Chapitre III/

-Yoshiki ! Franchement, tu devrais travailler plus que ça ! Tu vas finir par te faire virer du collège !

L'interpellé tira la langue à son ami et froissa allègrement sa feuille de contrôle de maths en haut de laquelle une main furieuse avait tracé une grosse bulle rouge. Puis il attrapa Toshi par le bras et l'entraîna joyeusement hors de l'établissement :

- Tout le monde ne peut pas avoir ton QI Toshi-sama ! Fais voir ta note à toi…

Avant que l'adolescent ait pu escamoter sa copie, Yoshiki s'en empara et émit un sifflement admiratif :

- Dix-huit sur vingt ! Je m'incline docteur !

- Hé ! Tu te moques de moi ?

- Ben quoi, c'est ce que tu veux être non ?

- Oui mais dans ta bouche, ça ressemble à du sarcasme ! Et rends-moi ça, dit Toshi en reprenant sa feuille. Blagues à part, je m'inquiète pour toi. Ca m'ennuierait que tu aies des problèmes.

- Pfffff ! C'est mes affaires si je suis trop bête pour réussir !

- Arrête, tu n'es pas bête, juste un gros paresseux !

Yoshiki croisa les bras derrière sa tête et affirma d'un air crâne :

- Nan, pas paresseux ! Disons que mes intérêts sont ailleurs que dans les performances scolaires !

Toshi roula des yeux :

- Oh oui c'est vrai que tu préfères passer la nuit à jouer du piano que de bosser tes exams !

Yoshiki lui fit un sourire plein de dents :

- Exact ! Pas besoin de diplômes pour faire de la musique. Il faut seulement du talent et la volonté d'y arriver !

- J'espère pour toi que ça suffira, dit Toshi en secouant la tête. Mais je vais quand même me mêler de tes affaires parce que, que ça te plaise ou non, l'avenir de mon meilleur ami m'importe beaucoup.

- Toi, je sens que tu as une idée qui ne va pas me plaire…

Toshi prit un air énigmatique et passa son bras autour des épaules de son ami en disant lentement :

- A partir de maintenant, Yo-chan, je me chargerai de te faire bosser. Et crois-moi, cela vaudra mieux que les cours de rattrapage du collège !

Yoshiki lui fit un sourire de démon :

- Toi, tu vas me donner des cours ? Tu craqueras avant moi !

- C'est ce qu'on va voir !

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Lunettes de soleil sur le nez, ses cheveux blonds dissimulés sous une casquette, Yoshiki se promenait incognito dans le quartier de Asakuza en pleine effervescence à l'occasion de la fête de Sanja Matsuri. Cette fête le fascinait quand il était petit à cause des chars, des costumes bariolés et du chahut qui régnait dans le quartier pendant les quatre jours que durait la fête. A cinq ans, le Kaminarimon ou Porte du Tonnerre, l'impressionnait avec sa lanterne rouge qui ressemblait à un œil unique. De longues années après, la fête était toujours la même sauf qu'il venait avec l'innocence en moins.

Alors qu'il passait à proximité de la rivière Sumeda, il reçut un énorme choc en voyant qui était en train de chanter sur l'estrade réservée à l'animation de la fête. La surprise fut si forte qu'il resta cloué sur place pendant une bonne minute, persuadé qu'il était en train de devenir fou. Pourtant, si ses yeux pouvaient être victimes d'une hallucination, ce ne pouvait pas être le cas de ses oreilles. Et il aurait reconnu entre mille cette voix unique. Elle avait gardé la même pureté, la même émotion…Il fendit la foule et se faufila jusqu'au premier rang des quelques curieux qui écoutaient. Il le retrouvait enfin depuis tout ce temps : Toshi.

Il avait les cheveux plus courts qu'avant et le visage fatigué mais à part ça, c'était toujours le même homme qui hantait ses pensées. Yoshiki ne connaissait pas cette chanson. Ce n'était pas un morceau venant des albums de Toshi. En fait, sans sa voix, elle était absolument nulle et le guitariste morose qui l'accompagnait devait sortir tout droit d'un club de musiciens amateurs. Cela expliquait sans doute pourquoi si peu de gens semblaient intéressés par le spectacle. La plupart partaient au bout de deux minutes ou même ne s'arrêtaient pas du tout. Une grosse boule se forma dans la gorge de Yoshiki en pensant qu'autrefois Toshi était capable de faire pleurer ou de rendre hystérique des milliers de personnes à la fois. Comment en était-il arrivé là ?

Il se posta bien en face de Toshi, escomptant qu'il finirait par poser son regard sur lui. Au moment où le chanteur tourna la tête vers lui, Yoshiki enleva brièvement ses lunettes et le regarda droit dans les yeux. Il sut tout de suite qu'il avait réussi en voyant l'expression de Toshi. Celui-ci n'en cessa pas moins de chanter mais il ne lâcha plus Yoshiki des yeux.

Dés la fin de la chanson, Yoshiki n'écoutant que son envie, se précipita sous l'espèce de bâche qui dissimulait des coulisses au moment où Toshi arrivait. Leur premier mouvement fut de se jeter dans les bras l'un de l'autre. Submergé par l'émotion, Yoshiki laissa échapper des larmes de joie qui tombèrent sur les épaules du chanteur. Ce dernier le serra de toutes ses forces en murmurant son nom dans le creux de son cou. Au bout d'un long moment, Yoshiki desserra un peu son étreinte et prit le visage de Toshi dans ses mains comme pour bien s'assurer qu'il ne rêvait pas. Les yeux noirs de son ami étincelaient.

- Toshi… tu m'as manqué, murmura-t-il d'une voix rauque.

- Toi aussi, répondit le chanteur avec un sourire plein de larmes. Yoshi-chan,….gomen…

Toshi ne put continuer et reprit brusquement Yoshiki contre lui.

- Tu n'as pas bonne mine, lui chuchota Yoshiki. Qu'est-ce que tu fabriques ici ? Ne me dis pas que tu en es réduit à courir les festivals ! Ta voix mérite mieux que ça !

Toshi secoua la tête et étouffa un sanglot qui alarma Yoshiki :

- Toshi qu'est-ce qui t'arrives ? Pourquoi tu ne me donnes plus de nouvelles ? Je n'arrive pas à te joindre depuis des années ! Dis, on est toujours amis ?

- Toshimitsu !

Le chanteur sursauta et repoussa précipitamment Yoshiki. Un homme d'une cinquantaine d'années, vêtu d'un costume trois-pièces, venait d'apostropher Toshi d'une voix de stentor. Il était assez costaud avec une expression rude et mauvaise sur le visage. Il lança :

- C'est qui celui-là ? Un de tes amis ?

Au grand effarement de Yoshiki, Toshi répondit en essayant de cacher ses larmes :

- Non Ketsuya-sama, c'est l'un de mes anciens fans qui m'a reconnu.

Le dénommé Ketsuya poussa un grognement :

- Ouais et ben file-lui un autographe et renvoie-le, on n'a pas que ça à faire !

- Bien monsieur.

L'autre jeta un regard noir à Yoshiki avant de disparaître. Aussitôt, Yoshiki empoigna Toshi par les épaules :

- C'était quoi ça ? s'écria t-il. Pourquoi tu n'as pas dit la vérité ? C'est qui ce connard qui se permet de te parler comme ça !

- Yoshi-chan, il faut que tu partes immédiatement sinon on va avoir de gros problèmes ! répondit Toshi en prenant Yoshiki par le bras pour l'entraîner vers la sortie. Mais ce dernier se débattit :

- Quels problèmes ? Toshi réponds-moi merde ! Qu'est-ce qui se passe ?

Toshi souleva la tenture et poussa Yoshiki dehors :

- J'ai déménagé et j'ai changé de numéro, déclara-il précipitamment. Va-t-en s'il te plaît et ne cherche pas à en savoir plus. Nous ne devons plus nous voir !

A ces mots, Yoshiki crut qu'il allait s'effondrer.

- Pourquoi ?...

Toshi avait fermé son visage et évitait de le regarder.

- Fiche le camp…

Yoshiki se sentit partir en lambeaux. Toshi le chassait, Toshi ne voulait plus le voir…

Il s'enfuit.

La nuit le trouva agenouillé devant la tombe de Hide. Il avait disposé de magnifiques roses rouges dans les vases et avait apporté une bouteille de vin français en sachant que son ami l'appréciait beaucoup. Les mots de Toshi martelaient son esprit comme autant de coups de couteau. Il en était même à se demander s'il n'avait pas rêvé ce qui s'était passé tellement cela avait été intense et cruellement bref. Et pourtant non. Ses mains se souvenaient trop bien du tissu de sa chemise à laquelle il s'était accroché et de la chaleur qu'il dégageait contre lui. Encore sous le choc, il pleura longtemps et s'enivra tout en portant un toast à son ami défunt qui lui souriait dans son cadre.

- Hide ? Hide !

- Oh Yoshiki… ça me rend triste te voir dans cet état. T'es affalé sur ma tombe. T'es bien gentil d'avoir apporté du vin mais moi, je ne peux pas trop en profiter. C'est de l'arnaque ses histoires d'offrandes !

- Dis moi, c'est comment mourir ?

- Je ne l'ai jamais su. J'étais bourré et je me suis endormi avec cette putain de serviette autour du cou. Je n'ai rien vu venir, rien senti. En quelques secondes, je suis passé de Hide le musicien à pur esprit.

- Je peux venir aussi ?

- Qu'est-ce que tu racontes ? Tu veux mourir à cause de Toshi ? Mais baka ! Tu n'as pas vu qu'il va mal et qu'il cache quelque chose de grave ? Si tu l'aimes tant que ça, ne lâche pas et essaie de savoir ce qu'il a.

- Il ne veut plus me voir.

- Je suis sûr qu'il y a autre chose. Il tient toujours autant à toi, ça crève les yeux ! Il fallait voir comment il t'a serré dans ses bras ! Aide-le Yoshi-chan…

- Je sais pas…j'arrive plus à réfléchir… j'crois que je suis en train de m'endormir…

- Tu m'étonnes ! T'es bourré comme un coing !

- Bisous Hide…