Chapitre VII/
Un vacarme épouvantable retentissait dans les couloirs de l'hôtel. Heureusement, tout l'étage concerné avait été réservé au logement des membres de X-Japan. Toshi qui revenait de la salle de restaurant, fut immédiatement interpellé au sortir de l'ascenseur par un Hide affolé :
- Toshi, il faut que tu fasses quelque chose ! Yoshiki a pété les plombs ! Il s'est enfermé dans sa chambre et il est en train de tout casser !
- Que s'est-il passé ? voulut savoir Toshi en suivant son ami au pas de course.
- J'en sais rien ! J'ai voulu lui demander mais il ne m'a même pas ouvert.
- Il ne t'a rien dit ?
- Si….d'aller me faire foutre ! acheva Hide moitié triste, moitié vexé.
Ils étaient arrivés devant la porte de Yoshiki à travers laquelle on entendait régulièrement des bruits de casse : verre brisé, meubles renversés etc…
Inquiet mais aussi agacé car ce n'était pas la première fois, (les coups de colère de Yoshiki commençaient à devenir proverbiales), Toshi fit un signe de tête encourageant à Hide :
- Ne t'en fais pas, tu sais qu'il ne le pensait pas. Je vais essayer de le calmer.
Il cogna vigoureusement à la porte :
- Yoshiki ! Arrête tes conneries et ouvre-moi !
La voix de son ami brailla à travers la cloison :
- La ferme ! Laisse-moi tranquille !
Sur ses entrefaites, le responsable de l'hôtel arriva, le visage furieux suivit de Pata et Heath. Il ne fallut pas longtemps aux deux musiciens pour comprendre ce qu'il se passait :
- Putain… il recommence ! grogna Pata en passant une main lasse dans ses longs cheveux.
Le responsable, munit d'un passe-partout, se retourna vers lui et demanda sèchement :
- Ca lui arrive souvent ce genre de crise d'humeur ? Je vous préviens qu'il aura des ennuis s'il a détruit la chambre ! L'une des meilleures de l'hôtel !
Toshi, qui était déjà assez tendu, sentit la moutarde lui monter au nez :
- Je ne comprends pas ce qu'il a mais je vais lui parler, rétorqua-t-il. Donnez-moi votre clef, je veux le voir seul à seul. Je vous promets qu'il paiera tout ce qu'il a cassé.
L'homme renifla d'un air pas tout à fait convaincu mais il remit la clef à Toshi qui ouvrit la porte, entra et la referma derrière lui.
Au premier pas, il faillit trébucher contre un barreau de chaise brisée. Il fut estomaqué en voyant l'état de la pièce. On aurait cru qu'un typhon y était passé : meubles renversés, vases brisés, rideaux déchirés et vitres cassées qui laissaient passer la brise fraîche du soir. La seule chose qui semblait avoir été épargnée était le piano que Yoshiki exigeait toujours que l'on installe dans sa chambre. Mais de nombreux feuillets de partitions manuscrites jonchaient le sol. Au fond de la pièce, misérablement affalé dans un fauteuil trop massif pour avoir été détruit, Yoshiki, ivre mort et cigarette au bec, lui lança un regard vitreux :
- Keceketufoulàtoi ? marmonna-t-il. Fout l'camp !
Toshi enjamba le capharnaüm et alla droit sur Yoshiki qu'il gifla de toutes ses forces :
- Mais tu es tombé sur la tête ou quoi ! cria-t-il. Tu n'as pas honte ! Regarde-toi, on dirait un ivrogne ! Qu'est-ce qui t'a pris de faire ça ?
La gifle semblait avoir eu l'effet escompté car Yoshiki retrouva assez de raison pour expliquer d'un ton morne :
- Je voulais faire une chanson pour mon père… Je repense à des tas de trucs… En plus, j'arrive plus à composer !
Il jeta rageusement sa cigarette :
- Merde ! C'est comme si je n'avais fait de musique de ma vie !
Toshi savait que c'était là la phobie de Yoshiki : la hantise de la feuille blanche. Il était terrifié par l'idée de perdre un jour l'inspiration et la faculté de composer. Cette angoisse n'avait aucun fondement mais Yoshiki avait quand même très peur que cela lui arrive. Il avait les larmes aux yeux et essayait maladroitement de le cacher. Toshi sentit sa colère s'évanouir car il savait mieux que personne que Yoshiki avait dû faire appel à des souvenirs qu'il s'était efforcé d'enterrer au plus profond de lui : il ne s'était jamais totalement remis du suicide de son père. Avec sa sensibilité à fleur de peau, Yoshiki avait évidemment très mal réagi au réveil du traumatisme.
Radouci, Toshi s'accroupit près de lui et comme il lui prenait la main, il vit qu'elle était écorchée :
- Tu t'es coupé avec le verre ?
Yoshiki secoua la tête. Ses cheveux qu'ils avaient coupés courts retombèrent en mèches rebelles devant ses yeux :
- Non, c'est le piano…Je me suis énervé dessus…
Toshi soupira. Il avait encore tapé comme un malade sur le clavier. Au moins, la crise était passée et il ne s'était pas fait plus de mal. D'un geste affectueux, il ramena une mèche gênante derrière l'oreille de Yoshiki et lui dit :
- Tu vas y arriver… Il faut juste que tu te calmes et que tu dessaoules. Laisse tomber pour ce soir et repose-toi. Tu nous as vraiment fichu la trouille, tu sais ?
Yoshiki resta sans réaction pendant quelques secondes puis il posa enfin son regard sur Toshi :
- T'as raison… Je suis épuisé mais… Faut que j'aille d'abord m'excuser avec Hide pour l'avoir jeté.
- Bonne idée, approuva Toshi en souriant. Mais tu vas avoir affaire au patron de l'hôtel aussi.
- Et merde ! fit Yoshiki qui contempla sa chambre comme s'il la voyait pour la première fois. Et soudain, un rire lui échappa :
- Le bordel que j'ai mis ! Ca va me coûter les yeux de la tête !
Toshi fit une grimace amusée qui signifiait : « C'est clair ! »
Yoshiki se leva mais il vacilla presque aussitôt, pris de vertige. Toshi l'attrapa et le soutint :
- Doucement ! Respire un bon coup, ça va passer !
Yoshiki ferma les yeux et aidé de Toshi, il alla s'effondrer au bord de son lit. Allongé sur le dos, il se força à respirer et à calmer l'impression qu'il avait d'être embarqué dans un manège incontrôlable. Toshi s'assit près de lui et saisit une rose, tombée d'un vase renversé sur le matelas. Il en caressa les pétales, appréciant leur douceur et dit :
- Il y a de l'eau sur ton lit et plein de petits bouts de verre. Il vaut mieux que tu dormes dans ma chambre ce soir.
Yoshiki accepta d'un signe de la tête puis il se redressa précautionneusement et se remit sur ses pieds :
- Bon, ça va mieux…
Avec Toshi, il sortit de la chambre. Ivre comme il était, il se trouva incapable de s'empêcher d'éclater de rire devant le spectacle qui l'attendait dans le couloir : la mine colérique du patron et celles inquiètes de ses amis. Ceux-ci furent aussitôt soulagés de le voir mais en revanche, le patron, qui n'appréciait pas du tout de le voir rire, avait l'air prêt à lui coller une droite. Heath jeta un œil à la pièce dévastée :
- Oh la vache ! Là, tu as fais fort grand chef !
Le responsable faillit exploser mais Yoshiki le stoppa tout de suite en confirmant qu'il paierait tout ce qu'il faudrait au moment de quitter l'hôtel. Le bonhomme ne pouvait donc rien faire de plus que se retirer, ce qu'il fit en maugréant.
Hide accepta sans rancune les excuses de Yoshiki, trop content que tout se termine bien et les cinq garçons purent enfin aller se coucher. Yoshiki fila dans celle de Toshi qui partit prendre sa douche en lui disant de se mettre à l'aise et de regarder la télé en attendant. Mais Yoshiki tomba sur le lit et s'endormit aussitôt d'un sommeil de plomb.
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Pour la première fois depuis de très longues années, Yoshiki nageait dans le bonheur. Lui pour qui la mélancolie était devenue une seconde nature, goûtait enfin à la joie incomparable d'être fou amoureux et de se voir aimé de la même façon. La solitude, le poids du passé, ses démons intérieurs…tous disparaissaient lorsqu'il retrouvait Toshi et qu'ils rattrapaient de leur mieux les années perdues.
Objectivement, tout n'était pas rose parce qu'ils ne se montraient jamais en public et attendaient toujours le moment où Toshi serait libéré à la fois de sa femme et de Masaya. Mais Yoshiki vivait dans une telle euphorie que cela n'avait plus d'importance et ces retrouvailles secrètes lui donnaient l'impression d'être redevenu un adolescent. Il sentait comme une sorte de talisman dans sa poitrine qui brûlait sans arrêt et lui donnait envie d'éclater de rire n'importe quand ou de hurler son bonheur du haut du Mont Fuji pour que tout le monde soit au courant.
La nouvelle de son retour s'étant répandue, il avait été invité à de nombreuses émissions de télé où il s'était montré bien plus enjoué qu'à l'accoutumée. Toshi et lui se voyaient chez Yoshiki le plus souvent possible, ce dernier ayant recours à toute son imagination pour mentir à sa femme. Ils se retrouvaient dans l'appartement et fermaient à double tour les portes et les volets ; ils se coupaient du monde réel pour mieux entrer dans le leur et là, ils s'aimaient.
Lorsque Toshi repartait, Yoshiki restait encore enfermé, ne voulant pas revenir tout de suite dans le monde réel. Il s'installait à son piano et jouait jusqu'à l'épuisement. Toutefois, les mélodies plaintives de Schuman qui s'accordaient si bien avec son âme d'autrefois avaient été remplacées par les danses étourdissantes des compositeurs russes. Des heures durant, l'atmosphère feutrée de l'appartement devenait celle d'un surnaturel bal de notes en folie.
Un jour qu'il était chez Heath et qu'ils discutaient pour la énième du moyen d'aider Toshi, le bassiste émit l'idée de frapper un grand coup en déballant l'histoire à la presse après avoir mis Toshi à l'abri de tout danger (car Heath croyait toujours que le chanteur était menacé de mort) :
- Si l'opinion publique s'empare de cette affaire, la police n'aura pas d'autre choix que d'agir, déclara-t-il. On filera aux flics une liste de noms fournie par Toshi et ils n'auront plus qu'à procéder aux arrestations !
- Ton idée a du bon, approuva Yoshiki en sirotant un bol de saké, mais elle est risquée. Toshi ne connaît pas tous les responsables de Masaya, pas même le gourou. Imagine que les flics n'arrivent pas à retrouver tout le monde ? Il sera obligé de se cacher toute sa vie par peur d'éventuelles représailles.
Heath soupira et croisa les bras d'un air morose :
- Pffff ! Ca craint vraiment tout ça…Tu suggères quoi ? D'agir plus discrètement ?
Yoshiki haussa les épaules en soupirant. C'est alors qu'une drôle d'idée lui vint :
- Dis…tu vas croire que j'ai bu trop de saké mais…si j'achetais la liberté de Toshi ?
Heath leva les sourcils en accents circonflexes :
- QUOI !
Yoshiki écarta une mèche rebelle de devant ses yeux et expliqua :
- Ecoute, ce que Ketsuya voulait de Toshi c'était sa notoriété et son argent. La première a sérieusement décrue depuis qu'il bosse pour Masaya et il est ruiné. Si j'arrive à soudoyer Ketsuya, peut-être qu'il acceptera de le laisser partir ?
Le visage de Heath exprimait clairement son incrédulité :
- Non, non, non, terrain glissant ! Premièrement, qu'est-ce qui pourrait empêcher Ketsuya de vous descendre après avoir reçu le fric ? Tu ne comptes quand même sur sa parole d'honneur non ? Deuxièmement, tu imagines un peu la somme qu'il risque de te demander !
- Je suis millionnaire, déclara simplement Yoshiki. Je serais prêt à payer tout ce qu'il faudrait pour sauver Toshi.
Il se pencha en avant, coudes sur les genoux et menton dans les mains :
- Mais tu as raison sur le premier point, ce n'est vraiment pas un bon plan. Merde…je sais pas quoi faire…
Heath l'observa un moment comme si une pensée le turlupinait. Finalement, il demanda avec hésitation :
- Yoshiki…surtout ne te vexe pas, je me fais peut-être des idées mais…il y a une question que j'aimerais te poser depuis un moment.
- Ah oui ? fit Yoshiki, curieux, quelle question ?
- J'ai toujours trouvé que Toshi et toi, vous étiez vraiment très proches. Rien d'étonnant puisque vous vous connaissez depuis la maternelle mais depuis ton retour, je me demande si…ça ne va pas plus loin que la simple amitié. Plus je t'écoute parler et plus je sens que tu serais prêt à risquer ta vie pour Toshi.
Yoshiki était un peu surpris et embarrassé : il s'était découvert à ce point-là ? Mais qu'on en était là, mieux valait tout avouer à Heath puisque Yoshiki savait qu'il n'avait pas de problèmes avec ce genre de choses. Il sourit en se grattant la tête :
- Bon ok, je peux bien te le dire maintenant : Toshi et moi, on est ensemble.
- Carrément ! s'écria Heath. Mais depuis quand ?
- Depuis quinze jours.
- Tu me fais marcher là ?
- Pas du tout ! assura Yoshiki qui commençait à s'amuser. Tu veux savoir comment c'est arrivé ?
- Un peu que je le veux ! Allez raconte-moi tout !
Et Yoshiki raconta. Quand Heath compris qu'il aimait Toshi depuis plus de dix ans, il fut stupéfait :
- Wouah…toi alors, t'as bien caché ton jeu ! Personne ne s'en est jamais douté dans le groupe.
- Oh si…dit Yoshiki. Hide l'avait compris déjà et il m'a presque forcé à tout lui dire. C'était le seul avec qui je pouvais parler de ça. Mais maintenant, je vais te demander le même serment qu'à lui : surtout n'en parle à personne.
Heath mit la main sur son cœur avec gravité :
- Promis juré, je ne dirais jamais rien.
Au fond, Yoshiki était plutôt content d'avoir pu se confier à Heath. C'est toujours un peu désagréable d'être heureux et de ne pas pouvoir dire pourquoi. Ils continuèrent à discuter mais la journée s'acheva sans qu'ils avancent d'un iota sur la manière de secourir Toshi. Yoshiki se sentait un peu comme en manque d'inspiration et commençait à s'énerver contre lui-même. Plus il y pensait et plus l'idée de Heath de provoquer un scandale sur Masaya ne lui paraissait pas si mauvaise que cela. C'était en tout cas, une meilleure idée que celle qu'il avait eue. Il n'osait pas penser à la réaction de Toshi si Yoshiki avait payé Ketsuya pour qu'il le laisse tranquille. Toshi avait quand même sa fierté et quel homme aurait supporté d'être « acheté » ainsi même par celui qu'il aimait ?
Malheureusement, Yoshiki n'eut pas le temps de creuser davantage le problème. Trois jours après sa visite à Heath, il fut invité au journal de vingt heures. Après l'interview, il sortit des studios et parcourut les quelques mètres qui le séparaient de sa voiture garée le long du trottoir. Soudain, une grosse voiture noire arriva à toute allure et ralentit à sa hauteur. Il n'eut même pas le temps de comprendre ce qui lui arrivait.
Un coup de feu claqua dans la rue…
- Oh non ! Yoshiki ! Accroche-toi, je t'en supplie !
- Hide, je te vois ! Je te vois enfin !
- Non ! Je t'interdis de t'approcher ! Va-t-en ! Tu ne peux pas me rejoindre, pense à Toshi !
- Je me suis fait tuer c'est ça ? J'ai même pas vu qui c'était…Putain…Toshi…
- Tu n'es pas encore mort idiot ! Alors je ne veux pas que tu me rejoignes, tu m'entends ? Tiens bon !
- Je ne veux pas mourir maintenant !
