Chapitre 2 : Déménagement

« Trois déménagements valent un incendie. »
Benjamin Franklin

Juin, seconde semaine

Koori posa le carton qu'il tenait sous son bras gauche devant dans la troisième chambre, ou la deuxième, ça dépendait de quel côté de la maison on arrivait, en tout cas c'était celle de Kareha, et c'était tant mieux vu que le nom de celle-ci était inscrit sur la boîte. Puis il poussa une porte d'un coup de pied, pénétrant dans la véranda qui servait de couloir et desservait les différentes chambres, et parvint ainsi jusqu'à la chambre de Midori, dans laquelle il déposa le deuxième carton, celui qu'il avait calé sous son bras droit, ainsi que le sac qui tenait en équilibre précaire sur son épaule.

Il poussa un léger soupir de soulagement, puis repartit, croisant Kareha qui amenait à Midori une autre valise.

« -J'ai déposé une partie de tes affaires dans ta chambre, Koori-kun, annonça la jeune fille en attachant ses longs cheveux roux en une queue de cheval.

-Merci. Je t'ai amené... le jeune homme fouilla sa mémoire. Trois cartons, un sac de sport, une valise et un puching-ball. Avec les gants qui vont avec, bien sûr, ajouta-t-il sans préciser toutefois qu'il n'avait pas du tout été surpris de trouver ça dans les affaires de sa cousine.

-Génial, lui dit-elle d'un air satisfait. Dis, tu as eu beaucoup de truc à mettre chez Aka-kun ?

-Akarui ? On peut dire ça, oui, dit-il dans un ricanement. Ce type a plus de fringue à lui tout seul que Midori et toi réunies... D'ailleurs, où est passée Mido ?

-Elle est allée réceptionner les paquets que sa mère lui a envoyés d'Osaka, en prenant au passage du liquide sur son compte, sinon on va être à sec... Il faudrait penser à ouvrir un compte commun. Même si je n'avais pas particulièrement envie de la laisser se promener seule dans le quartier... Cela dit, la banque et la poste sont à deux rues d'ici, elle devrait se débrouiller. Après tout, tu l'as rapidement retrouvée, la semaine dernière.

-Tu as raison. L'avantage avec Midori, c'est qu'elle se cache exclusivement dans les arbres... Hum. Pour le compte, si on ne le fait pas, il y en a qui vont vivre uniquement en squattant, comme leur idéal les pousse à le faire...

-On parle de moi ? » demanda une voix réjouie provenant de la chambre de Kareha.

Akarui passa la tête par l'embrasure.

« -C'est fini pour toi, Ha-chan, annonça-t-il à la propriétaire de la pièce. Toutes tes affaires sont là, normalement.

-Ok. Tiens, Koori, dit la rousse en passant le sac destiné à Midori à son cousin. Tu peux aller le mettre dans sa chambre ? »

Ceci dit, elle se dirigea vers l'avant du jardin, sans doute pour prendre d'autres affaires. Mais avec Kareha, on ne savait jamais exactement où elle allait, ni avec qui et encore moins pour quoi faire, et Koori avait depuis longtemps déjà abandonné l'idée de suivre ses mouvements, tout comme le père de la jeune fille.

« -Koori, demanda Akarui sur un ton qu'il tentait de garder neutre, j'ai toujours la lettre du vieux pour toi. Tu ne la veux pas ?

-Pas encore, Akarui, dit Koori en allant mettre ses affaires chez Midori.

-Je peux te demander pourquoi ?

-Parce que si tu me la donnais, je la lirais.

-C'est le but, non ? souligna Akarui avec un soupçon d'insolence.

-Si je la lis, cela signifie que j'accepte cette mission. Il est là, le problème, avoua Koori en enlevant ses lunettes pour se masser les tempes.

-Je croyais que tu avais déjà accepté cette corvée. Enfin, tu as déménagé, tu as renoncé à ton indépendance chérie et...

-Et on est des Kounen', je sais, reprit Koori avec lassitude. »

Le jeune homme s'était laissé glisser contre le mur transparent de la véranda. Son cousin vint s'installer à son côté.

« -Je ne peux rien faire pour toi, dit Akarui. Ce n'est pas que je n'en ai pas envie, ni quoi que se soit... Je crois juste que pour le moment, on est encore trop éloignés pour se comprendre. »

Koori le fixa.

« -Je crois aussi... »

Akarui se releva.

« -Je vais aller chercher...

-Akarui ?

-Quoi ?

-Je pense qu'on devrait finir par s'entendre, tous les deux. »

Akarui lui sourit.

« -On n'a pas vraiment le choix, hein ? »

Puis il partit.

Koori soupira de nouveau, laissant son regard errer sur le jardin. Non. Ils n'avaient pas le choix, tout comme il n'avait pas eu le choix lui-même, que se soit pour accepter de vivre avec ses cousins ou pour la mission qui leur était confiée.

Mais devenir ami avec Akarui, ça, c'était peut-être un choix. Un choix qu'il n'avait pas envie de faire tout de suite. Une chose qu'il pouvait reporter à plus tard. Ou un truc qui se ferait de lui-même sans qu'on lui demande rien. Il verrait.


Celui qu'Akarui avait pour habitude d'appeler le vieux regardait par sa fenêtre, lui aussi.

Il était las, rabougri et pas toujours de bonne humeur, bref, son surnom était plutôt bien trouvé, et surtout, il permettait à Akarui, qui était pourtant son préféré, de ne pas avoir à prononcer son nom.

A cet instant, le vieil homme se demanda depuis combien d'années quelqu'un l'avait appelé par son simple nom, après tout. Ca faisait très, très longtemps, et il ne se souvenait même plus de quand il avait entendu son prénom.

En fait, il s'interrogeait sur beaucoup de choses. Au crépuscule de sa vie, il lui était bien plus facile de voir ses erreurs et de les comprendre que trente ans plus tôt, quand il avait prit la direction de la famille Kounen'...

Il songeait à Midori, Akarui et Kareha. Et à Koori... Surtout à Koori.

Il se demanda une nouvelle fois si il avait bien fait de choisir le jeune homme pour diriger les opérations. Mais en fait, lui non plus n'avait pas vraiment eu le choix...

Comme cinq ans plus tôt, c'était maintenant ou jamais, et le mot jamais n'entrait pas dans le vocabulaire du vieux.

Donc c'était maintenant.

Il avait du procéder par élimination, pour savoir qui serait le meneur, et était arrivé à la même conclusion que la dernière fois.

Pas Midori. Trop jeune, trop inexpérimentée, trop heureuse pour saisir une détresse qui la dépasserait certainement.

Pas Akarui. Il l'aimait beaucoup, mais il n'avait aucune illusion sur le jeune homme. Celui-ci était trop narcissique, égocentrique et trop gentil pour remplir la mission des Kounen'.

Pas Kareha. La jeune fille avait une tendance à la fugue qui l'énervait particulièrement. Son père était incapable de la tenir. Oh, elle était très calme la plupart du temps, mais... Non, Kareha ne convenait pas.

Il ne lui était donc resté que Koori. Koori, le plus âgé, le plus taciturne, le plus froid, le plus digne de confiance, aussi. Ah, si seulement Fukidasu avait accepté de revenir... Mais même lui ne pouvait l'y obliger. Néanmoins elle n'était pas là, et il avait en conséquence opté pour Koori, tout en sachant les risques que cela lui faisait encourir, à lui comme au jeune homme.

Et aux autres personnes concernées.

Mais le vieux était vieux, maintenant. Alors, les autres...


Yuki remonta ses lunettes sur son nez. Il les portait rarement, auparavant, mais depuis peu, il commençait à en avoir davantage besoin, ce qui faisait beaucoup rire Shiguré. Enfin, ça énervait un peu Yuki, parce qu'il commençait à faire chaud, et porter des lunettes par ce temps...

« -Yun-Yun, qu'est-ce que tu as décidé ? »

Yuki darda sur Manabé ses yeux couleur violine.

« -Ne sois pas stupide. Ce n'est pas à moi de décider ce genre de chose.

-Mais si, voyons ! C'est à nous de faire à l'affiche, et...

-C'est Kimi qui fera l'affiche ! Kimi, Kimi, Kimi ! s'exclama Kimi (nda : incroyable XD) en battant des mains.

-Et évidemment, c'est moi qui me chargerai du texte, comme d'habitude, râla Naohito.

-Exactement ! cria Manabé, le regard étincelant.

-N'importe quoi, dit Machi à voix basse.

-Machi, ne nous gâche pas notre plaisir, pleurnicha Manabé.

-TON plaisir, imbécile ! s'hérissa Naohito.

-Celui de Kimi, aussi ! ajouta la jeune fille avec un grand sourire.

-Le bonheur des niais tient décidément à peu de chose... décréta Nao en tournant la tête, les bras croisés.

-Machi a raison, intervient Yuki. C'est à la directrice de décider.

-Mais elle vient d'arriver ! Elle a autre chose à faire !

-Peut-être, mais c'est à elle de voir si il est utile de chercher des surveillants, pas à nous, reprit sèchement la souris.

-Yun-Yun, tu es méchant, gémit Manabé.

-Qu'il est bête, dit Naohito avec un air de dégoût sur la figure.

-Yun n'est pas méchant ! hurla Kimi. C'est toi qui es méchant, Manabé ! » ajouta-t-elle en frappant le jeune homme qui poussa un cri de douleur.

Yuki reposa ses lunettes et se massa les tempes, dans un geste très semblable à celui de Koori.

« -Bon. Je pense que l'on peut clôturer cette réunion, dit-il, l'air accablé.

-Et Kimi fera l'affiche ! »

Yuki capitula. Il serait toujours temps de nier devant la principale...

« -Oui. Kimi fera l'affiche. »


Midori sauta à terre d'un bond. Décidemment, pour se repérer, rien de mieux que monter dans un arbre...

La jeune fille posa son sac à terre et caressa le tronc. C'était un érable... Elle aimait bien ces arbres, ils lui rappelaient Kareha, par leur couleur et leur sorte de dignité pliable... Dans l'arbre à côté, un cerisier, les fleurs étaient bien écloses, maintenant, puisqu'on était en juin, et il était superbe.

« -Merci, souffla-t-elle à l'érable. Je vais retrouver la maison, maintenant. Peut-être. »

Elle ramassa sa sacoche, la jeta sur son épaule et se dirigea vers le sud. Au passage, elle lut quelque chose d'intéressant sur une affiche, nota le numéro qui était marqué dessus en pensant à Koori et arriva en vue de la maison.

« -Je suis rentrée ! hurla-t-elle en arrivant.

-Salut, dit Akarui, surgissant du salon, au milieu duquel s'étalaient des livres, des DVD et des figurines de Gundam.

-Où sont les autres ? » demanda Midori en regardant les dérivés de Gundam avec un fond de surprise.

Puis son regard passa sur la télé, qui était allumée mais sans le son.

Au bas de l'écran, une bannière indiquait que les fortes vagues de chaleur continuaient à se déverser à Tokyo. Midori détourna les yeux.

« -Koori fait la cuisine, et Kareha est sortie, comme d'habitude. Elle nous a demandé de lui garder à dîner.

-Je vois, répondit sa cousine avec entrain. Je vais aider Koori !

-Tu ne me demandes même pas ce que ça fait là ? dit-il en désignant les figurines.

-Non... Je suppose que tu les rangeras une fois qu'on aura tous marché dessus une bonne dizaine de fois.

-Tu commences à me connaître. »

Elle se retourna, un sourire aux lèvres.

« -Je commence à te comprendre, plutôt. »

Elle s'éloigna sans bruit.

« -Hey, Mido-chan !

-Quoi ?

-Je crois que finalement, cette année risque d'être drôle ! Enfin, plus que la dernière... »

Elle eut un sourire espiègle.

« -Drôle, tu dis ? »

Plus que celle qu'ils avaient passée ensemble cinq ans plus tôt, ça risquait d'être assez facile... Assez facile. Ou pas, qui pouvait savoir ?