'est juste que…"
"Que?" l'encouragea Anhura.
"Enfin…" dit Ron avec hésitation. "Non, rien, laissez tomber."
Anhura, qui jouait nerveusement avec sa baguette magique, lui lança un regard analytique.
"J'ai été une adolescente, un jour, moi aussi," dit-elle à voix basse. "Et je sais que des problèmes qui peuvent paraître stupides à raconter peuvent être aussi très marquants et blessants si on ne les résout pas à temps."
Les yeux de Ron se remplirent d'étonnement et de perplexité, comme s'il venait de la découvrir sous un nouveau jour. Elle aurait ri si ce qu'elle venait de lui dire ne lui avait pas rappelé par la même occasion d'amers souvenirs; elle n'esquissa donc qu'un très faible et immotivé sourire, avant de poser à nouveau son regard sur sa baguette.
"Eh bien," dit Ron après s'être installé plus confortablement dans son fauteuil. "C'est juste que… que j'en ai marre d'être personne."
"D'être personne?" répéta Anhura après quelques secondes de silence, les sourcils un peu froncés. "C'est-à-dire?"
"Oui," dit-il sur le ton d'une évidence. "Regardez. Autour de moi, tout le monde est connu pour quelque chose. Ginny est la seule fille et la petite dernière de la famille, Fred et George sont jumeaux et font sans arrêt des sales coups, sans parler de mes autres grands frères qui ont chacun un métier qui ravit mes parents. Hermione est extrêmement intelligente. Harry" – il hésita, puis poursuivit – "est mon meilleur ami, mais tout le monde l'admire, et… et c'est normal. C'est un excellent attrapeur au Quidditch, et il a survécu à Vous-Savez-Qui. Mais moi, je suis toujours le frère de ou l'ami de. Je ne suis jamais Ron Weasley."
Il prit une grande inspiration quand il eut fini, et souffla, soulagé d'avoir pu s'exprimer.
"Et tu essaies de te démarquer en étant celui qui a les plus mauvaises notes," compléta posément Anhura.
"Peut-être," dit Ron, qui semblait ne pas savoir s'il fallait rire ou la prendre au sérieux. "En tout cas, je n'ai plus envie de travailler."
Elle hocha la tête et tapota machinalement sa baguette contre la paume de sa main, réfléchissant.
"Qu'est-ce que tu aimerais être, plus tard?" demanda-t-elle finalement.
Ron leva les yeux au plafond.
"Un célèbre joueur de Quidditch," répondit-il d'un air rêveur. "Ou bien un célèbre Auror."
"Eh bien, je ne connais pas tes talents au Quidditch, mais tu pourrais certainement avoir tes chances dans le métier d'Auror, si tu travaillais plus."
"Vous croyez?" dit-il avec espoir en écarquillant les yeux.
"Bien sûr," dit-elle toujours sans sourire. "Tu étais un bon élève, en début d'année. Tu as des capacités, Ronald. Souviens-toi, lors du premier cours sur les paradoxymes, toi et tes amis étiez les seuls à avoir résisté à votre angoisse."
"Oui," dit-il dans un souffle, les yeux brillants. "Oh, ça serait super si je pouvais en devenir un…"
Anhura examina le visage passionné de Ron; elle eut un instant d'hésitation, avant d'ouvrir le tiroir de son bureau et d'en sortir un livre, La vocation d'Auror, que sa mère lui avait offert pour son quinzième anniversaire. Elle caressa longuement la couverture de cuir bleu, toujours pensive, puis le tendit à Ron.
"Tu devrais lire ceci," dit-elle doucement. "C'est un excellent ouvrage, il devrait t'intéresser."
Ron saisit précautionneusement le livre, et le regarda avec admiration, comme s'il tenait entre les mains un très ancien et précieux objet.
"Merci," fit-il avec incrédulité.
"Je compte sur toi pour en prendre soin. J'y tiens énormément."
"Oui." Son visage s'illumina de bonheur. "Oui, bien sûr. Et je vous le ramène dès que possible, professeur."
"Prends ton temps," dit-elle dans un sourire. "Je sais que quand on commence à le lire, on a du mal à s'arrêter. Si on est passionné, du moins. D'ailleurs, tu m'excuseras, les pages sont assez usées."
"D'accord, merci," dit-il en riant un peu. Il semblait être beaucoup moins impressionné par elle, à présent, et elle se sentait moins tendue face à lui. Ses yeux se posèrent successivement sur le livre et sur Anhura.
"Vous êtes une Auror?" demanda-t-il.
"Non," répondit-elle avec regret.
Déconcerté, il laissa échapper un "Pourquoi?", mais il s'aperçut immédiatement que c'était peut-être une question trop personnelle, à en croire la couleur écarlate qui remplit son visage. "Enfin… Je veux dire… Si vous êtes passionnée par ça," bredouilla-t-il.
"Je pense…" commença Anhura en posant un regard absent sur le livre. "Je pense… que j'ai été… trop faible," poursuivit-elle dans un murmure, le coeur lourd; elle n'avait cependant pas réellement parlé pour Ron. Elle songeait à la déception de sa mère si elle savait qu'après tout ce qu'elles avaient partagé ensemble, sa fille avait tout abandonné du jour au lendemain. "Oui, ça doit être ça," conclut-elle en levant les yeux vers lui dans un énorme effort. "Je ne suis pas devenue une Auror parce que je suis faible et lâche. Tout ce qu'il ne faut pas pour faire ce métier," ajouta-t-elle avec un sourire coupable.
Il parut choqué.
"Oh… Vous… Vous n'en avez pas l'air, pourtant."
"La règle en or chez un Auror est de ne jamais se fier aux apparences."
"J'essaierai de m'en souvenir," dit Ron en se levant. "En tout cas" – il lança encore un regard admiratif sur le livre – "merci beaucoup, professeur."
"Mais de rien".
"A jeudi prochain, alors!" lança-t-il avec un grand sourire, en ouvrant la porte.
"Oui, à la semaine prochaine, Ronald," dit-elle en souriant elle aussi.
Quand Ron fut parti, Anhura resta dans son fauteuil, songeant à la conversation qu'elle venait d'avoir avec lui. Elle était réellement heureuse d'avoir pu faire plaisir à quelqu'un, d'avoir peut-être motivé et redonné confiance à son élève. Ses mauvaises notes étaient un appel au secours, il demandait de l'attention, et souhaitait simplement que l'on s'occupe de lui. Il avait dit qu'il avait envie de devenir un célèbre joueur de Quidditch ou un célèbre Auror… Une personne qui rêvait de célébrité était une personne qui demandait que le monde entier reconnaisse enfin sa vraie valeur, qu'il lui apporte de l'affection et de l'admiration. Comme Gilderoy Lockhart, pensa Anhura avec un sourire en se souvenant du jour où il devait faire une séance de dédicaces à la librairie de son père – à laquelle il s'était invité tout seul – et où il avait couru derrière toutes les sorcières qui passaient dans la rue, après la fermeture de la librairie, pour leur distribuer encore plus d'autographes… et ce, jusqu'à minuit.
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Note : dans le prochain chapitre, de nouveaux rebondissements vous attendent…
A suivre, dans le prochain numéro de SecretsHP (dans deux semaines) !
