Chapitre VIII/
Yoshiki était au studio. Derrière la vitre, il écoutait Toshi faire des essais pour l'enregistrement de Dahlia. Comme d'habitude, sa voix seyait à merveille aux compositions du blond comme si elle ne devait jamais chanter autre chose. Pourtant, Yoshiki était d'humeur sombre car entre lui et Toshi, rien n'était plus comme avant depuis que son ami était tombé amoureux d'une actrice nommé Kaori. Et Yoshiki s'était rendu compte depuis quelque temps qu'il éprouvait des sentiments très forts pour Toshi, bien trop forts pour qu'ils ne soient qu'amicaux. Il n'aurait pas su dire quand cela avait commencé. C'était arrivé doucement, sans qu'il s'en rende compte et, un jour, à force de rêver de Toshi, il avait dû regarder son cœur en face. Pourquoi l'aimait-il ? C'était un ensemble de choses : sa gentillesse, son grand cœur, sa patience d'ange, sa présence apaisante, la façon il le faisait se sentir bien avec un seul mot ou une étreinte. Toshi était le seul à connaître et à savoir chasser les tourments qui faisaient souvent rage dans l'âme de Yoshiki. Il supportait son sale caractère au travail, il le connaissait par cœur et lui pardonnait toujours toutes ses folies.
En fin de compte, bien qu'il fût le leader officiel de X, Yoshiki savait que Toshi lui était essentiel.
D'abord, c'est par sa voix, que la musique de Yoshiki prenait vie. Toshi savait interpréter les mots de Yoshiki mieux qu'il ne l'aurait jamais fait lui-même. Ils étaient parfaitement complémentaires. Ensuite, Yoshiki avait besoin de le voir tous les jours, n'était-ce que pour parler de banalités. C'était une routine bienfaisante qui l'ancrait dans la vie et l'empêchait de s'enfoncer dans les ténèbres qui le guettaient perpétuellement au fond de lui. Une journée sans Toshi était incomplète, un peu comme une esquisse inachevée.
Le voir avec une femme était la pire des tortures que Yoshiki avait jamais eu à endurer. En plus, cette femme détestait le groupe et elle éveillait en Yoshiki l'angoisse sourde qu'un malheur n'allait pas tarder à arriver et que le meilleur de l'histoire était désormais passé.
Après les essais, Toshi rejoignit le batteur de l'autre côté de la vitre.
- Tu en penses quoi ? demanda-t-il.
Yoshiki émergea difficilement de ses sombres pensées et répondit :
- Ce sera le meilleur album qu'on ait jamais fait.
- Cool …dit Toshi en remettant sa veste.
Yoshiki se détourna pour cacher l'altération de son visage. Et voilà, ça recommençait ! Toshi allait partir et le laisser là. Autrefois, il serait resté pour discuter avec lui et peut-être même qu'ils seraient allés boire un coup pour rentrer ensuite ivres et complices. Mais maintenant, Toshi prenait ses distances et disparaissait dés que l'on avait plus besoin de lui.
Hide, Heath et Pata avaient bien remarqué le manque d'intérêt qu'il prenait à l'album et cela les agaçait de plus en plus. Eux non plus n'aimaient pas Kaori et la soupçonnaient d'avoir une mauvaise influence sur Toshi. L'ambiance pourrissait et Heath avait même copieusement engueulé le chanteur au téléphone le jour où il oublia de venir au studio parce qu'il déjeunait avec sa petite amie. Hide servait de confident à Yoshiki et essayait parfois de jouer les médiateurs.
Yoshiki observa Toshi qui s'apprêtait à partir :
- Tu t'en vas déjà ?
- Tu as encore besoin de moi ? demanda celui-ci d'un ton badin.
- Non.
- Tant mieux parce que je dois rejoindre Kaori.
Yoshiki ne put retenir une remarque acide :
- Ah oui ! Tu seras privé de dessert si tu arrives en retard ?
Toshi se figea et fronça les sourcils :
- Hé ! Je t'ai déjà dit de ne pas parler d'elle sur ce ton !
- Moi je n'aime pas ce qu'elle a fait de toi ! rétorqua Yoshiki sans bouger et en le fixant droit dans les yeux. On dirait un fils à maman, c'est pathétique…
Toshi vint se planter devant lui, les mains sur les hanches et la voix dure :
- T'as décidé d'être chiant ce soir ? J'en ai marre que toi et les autres, vous soyez sans cesse en train de critiquer mon couple ! Que ça vous plaise ou non, je resterai avec Kaori et il va falloir vous y faire !
Soudain, il fouilla dans sa poche et en sortit un écrin de velours bleu qu'il ouvrit et mit sous le nez de Yoshiki. Ce dernier crut qu'on lui écorchait le cœur quand il vit la superbe bague que contenait la boîte :
- Toshi…gémit-il d'une voix faible.
- Je vais la demander en mariage ce soir, déclara brutalement le chanteur en refermant l'écrin. C'est mon choix, ma vie et je ne permettrai à personne, même pas à toi, de se mêler de ça !
Jamais Toshi ne lui avait parlé aussi froidement. C'était comme si leur amitié d'enfance n'avait jamais existée et que Yoshiki n'était plus pour lui qu'un gêneur. Yoshiki se sentit partagé entre l'envie de le frapper méchamment et celle de se mettre à hurler de douleur. Incapable de supporter plus longtemps la vue de Toshi et de ses yeux noirs remplis de colère, il lui tourna le dos et lança d'une voix déformée par la souffrance :
- Félicitations ! Pas de doutes, vous faites un couple parfait ! Elle va te rendre heureux !
Toshi ne put manquer la note de sarcasme et répliqua :
- Absolument ! C'est la femme de ma vie ! Tu finiras peut-être par comprendre ce que c'est le jour où tu connaîtras réellement l'amour au lieu d'en faire des chansons !
Cette dernière attaque fit bondir Yoshiki comme un animal blessé. Dans un cri de rage, il hurla :
- FOUT LE CAMP !
Toshi ne sursauta même pas et sortit tranquillement. Après avoir entendu la porte claquer, Yoshiki glissa de sa chaise et s'effondra sur le sol, secoué par une violente crise de larmes.
Heath rentrait d'une nuit passée à faire la fête avec quelques amis dans une petite ville proche de Tokyo. Il était six heures du matin, il était passablement fatigué et roulait le long d'une autoroute monotone en direction de la capitale. Pour se tenir éveillé, il alluma la radio et tomba directement sur les informations :
- Chers auditeurs bonjour ! Toute d'abord cette nouvelle qui vient de nous parvenir :
L'ancien leader du groupe mythique X-Japan, Yoshiki Ayashi, a été victime en début de soirée d'une tentative d'assassinat. Selon les premiers témoignages, il aurait été victime d'un coup de feu tiré depuis une voiture alors qu'il rejoignait la sienne au sortir d'une interview pour le journal de 20 heures. La voiture, apparemment une Maserati noire, a aussitôt pris la fuite. Yoshiki Ayashi a aussitôt été transporté à l'hôpital Nord de Tokyo et serait dans un état grave.
- PUTAIN DE MERDE !
Heath reçut un tel choc à cette nouvelle qu'il faillit rentrer dans la voiture de devant qui ralentissait. Il changea ses plans et décida de se rendre immédiatement à l'hôpital. Il dût résister à la tentation d'exploser les limites de vitesse tellement il avait du mal à contenir sa panique. Il se posait mille questions sans aucune réponse et, les mains crispées sur son volant, il répétait sans trop savoir à qui il adressait cette supplique :
- Faites qu'il s'en sorte…
Arrivé à l'hôpital, il demanda son chemin à l'accueil et fonça aux urgences où Yoshiki venait d'être admis en salle d'opération. Là, dans le couloir, il tomba sur la mère de Yoshiki prostrée sur un banc devant la pièce où son fils était opéré. Il s'approcha prudemment, le cœur affolé d'angoisse car la mine de la femme reflétait le plus total égarement. Dans quel état se trouvait donc Yoshiki ?
- Mme Ayashi ?
Elle leva vers lui des yeux gonflés de larmes :
- Hiroshi ?
Elle voulut se lever pour le saluer mais la force lui manqua. Heath lui indiqua d'un geste que ce n'était pas la peine et s'assit à côté d'elle :
- Je viens d'apprendre par la radio…Comment va Yoshiki ?
Elle refoula une montée de larmes pour expliquer d'une voix tremblante :
- Je ne sais pas ce qui s'est passé…on lui a tiré dessus…La police est en train d'enquêter. Il…a reçu une balle qui lui a perforé le poumon…On l'avait déjà opéré dés son arrivée mais ils se sont rendus compte qu'il restait encore un éclat de balle très près du cœur, alors ils l'ont vite ramené ici…
La gorge de la pauvre mère se brisa et elle enfouit son visage dans ses mains :
- On ne me laisse pas entrer, je ne sais pas ce qui passe ! sanglota-t-elle. Oh par le Buddha, si je devais perdre aussi mon fils, je…
- Non, ne pensez pas à ça, intervint Heath en posant une main secourable sur l'épaule de la femme. On va le sauver, j'en suis sûr…On ne perdra pas Yoshiki…
Elle lui agrippa désespérément les mains :
- Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'on lui a fait ça ?
Heath sentit son estomac se contracter et secoua la tête d'un air impuissant. Non, il ne comprenait pas ce qui s'était passé. Du moins, il n'était pas sûr…mais un soupçon se formait dans son esprit dont il ne pouvait pas parler à la mère éplorée à côté de lui. Il n'y avait qu'une personne qui saurait le confirmer…
Au bout d'un interminable moment, les deux battant de la salle d'opération s'ouvrir sur un brancard poussé par deux infirmières. Heath reçut une nouvelle secousse en y découvrant Yoshiki, inconscient et perfusé avec un masque à oxygène sur le visage.
Aiko Ayashi se précipita sur son fils et interrogea d'une voix blanche le chirurgien qui venait de sortir. Ce dernier annonça d'un ton rassurant :
- Nous avons réussi à retirer l'éclat. Votre fils est hors de danger.
- C'est vrai ? s'écria Aiko en joignant les mains. Oh grâce au ciel… !
Heath, resté en retrait, crut qu'il allait tomber de soulagement. Il s'avança vers le chirurgien :
- Il va se réveiller bientôt ?
- Pas avant plusieurs heures. Nous l'emmenons tout de suite en salle de réveil. Vous êtes de la famille ?
- Euh non…avoua Heath. Je suis un ami.
- Dans ce cas, veuillez m'excuser mais seuls les membres de la famille sont autorisés à entrer dans cette salle.
Aiko lança un regard désolé au bassiste qui hocha la tête avec un bref sourire :
- Ce n'est pas grave…Au moins, je sais qu'il est sauvé. Allez avec lui, il voudra sûrement vous voir en se réveillant.
Elle lui étreignit le bras avec reconnaissance :
- Merci d'avoir été là… Je le dirais à Yoshiki et je vous ferai prévenir quand il aura repris conscience.
- Ok…
Aiko s'éloigna avec le brancard. Resté seul, Heath prit le chemin de la sortie avec une seule idée : trouver Toshi.
Il n'eut même pas besoin de sortir de l'hôpital. En effet, au moment où il traversait le hall d'attente, il vit les portes automatiques s'ouvrit sur un Toshi débraillé, pas rasé et complètement affolé. Il se précipita vers Heath :
- Tu es là ! Comment va Yoshiki ? Est-ce qu'il va s'en sortir ?
- Calme-toi, dit le bassiste en le prenant par les épaules. Il vient d'être opéré mais le chirurgien a dit qu'il était hors de danger.
Tohi poussa un long soupir et tomba sur la chaise qui se trouvait derrière lui…avant de relever brusquement :
- Il faut que je le voie !
Mais Heath l'arrête en l'attrapant par le coude :
- Oh non, tu ne pourras pas maintenant ! Il est en salle de réveil et ils ne laissent entrer que la famille. Rassied-toi plutôt, tu ne peux rien faire de plus pour l'instant et j'ai des questions à te poser.
Toshi voulut protester mais il se rendit vite compte que Heath avait raison. Alors il se rassit, Heath à sa droite. Le bassiste reprit à mi-voix car il y avait quand même plusieurs personnes qui se promenaient autour d'eux :
- Je suis au courant pour toi et Yoshiki. J'avais quelques doutes et je l'ai poussé à tout me raconter. Franchement, je suis content pour vous donc tu vois que tu peux tout me dire maintenant.
Toshi ne répondit que par un petit signe de tête puis le bassiste poursuivit :
- Toshi, j'aimerais que tu me dises si tu sais pourquoi Yoshiki a été agressé. J'ai le sentiment que c'est à cause de Masaya.
Les traits du chanteur se contractèrent. Il s'appuya sur ses coudes avec le menton dans ses deux mains croisées et répondit, le regard baissé sur le sol :
- C'est ce que je pense aussi mais je n'ai pas la moindre preuve. Kaori a passé la nuit chez Ketsuya. Oh, j'y suis habitué ! précisa-t-il devant le haussement de sourcil de Heath. Nous n'avons presque plus de vie de couple à vrai dire. Cependant, j'ai l'impression qu'elle a deviné pour Yoshiki et moi.
- Comment aurait-elle fait ?
- Elle n'est pas idiote tu sais. Déjà, tout le monde sait que Yoshiki est au Japon en ce moment. Ensuite, il est vrai que je me suis souvent absenté pour le voir ces derniers temps. J'ai toujours trouvé des prétextes pour expliquer mon absence mais il se peut très bien qu'elle ait fait le rapprochement bien qu'elle n'ait rien dit du tout. Je ne me suis peut-être pas montré assez convaincant, je ne sais pas. C'est une actrice et moi, je suis un mauvais menteur…
- Et ensuite ? Admettons qu'elle ait compris. Elle se serait vengée sur Yoshiki ? Je croyais que c'était toi qui étais menacé si tu le revoyais.
- Merde, c'est vrai que tu n'es pas au courant…marmonna Toshi. En fait, je n'ai pas dit toute la vérité le jour où vous êtes venus chez moi puisque tu ne savais pas que j'étais amoureux de Yoshiki. En réalité, c'est lui que Ketsuya a menacé. Kaori et lui savaient ce que je ressentais pour lui et ils m'ont dit qu'il mourrait si je partais ou si je tentais quoi que ce soit contre Masaya
- C'est pas vrai ! Yoshiki le savait !
- Bien sûr ! Je le lui ai dit le lendemain.
- Et donc, tu penses que…
- Que ce soir, Kaori a raconté à Ketsuya que j'avais renoué contact avec Yoshiki. Sadique comme il est, il aura sûrement voulu me prouver que ce n'était pas une menace en l'air qu'il avait proférée et il est allé lui tirer dessus. Lui ou l'un de ses sous-fifres.
- Bon sang…Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
Toshi réfléchit à voix haute, l'air de plus en plus sombre :
- Tout ça ne sont que des hypothèses mais…je suis persuadé de ne pas me tromper. Quelle autre raison pourrait-on donner à ça ?
Il se serra les dents :
- Mais il a raté son coup. Yoshiki est vivant et en sécurité ici. Plus rien ne me retient maintenant.
Il se leva :
- Où vas-tu ? demanda Heath.
- Voir les flics ! gronda Toshi. Il faut que je leur raconte tout ça. Cette fois, je crois que ç'en est fini de Ketsuya. Si c'est bien lui le responsable, il va payer ce qu'il a fait à Yoshiki.
- Je viens avec toi !
Les deux amis sortirent au pas de course de l'hôpital.
- Je ne me sens pas bien… J'ai mal. Et en plus, je ne te vois plus. C'était mieux tout à l'heure.
- T'étais en train de mourir tout à l'heure !
- Ben c'était mieux.
- Idiot ! Estime-toi heureux de sentir quelque chose à nouveau !
- Te fâche pas, s'il te plaît...
- Je ne suis pas fâché. C'est juste que tu m'as fait très peur. T'imagines pas comme je suis soulagé que tu t'en sois sorti.
- Je sens que quelqu'un me sert la main.
- Ta mère est à ton chevet. Tu vas bientôt te réveiller. Promets-moi que tu prendras soin de toi maintenant. Je ne veux plus te voir à l'entrée du Paradis avant un très long moment, compris ?
- D'accord, je te le promets.
