Pour la lorelei et Perfect Day : Merci infiniment pour vos reviews qui me réchauffent le cœur. La Lorelei, je connais ce pseudonyme, ne serais-tu pas sur le forum de Pascal Mono par hasard ?
Voici un long et dernier chapitre, où vous découvrirez notamment pourquoi Anhura déteste tant les Malefoy… Bonne lecture !
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-11-
L'autre Snape.
Le printemps avait fait son apparition depuis plus d'un mois quand Anhura pointa sa baguette sur la cheminée de son salon, un dimanche, après le dîner, pour allumer un feu et réchauffer la pièce qui restait malgré tout toujours un peu fraîche. Sirius était à présent bien installé au château, dans une salle spécialement aménagée pour lui au sixième étage, d'où il ne pouvait sortir que sous sa forme Animagus, selon les recommandations de Dumbledore, pour ne pas que les élèves et les autres professeurs soient au courant de sa présence, qui serait bien trop difficile à expliquer sans provoquer la panique au sein de l'école. Seul Harry avait été informé de la situation; il rendait régulièrement visite à son parrain, et d'après la mine réjouie qu'il affichait en classe, il en était ravi. Le plus réconfortant pour Anhura était que Voldemort ne s'était plus manifesté depuis, ce qui avait rendu reposantes les quelques semaines qui venaient de s'écouler.
Pourtant, ce soir-là, elle était contrariée; elle avait reçu, la veille, une lettre de son père qui disait s'inquiéter pour elle car elle n'avait plus donné aucun signe de vie depuis plusieurs mois. Anhura s'en sentait coupable. Elle avait en réalité songé de nombreuses fois à lui écrire, mais elle trouvait de plus en plus difficile de prétendre dans ses lettres que rien de particulier ne se passait, alors que sa vie avait été chamboulée par les nombreuses révélations sur sa mère, ainsi que par l'agitation qu'avaient créée les manifestations de Voldemort. Elle ne s'était toujours pas décidé à le lui en parler; cela l'amenait par conséquent à perdre toute motivation de lui écrire, et à se déculpabiliser en pensant que quelques jours plus tard elle aurait une meilleure inspiration et elle pourrait alors faire une meilleure lettre, ce qui, bien sûr, s'avérait toujours faux.
Elle s'assit donc à la table de son salon, armée de ses lunettes et de sa plume, en face d'un parchemin encore vide. Plusieurs très longues minutes passèrent; les seuls mots qu'elle avait pu matérialiser sur sa feuille étaient "Cher papa"; le reste semblait être enfoui dans de profonds abysses d'où rien ne pouvait émerger. Elle posa sa plume dans l'encrier, et logea son menton aux creux de sa main, le coude en appui sur la table, alors que de son autre main elle caressait Eclipse, perché sur la chaise voisine, ce dernier ayant manifesté son besoin d'attention par un ululement agacé. Elle regardait, sans vraiment s'en apercevoir, la flamme de la bougie qui dansait gracieusement devant elle, comme absorbée dans une fascination inconsciente contre laquelle elle ne pouvait lutter; jusqu'à ce qu'une sensation familière apparut dans son crâne et lui ramena brusquement les pieds sur terre.
Des fourmillements. De très désagréables fourmillements parcouraient sa tête. Elle ne rêvait pas, ils étaient bien là. Elle retira sa main du plumage d'Eclipse, qui protesta; puis elle regarda, angoissée, le décor du salon s'éclaircir peu à peu, jusqu'à former un voile blanc opaque, pendant que les crépitements du feu se faisaient de plus en plus lointains. Plus rien ne lui parvenait. Elle était coupée du monde… non, des images et des sons venaient d'apparaître.
Lucius Malefoy, Crabbe et Goyle sont restés dans la cabane qui leur sert de repère, visiblement pour garder Sirius pendant que leur maître est allé tuer les Potter. Sirius ne devrait pas tarder à s'échapper s'il veut éviter la colère de Voldemort à son retour. Ces trois-là ne doivent pas être bien difficiles à berner. D'ailleurs, ils ne lui prêtent aucune attention, ils ont l'air plutôt préoccupés. D'après ce que j'entends par le trou, Voldemort aurait déjà dû être de retour. Peut-être est-il encore occupé à chercher en vain où sont les Potter?
Zut. Malefoy vient de tourner la tête vers le trou. A-t-il vu mon museau dépasser? Je ferais mieux de partir d'ici. Vite, vers la forêt. Derrière moi, la porte de la cabane vient de s'ouvrir. J'entends des bruits de pas précipités dans l'herbe. "C'est lui! C'est le même renard que l'autre jour!"
C'était la voix de Goyle. Plus vite, Lydie, plus vite.
"Il est un peu trop curieux pour un renard, si tu veux mon avis."
La voix glaciale de Malefoy. Ils se mettent à courir. Ils me rattrapent. Mes quatre courtes pattes ne sont pas assez rapides. Je dois reprendre ma forme humaine. Concentre-toi, Lydie… Voilà. Je vais beaucoup plus vite maintenant, mais j'ai perdu trop de temps. Je n'ose par regarder en arrière; je les entends tout près de moi.
"Stupéfix!"
Un jet de lumière s'écrase juste à côté de moi. C'était limite. J'aimerais leur lancer un sort, mais cela me ralentirait. En plus, je me trouve dans un coin de la forêt que je ne connais pas. Eloignée des lumières de la cabane, il fait nuit noire, ici. Je tire la baguette de ma poche et je dis tout haut : "Lumos". En prononçant la formule, je m'aperçois à quel point je suis essoufflée.
Ils se rapprochent encore. Si seulement je pouvais atteindre une zone de la forêt qui n'a pas été protégée par Voldemort contre le transplanage… Mon pied se cogne contre quelque chose de dur. Je trébuche et m'étale par terre. Le temps que je me rende compte de ce qui m'arrive, Malefoy et Goyle m'ont déjà rejoint. Ils ont l'air eux aussi essoufflés, mais triomphants. Je m'empare de ma baguette qui est tombée à côté de moi.
"Expelliarmus!"
Je n'ai pas eu le temps de réagir. Ma baguette est allée directement dans la main de Malefoy.
"Tiens donc, mais qui voilà? N'est-ce pas cette chère Mrs Snowerskin? Ravi de vous rencontrer enfin. Vous êtes une redoutable Auror, à ce qu'il paraît."
Goyle éclate de rire. Je ne réponds rien. Je regarde avec une haine démesurée le visage froid et pâle de Malefoy, et sa voix traînante et malfaisante résonne dans ma tête comme une amère mélodie. Je ne sais plus quoi faire. J'ai envie de pleurer. J'ai envie de crier. Je suis assise sur le sol humide de la forêt, face à cette ignoble personne qui possède ma baguette.
"Je crains malheureusement que notre rencontre soit de courte durée, Snowerskin. J'aurais aimé expérimenter quelques formules sur vous en guise d'avant-goût, mais je suis vraiment pressé… Veuillez m'en excuser…" Il esquisse un sourire perfide. "J'ai beaucoup apprécié ce petit entretien, mais toutes les meilleures choses ont une fin."
Il lève sa baguette. Je tremble. Le dernier visage que je verrai sera le sien. Si tu savais comme je te hais, Malefoy. Si tu savais comme je te hais. Si les pensées pouvaient tuer, tu ne serais déjà plus qu'un souvenir.
"Avada kedavra!"
Une lumière verte éblouissante. Un souffle chaud atteint mon corps. Un voile noir couvre ma vie.
"NOOOOOOOOOOOOOOOOON!"
Le cri désespéré d'Anhura résonna dans toute la pièce et fit fuir Eclipse. Elle respirait par saccades; son coeur battait vite et d'une façon irrégulière.
"Maman…" murmura-t-elle, la gorge serrée, le visage caché dans ses mains, luttant contre les larmes qui demandaient à sortir d'urgence. "Maman…"
Elle leva la tête pour regarder autour d'elle, dans l'espoir délirant que sa mère avait entendu son appel et était apparue dans son salon; mais elle était seule, entièrement seule. Elle éclata en sanglots, sans qu'aucune larme ne coule, cependant. C'étaient des gémissements qui exprimaient une cruelle douleur, mais où avait-elle mal, elle n'en savait rien.
Elle ôta ses lunettes avant de s'étaler sur la table et d'enfouir sa tête dans ses bras. Elle resta ainsi un très long moment, se remémorant d'une façon obsessionnelle la dernière image qu'elle avait vue. Une lumière verte et chaude; c'était cette lumière qu'elle avait sentie, au mois de Mai dernier, dans sa cuisine, et quelques jours après Halloween. C'était le sort qui avait tué sa mère, mais à l'époque, elle ne le savait pas.
Elle se redressa légèrement quand elle entendit un bruit inhabituel briser le silence de la pièce. Elle tendit l'oreille : c'étaient des miaulements. C'était le chat du tableau, de l'autre côté du mur, qui miaulait pour l'avertir d'une présence. Un peu étourdie, elle tenta de reprendre ses esprits, et prit quelques longues et profondes inspirations pour paraître plus calme. Comme le chat continuait de miauler, elle se leva et se positionna devant le mur coulissant de manière à ce qu'il s'ouvre; elle était curieuse de savoir qui pouvait lui rendre visite un dimanche soir à cette heure-ci.
Ce que dévoila le mur une fois ouvert ne fut pas une réelle surprise : Snape. Il paraissait contrarié, et commença à parler d'un ton sec et froid.
"Je suis venu pour vous demander si…" Il prit une légère pause et étudia le visage d'Anhura d'un air un peu surpris; elle sentit que ses traits étaient encore contractés, et comprit que ses efforts pour paraître calme n'avaient pas été un réel succès.
"… si un nouveau souvenir vous est apparu," acheva Snape d'une voix moins agressive, quoique toujours désagréable.
Elle regarda Snape en silence. Elle n'avait absolument pas envie de parler de ce qu'elle venait de vivre à travers les yeux de sa mère; mais elle ne se sentait pas le courage de se retrouver immédiatement seule avec le fantôme de son souvenir, et la présence de Snape était quelque part rassurante et réconfortante.
"Entrez," dit-elle en s'écartant du passage.
Après une seconde d'hésitation, il entra dans la pièce, pendant que le mur se refermait derrière lui.
"Asseyez-vous," dit-elle d'une voix plus tendue que ce qu'elle aurait souhaité, en désignant l'un des fauteuils près de la cheminée. La voix de Malefoy prononçant Avada kedavra était en train de hanter ses pensées. Elle s'installa elle aussi dans un fauteuil.
"Désirez-vous un thé, ou un chocolat chaud?" Une fois encore, sa voix était tout sauf naturelle et décontractée, et sa question innocente et légère faisait un très étrange contraste avec la voix de Malefoy qui résonnait dans sa tête.
"Non," répondit doucement et lentement Snape, ses yeux glacés plantés dans les siens, " je veux simplement savoir ce que vous avez vu."
Elle détourna son regard pour le poser sur le feu qui s'agitait dans la cheminée. Elle avait de plus en plus de mal à cacher sa nervosité.
"Je… Je ne peux pas," murmura-t-elle, les yeux rivés au sol. Elle frottait nerveusement ses mains l'une contre l'autre. Comme Snape ne répondit rien, elle leva ses yeux vers lui avec un grand effort, et constata qu'il continuait de la regarder avec insistance.
"Non… je ne peux vraiment pas." Elle s'aperçut qu'elle avait la voix de quelqu'un qui allait se mettre à pleurer. Elle ne pouvait pas craquer devant Snape. Elle n'avait jamais craqué, elle ne craquerait pas.
"Je veux seulement savoir si vous avez eu de nouvelles informations concernant le Seigneur des Ténèbre ou les Mangemorts," dit-il calmement. "Rien de plus." Il n'avait nullement adopté un ton compatissant ou rassurant, et Anhura lui en fut reconnaissante, car elle se serait sentie réellement honteuse.
"Je… Je peux juste vous dire que" – elle déglutina et prit une grande inspiration – "que c'est Lucius Malefoy qui a tué ma mère."
Severus lui lança un regard surpris, puis contempla le feu d'un air songeur. Un bruissement d'ailes se fit entendre depuis la chambre d'Anhura; Eclipse traversa le salon, et vint se poser sur l'accoudoir du fauteuil de Snape. Il l'observait de ses yeux dorés avec une grande curiosité, alors que Snape l'ignorait complètement, murmurant, comme perdu dans ses pensées, "Lucius ne me l'avait jamais dit. J'en informerai Dumbledore."
Anhura fronça les sourcils. Elle avait la désagréable sensation que quelque chose d'important venait de lui échapper. Lucius ne me l'avait jamais dit… J'en informerai Dumbledore… Elle se souvint du jour où Lucius Malefoy était entré dans la salle des professeurs en compagnie de Snape. Ils avaient eu l'air très proches, tous les deux; ils s'étaient tutoyés, Anhura en avait même conclu qu'ils étaient amis, d'autant plus que Drago Malefoy était l'élève protégé de Snape. Et pourtant, Severus allait le dénoncer à Dumbledore sans hésitation.
Ses yeux se posèrent inconsciemment sur le bras gauche de Snape. Et là, elle comprit.
"Alors, vous êtes toujours un espion," dit-elle. "Vous n'avez jamais arrêté d'espionner, même après la chute de Vous-Savez-Qui, n'est-ce pas?"
Snape détacha son regard du feu pour la regarder avec méfiance.
"Qui vous a dit que j'étais un espion?"
"Dumbledore."
Il hocha la tête avec soulagement.
"Lucius Malefoy est un Mangemort," reprit Anhura, "et vous faites semblant d'être toujours du côté de Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom pour vous tenir au courant de ce qui se passe du côté des Mangemorts qu'il reste. Vous favorisez même son fils pour lui prouver votre amitié et votre engagement. Et après, vous répétez tout ce que vous obtenez de lui à Dumbledore. C'est ça?"
Il la regarda en haussant légèrement les sourcils.
"Vous êtes très perspicace, Miss," dit-il froidement. Elle ne parvint pas à savoir si c'était ironique. "Je vous demanderai en tout cas de ne rien répéter, ou je suis fichu."
"Oui, bien sûr. Mais vous savez, je pense que tout le monde est loin de s'imaginer pareille chose… Vous jouez remarquablement bien votre rôle, je dois dire…"
C'est au moment où elle termina sa phrase qu'elle se rendit compte de l'ambiguïté de celle ci. Selon l'interprétation qu'il en faisait, Snape pouvait croire qu'Anhura n'était vraiment pas convaincue de la facticité de sa complicité avec Malefoy.
"Enfin, non… Je veux dire… Je ne doute pas de la sincérité de votre engagement auprès de Dumbledore… Vraiment pas," s'empressa-t-elle d'ajouter, inquiète de la réaction qu'aurait Snape s'il avait opté pour cette interprétation. "Ma phrase était un peu bizarre, mais…"
"J'avais compris," coupa calmement Severus, ses yeux étincelants figés sur le feu. "Je n'ai pas oublié ce que vous m'aviez dit dans la salle des professeurs." Une très étrange expression était apparue sur son visage, comme s'il était en train de se remémorer un événement tout à la fois incroyable et effrayant.
Anhura fut trop surprise par ce qu'elle venait d'entendre pour répliquer. Severus l'avait traitée de folle le jour où elle avait essayé de lui faire comprendre que son passé de Mangemort lui importait peu; il avait fait ensuite comme si cet instant n'avait jamais existé, et ne lui en avait plus jamais reparlé. Elle avait cru que toutes ses paroles étaient tombées aux oubliettes. Pourtant, il venait de lui révéler non seulement qu'il les avait prises en compte, mais en plus qu'il les estimait sincères.
Il avait l'air de ne pas avoir envie de partir, confortablement installé à la chaleur des flammes. Anhura n'en était pas étonnée : dans ses sous-sols glacials et humides, les feux de cheminée étaient absurdes, ridicules ; ils étaient bons à décorer la pièce, pas à les réchauffer. Elle s'en était rendue compte dans le bureau de Severus… Encore peut-on se demander si la chaleur d'un feu est celle qui lui manque le plus, songea-t-elle en se remémorant Gobe-Planche lui conseillant de lui répondre avec autant d'agressivité que les autres enseignants, ou encore le concours d'Halloween.
En observant la lumière orangée et irrégulière éclairer son visage, elle remarqua ses traits tirés qui trahissait sa fatigue, et qui, du même coup, habillaient son masque habituellement invincible d'une touchante fragilité humaine ; et elle comprit pour la première fois à quel point sa vie devait être sombre. Il vivait avec la mémoire d'un lourd passé que peu de personnes auraient le courage de supporter. Il devait continuer d'être en apparence un partisan de Voldemort, sous la constante surveillance des Mangemorts ou de leurs enfants qui étaient à Poudlard, et qui pouvaient à tout instant découvrir sa supercherie, alors que tout au fond de lui il devait rêver de reprendre une vie normale en essayant d'oublier celui qu'il avait été. Elle avait pour la première fois l'impression de comprendre très clairement ce qu'il ressentait, comme s'il tenait ses pensées dans ses mains et qu'il les exposait à la lumière d'un rayon de soleil, comme si son âme était soudain devenue palpable. "J'ai fait des choses abominables, je le sais, et je me hais encore plus que vous ne me détestez. J'ai tellement envie que vous me pardonniez; mais je sais que c'est impossible, alors je me tais et je subis les conséquences de mon erreur; c'est ce que je mérite. Moi-même je ne me pardonnerai jamais." Et c'est en sentant ses yeux devenir anormalement humides qu'elle comprit qu'elle éprouvait une immense peine pour lui. Bien sûr, ses sentiments amers n'excusaient pas toutes ses sautes d'humeur et l'agressivité dont il pouvait parfois faire preuve… mais ils les rendaient tout de même bien plus limpides.
Le ululement joyeux et plein de sympathie que poussa Eclipse en fixant son nouveau compagnon, qui l'ignorait toujours, la tira brusquement de ses pensées. Il le regardait avec une profonde adoration, ses grands yeux écarquillés exprimant son avide espoir qu'il tourne enfin la tête vers lui. Comme Snape ne bougeait pas, Eclipse saisit un bout de la manche de sa robe de sorcier dans son bec et tira dessus. Severus se contenta de lisser l'endroit où le tissu était déformé, sans lui accorder le moindre regard.
Anhura s'éclaircit la gorge.
"En tout cas… Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom semble prendre encore plus de puissance, même loin des Détraqueurs," dit-elle d'un ton découragé. "Je me demande si Sirius souffre, dans ces moments-là."
Snape la regarda, ses yeux soudainement habités d'une petite étincelle.
"Je l'espère," dit-il, sa voix remplie d'une douceur cruelle.
"Pourquoi?" demanda Anhura très calmement, même si elle était singulièrement choquée. "Vous l'avez entendu répondre aux questions de Dumbledore, sous l'effet du Véritaserum. Il est innocent."
"Vous ne le connaissez pas!" s'énerva-t-il subitement. "Sinon, vous sauriez comme moi qu'il est un meurtrier dans l'âme!"
Eclipse s'envola et alla se percher dans sa cage, pendant qu'Anhura se blâmait d'avoir à nouveau touché un point sensible.
"Ce qu'il a révélé sous l'effet du Véritaserum prouve justement sa culpabilité! Il a dévoilé la cachette des Potter pour sauver sa petite personne! Peu lui importaient les risques qu'il leur faisait prendre! Il ne pensait qu'à une chose : ne plus se faire torturer! Croyez-vous que ce comportement soit digne d'un Gardien du Secret? Croyez-vous que les Potter seraient morts, à l'heure qu'il est, si leur honorable ami était un innocent?"
A peine avait-il achevé sa phrase qu'il semblait regretter de l'avoir prononcée; il se tut subitement, comme honteux d'en avoir trop dit. Anhura, contrairement à Severus, dont les joues avaient pris une légère teinte rosée sous l'effet de la colère, était sûre d'avoir sévèrement pâli. Elle regrettait d'avoir amené son collègue à s'énerver une fois de plus, alors qu'il avait été si calme, jusqu'à présent.
"Je suis désolée," murmura-t-elle, les yeux au sol. "Je n'avais pas vu les choses sous cet angle-là."
Un silence gênant s'installa entre eux. Plusieurs fois, Anhura allait se mettre à parler, mais elle craignait de le voir s'emporter à nouveau.
Eclipse fit un nouveau trajet entre sa cage et l'accoudoir de Snape, où il se posa, un cadavre de grenouille dans son bac, en regardant Snape avec beaucoup d'affection – il avait rapporté cette grenouille à Anhura quelques heures auparavant, en revenant de sa promenade nocturne. Cette fois, Snape ne pouvait plus faire semblant de ne pas le voir.
"Qu'est-ce qu'il me veut?" demanda-t-il avec agacement. Il le regardait d'un air dégoûté, plus pour Eclipse lui-même que pour la grenouille qu'il tenait.
Anhura laissa échapper un petit rire malgré elle.
"Je crois qu'il vous aime bien, il veut partager son repas avec vous. Ou peut-être qu'il pense que cette grenouille vous serait utile pour l'une de vos potions."
Severus se leva en poussant un grognement et fit quelques pas en direction du mur coulissant.
"Non, attendez, je vais le remettre dans sa cage," dit Anhura en se levant également. "Il ne vous ennuiera plus."
"Je me fiche de votre hibou," dit-il avec mauvaise humeur. "Je vais avertir Dumbledore que le Seigneur des Ténèbres s'est manifesté. Et je vais également lui dire que c'est Lucius Malefoy qui a tué votre mère, même s'il ne pourra pas y faire grand chose."
Anhura, qui avait commencé à se déplacer, s'arrêta.
"Comment ça, il ne pourra pas y faire grand chose?" demanda-t-elle d'une voix très calme, les sourcils froncés. "Il suffit de dénoncer Malefoy au Ministère, et ils s'occuperont de son cas."
Il émit un petit son moqueur.
"Dans votre petit monde imaginaire, peut-être bien. Mais sachez que dans la vraie vie, tout n'est pas aussi simple. Vous pouvez dénoncer Malefoy au Ministère, personne ne vous écoutera."
"Mais si j'arrive à prouver que…"
"Ils n'ont rien à faire de vos preuves, Snowerskin," dit Snape d'un air agacé. "Apportez-leur vos preuves les plus évidentes, ils vous riront au nez. Ils trouveront l'argent que leur fournit Malefoy bien plus convaincant."
Anhura sentit tout espoir de vengeance et de justice s'envoler.
"C'est dégoûtant," dit-elle à mi-voix, incrédule.
"Que croyiez-vous?" demanda Snape, une expression ironique sur le visage. "Que Lucius Malefoy n'a pas été envoyé à Azkaban, comme la plupart des autres Mangemorts, parce qu'il était innocent?"
Anhura baissa les yeux; elle sentait un sentiment de révolte mêlé à la déception bouillir en elle. Pendant quatorze ans, son père et elle s'étaient demandés qui avait tué sa mère, et pour quelle raison. Maintenant qu'elle connaissait les réponses, personne n'était prêt à punir le coupable. C'était tellement injuste; elle avait envie de crier de rage.
Le mur coulissa dans un grondement sourd quand Snape s'en approcha davantage.
"Bonne soirée," dit-il de sa voix froide et distante.
Elle répondit un vague "Bonne soirée", sans vraiment le regarder, et lorsque le mur se referma derrière lui, elle s'affala dans le fauteuil où Eclipse était toujours perché, tourné vers l'endroit où Snape avait disparu. Il lâcha sa grenouille, qui s'écrasa au sol, et fit un petit bruit triste.
"Tu as trouvé ton alter ego, Eclipse?" demanda-t-elle d'une voix douce en lui caressant le dos. Il fit un nouveau son chagriné, ce qui fit naître un très léger sourire sur le visage d'Anhura. "C'est vrai, vous avez le même sale caractère. Vous feriez de très bons amis."
Il se laissa caresser encore plusieurs minutes, avant de s'envoler et d'aller se percher sur le dossier de la chaise où était assise Anhura au moment où elle avait commencé à rédiger sa lettre. Anhura scruta son parchemin vide et son encrier d'un air désespéré. Ce n'était pas encore ce soir qu'elle trouverait l'enthousiasme pour écrire à son père.
D'un petit mouvement de la main au-dessus de la grenouille, elle la fit disparaître; puis, dans un bâillement, elle se leva, s'empara de la bougie sur la table et se rendit dans sa chambre, décidée à se coucher même si elle savait qu'elle trouverait difficilement le sommeil. Ce fut au moment où elle allait enfiler sa chemise de nuit, après s'être lavé la figure, qu'elle ressentit une étrange attraction pour les parchemins qui traînaient sur son bureau, éclairés par un rayon de lune. Curieusement, ses yeux se posèrent sur eux avec un nouvel intérêt, alors que cela faisait au moins deux mois qu'elle avait pris ces notes.
'Il semblerait que les premières utilisations du sortilège de Mémoire héréditaire remonte à l'Antiquité. Il consiste, pour les espions, à transmettre…'
Son regard se détacha des premières lignes pour se rendre directement en bas du texte.
'D'autres effets secondaires peuvent apparaître même si le sort est parfaitement réussi. Ainsi, l'enfant de l'espion, dans une période où les souvenirs de son parent lui sont inutiles et donc inaccessibles, est capable malgré tout d'avoir de forts pressentiments, qui sont en réalité des résidus des souvenirs qui lui ont été transmis, se manifestant sous forme d'instinct.'
Elle resta, perplexe, les yeux figés sur les derniers mots; puis elle prononça, dans un murmure à peine perceptible, "Lucius Malefoy."
La haine incontrôlable qu'elle avait eue pour lui le jour où elle l'avait rencontré, la sensation de familiarité avec son nom, la facilité avec laquelle elle l'avait reconnu à peine il était entré dans la salle des professeurs, étaient des résidus du vécu de sa mère. Les désagréables frissons qui la parcouraient quand elle pensait à lui ou qu'elle le voyait, le malaise qu'elle ressentait étaient les mêmes symptômes que lors de la venue d'un nouveau souvenir, ce qui était logique; c'était un avertissement, un pressentiment provenant de la mémoire de sa mère qui savait, elle, que Malefoy était un Mangemort et un assassin. Tout ceci s'était déroulé dans des périodes où Voldemort pouvait être considéré comme inexistant, puisqu'il n'était pas en train de manifester sa puissance.
Elle s'éloigna subitement du bureau pour aller s'asseoir sur son lit, la tête contre ses genoux, les bras autour de ses jambes. La soirée qu'elle venait de vivre ne cessait de défiler dans sa tête, à l'endroit, à l'envers, par courts instants ou longues séquences, à tel point qu'elle en avait le tournis et se sentait confuse. La seule et unique certitude qu'elle avait en cet instant, comme gravée au plus profond d'elle-même, était qu'elle n'avait nul besoin d'un quelconque instinct venu de sa mère pour abhorrer Lucius Malefoy. Les mains crispées l'une par-dessus l'autre, le visage tendu par une rage froide, elle se le promit : un jour, sa mère serait vengée.
La cloche qui sonna jeudi, en fin d'après-midi, indiquait que le cours avec les Gryffondor de cinquième année était terminé. Anhura, qui avait passé son temps à déambuler entre les rangs pour observer ses élèves s'entraîner à pratiquer le sortilège du Bouclier – un sort qui installait un filtre entre soi-même et son adversaire, servant pendant quelques secondes à laisser passer les jets de lumière provenant des baguettes, dénués de leur pouvoir magique –, leur faire des remarques et les conseiller, se dirigea vers son bureau pour récupérer ses affaires. La salle était quasiment vide lorsqu'elle entendit Ron chuchoter "Je vous rejoins" à Hermione et Harry, qui sortirent aussitôt et le laissèrent seul. Elle fit semblant de n'avoir rien remarqué, empilant ses manuels les uns sur les autres et rassemblant les devoirs que les Serdaigle avaient eu à faire quelques heures plus tôt.
"Hum… Professeur…"
Elle leva la tête vers Ron, planté devant son bureau, l'air un peu tendu.
"Je voulais vous rendre ceci…" il lui tendit son exemplaire de La vocation d'Auror. "Je suis désolé d'avoir été si long… On avait énormément de travail, vous savez, avec les BUSE à préparer…"
Il attendit sa réaction en la regardant avec appréhension. Elle comprit pourquoi : elle sentait, aux traits tendus de son propre visage, qu'elle n'avait pas encore retiré son masque de professeur strict et exigeant. Elle se décontracta et lui sourit.
"Il t'a plu?" demanda-t-elle gentiment en s'emparant de son livre.
L'air étonné qui traversa le visage de Ron fut bientôt remplacé, lui aussi, par un sourire.
"Oh oui!" s'exclama-t-il, les yeux brillants. "Plus je le lisais, plus je ressentais… Je sais pas… comme si je devais devenir très, très vite un Auror pour pouvoir vivre tout ce qui est écrit… C'est excellent."
Anhura eut un petit rire.
"Ca me faisait la même chose," dit-elle en passant sa main sur la couverture du livre et en le regardant avec nostalgie. "J'ai vu que tu étais beaucoup plus motivé, en classe. Tes notes ont bien remonté, et tu as fait d'énormes progrès dans la pratique de tes sorts."
"Vous trouvez?" Son visage était encore plus illuminé.
"Bien sûr," répondit Anhura avec sérieux. "Tu mets beaucoup moins de temps qu'avant à prendre un sortilège en main. D'ailleurs, ton bouclier était tout à fait honorable."
"Génial," dit-il sur un ton d'extase. "Parce que vous savez, maintenant j'en suis sûr et certain, je veux devenir un Auror pour de bon."
"Je dois t'avertir que ce n'est pas facile d'en devenir un. Tu dois être prêt à travailler énormément, et à t'exercer pour maîtriser le plus de formules possible utiles dans la Défense. Il faut t'armer de patience et de persévérance, et apprendre à contrôler tes émotions. Mais si tu en as vraiment envie, il n'y a aucune raison pour que tu n'y parviennes pas."
"J'en ai vraiment envie," dit il en souriant. "Et je ferai de mon mieux."
"Très bien," approuva-t-elle d'un ton qui lui rappelait un peu celui qu'elle utilisait en classe, bien qu'elle soit amusée par son enthousiasme. "Et dis-moi," dit-elle en fronçant les sourcils, "tu as toujours l'impression de n'être personne?"
Ron leva les yeux au ciel pour réfléchir, son visage habillé de concentration.
"Non," conclut-il fermement. "Maintenant je sais vraiment qui je suis." Il sourit à la fin de sa phrase, comme s'il venait de se rendre compte de ce qu'elle signifiait.
"Tu m'en vois ravie," dit Anhura avec un sourire.
Ron soupira de joie.
"Bon, je vous laisse," dit-il en enfilant son sac sur le dos. "A jeudi prochain!"
"A jeudi, Ronald."
Mais au lieu de partir, Ron resta devant le bureau, l'air un peu hésitant.
"Qu'y a-t-il?" demanda Anhura.
Les joues de Ron prirent une teinte rouge Gryffondor.
"Vous êtes quelqu'un de drôlement chouette, professeur," dit-il très sérieusement. "Vraiment."
La sincérité qui apparut dans sa voix la toucha tellement qu'elle ne sut pas quoi répondre. C'était bien la première fois que quelqu'un, de surcroît un adolescent, la qualifiait de "drôlement chouette". Mais ce n'était pas mérité. Si elle n'avait pas vu en Ron l'enfant triste qu'elle était, elle ne lui aurait pas prêté tant d'attention. Elle avait essayé de résoudre les problèmes de son passé en lui offrant le peu d'affection qu'elle aurait aimé recevoir de la part des élèves de Poudlard à l'époque, et qui n'était jamais venu. Ce n'était pas Ron qu'elle avait voulu aider, mais elle; ce n'était pas de l'altruisme, mais de l'égocentrisme.
"C'est très gentil, Ronald," répondit-elle finalement. "Merci beaucoup."
Il lui sourit une dernière fois avant de sortir par la porte au fond de la salle, ce qu'elle ne tarda pas à faire aussi, dans le but de se rendre à ses appartements et de prendre une douche avant de descendre dîner.
Anhura arriva en même temps que Snape dans la Grande Salle, où tout le monde avait déjà commencé à manger. Ils s'assirent en silence. Elle venait de remplir son plat de soupe quand elle sentit quelqu'un lui tapoter l'épaule : Mrs McGonagall, qui jeta un coup d'oeil prudent aux autres professeurs avant de lui chuchoter à l'oreille, "Pourriez-vous apporter ceci à Sirius Black après le dîner, Miss Snowerskin?" elle sortit lentement de sa poche un morceau de tissu enveloppant une forme ronde. "Il s'agit d'un savon, il n'en a presque plus."
"Oui, bien sûr," répondit poliment Anhura en le saisissant.
"Merci." Un sourire quasiment invisible apparut sur son visage, et elle retourna prendre sa place en milieu de table.
Après avoir rangé le savon dans sa poche, Anhura commença à avaler sa soupe; puis, surprise que Severus n'ait pas manifesté la moindre réaction au nom de Sirius Black qu'il avait certainement pu entendre, elle tourna les yeux vers lui.
Il n'avait toujours rien mangé; à vrai dire, il ne s'était même pas servi. Il regardait fixement le milieu de la Grande Salle, ses yeux habités d'une lueur d'inquiétude. Elle chercha du regard ce qui pouvait provoquer son comportement, mais ne vit rien de particulier.
"Severus?" appela-t-elle d'une petite voix.
Aucune réaction.
"Severus," répéta-t-elle gentiment.
Il tourna la tête vers elle, reprenant en un quart de seconde son air revêche.
"Qu'y a-t-il?" demanda Anhura, en balayant à nouveau la Grande Salle du regard.
"Rien," répliqua-t-il avec froideur, visiblement contrarié qu'elle ait remarqué son attitude.
"Bien sûr," se moqua-t-elle avec un léger sourire. "Moi aussi, j'ai toujours adoré fixer un point de la salle sans aucune raison au lieu de dîner."
Il lui jeta un regard glacial.
"J'avais simplement remarqué que Potter n'était pas là," dit-il d'un ton très calme et irrité. "Votre vie est-elle devenue dix fois plus excitante, maintenant que vous savez ça?"
Au lieu de répondre, elle détailla scrupuleusement la table des Gryffondor. Elle eut beaucoup de difficulté à repérer Ron et Hermione, assis aux côtés de Fred et George, dans la marée d'élèves; Harry n'était effectivement pas avec eux, et ne semblait pas non plus se trouver avec d'autres élèves.
"C'est vrai," reconnut-elle, étonnée que Severus s'en soit si facilement aperçu. "Il va sûrement arriver. Ou bien, il n'a peut-être pas faim."
Il fit un "Hm" sceptique en regardant à nouveau l'endroit où Ron et Hermione étaient assis; puis il se servit de la soupe. Quelques minutes après entra Harry, qui s'installa tranquillement parmi ses amis. D'un coup d'oeil discret, Anhura constata que Severus l'avait également suivi des yeux; il ne le regarda plus une seule fois pendant tout le restant du repas.
Cela faisait bien une demi-heure que Sirius Black lui parlait; il semblait tellement heureux d'avoir de la compagnie qu'Anhura n'osait pas partir de la salle où il vivait en cachette. Ce n'était certainement pas amusant pour lui de devoir se retrouver seul et enfermé à nouveau après quatorze ans passés à la prison d'Azkaban. Il avait énormément changé depuis sa libération : il semblait beaucoup plus épanoui, il n'avait plus une mine renfrognée, il avait une nouvelle coupe de cheveux, de nouveaux vêtements et une allure bien soignée. Néanmoins, pendant qu'elle l'écoutait parler, Anhura ne pouvait pas s'empêcher de repenser au point de vue que lui avait exposé Severus, et qui lui faisait garder une certaine distance avec Sirius, le temps de se faire sa propre opinion et de décider quel degré de sympathie elle devait lui accorder.
Soudain, trois coups de firent entendre sur la porte.
Après que Sirius eut donné l'ordre d'entrer, Dumbledore apparut dans la pièce, une lettre à la main.
"Je viens de recevoir la réponse de Remus," annonça-t-il en souriant, les yeux brillants. "Il a été bouleversé d'apprendre votre innocence, et il dit qu'il serait ravi de vous loger chez lui cet été, et même pendant tout le temps nécessaire pour trouver un moyen d'abolir le sort qui vous lie, vous et Voldemort."
"Super," dit Sirius avec un grand sourire. "Mais vous savez, j'aurais très bien pu me débrouiller. Il me suffisait de me trouver une bonne planque, et…"
"C'est bien trop risqué, Sirius," l'interrompit Dumbledore d'un ton grave. "D'abord, parce que nous ne connaissons pas les effets que pourrait avoir sur vous l'âme de Voldemort si sa puissance continuait de grandir, et qu'il est plus prudent que quelqu'un soit là pour vous porter secours en cas de besoin." Sirius grimaça de la même manière qu'un enfant à qui l'on venait d'interdire d'aller patauger dans la boue. "Ensuite," continua Dumbledore, "parce que si quelqu'un venait à découvrir votre remise en liberté, nous aurions de sérieux ennuis. Tant que nous ne vous aurons pas libéré de l'emprise de Voldemort, nous ne pourrons pas totalement justifier votre sortie de prison. Même si les gens apprenaient la véritable version des faits et admettaient votre innocence, tant que Voldemort sera en vous, votre place sera à Azkaban, pour eux. Vous avez bien vu la réaction du ministre. Habiter avec Remus vous permettra déjà de ne pas prendre le risque d'aller faire vos courses et de rencontrer la foule, Sirius."
"Je sais, je sais," grommela Sirius. "Mais si ça dure toute la vie, je ne pourrai pas vivre caché en permanence."
"J'en suis conscient," admit Dumbledore, "mais en attendant, je vous demanderai de vous plier le plus possible à ces règles." Il le regarda avec autorité et fermeté, ce à quoi Sirius répondit en hochant la tête avec résignation.
Anhura se dit qu'il était grand temps de partir; elle se leva donc de la chaise où elle était installée, et dit poliment, "Je vous laisse. Bonne soirée Sirius, bonne soirée professeur." Ils lui répondirent "bonne soirée" en souriant, et elle quitta la pièce.
A peine eut-elle refermé la porte qu'elle entendit crier "POTTER!" dans son dos. Elle se retourna; à sa droite, dans le couloir, arrivait Severus, avec un sourire mauvais signifiant clairement : "je vais créer des ennuis et j'en suis ravi"; à sa gauche, de l'autre côté du couloir, se trouvait Harry, regardant son professeur s'approcher avec appréhension et insolence. Ce ne fut que lorsqu'un grognement ignoble résonna dans le couloir qu'Anhura remarqua, avec stupeur, la présence de Pinky auprès de Harry, enveloppé dans le pull rouge qu'elle avait acheté pour Noël.
Quand Severus passa devant elle en l'ignorant, paraissant bien trop pressé d'aller punir Harry pour ralentir son pas, Anhura comprit que le capital points des Gryffondor allait chuter sérieusement, alors elle décida d'aller assister à la scène avec l'espoir de limiter les dégâts autant que possible.
"Bien, bien, bien, Potter," dit Severus doucement, ses petits yeux noirs étincelant d'un plaisir cruel. "Que fait cet animal avec vous? Seuls les crapauds, les chats et les hiboux sont autorisés dans cette école. Encore une loi trop futile pour le grand et célèbre Potter, n'est-ce pas?"
"Il n'est pas à moi," dit Harry avec colère. "Il est à Hagrid. Et il était déjà dans le château. Je suis passé devant lui, et depuis il n'arrête pas de me suivre."
"Harry dit la vérité, Severus," intervint Anhura avant qu'il ne puisse répliquer, "il est à Hagrid."
Il lui lança un regard assassin, sûrement outré qu'elle prenne la défense de Harry et qu'elle lui ôte une bonne raison pour le punir. Pinky, lui, était en train de renifler les jambes de Harry en salivant sur ses chaussures, se préparant sans doute à un futur repas.
"Peu importe," dit Severus très calmement en retrouvant son sourire. "Ce n'est tout de même pas de la faute de Hagrid si même les cochons adhèrent au fan-club de Potter. Je retire trente points à Gryffondor pour avoir amené ce cochon à vous suivre, Potter."
"Mais…" commença Harry, bouillant de plus en plus de rage.
"Silence!" siffla Severus. "Dix points de moins pour votre insolence."
Il sembla très satisfait de cette injustice, et fixait Harry avec un air de triomphe tandis que celui-ci regardait alternativement Severus, semblant rêver intérieurement de le réduire en cendres d'un coup de baguette magique, et Anhura, dans l'espoir qu'elle lui vienne en aide.
"Ce cochon s'est échappé et Harry l'a retrouvé alors qu'il aurait pu blesser quelqu'un," fit-elle remarquer très posément. "J'accorde quarante points à Gryffondor."
Elle ne put s'empêcher de sourire face à l'air très contrarié de son collègue, qui paraissait établir dans sa tête un plan d'urgence qui lui permettrait de retirer les points qu'elle venait de donner.
"Je retire quarante points à Gryffondor pour avoir incité votre professeur à prendre votre parti par des regards insistants," dit-il froidement en regardant Anhura de travers.
"J'accorde quarante points à Gryffondor pour avoir eu l'intention de ramener ce cochon à son propriétaire," répliqua-t-elle immédiatement. "Tu en avais l'intention, n'est-ce pas, Harry?"
Harry hocha la tête en souriant; Severus parut profondément frustré et énervé. Au regard de haine et de dégoût qu'il lança à Harry, et celui, gorgé de reproche, qu'il jeta à Anhura, elle réalisa à quel point il devait se sentir humilié d'avoir à se confronter à elle devant Harry. Dans sa vie sinistre, retirer des points à Gryffondor devait être son seul véritable plaisir en-dehors de gronder Harry, et elle était en train de l'en empêcher. Si c'était le seul moyen de lui rendre le coeur un peu plus léger, il fallait savoir faire des sacrifices.
"… mais je retire quarante points à Gryffondor pour ne pas avoir pensé à ligoter les mâchoires du cochon," ajouta-t-elle en faisant jaillir une ficelle de sa baguette qui alla se serrer autour du groin de Pinky, qui poussa un grognement sourd et furieux. "Il aurait très bien pu sauter sur quelqu'un en le croisant."
Harry la regarda d'un air ahuri puis révolté, tandis que Snape lui jeta un coup d'oeil légèrement surpris et interrogatif.
"Tu ferais mieux d'aller voir ton parrain, Harry," dit-elle précipitamment lorsqu'elle vit celui-ci ouvrir la bouche pour répliquer. Il était déjà assez difficile pour elle de pénaliser sa propre maison sans aucune raison valable, elle n'avait pas, en plus, le courage d'argumenter. "C'est pour cette raison que tu es là, non?"
"Oui," marmonna Harry après un instant de silence déconcerté, pendant lequel il avait dû aboutir à la conclusion qu'elle était une vraie peau de vache. "Oui, c'est ça."
Il les quitta brutalement avec mauvaise humeur, les mains dans les poches, les yeux posés sur le sol, le visage crispé par la colère, suivi de Pinky; il ferma d'un coup sec la porte de la chambre de Sirius derrière lui, laissant Pinky dans le couloir, reniflant la porte et grognant de mécontentement. Severus se tourna vers Anhura.
"Pour en arriver là, j'aurais très bien pu le faire moi-même," dit-il d'un ton moqueur.
Anhura lui fit passer le message "pas la peine d'en rajouter" par un regard prétendument froid, bien qu'elle sentît au fond d'elle l'envie d'éclater de rire tant elle se trouvait ridicule. Elle s'avança près de Pinky, et fit sortir de sa baguette une autre corde, dont un bout alla se nouer autour du cou du cochon, pendant que l'autre se jeta dans sa propre main.
"Allez, viens Pinky, on va voir papa," dit-elle doucement en tirant sur la corde."Bonsoir, Severus," ajouta-t-elle en se tournant vers lui, ce à quoi il répondit par un bref hochement de tête.
Pendant qu'elle descendait les étages avec Pinky, étonnamment sage et docile, elle s'évertuait à résoudre l'énigme la plus complexe qu'elle n'ait jamais rencontrée. Severus haïssait purement Harry et il n'avait fait que le persécuter depuis son entrée au collège; pourtant, elle était certaine de l'avoir vu inquiet quand Harry était arrivé en retard pour le dîner. D'après Sirius, Severus détestait également James; et pourtant, dimanche dernier, il s'était écrié : "Croyez-vous que les Potter seraient morts, à l'heure qu'il est, si leur honorable ami était un innocent?", furieux contre Sirius d'avoir dénoncé leur cachette. Sa haine pour les Potter était sincère; ses regrets et ses inquiétudes semblaient l'être aussi. C'était tout simplement déconcertant. Cet homme était un véritable paradoxe à lui seul.
Anhura se demandait toujours comment le temps pouvait être si traître. Tandis qu'une semaine pouvait paraître durer des mois, plusieurs semaines passaient aussi vite qu'une journée, et c'est à cette allure que se termina l'année scolaire. Elle avait été très occupée à préparer les élèves aux examens de fin d'année, à trouver des sujets pour ces examens, et, dernièrement, à les corriger. La finale de Quidditch avait eu lieu, aboutissant à la victoire – non méritée – des Serpentard, qu'ils gagnèrent essentiellement par des tricheries et des mauvais coups, ce qui avait donné à Mrs McGonagall une mauvaise humeur plutôt durable, si bien qu'elle évitait Severus le plus souvent possible, de peur qu'il ne lui rappelle par hasard sa défaite. En revanche, et en dépit des quarante points retirés à Harry, Gryffondor avait remporté la Coupe des Quatre maisons, dont la cérémonie avait eu lieu la veille, ce qui retira à Anhura un gros poids de ses épaules.
En ce jour du 24 Juin, il était seize heures; les élèves, ainsi qu'une grande partie des enseignants, avaient quitté le château le matin même pour rentrer chez eux, et Sirius, quelques jours plus tôt, pour aller vivre provisoirement chez Remus Lupin. Anhura venait de finir ses bagages, non sans un petit pincement au coeur : elle devait avouer que, même si elle n'était pas vraiment à l'aise face à des élèves, et même si son père lui avait beaucoup manqué, l'année qui venait de s'écouler avait été exceptionnelle; et elle sentait que si Dumbledore engageait un nouveau professeur de Défense contre les Forces du Mal pour la prochaine rentrée, et qu'elle devait vivre à nouveau loin de Poudlard et de ses pensionnaires, elle serait très, très, très malheureuse. L'idée seulement la faisait frémir; elle essayait d'y penser le moins possible, mais à présent, elle devait se rendre dans le bureau de Dumbledore, comme il le lui avait demandé pendant le déjeuner, et elle avait la nette impression que cette convocation allait mettre un point final à ses doutes. Ce fut donc avec un léger mal au coeur qu'elle frappa à la porte de son bureau : dans quelques secondes, elle ne pourrait plus espérer et rêver de son retour à Poudlard comme elle l'avait tellement fait durant les semaines passées; elle allait se confronter à une véritable réponse.
"Entrez!" dit la voix paisible de Dumbledore.
Elle pénétra dans la grande pièce circulaire, et trouva le vieux sorcier assis derrière son bureau, comme à son habitude.
"Ah, Anhura," dit-il joyeusement, "viens donc t'asseoir j'ai à te parler."
Les quelques pas qu'elle fit pour atteindre le fauteuil et s'y asseoir lui parurent bizarrement douloureux et pénibles. Elle regarda Dumbledore droit dans les yeux, attendant patiemment qu'il commence à parler.
"Un bonbon?" proposa-t-il d'un ton léger en lui tendant une petite boîte remplie de friandises jaunes – au citron, sans aucun doute.
"Oui, merci," dit-elle avec un sourire tendu, en piochant un bonbon mou et gélatineux.
"Très bien," dit-il avec satisfaction en reposant la boîte. "Maintenant, passons aux choses sérieuses." Son sourire s'effaça, et il positionna ses mains en accent circonflexe, les coudes posés sur son bureau. Anhura sentit ses dents se serrer sur le bonbon plus qu'il ne l'était nécessaire, et sa respiration prendre un rythme inconfortable. Dumbledore fronça les sourcils, et fit remarquer d'une voix douce, "Tu as l'air inquiète."
Se blâmant intérieurement de ne pas avoir été plus discrète, elle prit une grande inspiration avant de répondre calmement, "Oui, je le suis un peu, en effet."
"Pourquoi?" demanda Dumbledore d'un ton posé.
"Parce que, j'imagine que si je suis là, c'est pour parler de la rentrée de Septembre."
"Effectivement. Et de quoi as-tu peur?"
"Eh bien," dit Anhura d'un ton toujours aussi calme, "que vous me disiez que je suis en train de vivre les dernières minutes de ma carrière de professeur."
Le visage de Dumbledore prit un air grave. Quelques secondes de silence s'installèrent, avant qu'il ne reprenne la parole.
"Je vois," dit-il à mi-voix. "J'ai eu pourtant du mal à te convaincre de venir, l'été dernier."
"Oui," accorda Anhura d'une voix légèrement tendue, "mais c'est normal. J'avais peur. Je n'avais jamais rien fait d'autre que de travailler avec mon père."
Dumbledore posa ses bras le long des accoudoirs et cala son dos au fond de son fauteuil.
"Cette année a été difficile pour toi."
"Je sais," dit-elle dans un murmure, "mais ce n'est pas en restant chez moi dans mon village que ma vie sera plus facile, à présent."
Dumbledore caressa sa longue barbe argentée d'un air pensif.
"J'aimerais que tu m'expliques, Anhura, pourquoi tu tiens tellement à revenir à Poudlard."
Elle baissa les yeux, prise au dépourvu : elle n'avait aucune réponse claire à lui donner; il allait la prendre pour une petite capricieuse. Ne trouvant aucune explication convaincante, elle se résigna à lui dire la vérité.
"Je ne sais pas," avoua-t-elle d'un air un peu désolé. "C'est très confus. J'ai l'impression d'avoir un tas de bonnes raisons, mais je n'arrive pas à mettre des mots dessus. Tout ce que je peux vous dire, c'est que j'ai le réel sentiment que ma place est ici. Pas dans une librairie, où je ne sais où. Juste ici."
Dumbledore soupira, puis dit d'une voix faible, "Alors, tu serais vraiment malheureuse si je t'annonçais que j'ai l'intention d'engager quelqu'un d'autre."
Elle eut soudain l'impression que le ciel venait de s'effondrer sur elle. C'était fichu. Elle n'avait plus aucune chance, elle ne reviendrait pas à Poudlard.
"Oui," dit-elle, en observant avec appréhension le visage du directeur, qui semblait mal à l'aise. Il détourna son regard sur les portraits accrochés au mur.
"C'est très embêtant…" dit-il d'un air pensif.
Anhura sentit sa gorge devenir incroyablement sèche et serrée. Elle articula avec difficulté, "Ne vous en faites pas. Je comprends." A présent, tout ce qu'elle souhaitait était rentrer chez elle et broyer du noir.
"… de se faire taquiner par un vieux sorcier comme moi, n'est-ce pas?" poursuivit Dumbledore en riant, les yeux pétillant d'amusement. "Bien sûr, que tu reviens à Poudlard l'année prochaine, Anhura. Je me demande comment tu as pu en douter.''
Elle mit un certain temps à réaliser ce qu'elle venait d'entendre. Elle n'en croyait pas ses oreilles.
"C'est vrai?" demanda-t-elle dans un souffle, les yeux écarquillés, le coeur à nouveau rempli d'espoir.
"Evidemment," assura Dumbledore avec un grand sourire. "Le seul problème pour moi était de savoir si tu étais heureuse ici, et tu viens de me donner une réponse claire, alors tout est réglé."
Un feu d'artifice explosa dans la poitrine d'Anhura, et elle était sûre qu'il était même en train de déborder dans ses yeux. C'était bien vrai. Elle allait revenir.
"Merci!" s'exclama-t-elle en souriant, et en se retenant de sauter sur Dumbledore pour le serrer dans ses bras.
"Ne me remercie pas, c'est tout a fait normal. Avant que tu ne partes, j'aimerais" – il fit un geste avec sa baguette magique en direction du sol, d'où s'éleva un paquet de papier kraft qui lui atterrit directement dans les mains – "t'offrir ceci."
Anhura s'empara du paquet qu'il lui tendit. Surprise, ses yeux allèrent du paquet à Dumbledore, qui l'encouragea d'un signe de tête à le déballer. Au fur et à mesure qu'elle retirait le papier se dévoilait ce qui ressemblait à des livres, avec d'étranges couvertures en papier rigide sur lesquelles figuraient des dessins. Elle lut les titres : Harry Potter and the phlisopher's stone; Harry Potter and the Chamber of secrets; Harry Potter and the prisoner of Azkaban, de J.K. Rowling.
"Les livres de Joanne Owlgrin," dit-elle à voix basse avec un sourire, en touchant les couvertures qui l'intriguaient.
"Habituellement, ils sont protégés par un sortilège qui les rend invisibles pour les sorciers, mais je l'ai annulé," expliqua Dumbledore.
"Mais… Justement," dit Anhura, perplexe. "Vous m'aviez dit qu'ils révélaient certains secrets sur des sorciers, et que cela n'avait aucune importance du moment que seuls les Moldus les lisaient.
"C'est exact. Mais la plupart de ces secrets n'ont pas encore été révélés dans ses romans pour l'instant, et tu as déjà prouvé cette année que tu savais garder pour toi les secrets des autres."
Elle examina de nouveau les livres, mi-amusée, mi-interrogative, se demandant pourquoi Dumbledore lui faisait ce cadeau. Aujourd'hui, c'était son anniversaire; mais elle était quasiment certaine qu'il ne le savait pas.
"Merci infiniment," dit-elle en souriant toujours. "Mais en quel honneur…?"
"En souvenir de la petite fille que je voyais de temps à autre quand j'étais invité à boire le thé, et qui était toujours en train de lire sagement dans son coin," répondit-il avec douceur.
Elle eut un petit rire. Quand elle avait environ sept ans, lui et sa mère avaient travaillé ensemble pour la capture de certains mages noirs, elle ne savait plus lesquels. Elle n'avait gardé que de très vagues souvenirs des moments où ils arrivaient tous les deux à la maison pour reprendre des forces après leur journée de travail.
"Et également parce que ces livres pourraient répondre, en partie, à certaines questions que tu pouvais te poser sur des personnes que tu apprécies," ajouta Dumbledore, les yeux brillants. "Mais n'oublie pas, ce sont des romans. C'est à toi de faire la part du vrai et du faux."
"D'accord. Eh bien, merci beaucoup."
"Mais je t'en prie."
"Bon…" Elle se leva, ses livres dans ses bras. "Le temps est venu pour moi de vous quitter. A moins que vous n'ayez autre chose à me dire?"
"Non, Anhura," répondit Dumbledore en souriant. "Je te souhaite de très bonnes vacances."
"Bonnes vacances à vous aussi," dit Anhura en se sentant pousser des ailes. Non seulement elle allait prendre un peu de repos, mais en plus elle était sûre de revenir en Septembre. Pour une fois, son avenir n'était pas vraiment sombre.
"Au revoir, professeur."
"Au revoir."
Après être sortie de son bureau, en caressant Fumseck au passage, elle redescendit dans sa chambre pour ranger son cadeau dans la valise; puis, une fois assurée qu'elle n'avait rien oublié, elle réduit sa valise à la taille d'un mallette, la saisit dans l'une de ses mains, s'empara de la cage d'Eclipse – où celui-ci était enfermé – de l'autre, et quitta ses appartement, le coeur léger. Elle avait déjà dit au revoir au professeur McGonagall, à Mrs Chourave, à Victor Jumble et à Hagrid après le déjeuner; il ne lui restait plus qu'une personne à rencontrer avant de retourner dans son village.
Par chance, cette personne se trouvait dans le hall d'entrée, près des portes donnant sur le parc qui étaient grandes ouvertes, lorsqu'elle y descendit.
"Severus," dit-elle avec un sourire en s'approchant de lui. "Justement, je vous cherchais pour vous dire au revoir."
Ses yeux noirs et insondables se posèrent sur la valise puis sur Eclipse, qui poussa un très joyeux "Hou" et secoua ses plumes.
"Au revoir," répéta-t-il froidement. "Cela signifie donc que nous nous reverrons à la rentrée, je présume."
"Oui," répondit-elle avec bonne humeur. "Désolée de vous chagriner."
Ses lèvres s'étirèrent en un rictus quand il étudia le visage d'Anhura.
"Vous en avez l'air," lança-t-il d'un ton sarcastique, mais elle était sûre d'avoir entrevu une lueur amusée dans ses yeux. "Bref. J'ai quelque chose d'important à vous dire." Ses traits redevinrent froids et inexpressifs.
"Je vous écoute."
Il jeta un coup d'oeil prudent autour de lui avant de planter ses yeux dans ceux d'Anhura.
"Si cet été il vous arrivait d'avoir de nouveaux souvenirs," dit-il très sérieusement à voix basse, "et que vous estimez qu'ils apportent des éléments que nous n'avions pas jusqu'à présent, envoyez-moi un mot. Je pourrai toujours essayer d'obtenir quelques informations supplémentaires auprès de Lucius Malefoy."
"Entendu. Vous pouvez compter sur moi." Elle souleva légèrement la cage qu'elle tenait pour mieux voir Eclipse, qui était en train de fixer Severus de ses grands yeux ronds. "Mon hibou n'aura sûrement aucun mal à vous trouver," ajouta-t-elle avec amusement.
"Quelle chance," répliqua-t-il du ton le moins enthousiaste qui puisse exister, ce qui fit rire Anhura.
"Bon, eh bien, passez de bonnes vacances, et à bientôt, alors," dit-elle finalement.
"A bientôt."
Elle allait poser sa valise pour lui serrer la main, mais elle se souvint à ce moment précis à quel point il détestait les contacts corporels. Ne souhaitant pas revivre la scène gênante de leur première rencontre, elle se contenta en fin de compte de lui adresser un sourire avant de sortir et de descendre les escaliers menant au parc, où serpentait le chemin qu'elle devait emprunter pour se rendre à la gare de Pré-au-Lard.
Tout en marchant sous un soleil chaud et aveuglant, elle se remémorait la brève conversation qui venait d'avoir lieu. La froideur de Severus quant à leurs retrouvailles à la rentrée était-elle en relation avec les rumeurs qui le disaient désireux d'obtenir le poste de professeur de Défense, ou était-elle simplement due à son tempérament distant? Difficile à dire. Il était aussi simple de lire dans ses pensées que dans un livre aux pages noires écrit à l'encre noire. Ce n'était d'ailleurs pas le seul mystère qui l'habitait, et Anhura savait que, même si elle avait appris à mieux le comprendre, elle était très, très loin de le connaître. Il était troublant de ne pas avoir le moindre soupçon d'idée, au bout de dix mois passés auprès d'une personne, de qui elle était.
Severus lui faisait penser au courant, mais non moins complexe phénomène d'une personne face à un miroir. Il était un homme aux apparences glaciales, dures et malhonnêtes, pourvu d'une loyauté, d'une âme et d'émotions. S'il se trouvait devant un miroir, son reflet serait un homme aux apparences glaciales, dures et malhonnêtes; mais en temps que reflet, cet homme n'aurait plus de loyauté, plus d'âme, plus d'émotions : les miroirs ne montraient jamais que la personne extérieure. Anhura avait l'impression de n'avoir eu affaire qu'au reflet de Severus, cette année. La réelle personne était restée prudemment cachée derrière le miroir, intouchable, protégée par son image aux apparences froides et sinistres, ne faisant son apparition qu'à de rares instants d'inadvertance, qu'Anhura avait parfois pu saisir. Elle avait découvert que derrière un Serpentard de coeur, il y avait un Gryffondor de sang; que derrière un professeur favorisant un élève, il y avait un homme jouant son rôle d'espion; que derrière une Marque au symbole cruel, il y avait la souffrance d'un passé; que derrière de rudes manières se cachait la détresse d'un homme qui attendait sans espoir le pardon des autres. Le vrai Severus Snape n'était pas le monstre que son miroir montrait en public. Sans doute était-il le genre d'exceptions dont Dumbledore avait parlé : le réel était plus beau que ce que l'imagination pouvait offrir aux personnes regardant avec peur et dégoût son reflet, sans chercher à savoir de qui il était le reflet. Il était bien plus facile pour elles de vivre dans des illusions : comprendre que leur yeux leur offrait le mensonge signifierait que le monde n'était pas qu'une histoire d'apparences. La vue du coeur humain était pourtant bien plus juste; tant qu'elles ne l'auraient pas admis, elles ne verraient jamais la véritable beauté. Anhura, elle, avait commencé à la découvrir.
FIN
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La suite dans le deuxième tome que je n'ai pas écrit ! ;-)
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