Je rappelle encore la correspondance des noms :
Taikôbô : TaigongWang
Fugen : Puxian
GenshiTenson : Yuanshi le vénérable

Toujours pas de spoilers dans ce chapitre, si on sait qui est Puxian


Fugen aperçoit Taikôbô perché sur un rocher alors qu'il rentre chez lui pour la nuit - il l'attendait, constate-t-il. Son ami sait que c'est son chemin, mais bien sûr, cela ne l'empêche pas d'afficher un air profondément surpris.

"Tiens, Fugen ! Viens ici voir le coucher de soleil, il est absolument superbe !"

Fugen ne se fait pas prier, parce que le coucher de soleil est effectivement très beau, et parce que ce n'est pas son genre de refuser la compagnie de son meilleur ami. Pendant un instant, ils ne font que contempler le ciel qui prend sur l'horizon des teintes de rose, de jaune et de vert, le soleil orange qui disparait peu à peu, les fines toiles de nuages orangées elles aussi.

"Le soleil resemble à une pêche géante, comme ça." dit Taikôbô d'un ton rêveur, comme s'il avait le sentiment de dire quelque chose d'émouvant et de poétique. Fugen sourit doucement. Taikôbô sort alors d'une de ses poches une magnifique pêche.

"D'ailleurs, en y pensant, je gardais celle-là pour la partager avec toi ! Admire ma superbe technique de division ! Je maîtrise l'art de la pêche, nyehehe !"

Les quartiers sont en effet admirablement découpés par le brin d'herbe minuscule que Taikôbô cueille, à tel point qu'il semble y avoir un tour de prestidigitation derrière.

"Je ne t'ai pas vu aujourd'hui." dit Fugen en mordant un quartier.

"C'est bien dommage, en effet..." acquiesce Taikôbô, l'air un tout petit peu gêné. "Des fois, il y a des hasards malencontreux, dans la vie..."

"Je veux dire, à l'entrainement de GenshiTenson." précise Fugen, sans la moindre nuance de reproche ou d'aigreur dans sa voix douce.

"Eh, qu'est-ce que tu veux !" s'exclame Taikôbô d'un ton éminemment fataliste. "Entre mon glandouillage, mon flemmardage, mon bullage, j'ai le temps de rien faire !"

Fugen étouffe un petit rire, et Taikôbô poursuit.

"Après tout, qu'est-ce qu'il y a de vrai dans la vie, à part savoir se prendre du bon temps ? Une journée de repos, un coucher de soleil, une bonne pêche partagée avec son ami : il n'y a rien de plus important. Si je lui expliquais, GenshiTenson comprendrait qu'il est logique que je m'y consacre, il louerait ma sagesse, et me supplierait de ne plus jamais venir à un de ses cours ! C'est ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue. C'est comme ça que tout le monde vit, humains comme immortels."

"Il y a de nombreux humains qui trouvent leur bonheur à leur travail, ou à l'éducation de leurs enfants..." objecte tranquillement Fugen.

"Juste !" Taikôbo prend ici un ton qui parodie celui d'un professeur, et qui lui donne l'air profondément ridicule. "Parce qu'ils savent que leur travail peut servir aux autres, ou au monde. Ou parce qu'ils veulent que leurs enfants puissent connaître, justement, ce genre de petits bonheurs quotidiens. Tout se ramène à prendre du bon temps. Il faut donc, pour être un sage, avoir étudié cela aussi profondément que possible !"

Et Fugen s'émerveille de la façon dont son ami refuse de même sembler être sérieux, même quand ça en vaudrait la peine.

"C'est très important, vraiment très important." conclut Taikôbô, et son ton s'est adouci, il parle comme... lui-même.

"Tu y penses, pas vrai ?" demanda simplement Fugen. "Tu te prépares à partir ?"

Taikôbô se détend, n'essaie soudain plus de dissimuler. "He oui, le vieux sera bien forcé de m'envoyer faire autre chose, si je continue à sécher !" Puis plus bas : "J'aurai bien besoin de me souvenir de pour quoi je me bats, sur la terre de Dakki, de ce que je peux souhaiter pour les autres. Alors je fais des réserves."

Fugen lui sourit, mais il craint de ne pas pouvoir exprimer tout ce qu'il voudrait ainsi ; alors il pose la tête contre son épaule.

"Qu'est-ce... qu'est-ce que tu fais ?" lui demande Taikôbô, d'une très petite voix.

"Je t'aide à faire tes réserves de souvenirs." lui répond Fugen.

Taikôbô essaie de prendre un air malicieux, mais sa voix reste un peu étranglée. "Si tu troubles mon planning comme ça, je vais remplir mes stocks, je vais partir plus tôt..."

"C'est un risque à prendre." lui répond son ami, sa voix lointaine, teintée d'une touche de nostalgie. "Ce moment en vaut la peine, n'est-ce pas ?"

Taikôbô ne répond pas.

Mais aucun des deux n'a encore bougé alors que le ciel est devenu bleu sombre, et qu'on aperçoit déjà la première étoile.