Rappel pour les noms :
Taikôbô : Taigong Wang
Fugen : Puxian
Yôzen : Yangjian
Bukichi : Wuji
Suppushan : Sibuxiang

Les persos ne m'appartiennent toujours pas.

Cette partie était censé être sur le thème "Dispute", et j'ai triché, parce que vous les imaginez se disputer, vous, Taikôbô et Fugen ?

Accessoirement, c'est le plus proche du Yôzen/Taikôbô que j'écrirai jamais (même si on ne peut toujours pas parler vraiment de yaoi, c'est désespérant. Peut-être dans le dernier chapitre. J'espère encore.)


Taikôbô n'a parlé à personne depuis qu'il a donné ses indications pour qu'on reloge les immortels rescapés.

Il subit les assauts de deux nécessités contradictoires. Il a envie de penser à Fugen, encore et encore, de se rappeler le moindre des souvenirs qui leurs appartiennent. Mais il doit aussi faire en sorte qu'il ne soit pas mort en vain, et pour cela, il leur faut la victoire.

Et telles que sont leurs forces, ce n'est pas vraiment possible. Il faut qu'il trouve une idée. Il faut qu'il trouve quelque chose. Il faut qu'il cesse de se concentrer sur des souvenirs.

Et il reste à contempler le vide et les amas de pierres, y cherchant peut-être le quelque chose qui lui manque. Sans aucun succès. Sans avoir même la force d'essayer. Il se laisse aller, et il se rappelle...

Il ne se rend même pas compte que Yôzen l'a rejoint avant de sentir sur son épaule le contact d'une main. "Taikôbô ?"

Il ne tente même pas de faire semblant d'aller bien. Devant quelqu'un d'innocent, comme Suppushan ou Bukichi, il essaierait, sans doute. Mais Yôzen est trop intelligent pour être abusé - et il a largement assez de force pour ne pas avoir besoin de la bonne humeur de ses proches pour avancer.

"C'est à quel sujet ?" demande-t-il. En fait, ce serait peut-être mieux s'il y avait un problème mineur à régler, quelque chose qui puisse lui changer les idées.

"Tu ne vas pas bien." lui répond Yôzen. Non, en fait, il n'y avait rien à espérer. "Pour ça, je ne peux rien faire." dit-il amèrement.

Il sent alors un poids contre son dos, des bras qui se nouent autour de sa poitrine. "Je m'inquiète pour toi. Je ne suis pas le seul." Cela ne lui apporte aucun réconfort, au contraire. L'idée même que sa peine va ajouter à la peine d'autres personnes l'afflige, lui fait ressentir plus durement son impuissance, et c'est un cercle sans fin.

"Eh bien, je n'ai pas envie d'être réconforté par toi." dit-il, sans réussir à en faire une plaisanterie, sans réussir à dissimuler l'aigreur dans sa voix. Il doit trouver la force en lui-même ; c'est ce qu'il a toujours fait. Fugen n'a pas toujours été avec lui, n'est-ce pas ?

Yôzen semble blessé, sa voix est amère, presque agressive alors qu'il demande : "Qu'est-ce que tu veux, alors, Taikôbô ?" Puis elle devient plus douce, change de timbre, de ton. "Est-ce ceci ?"

Taikôbô ne se retourne pas, parce qu'il connait cette voix, il sait ce qu'il verrait. Il ne savait pas que Yôzen savait à ce point imiter les inflexions de voix, imiter la douceur nouvelle de ses mains autour de son cou ; mais il sait que ses imitations physiques sont parfaites, il sait que s'il se retourne il verra le visage de Fugen, ses cheveux pâles et ébouriffés, ses yeux lumineux, son sourire d'ange.

Il sait aussi que tout cela ne sera qu'une illusion, une image plaquée sur un coeur qui n'est pas le sien. Et pourtant, il veut se retourner, il veut le voir, il veut le serrer dans ses bras, il se déteste pour cela, et il déteste Yôzen pour lui faire ainsi ressentir sa faiblesse.

"Ne joue pas à ça avec moi !" s'exclame-t-il !

"Pourquoi ?" demande Yôzen.

"Cela ne m'intéresse pas. Pas du tout." ment-il, les dents serrées.

Yôzen ne relâche pas sa prise, mais reprend ses vraies intonations, un temps, et c'est déjà une délivrance. "Tu es incroyablement fort, ou tu fais semblant de l'être, Taikôbô. En ce moment, je donnerais beaucoup même pour la douce illusion que mon maître me prend dans ses bras." Il change à nouveau sa voix, qui redevient douce, éthérée, musicale. "Tu ne veux vraiment pas, Taikôbô ?"

Taikôbô prend une grande inspiration. Puis répond, durement. "Lache-moi. Je ne veux pas jouer avec ce qui n'est plus, et qui ne sera jamais plus."

Ca y est, Yôzen l'a laché. Peut-être a-t-il aussi repris sa vraie forme, probablement, parce que Taikôbô sent que sa respiration redevient normale - c'est-à-dire, légèrement douloureuse, comme toujours depuis que c'est arrivé, mais calme.

La voix de Yôzen est ironique, désabusée quand il répond : "Il me semble que c'est pourtant exactement ce que tu es en train de faire, à broyer du noir dans ton coin. Dis juste que tu ne veux pas de témoins, ce sera plus honnête !"

Si Taikôbô pouvait penser, même un tout petit peu, que ce n'est pas la vérité, il crierait sur Yôzen, lui faisant remarquer ses propres faiblesses, jusqu'à ce qu'il s'en aille, drapé dans sa fierté outragée.

Mais là, il est trop occupé à se concentrer sur les siennes, et se contente de ricaner. "Ma foi, tu ne changeras jamais. Même quand tu as raison, tu ne peux le montrer qu'en énervant les gens."

Yôzen ne répond pas, et Taikôbô ne sait pas s'il prend cela comme un compliment ou une insulte - en fait, il n'est pas sûr de ce qu'il en pense, lui. "Va-t-en, sinon je dirai des choses qui ne seront agréables ni pour toi, ni pour moi."

Contre toute attente, Yôzen fait ce qu'on lui demande. Il a vraiment le don pour être exaspérant, pense Taikôbô, et ne pas laisser aux gens l'occasion de se défouler ensuite. C'est presque dommage pour lui qu'on ne puisse pas en faire une profession.

Cependant, il doit dire qu'il le remercie, d'une certaine façon.

Parce que dans sa tête, les images de Fugen viennent de perdre les couleurs de l'obsession pour reprendre les tons pastels des souvenirs passés. Pour redevenir ce qu'ils sont - juste des images, des images précieuses, mais qui ne lui dissimulent plus l'instant présent, parce qu'il vient de s'en faire tristement rappeler la valeur.

Et il sourit presque alors qu'il se dit : oui, je devrais pouvoir trouver quelque chose.

Fugen, je pense que je ne vais pas te regarder beaucoup, pendant un moment.

Mais toi, si tu peux, de là où tu es, regarde-moi.

Je te promets que cela en vaudra la peine.