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Bienvenue à Azkaban.

Tous les Mangemorts sont dans la cabane, en train de discuter bruyamment en attendant l'arrivée de Voldemort pour la réunion qu'ils avaient prévue. Il serait temps que Dumbledore trouve un moyen pour faire sortir Sirius d'ici. Voldemort est sans pitié avec lui.

Je ne vois que les jambes et les pieds de Sirius : il est assis contre le mur, juste à côté du trou. J'entends un couinement. Un rat vient de passer entre mes pattes; il entre par le trou pour s'arrêter à côté de Sirius et se lever sur ses deux pattes arrière, comme pour attirer son attention. Etrange.

Sirius murmure : "Peter? C'est toi?". Peter? Serait-il Peter Pettigrow, celui de l'Ordre du Phénix? Je l'ai souvent vu fréquenter Sirius dans nos réunions, et le jeune Lupin et James Potter également. Mais Dumbledore ne m'avait jamais dit qu'il était lui aussi un Animagus. Je pensais être la seule, avec Minerva. Peter ne l'en a peut-être jamais averti…

Le rat fait un nouveau couinement et s'agite, comme pour acquiescer. Les Mangemorts, de l'autre côté de la cabane, semblent ne rien remarquer. Sirius parle tellement bas que j'ai moi-même du mal à l'entendre. "Ecoute, Voldemort veut que je lui dise où habitent Lily et James. Je ne pourrai plus tenir longtemps s'il continue de me torturer. Va les prévenir et leur dire que je vais révéler leur secret à Voldemort, et conseille-leur de se cacher ailleurs, d'accord? Ils n'ont qu'à rejoindre Dumbledore, il trouvera sûrement une nouvelle solution."

Il s'arrête de parler, car un Mangemort a tourné la tête vers lui. Mais c'était une fausse alerte, le Mangemort n'a manifestement rien remarqué, car il reprend sa conversation avec son collègue. Sirius recommence lui aussi à parler au rat, enfin, à Peter.

"Je pourrai peut-être tenir encore un ou deux jours. Mais fais vite, Peter, et surtout, reviens me voir pour me signaler que tu les as prévenus et qu'ils se sont mis à l'abri. Comme ça, je pourrai tout révéler à Voldemort, et une fois qu'il sera parti pour les tuer, je me débrouillerai pour berner les Mangemorts qui me surveilleront pendant ce temps-là et pour m'échapper. Tu as bien tout compris?"

Peter fait un nouveau petit bruit, esquisse un petit geste avec sa tête et ressort par le trou. Je me pousse pour le laisser passer. Excellent. Le plan de Sirius était excellent. Si tout marche comme prévu, il pourra se sauver pendant que Voldemort sera chez les Potter, en train de les chercher. Son sort repose à présent entre les mains de Peter.

Lorsqu'Anhura revint à elle, elle était assise dans un fauteuil de la salle des professeurs, aussi vide qu'avant qu'elle ne perde conscience, à son grand soulagement. Un mois plutôt calme venait de s'écouler, pendant lequel Severus Snape, après plusieurs jours de grand silence, s'était finalement décidé à ne plus l'éviter et à lui adresser de nouveau la parole, bien que toujours aussi froidement, sans jamais reparler de ce qui avait eu lieu dans la salle des professeurs, et Ron paraissait beaucoup plus attentif en classe qu'au premier trimestre. Elle avait espéré que le ministre ait enfin écouté Dumbledore et retiré les Détraqueurs de la cellule de Sirius Black, mais ce nouveau souvenir était la preuve du contraire.

Troublée, faible et fiévreuse, elle appuya sa tête au fond de son fauteuil et essaya de comprendre ce qu'elle venait de voir. Le rat dénommé Peter était donc Peter Pettigrow, qui était devenu un membre de l'Ordre du Phénix, tout comme ses amis Sirius Black, James Potter et Remus Lupin, d'après les pensées de sa mère. Et Sirius lui disait d'aller prévenir les Potter parce qu'il allait révéler leur Secret…

Anhura eut subitement un sursaut de compréhension. Elle se rappela le précédent souvenir. Au début, quand sa mère voyait passer le rat, elle pensait "sans doute Peter, qui vient de prévenir Sirius"... Et ensuite, Sirius Black avait révélé à Voldemort où habitaient les Potter. Il l'avait donc fait en pensant qu'ils étaient sains et saufs, en sécurité avec Dumbledore, et qu'ils ne risquaient plus rien, puisque Peter avait donné son signal… Il n'avait donc pas de mauvaises intentions… C'était une ruse… Mais alors, pourquoi les Potter étaient-ils toujours chez eux quand Voldemort s'y était rendu? Et était-il possible que les meurtres qu'il avait commis par la suite soient également la conséquence d'un malentendu?

"Salut, la Miss!"

Victor Jumble venait d'entrer dans la salle, un exemplaire de la Gazette du Sorcier à la main, toujours d'aussi bonne humeur.

"Bonjour, Victor," répondit-elle en forçant un sourire.

"Ouh, t'as pas l'air en forme, toi," dit-il en s'asseyant face à elle. "Qu'est-ce qui t'arrive? C'est la condamnation de Sirius Black qui te met dans cet état?" poursuivit-il sur un ton blagueur.

" Non, je suis simplement fatigu… Pardon?" Anhura, qui n'avait pas immédiatement réagi aux propos de son collègue, fut choquée. Pourquoi lui parlait-il de Sirius Black? Savait-il lire dans les pensées?

"Ben oui," dit-il en dépliant le journal et en lui montrant la première page. "Tu n'étais pas au courant?"

Elle lut le titre en caractères gras, qui précédait un grand article couvrant quasiment toute la page : "AUJOURD'HUI A QUINZE HEURES, BLACK RECEVRA SON BAISER". Ses yeux se posèrent sur la date inscrite dans le coin à droite de la Gazette : Mardi 20 Mars.

"Mon Dieu," murmura-t-elle avec horreur, en portant ses mains au visage.

"Non, ce n'est pas grave tu sais" assura Jumble d'un air tranquille. "Il n'était pas très gentil, ce garçon. Il a tué plein de monde."

Anhura n'y prêta pas attention, et sortit sa montre de poche. Il était presque quinze heures moins le quart. Dans environ un quart d'heure, un innocent aurait sa vie détruite pour un terrible malentendu.

"Où est Dumbledore?" demanda-t-elle avec précipitation, en se levant brusquement.

Jumble perdit un peu de son sourire et la regarda, pour la première fois, avec sérieux.

"Je ne sais pas," dit-il avec un soupçon d'étonnement dans la voix. "Pourquoi?"

Prise de panique, elle ne répondit pas, et sortit en courant de la pièce. Elle traversa les couloirs, monta les étages, avec l'idée d'atteindre le plus vite possible le bureau de Dumbledore. Arrivée devant la gargouille, elle articula le mot "Chupa Chups", puis se posa sur les escaliers de pierre qui venaient de se révéler, attendant avec impatience d'être transporté jusqu'à l'étage supérieur. A bout de souffle, elle frappa à la porte du bureau. Personne ne répondit. Elle essaya une nouvelle fois, plus énergiquement, mais aucune réaction ne se fit entendre de l'autre côté.

"Oh non," murmura-t-elle avec désespoir.

Sans savoir où le chercher, elle redescendit les escaliers en courant, passa la gargouille, longea les couloirs, emprunta les escaliers pour se rendre aux étages inférieurs, sous le regard surpris de quelques élèves qu'elle croisa en chemin, et en évitant les projectiles que Peeves leur lançait. Ce ne fut qu'au troisième étage qu'elle l'aperçut, marchant tranquillement au bout d'un couloir.

"Professeur!"

Il se retourna; avec la force qu'il lui restait, Anhura courut jusqu'à lui pour lui lancer, d'une voix haletante, "Professeur… Sirius… Black… est… innocent!"

"Comment?" demanda Dumbledore, ses yeux bleus choqués et alarmés.

"Un nouveau… souvenir…m'est revenu… Peter Pettigrow… est un Animagus… C'est un rat… Il a rendu visite à Sirius Black… quand il était pris en otage par Vous-Savez-Qui… Et Sirius lui a demandé d'aller prévenir les Potter… qu'il allait révéler leur Secret… pour qu'ils puissent se réfugier auprès de vous… et de revenir lui dire… quand ils étaient en sécurité… Et c'est pour ça que dans mon autre souvenir, ma mère pense que le rat qui passe à côté d'elle… est Peter… qui vient de prévenir Sirius… et que Sirius révèle à V… Vous-Savez-Qui… le Secret des Potter… Il est innocent!" acheva-t-elle d'une voix voilée par le manque d'air.

Elle n'était pas sûre d'avoir été très claire, mais Dumbledore comprit malgré tout instantanément, à en juger par l'inquiétude que son visage exprimait.

"Suis-moi," dit-il en se précipitant vers les escaliers qui menaient aux étages encore plus bas.

Elle l'accompagna avec un peu de réticence, faisant de son mieux pour marcher au même rythme que lui, et trop essoufflée pour lui demander quelles étaient ses intentions. Quand ils allaient se rendre aux sous-sols, ils furent arrêtés par Snape qui en venait, justement.

"Monsieur le directeur…"

"Il s'est encore manifesté, je sais, Anhura m'a prévenu," coupa Dumbledore. "Severus, s'il vous plaît, allez chercher votre plus puisant Véritaserum, et rejoignez-nous au plus vite à la prison d'Azkaban, à la cellule de Sirius Black."

Anhura était persuadée qu'à ce moment précis, elle paraissait aussi stupéfaite que Snape. Ils allaient se rendre à la prison d'Azkaban? L'endroit le plus redouté de tous, où les Détraqueurs vivaient par centaines? Dumbledore avait perdu la raison.

Manifestement incertain de ce qu'il venait d'entendre, Snape regarda alternativement Dumbledore et Anhura, avant de répliquer, "J'ai une leçon à donner, Monsieur le directeur."

"Annulez-la," commanda fermement Dumbledore. "Dépêchez-vous, les minutes nous sont comptées."

Il repartit hâtivement vers la porte du hall d'entrée. Snape posa une dernière fois ses yeux étincelants et accusateurs sur Anhura, qui n'avait pas bougé, avant de disparaître dans les sous-sols – il avait sûrement deviné qu'elle était à l'origine de toute cette agitation. Anhura rejoignit Dumbledore, qui s'était arrêté pour l'attendre.

"Je suis désolé, Anhura," dit-il tandis qu'ils traversaient le aprc à vive allure, "mais ta présence peut être très utile pour convaincre le ministre de son erreur. Tu es plus ou moins un témoin."

"Oui," dit-elle d'une voix essoufflée, "mais le problème, c'est que je n'ai aucune idée de la localisation d'Azkaban, à part quelques rumeurs que j'ai entendues, et je n'ai jamais vu aucune photographie, alors il sera difficile pour moi d'y transplaner."

"La prison est située dans la Mer du Nord," indiqua Dumbledore pendant qu'ils passaient le portail de fer forgé. "Au Nord-Est de l'île Westray, si je ne me trompe pas. Concentre-toi du mieux que tu peux, et tout se passera bien."

Ils finirent de descendre en silence le chemin de terre, jusqu'à atteindre la gare de Pré-au-Lard, d'où ils pourraient transplaner.

"Nous pouvons y aller," annonça Dumbledore, toujours très calme, mais préoccupé. "A tout de suite, Anhura."

Elle eut à peine le temps de répondre "À tout de suite" qu'il avait déjà disparu. Elle tenta de respirer moins vite et de se détendre, puis elle ferma les yeux pour se concentrer sur les informations que lui avait données Dumbledore, et ne pensa plus qu'aux seuls mots : prison d'Azkaban. Un vide se fit sous ses pieds; une seconde plus tard, elle sentit une brise glaciale la frapper au visage. Elle était apparue près de Dumbledore, sur un îlot rempli de mousse et d'herbe, à proximité d'une falaise où l'on pouvait voir une mer grisâtre et agitée s'y écraser. A quelques mètres d'eux seulement, se dressait la forteresse, qui occupait l'espace restant, et qui était aussi accueillante qu'une pierre tombale, sombre, sinistre et froide. Même les nuages au-dessus d'elle paraissaient atteints par l'ambiance malsaine qu'elle projetait, par leur couleur étrangement violacée et leur forme dégoulinante et pessimiste.

Anhura, déjà fatiguée par la venue d'un nouveau souvenir, frissonna de froid et de mal-être. Elle suivit à contrecœur Dumbledore, qui s'était mis en marche vers l'entrée de la prison, en priant pour que ce séjour soit de très courte durée. Arrivés devant l'immense double porte en bois, Dumbledore frappa quelques petits coups, qui résonnèrent de l'autre côté d'un son amplifié, semblable à des coups d canon. Anhura, trop impressionnée pour parler, se demandait avec appréhension qui – ou quoi – viendrait leur ouvrir. La réponse ne se fit pas attendre : après de nombreux bruits de loquets et de serrures, la porte s'entrouvrit lentement pour ne laisser apparaître qu'un oeil méfiant derrière elle.

"Que voulez-vous?" demanda une faible voix d'homme.

"Nous aimerions rendre visite à un détenu," répondit simplement Dumbledore. "Sirius Black."

"Impossible," articula difficilement la voix. "Monsieur le Ministre vient d'arriver pour ordonner le Baiser de la Mort."

"Justement. Nous souhaitons le voir avant qu'il ne soit plus en état de nous parler."

L'homme trouva certainement que c'était une idée étrange, car il resta un moment sans bouger. Puis la porte s'ouvrit enfin entièrement, révélant un individu au visage pâle, de grands cernes sous les yeux, le regard vide.

"Si vous y tenez," dit-il d'une voix morne. Il semblait trop malade pour articuler correctement ses phrases. "Traversez la cour, prenez la porte à droite, et montez à l'étage, cellule 113. Mais je doute que vous n'arriviez à temps. Baguettes, s'il vous plaît," ajouta-t-il en tendant une main.

"Merci," dit Dumbledore en lui donnant sa baguette, pendant qu'il prenait celle d'Anhura.

"Nous ne sommes pas responsables des dégâts que peut causer la prison sur les visiteurs," fit mollement remarquer le gardien. "Bonne journée."

Ayant sans doute senti l'effet décourageant qu'avait eu cette dernière phrase sur Anhura, Dumbledore lui lança un coup d'oeil rassurant, avant de signaler au gardien, "Une autre personne devrait arriver d'ici quelques minutes. Bonne journée à vous, monsieur."

Même s'il avait souhaité être poli, Anhura se dit que ce "Bonne journée à vous" était la meilleure blague qu'elle n'ait jamais entendue, étant donné l'état dans lequel se trouvait le gardien qui, même s'il travaillait à l'extérieur des cellules, avait l'apparence de quelqu'un qui avait été gravement malade pendant plusieurs mois et qui avait du mal à s'en remettre.

En approchant de la porte que celui-ci avait indiquée, elle consulta sa montre : il était trois heures passées de trois minutes. Il y avait de fortes chances que Sirius Black soit déjà privé définitivement de son âme.

Dumbledore entra le premier. Anhura avait à peine fait un pas à l'intérieur lorsqu'elle sentit comme une lourde et profonde sensation de détresse, mêlée de désespoir, s'installer en elle.

"Les escaliers sont juste là," l'encouragea Dumbledore, dont elle pouvait à peine discerner le visage, plus pâle et fatigué que d'ordinaire, à cause de l'obscurité qui les entourait.

Elle le suivit, s'efforçant de résister au pouvoir des Détraqueurs qui se faisait déjà hautement sentir, même si aucun d'entre eux ne s'était encore montré jusqu'à présent. Un souvenir heureux… Pense à un souvenir heureux…

A l'instant où ils arrivèrent à l'étage, elle pensa qu'elle aurait préféré n'y avoir jamais mis les pieds. Un large et très sombre couloir les attendait, comportant de chaque côté des cellules où étaient enfermés un nombre plus ou moins important de Détraqueurs – entre trois et quatre par cellule, généralement – derrière lesquelles se trouvaient d'autres cellules, celles-ci occupées, en revanche, de sorciers. Les Détraqueurs, ainsi coincés entre les barreaux, étaient obligés de ne se contenter que du détenu qui leur était attribué, sans pouvoir les toucher.

Au fur et à mesure qu'ils avançaient, l'atmosphère devenait de plus en plus pénible, jusqu'à atteindre un point qu'Anhura jugeait à la limite de ce qu'elle pouvait supporter. Il faisait froid; le couloir était moite et dépourvu d'oxygène. Pense à un souvenir heureux… Le jour de l'an… C'était amusant, le jour de l'an… Elle avait la très désagréable sensation d'être observée attentivement et d'être touchée par des mains invisibles, dans son dos, sur ses bras, dans le cou – mais quand elle posait sa main à l'endroit qui venait d'être touché, elle n'y trouvait rien. Elle entendait de lentes et inhumaines lamentations, venues de partout et de nulle part. Les prisonniers qu'elle apercevait de temps à autre derrière les Détraqueurs avaient le même regard vide que le gardien, et semblaient noyés dans leur désespoir. La bonne humeur de Mrs Chourave qui était saoule… Les bises pour torturer Snape…

Ils passèrent devant un autre couloir, qui était manifestement semblable à celui qu'ils traversaient, sauf qu'au lieu de Détraqueurs, c'étaient des paradoxymes qui étaient postés devant les cellules, ce qui expliquait pourquoi il faisait si sombre alors que des torches avaient été accrochées aux murs. Bientôt, des voix se firent entendre.

"Finissons-en, Barty. Je ne supporte plus d'être ici."

Dumbledore accéléra son pas en direction des voix.

"Barty, Cornélius," appela-t-il d'une voix forte. "Attendez, je vous prie."

En quelques secondes, Anhura et Dumbledore avaient rejoint la cellule de Sirius Black, devant laquelle se trouvaient Cornélius Fudge Barty Croupton, tous deux livides. Sirius Black, le visage creux et ses longs cheveux noirs en désordre, était solidement tenu par Croupton, les mains ligotées. La cellule 113, ouverte derrière eux, ne contenait aucun Détraqueur : la douzaine de créatures qui étaient postées avait dû être retirée pour que le ministre soit capable de rester, le temps d'exécuter le baiser. Croupton semblait être sur le point de livrer Sirius Black aux Détraqueurs de la cellule voisine : de son autre main, il tenait sa baguette magique en l'air, au niveau de la serrure.

"Que voulez-vous, Albus?" demanda sèchement et nerveusement Cornélius Fudge.

"Vous empêcher de commettre une erreur," répondit Dumbledore avec calme.

"Nous en avons déjà discuté, Dumbledore!" cria-t-il en tremblant. "Je me fiche de vos théories sur les effets du baiser! Quelles qu'en soient les conséquences, cet homme mérite une punition, et nous aurions dû lui en donner une dès le départ! Nous n'en serions pas là aujourd'hui!"

"Justement, il ne mérite pas ce baiser. Il n'est pas coupable du meurtre des Potter."

Fudge regarda Dumbledore comme s'il portait un entonnoir sur la tête et qu'il s'était mis à danser et chanter en tirant la langue.

"Qu'est-ce que c'est que ces sottises! Vous racontez n'importe quoi Dumbledore! N'importe quoi! Barty," lança-t-il en se tournant vers Croupton, "finissons-en!"

"Non, Barty," dit fermement Dumbledore, "ou vous serez responsable du meurtre d'un innocent."

Croupton regarda successivement Dumbledore, et Fudge qui était proche de l'hystérie; Black paraissait abasourdi par ce qu'il venait d'entendre. A trop écouter leur conversation, Anhura avait oublié de continuer à lutter contre les Détraqueurs. Son esprit commençait à s'engourdir, et un courant glacial emplit son corps. Un… souvenir… heureux… Le jour de l'an… Elle commençait à voir son père entrer dans la chambre, le visage sombre… Les blagues du professeur Flitwick… Il s'assoit sur son lit, à côté d'elle… Anhura lui demande ce qui ne va pas… Hagrid qui me broie dans ses bras pour me souhaiter la bonne année… Son père lui répond d'une voix extrêmement faible, "ta mère est morte". Au loin, elle entendait Fudge crier, et Dumbledore lui parler très posément. Sois heureuse… Fais-le pour maman… Pense à un souvenir... Noël… Les cadeaux de papa et de Hagrid… Eclipse qui réagit aux noms qui ne lui plaisent pas… Et le visage rayonnant de Ronald quand tu lui as donné le livre…

Dans un énorme effort, les images de son père s'éloignèrent; même si elle se sentait complètement abattue, elle pouvait à présent voir et entendre ce qui se passait autour d'elle.

"Il y a un moyen de le savoir, Cornélius." Dumbledore se tourna vers le fond du couloir, d'où provenaient des bruits de pas. "Et justement, il arrive."

Trois secondes plus tard, Snape les avait rejoints, lui aussi extrêmement pâle, malgré son allure toujours aussi dure et sévère. Si son regard se posa sur Croupton et Fudge, il évita complètement Black qui lui, en revanche, lui jeta un bref coup d'oeil féroce.

"Avez-vous ce que je vous avais demandé, Severus?"

"Oui, Monsieur le directeur."

Il fouilla dans sa poche pour en sortir un petit flacon au contenu limpide, que Fudge contempla avec horreur et colère.

"Qu'est-ce que c'est que ça!" cria-t-il.

"Voyons, Cornélius, vous savez parfaitement de quoi il s'agit. Et il ne nous coûte rien d'entendre ce que Sirius Black a à dire. S'il s'avère que ce que je vous avance est faux, alors je vous laisserai agir comme vous l'entendez."

Fudge tremblait de rage. Après avoir lancé un regard à Croupton, en quête d'un ultime soutien qui ne vint pas, il s'écria, "Très bien! Très bien! Faites ce que vous voulez, Dumbledore!"

Celui-ci esquissa un petit sourire en répondant, "Je vous remercie." Ses yeux se posèrent sur Sirius Black. "Sirius, venez ici, je vous prie."

Black se libéra de l'emprise de Croupton, pour venir se poster entre Dumbledore et Fudge, qui recula de trois bons pas avec crainte et dégoût.

Anhura observa discrètement Snape. Ses yeux avaient perdu toute leur brillance. Ce n'était plus l'habituelle froideur qui les habitait, mais une sorte d'extrême concentration teintée de tristesse. De toute évidence, les Détraqueurs ranimaient en lui de mauvais souvenirs contre lesquels il était en train de se battre intérieurement, et Anhura ne serait pas étonnée d'apprendre que Snape en avait plus que Dumbledore, Fudge, Croupton, Black et elle réunis. Ce ne fut que lorsque Dumbledore s'empara du flacon qu'il tenait dans la main qu'il parut reprendre un contact plus vif avec la réalité, son regard s'emplissant de haine, de colère et de dégoût à la vue de Black qui se tenait à proximité, et en montrant les dents tel un chien féroce prêt à dévorer son ennemi. Black lui jeta un regard appuyé avant de boire une gorgée de Véritaserum, suite à quoi son visage dur et renfrogné devint vide de tout sentiment et de toute expression.

"Sirius," commença lentement Dumbledore, "avez-vous révélé à Lord Voldemort le Secret des Potter, quatorze ans auparavant?"

"Oui," répondit vaguement Black, le regard vide; Fudge laissa échapper une nerveuse expression de triomphe, mais Dumbledore l'ignora.

"Pourquoi avez-vous fait cela?" continua-t-il tranquillement.

"C'était dans mon plan," répondit Black d'un ton plat.

"Et quel était ce plan?"

Pendant que Black prenait une grande inspiration prenait une grande inspiration pour répondre, Anhura se toucha avec nervosité le cou et le dos, où elle avait senti quelque chose l'effleurer; une fois de plus, elle n'y trouva rien. Elle fut heureuse lorsque la voix de Sirius Black couvrit un peu les lamentations sinistres et résonnantes qui se manifestaient plus fortement à chaque silence.

"Quand j'ai été fait prisonnier par Voldemort, celui-ci m'a torturé pendant des jours pour que je lui avoue où habitaient James et Lily. Je n'en pouvais plus. Mais un soir, un rat est entré dans la cabane où j'étais enfermé, et j'ai tout de suite compris que c'était Peter Pettigrow, qui venait prendre de mes nouvelles sous sa forme Animagus. J'ai saisi ma chance, et je lui ai confié la mission d'aller demander à James et Lily de partir de chez eux pour qu'ils viennent se réfugier auprès de vous. C'était un moyen pour moi de mettre fin aux tortures que m'infligeait Voldemort, et je savais que vous trouveriez une solution pour James, Lily et leur fils. J'ai également demandé à Peter de revenir me voir une fois qu'il les aurait prévenus et qu'ils étaient en sécurité, loin de chez eux. Il est revenu le jour suivant, juste au moment où Voldemort allait désigner l'un de ses Mangemorts et lui lancer le sortilège qui lui permettrait de recevoir son âme s'il venait à se faire tuer. Je me suis dit que c'était le moment ou jamais d'intervenir, parce que si un serviteur était élu, et que vous parveniez effectivement à tuer Voldemort, il lui aurait redonné naissance grâce à la formule que lui avait apprise Voldemort. Alors, sachant que James, Lily et Harry étaient en sécurité, j'ai proposé à Voldemort de me choisir moi en échange de la révélation de la cachette des Potter, avec l'idée de ne jamais le faire renaître s'il se faisait tuer. Je lui ai avoué, il a envoyé un Mangemort vérifier, et m'a dit que si j'avais dit la vérité, il m'élirait comme son protecteur en remerciement. Et il m'a également dit qu'une fois qu'il aurait tué les Potter, il ferait de moi un Mangemort, comme je le lui avais demandé pour le convaincre de mon engagement."

Il cessa subitement de parler, son regard toujours aussi inanimé. Fudge le fixait d'un air paniqué et incrédule, Croupton semblait effaré par ce qu'il venait d'entendre; Anhura, sans même regarder Snape, le sentait bouillir.

"Et ensuite," poursuivit Dumbledore, imperturbable, "le Mangemort est revenu. Que s'est-il passé?"

"Le Mangemort est revenu et a dit à Voldemort qu'effectivement, les Potter se trouvaient bien à l'endroit que j'avais indiqué. Au début, j'ai un peu paniqué. Mais après, je me suis dit qu'il suffisait simplement que la maison soit devenue visible pour prouver que j'avais réellement révélé le Secret des Potter, et j'ai supposé que Voldemort ou ses Mangemorts avaient déjà cherché auparavant leur maison dans le coin que je leur avais indiqué, sans avoir pu la voir puisqu'elle était protégée par le sortilège de Fidelitas. Alors Voldemort a lancé sur moi le sortilège qui nous lierait. Deux jours plus tard, il s'est rendu à la maison des Potter pour les tuer. Cette nuit-là, trois Mangemorts me gardaient. Ils étaient en train de s'inquiéter parce que Voldemort n'était pas encore revenu. J'attendais le bon moment pour me métamorphoser en chien et déguerpir, avant qu'il ne soit réellement de retour. A un moment donné, je ne sais pas pourquoi, deux d'entre eux sont partis dehors en courant. L'autre était tellement ahuri par leur brusque départ qu'il ne m'a pas vu prendre ma forme Animagus, me glisser hors des cordes qui me ligotaient et qui étaient devenues trop grandes pour ma nouvelle forme, et sauter par une fenêtre. C'est comme ça que le lendemain, j'ai pu retrouver quelques membres de l'Ordre du Phénix, dont Hagrid, qui m'apprit que Voldemort avait été vaincu, mais qu'il avait tué James et Lily, et que seul Harry avait survécu. Il venait de recevoir votre ordre d'aller chercher Harry, alors je lui ai prêté ma moto. Par sa révélation, je me suis rendu compte que Peter m'avait trahi, qu'il était revenu me voir en me faisant croire que les Potter étaient à l'abri, alors qu'il ne les avait même pas prévenus. Je ne sais pas pourquoi il a fait ça. J'ai toujours pensé qu'il était jaloux de la forte amitié qui nous liait, James et moi, moins forte que celle qui les liait eux. J'étais fou de rage, et je suis immédiatement parti à sa recherche pour lui donner ce qu'il méritait. Quand je l'ai trouvé, il a tellement eu peur de moi qu'il m'a avoué ne pas être allé prévenir les Potter. Il tremblait, et son air peureux et lâche m'a mis hors de moi. J'ai perdu tout contrôle, et j'avais tellement envie de venger James et Lily que je l'ai tué. Mon sort a été tellement puissant que douze Moldus qui se trouvaient à proximité sont morts aussi. Et là, sans en avoir envie, j'ai éclaté de rire. Mais je me suis aperçu que ce rire ne venait pas de moi, mais de Voldemort, qui était présent en moi depuis qu'il avait été vaincu. Je suppose que c'est aussi ce qui a fait que mon sort ait été assez puissant pour tuer treize personnes à la fois."

Il s'interrompit d'une manière aussi inattendue que la première fois. Fudge, abasourdi, la bouche entrouverte, jeta un coup d'oeil effaré à Croupton, qui ne dévia pas une seule seconde son regard de Sirius Black.

"Très bien," fit Dumbledore. "Merci, Sirius. Severus" – il se tourna vers lui – "avez-vous également emporté de quoi faire cesser les effets du Véritaserum?"

Snape, dont le teint avait viré à celui d'un homme malade, et qui semblait avoir les mâchoires trop crispées pour répondre, mit très lentement sa main dans sa poche, en sortit un tube rempli d'un liquide vert qu'il tendit à Dumbledore, sans jamais quitter un seul instant Black des yeux. Si Anhura avait déjà eu l'occasion de le craindre, jamais elle n'avait eu aussi peur de lui qu'en ce moment. Il était méconnaissable; son regard et son visage habituellement dénués de toute expression étaient à présent ceux d'un meurtrier contemplant sa victime une dernière fois avant de l'achever. Cela lui donnait un bel aperçu de ce à quoi il pouvait ressembler quand il était un Mangemort… et cela lui glaçait le sang. Songeant que l'atmosphère de la prison l'avait rendu fou, elle regarda successivement Dumbledore, qui débouchait le tube et ne prêtait aucune attention à l'attitude inquiétante de Severus, et ce dernier, figé dans ses états d'âme démentiels; alarmée, une petite voix en elle lui disait qu'elle devait faire quelque chose, tandis qu'une autre lui ordonnait de ne pas faire le moindre geste. Elle finit par le surveiller attentivement du coin de l'oeil, le coeur battant, prête à réagir à un soudain acte de folie.

"Voilà qui devrait suffire à prouver son innocence," dit Dumbledore d'un ton tranquille pendant que Sirius avalait la solution qu'il lui donnait. "Il n'a plus rien à faire ici, et nous non plus."

"Innocent?" s'écria Fudge. "Cet homme a tué treize personnes!"

"Il n'a commis volontairement qu'un seul meurtre, et nous ne connaissons pas quelle part de responsabilité avait Mr Black dans ce meurtre, puisque l'âme de Voldemort semble influencer son comportement."

Cette dernière phrase plongea Fudge dans une véritable crise de nerfs.

"Vous… souhaitez… faire… sortir de prison… un homme… qui possède en lui… Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom… VOUS ETES FOU, DUMBLEDORE! COMPLETEMENT CINGLE!" éclata-t-il, le visage déformé par la fureur. "JAMAIS JE NE LE LAISSERAI PARTIR D'ICI!"

"Alors il faudra m'y enfermer également," dit sereinement Dumbledore.

Fudge, les points serrés, posa ses yeux exorbités sur Croupton.

"CROUPTON! DITES QUELQUE CHOSE!" hurla-t-il en postillonnant.

"Monsieur le Ministre," répondit-il avec calme et une étonnante politesse en dépit de son allure très stricte et sèche, "ma parole aura moins de poids que la vôtre."

Anhura pensa que le ministère aurait trop besoin de Dumbledore dans le cas du retour de Voldemort pour le mettre en prison – et c'était heureux, car dans une autre condition Fudge n'aurait sûrement pas hésité à agir; Dumbledore, les mains croisées dans le dos, esquissa un petit sourire et regarda Fudge avec des yeux pétillants et triomphants; Black, qui venait d'émerger de son état inconscient, suivait la scène d'un air un peu perdu; et Fudge, qui respirait vite et fort, ouvrit plusieurs fois la bouche pour parler, sans émettre le moindre son, sans doute trop énervé pour réfléchir à une phrase convenable.

"Très bien!" finit-il par crier. "Faites ce que vous voulez, Dumbledore! Mais quand les gens apprendront que Sirius Black est sorti de prison, comptez sur moi pour annoncer à la foule que le gouvernement n'y est pour rien, et qu'ils n'auront qu'à s'adresser à vous! Préparez-vous à affronter le monde des sorciers!"

Il bouscula tout le monde pour passer et s'en alla d'un pas précipité.

"Messieurs dames…" dit Croupton avec un bref signe de tête, avant de poser un dernier regard sur Sirius et de suivre le ministre.

Sirius Black regarda Dumbledore et Anhura d'un air interrogateur. Snape, lui, n'avait toujours pas bougé d'un seul millimètre.

"Vous êtes libre, Sirius," annonça Dumbledore en réponse à sa question silencieuse.

Les yeux de Black s'élargirent.

"C'est vrai?" demanda-t-il d'une vois rauque, complètement incrédule.

"Absolument," assura Dumbledore avec un petit sourire, les yeux brillants. "Sortons d'ici," ajouta-t-il immédiatement en s'adressant à Anhura, Snape et Black. "Nous avons passé suffisamment de temps dans cet endroit, surtout Sirius."

Il se mit en marche; voyant que Snape commençait à le suivre, Anhura se dit qu'il n'avait pas encore perdu entièrement la raison puisqu'il s'était remis à bouger normalement et qu'il comprenait ce qu'on lui disait. Sirius et elle suivirent le mouvement, et tous ensemble, ils traversèrent le couloir sinistre, l'esprit hanté par les sombres complaintes qui résonnaient contre les murs et le plafond et par l'air dépressif que dégageaient les Détraqueurs campés autour d'eux.

Anhura n'avait jamais ressenti un aussi grand soulagement que celui qu'elle éprouva en posant les pieds dans la cour de la prison; c'était comme si elle était restée en apnée pendant toute une journée et qu'elle pouvait enfin recommencer à respirer. Bien que l'effet morbide de la prison ne se soit pas encore totalement dissipé, elle appréciait le fait de voir à nouveau voir le ciel couvert de nuages qu'elle trouvait soudainement beaux, et même drôles. Elle était heureuse de ne pas avoir eu à raconter au ministre toute l'histoire de sa mère pour le convaincre de l'innocence de Sirius Black. Trois personnes étaient déjà au courant du sort qu'elle avait reçu, et c'était largement suffisant.

Après avoir récupéré leurs baguettes auprès du gardien, qui était en train de lire d'un air ahuri l'autorisation de sortie de Sirius Black signée par Mr Croupton, et qui ne décrocha son regard de Sirius qu'au moment de refermer la porte derrière eux, Dumbledore, Snape et Anhura, accompagnés du rescapé, firent quelques pas en direction de la falaise sous un froid pénétrant, puis s'arrêtèrent.

"Vous sentez-vous capable de transplaner, Sirius?" demanda Dumbledore.

Black détacha difficilement son regard du ciel, qu'il contemplait comme si c'était la première fois de sa vie qu'il le voyait.

"Oui," répondit-il d'un air cependant incertain. "Mais où allons-nous?"

"A Poudlard."

"D'accord," dit Sirius en hochant lentement la tête. Une expression très étrange habillait son visage : il paraissait être très surpris de chaque parole que lui-même prononçait, visiblement déconcerté de pouvoir encore être capable d'avoir une conversation, après quatorze ans de mutisme.

"Très bien, dit Dumbledore en souriant. "Alors, en route."

Dès qu'il disparut, Snape, Black et Anhura firent de même, pour se retrouver tous ensemble à la gare de Pré-au-Lard,' d'où ils entamèrent leur marche silencieuse en direction du collège. Seul le bruit de leurs capes qui claquaient sous le vent frais les accompagnait. Anhura apercevait de temps à autre Sirius Black lançant des regards insolents et provocateurs à Severus, dans la claire intention de le faire réagir; toutefois, celui-ci l'ignorait superbement. Ce ne fut qu'après avoir dépassé le grand portail en fer que Sirius prit la parole.

"Je ne sais pas comment vous remercier," dit-il en s'adressant à Dumbledore de sa voix un peu cassée. "Ce que vous avez fait est tout bonnement… simplement…"

"Je n'y suis pour pas grand chose, Sirius," coupa Dumbledore d'un air tranquille. "C'est Anhura que vous devriez remercier," dit-il en la désignant d'un léger signe de tête. "C'est grâce à elle si vous êtes libre."

"Ah oui?" fit Sirius en jetant un regard curieux à Anhura, qui ressentait subitement une terrible envie de devenir invisible et inexistante. "Comment ça?"

"Disons qu'elle a eu… un pressentiment concernant votre innocence," dit Dumbledore avec un sourire.

"Oh," dit Sirius, légèrement déconcerté en posant à nouveau ses yeux sur elle. "Eh bien, merci infiniment."

"De rien," répondit-elle distraitement, plutôt perturbée par le regard noir, dégoûté et accusateur qu'elle venait de recevoir de la part de Snape.

"Nous approchons du château," fit remarquer Dumbledore. "Il serait plus prudent que vous preniez votre forme Animagus, Sirius. Un chien, c'est bien ça?"

"Oui, c'est ça," répondit-il d'un air étrangement gêné.

Il s'arrêta, se concentra, et dans une lente et gracieuse métamorphose, son corps humain prit l'allure de celui d'un gros chien noir.

Tandis qu'ils continuaient leur marche d'un pas tranquille, Anhura repensait au souvenir de sa mère, les yeux au sol, les mains croisées dans le dos.

"Professeur," dit-elle à voix basse pour ne pas se faire entendre de Sirius, qui courait joyeusement devant eux, "dans son souvenir, ma mère était très étonnée d'apprendre que Peter Pettigrow était un Animagus… Elle pensait être la seule Animagus de l'Ordre, avec le professeur McGonagall je crois, et elle se demandait si vous étiez au courant qu'il en était un…" Elle leva ses yeux interrogateurs vers ceux de Dumbledore.

"Non, je ne le savais pas," assura Dumbledore, "et pour Sirius non plus. Je ne l'ai appris qu'il y a quelques mois… dans un certain livre." L'air à moitié amusé qu'il venait d'afficher intrigua Anhura, mais elle trouva qu'après une journée comme celle-ci, l'effort à fournir pour essayer de le comprendre était trop grand; aussi effaça-t-elle de son esprit la moindre pensée encombrante, n'espérant plus que la nuit soit tombée pour pouvoir enfin se coucher.

A l'entrée du château, ils furent accueillis par Mrs McGonagall, qui haussa les sourcils à la vue du chien noir.

"Albus, je vous ai cherché pendant une bonne demi-heure… Qu'est-ce que…"

"Je vous expliquerai, Minerva. Auriez-vous l'amabilité d'aller chercher une grande quantité de nourriture aux cuisines et de l'amener dans mon bureau?"

Elle parut étonnée par cet ordre, mais elle ne fit aucun commentaire, se contentant d'acquiescer et de filer aux sous-sols, pendant que Dumbledore, Snape, Anhura et Sirius montaient les étages.

"Vous pouvez reprendre votre forme humaine," annonça Dumbledore après avoir fermé derrière eux la porte de son bureau.

Le corps de Sirius redevint progressivement humain.

"Parfait. Asseyez-vous," dit-il à Severus, Sirius et Anhura, en agitant sa baguette magique pour faire apparaître un fauteuil supplémentaire. "Je vais chercher une pièce suffisamment confortable pour vous héberger, Sirius. En attendant" – il fit apparaître une théière et trois tasses sur son bureau – "reposez-vous. Je vous laisse en compagnie d'Anhura et de Severus."

Sitôt qu'il eut refermé la porte derrière lui, Anhura entendit de nombreux chuchotements provenant des tableaux accrochés aux murs, qui observaient Sirius d'un air curieux, apeuré ou dédaigneux. Ni Sirius ni Severus ne parlaient; ne sachant pas vraiment quoi dire non plus, elle préféra s'affairer à remplir les trois tasses de thé, puis les leur donner, espérant que l'un d'eux dénoue enfin sa langue.

"Merci," dit Sirius, dont l'aspect sale et négligé contrastait au plus haut point avec la porcelaine blanche. Snape était tellement occupé à fixer Sirius qu'Anhura était presque certaine qu'il saisit sa tasse sans même s'en rendre compte.

"Alors… vous êtes professeur ici?" demanda Sirius quand elle fut assise, ignorant Severus.

"Oui," répondit-elle avec un sourire soulagé.

"Votre visage me dit quelque chose," dit-il en fronçant les sourcils. "On se connaît?"

"Non, pas vraiment. Mais ma mère, peut-être…"

"Votre mère?"

"Lydie Snowerskin."

"Oh," fit-il, le visage soudain illuminé. "Oui, je la connais. C'est vrai, vous lui ressemblez. Comment va-t-elle?"

"Euh… elle n'est… elle est… morte," acheva Anhura, gênée pour Sirius.

Celui-ci eut l'air consterné.

"Je suis désolé. Depuis quand… enfin…"

"Ca s'est passé la nuit d'Halloween, au même moment que la défaite de Vous-Savez-Qui," l'informa Anhura, qui voulait en finir le plus vite possible.

Il hocha la tête.

"Je n'ai pas eu beaucoup de temps libre entre mon évasion du repère de Voldemort et mon entrée en prison. J'ai tout juste appris que James et Lily avaient été tués" – il jeta un bref coup d'oeil à Snape – "au fait, est-ce que Harry est ici?"

"Oui," répondit Anhura. "Il est dans sa cinquième année."

"J'ai souvent pensé à lui quand j'étais en prison," dit-il avant de lancer un regard énervé à Snape.

"Ah bon?"

"Oui, je suis son parrain… Et je me demandais sans arrêt comment il allait, à quoi il ressemblait… Arrête de me fixer!" cria-t-il soudain à Snape. "Si tu n'es pas content de me voir, ne te gêne pas pour partir!"

Anhura fut très surprise par le regard froid et haineux qu'il venait de prendre.

"Non," répondit Snape d'une voix basse et extrêmement calme, ses yeux brillant intensément. "J'attends le moindre geste suspect de ta part pour te livrer au Ministre… Il serait ravi de te remettre à Azkaban…"

Le visage de Sirius prit une couleur pâle. Il posa sa tasse d'un geste brusque sur le bureau à côté de lui en répliquant, "Pauvre crétin! Tu crois peut-être que je vais me jeter sur vous et vous abattre à coups de théière?"

"Oh non, bien sûr," rétorqua Snape d'un ton toujours aussi calme et moqueur, en posant également sa tasse. "Nous avons nos baguettes… Toi, tu n'as rien… Nous sommes deux contre toi… Et tu n'as même pas d'ami pour faire le sale boulot…"

Les traits de Sirius se durcirent. Sentant sans doute l'atmosphère tendue qui régnait dans le bureau, Fumseck, du haut de son perchoir, émit une douce mélodie pour tenter de les apaiser, ce qui n'eut pas vraiment d'effet.

"Alors, je suis un lâche?" lança Sirius entre ses dents, en se levant brusquement.

"Exactement," répliqua Snape d'un ton tranquille, en se levant également.

"Au fait, qu'est-ce que tu fais ici?" demanda Sirius pendant que Severus mettait une main dans la poche de sa cape.

"Figure-toi que Dumbledore m'a aussi engagé en tant que professeur," dit-il dans un quasi-murmure en sortant sa baguette, ce qui provoqua des expressions choquées et des murmures d'appréhension parmi les anciens directeurs et directrices de Poudlard logés dans leurs cadres.

"L'erreur est humaine," rétorqua Sirius à voix basse. "Tu aurais quand même pu te laver les cheveux pour l'occasion."

Ils n'étaient plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre, Snape tenant sa baguette à la hauteur du torse de Black, et Black le regardant droit dans les yeux avec une pure aversion. Ils restèrent immobiles tels des statues, chacun avec la très nette envie de tuer l'autre. Anhura, qui avait aussi sorti sa baguette et s'était levée pour se préparer à arrêter le premier mouvement violent, croyait nager en plein délire. Deux minutes auparavant, tout le monde était assis en train de boire le thé, et à présent, elle assistait à ce qui ressemblait à une querelle d'adolescents immatures qui risquait de mal finir. Elle sentit sa respiration se faire plus rapide, et n'osait plus bouger face aux deux sorciers qui semblaient hypnotisés l'un par l'autre, tendus comme un élastique qui menaçait d'éclater d'une seconde à l'autre.

"Severus?" finit-elle par murmurer. "S… Sirius?"

Aucun d'entre eux ne réagit. Elle surveillait très attentivement la baguette de Snape, qui tremblait très légèrement, et les mains de Black, formant des poings serrés. Ils n'allaient plus tenir longtemps, c'était certain.

"Que se passe-t-il, ici?"

Tout le monde tourna la tête vers la porte, où se tenait Mrs McGonagall, stupéfaite, un énorme panier rempli de nourriture lévitant devant elle, et Dumbledore, qui observait scrupuleusement la scène. Severus et Anhura baissèrent très lentement leurs baguettes, tandis que Sirius détendit ses mains.

"Oh… euh… rien, professeur McGonagall," bredouilla Anhura en lançant un regard incertain aux deux autres.

McGonagall haussa les sourcils; Dumbledore leva sa baguette, la pointa sur la panier, qu'il fit déplacer dans les airs et atterrir en douceur aux pieds de Sirius.

"Voilà de quoi vous nourrir, Sirius. Je vais chercher Rusard pour lui demander de nettoyer la pièce que j'ai trouvée pour vous. Elle devrait vous convenir," ajouta-t-il avec un petit sourire.

"Merci, professeur," dit Sirius, ce après quoi Dumbledore ressortit de son bureau.

"Je vais vous chercher des vêtements plus seyants," dit McGonagall en examinant d'un oeil critique la tenue de Black. "Je les rangerai dans votre chambre. En attendant, essayez de vous comporter comme des personnes civilisées." Elle avait parlé d'un ton sec en regardant Sirius et Severus.

Dès qu'elle fut partie, Snape et Black se lancèrent un nouveau regard féroce; puis, Snape tourna les talons et quitta le bureau en claquant la porte, à la désapprobation générale des anciens directeurs, qui s'indignèrent.

"Merci de partir!" lança Sirius à travers la porte. "Je pourrai mieux manger sans ta sale tête qui me fait vomir!"

"Quelle belle amitié," commenta Anhura, encore choquée par ce qui venait d'avoir lieu.

"Je ne vous le fais pas dire," grogna Sirius en piochant un chausson aux pommes dans le panier et en s'asseyant lourdement dans son fauteuil.

"Et, euh…. Ca a toujours été comme ça?" demanda-t-elle timidement.

"Toujours," marmonna-t-il, la bouche remplie de nourriture. "Et encore, ce n'est rien à côté de ce qui se passait avec James."

"Ah oui?"

"Ouais," dit Sirius d'un air dégoûté. "Il lui cherchait toujours des embrouilles. Quelle ordure… La cervelle bourrée de Magie Noire… Toujours à traîner avec des Serpentard…"

Il mordit violemment dans son chausson.

"Avec des Serpentard…" répéta Anhura en fronçant un peu les sourcils.

"Hm…" fit-il en mâchant.

"Alors qu'il était à Gryffondor," murmura-t-elle.

Sirius lui jeta un drôle de regard, comme s'il n'était pas sûr d'avoir bien entendu ; mais il poursuivit sans faire de remarque à ce sujet.

"Quand il était avec eux, il était insupportable… Encore plus répugnant que d'habitude, avec l'air supérieur qu'il prenait… Il était content de pouvoir leur montrer tous les sorts qu'il connaissait, je suppose… Dès la première année, il connaissait bien plus de sorts que n'importe qui au collège, toutes classes confondues. Il fallait bien qu'il le montre."

Anhura s'assit pour réfléchir. Elle avait cru que l'attraction de Snape pour Serpentard était due à son passé de Mangemort, mais à en croire Sirius, elle s'était manifestée alors même qu'il n'était qu'un enfant. Elle ne doutait pas de l'honnêteté de Severus vis-à-vis de Dumbledore, et était convaincue qu'il était sincèrement de son côté; elle était simplement curieuse de connaître la raison de cette étrange alliance. De toute évidence, le discours de Sirius était exagéré par la haine qu'il éprouvait pour lui; il fallait donc ne pas se laisser influencer par son point de vue.

Elle jeta un coup d'oeil à travers l'une des grandes fenêtres de la pièce, et constata que le ciel commençait à s'assombrir. Un faible sourire se dessina sur son visage : le soir tombait; elle pourrait, d'ici quelques heures, s'abandonner à un profond – et mérité – sommeil.

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Note : Cette fic m'a pris huit mois pour l'écrire, une review prend 30 secondes… ;-)

Rendez-vous le 14 octobre pour le prochain et dernier chapitre !