Chapitre 1 : Renaissance
Temple du Bélier – 11h45
Cela faisait maintenant presque une semaine qu'ils étaient tous revenus, arrachés à la mort qui les attendait. Athéna avait réussi à convaincre son père divin, et ce, malgré la fureur d'Hadès qui n'avait toujours pas accepté cette résurrection contre nature (ou plutôt le fait qu'on lui ait ravi des hôtes de choix, avait fait remarquer Death Mask avant de rejoindre son temple en ricanant).
Mü soupira de fatigue en passant une main dans ses cheveux lavande pour repousser les mèches plaquées sur son front en sueur et épousseta sa toge blanchâtre sur laquelle était venue s'accrocher une poussière minérale. Il descendit quelques marches à l'avant de la Maison du Bélier et s'assit sur l'une d'elles. Le soleil était à son zénith et la chaleur ambiante devenait difficilement supportable. Le Tibétain laissa son regard glisser jusqu'aux arènes restées la plupart du temps silencieuses depuis leur retour. Mais aujourd'hui, des cris s'en échappaient ; des cris amusés et non de colère, et parfois quelques rires. Sans doute des chevaliers de Bronze, songea Mü en repensant aux cinq adolescents qui s'étaient désignés pour rester au Sanctuaire afin de les aider à réparer leurs temples respectifs. Cette décision de leur part avait été des plus appréciables étant donné l'état dans lequel la plupart d'entre eux avait retrouvé la Maison qui leur était assignée, le Bélier pensait particulièrement à celle de la Vierge. Les cinq autres chevaliers de Bronze avaient d'abord insisté pour rester aussi, mais la déesse leur avait donné une autre mission, celle d'aller prendre connaissance de ce qu'était devenu chaque camp d'entraînement. Certains chevaliers d'Argent avaient pu rejoindre le Sanctuaire pour voir de quelle façon les choses avaient évolué, mais le plus grand nombre d'entre eux avaient eux aussi été renvoyés vers les novices restés en arrière. Seuls les chevaliers de l'Hydre mâle et du Cheval étaient restés fournir de l'aide à Athéna et Sion qui s'était résigné à choisir un nouveau Pope dans le mois à venir.
Le Tibétain observa le paysage antique qu'offraient ces arènes entourées de champs d'oliviers et de citronniers à travers le rideau épars de ses cheveux flottant sur la faible brise. Il repassait dans son esprit, comme sur un écran invisible, la scène qui avait suivie de près leur résurrection ; la déesse les avait accueillis, tous les douze, ainsi que Seiya et Kanon dans le temple qui surplombait le Sanctuaire. A ses côtés se tenait Sion, son ancien maître qui lui avait légué sa place de chevalier du Bélier. Athéna s'était réjouie de leur retour, elle semblait éreintée, comme si son enveloppe humaine avait difficilement supporté sa confrontation avec Zeus pour obtenir leur libération. Mü s'en était voulu de la voir ainsi. Comme tous les autres, ou presque, il l'avait chaleureusement remerciée d'avoir mené ce combat. Elle avait souri en leur disant qu'ils avaient tous péri en protégeant sa vie, qu'elle n'aurait pas eut le droit de les abandonner à cette mort qu'elle avait elle-même engendrée. Ils l'avaient saluée. A cet instant, Hyoga et Shiryu étaient entrés. Leurs retrouvailles avec Dokho, et même Camus furent joyeuses, bien que le Verseau n'ait tenté de cacher du mieux qu'il pût les sentiments que son visage peinait à afficher. Shun et Ikky étaient arrivés quelques secondes plus tard et les quatre adolescents s'étaient rués sur Seiya. La plupart des chevaliers d'Or avaient porté un regard indulgent à cette effusion de joie, mais le Bélier avait rapidement remarqué la disparition de deux d'entre eux, ainsi que l'expression d'incertitude qui s'était peinte sur le visage de deux autres, se tenant à l'écart. L'allégresse des plus jeunes avait par la suite rapidement gagnée le reste du groupe et Kanon avait même insisté sur le fait qu'une telle occasion méritait au moins quelques boissons. Mü savait que l'ex-Marina souffrait encore des répercutions de sa trahison, et qu'il offrait ce visage souriant pour cacher sa peine, mais il espérait que le jeune frère offre à Saga une nouvelle raison de vivre pour que celui-ci ne sombre pas dans la détresse qui se lisait sur ses traits tandis qu'il s'était, tout comme Shura mis à l'écart des débordements des autres chevaliers. Le Bélier avait balayé la pièce du regard pour s'apercevoir que les deux disparus n'étaient autres que Death Mask et Aphrodite. Il se souvenait n'avoir pas su quoi penser à cet instant. A présent, il se disait que l'un d'entre eux aurait du les empêcher d'élargir le fossé qui les séparaient du reste des chevaliers en les retenant ce jour-là. L'un d'entre eux ? Mais qui ? Aujourd'hui, il était rare de les voir dans l'enceinte du Sanctuaire. Ils restaient cloîtrés dans leurs temples respectifs pour en réparer les dégâts, seuls, et ne sortaient s'entraîner aux arènes que la nuit venue. Mü le savait car il s'était plus d'une fois réveillé en sursaut en sentant leurs cosmos s'amplifier en bas des douze temples.
Le Bélier sortit soudain de ses pensées lorsqu'une voix qu'il connaissait bien s'éleva parmi celles qu'il avait entendues un peu plus tôt ; Shura se trouvait lui aussi aux arènes, en compagnie des deux chevaliers dont les cris avaient résonné jusqu'à son temple. Mü avait sans doute été trop occupé à la réparation des colonnes effondrées de sa Maison pour percevoir le cosmos du Capricorne lorsqu'il était descendu. Le Tibétain hésita, puis se décida à tenter de sonder l'arène où se trouvaient les trois jeunes hommes ; la télékinésie dont il avait usé pour redresser les pierres de son temple l'avait épuisé, aussi abandonna-t-il au bout de quelques instants. Il avait cependant eut le temps de reconnaître la présence de Shura, ainsi que celle du chevalier du Loup et de celui de l'Ours qui lui avaient quelques fois prêté main forte durant la semaine, pour remettre sur pieds ses murs effondrés. Nachi et Geki passaient la plupart du temps en compagnie d'Aldébaran, et tous trois usaient leurs journées à faire le tour des temples pour proposer leur aide qui était bien souvent accueillie avec soulagement.
Un nouveau soupir lui échappa ; décidément, la chaleur était étouffante, et le Bélier commençait à sentir un début de migraine sous sa chevelure échauffée. Il se frotta la tête et agita ses cheveux pour les aérer. Puis il se releva en toisant l'escalier qui descendait sous ses yeux. Il tourna la tête vers son temple qui était à présent presque entièrement rénové et qui semblait de l'extérieur aussi ancien et intact que quelques années auparavant. Il se décida finalement, songeant qu'il avait bien travaillé pour la matinée et qu'il avait parfaitement le droit de se donner une petite pause, et entreprit de descendre les marches de pierre qui menaient aux arènes et au grand réfectoire. Avant de partir, il lança un dernier regard, maussade et nostalgique, vers l'urne dorée se dressant encore fièrement à l'entrée de son temple. Un pressentiment néfaste l'envahit.
Temple du Taureau – 11h40
Aldébaran toisait le bloc de pierre poussiéreux qui gisait au milieu du hall de son temple, les bras croisés, sa carrure imposante figée au centre de la pièce immense au plafond perdu dans les hauteurs. Il haussa les épaules, ses muscles se détendirent et son pied alla frapper dans le morceau de roche qui glissa jusqu'au mur où il s'arrêta sagement. Le Brésilien hocha la tête pour lui-même, en souriant. Cette fois-ci, la Maison du Taureau était belle est bien réparée. Il s'avança jusqu'aux larges colonnes qui formaient l'entrée et jeta un œil dehors ; il ne devait pas être loin de midi. Depuis une semaine, il avait pris l'habitude de descendre jusqu'au réfectoire pour déjeuner en compagnie des deux chevaliers de Bronze qui lui inspiraient énormément de sympathie, mais aujourd'hui, la chaleur qui régnait à l'extérieur lui faisait adorer la fraîcheur qu'hébergeait les murs de son temple. Il ne put finalement pas résister à l'envie de se rendre dans l'aile habitable de sa Maison pour y faire son repas. Il rejoindrait les deux autres plus tard. Il traversa les couloirs qui étaient restés presque tous intacts, même après sa mort, avant d'arriver au petit salon sobrement décoré. Là, il se dirigea vers un nouveau couloir qui menait à sa chambre, mais aussi à la cuisine. Il y récupéra deux sandwichs préparés un peu plus tôt par Sekhi, l'une des dernières servantes du Sanctuaire et qui s'occupait des repas de tous les chevaliers. Il repartit ensuite dans le couloir en adressant une prière silencieuse à la jeune fille. Il arriva enfin dans une pièce aménagée en bibliothèque, cachée à la vue de tous par son éloignement, au fond de son temple. La pièce n'était pas particulièrement grande, et l'un de ses murs était pourvu d'une large double porte ouvrant sur un petit jardin tapissé d'une herbe verte et de quelques plantes, le tout entouré de hauts remparts de pierre blanche. Il les ouvrit pour que l'odeur des citronniers plantés un peu plus bas s'introduise dans la pièce. Puis il se tourna vers le caisson doré renfermant l'armure du Taureau qui trônait sagement contre le mur menant au jardin.
« Salut ma grande » lança-t-il doucement à l'urne. Mais celle-ci ne lui répondit pas. Le cosmos du Taureau continua de glisser lentement autour de son abri doré, faisant penser à celui, sage et tranquille d'un enfant marchant sur un chemin nappé de nostalgie. Le Brésilien laissa apparaître un sourire triste, puis reporta son attention sur la pièce. Les étagères en bois s'étendaient sur toute la surface des murs, enveloppant complètement le chevalier dans une atmosphère qu'il appréciait beaucoup. Des livres de toutes tailles, de toutes sortes, dans toutes les langues se disputaient le peu de place en silence. Le Taureau en prit un au hasard et alla s'asseoir sur un fauteuil au tissu séculaire. Ses longs cheveux gris noir s'étalèrent contre son dos nu et humide. Il posa l'un des sandwichs sur une petite table de chevet à sa droite, unique meuble présent avec le fauteuil et porta l'autre à sa bouche. Tout en mangeant, il ouvrit précautionneusement l'ouvrage sur ses genoux. Un livre français qu'il ne se souvenait pas avoir dérobé, enfant, au village qui s'étendait en bas du Sanctuaire. Sûrement un bouquin que j'ai emprunté à Camus, songea Aldébaran en se mordant la lèvre. Il devrait penser à le lui rapporter dans la soirée. Ses yeux d'un noir profond, habitués à cette langue comme à beaucoup d'autres se lancèrent à l'assaut des lettres, glissant sur chaque mot, chaque phrase avec agilité. Il lu quelques pages, le temps d'avaler ses deux sandwichs, puis referma le livre. Il observa un instant la couverture, puis son regard se déplaça et parcourut les nombreux ouvrages qui reposaient contre les murs. Des ouvrages en grec, en français, en brésilien, en italien, en espagnol et quelques-uns en suédois. Un sourire apparut sur ses lèvres lorsqu'il repensa à l'évènement qui s'était déroulé quelques jours plus tôt. Il avait senti deux cosmos s'approcher de son temple, deux cosmos de chevaliers d'Or. Rien d'étonnant à cela. Non, le plus étonnant avait été que les deux sources d'énergie s'étaient arrêtées devant les couloirs de l'aile habitable. Le Brésilien, intrigué du fait que quelqu'un d'autre que Mü vienne le voir, s'était dirigé vers cette porte pour voir de qui il s'agissait. Son propre cosmos était parti à la rencontre des deux autres et il avait pu sentir l'hésitation et la crainte chez l'un d'eux, tandis que le deuxième semblait sûr et pressant. Il avait ouvert la porte pour tomber sur un Shura au regard fuyant, et un Aphrodite agacé. Le premier chevalier était resté muet, et le deuxième avait alors commencé : ils cherchaient un livre. Un livre ? s'était demandé le Taureau avec surprise. Pourquoi ne pas demander ça à Camus ? Il leur avait soustrait cette question et le Poissons s'était empressé de répondre avec un léger sourire au coin des lèvres (comme s'il avait désiré depuis le début offrir cette réponse) que Camus n'avait pas ce qu'ils cherchaient. Aldébaran les avait fait entrer, se demandant néanmoins quel ouvrage il pourrait avoir que n'avait pas déjà le Français. Etrangement, il avait également ressenti un sentiment de honte s'insinuer en lui, ne sachant pas de quelle façon ces deux-là avaient appris que son temple possédait un bibliothèque, même modeste. Il les avait menés à la petite pièce. Aussitôt, Shura, toujours muet, avait commencé les recherches tandis qu'Aphrodite observait avec surprise et intérêt le jardin.
« Tu devrais t'occuper un peu plus de tes plantes » avait-il dit sans même poser les yeux sur lui, comme s'il s'agissait d'une simple remarque. Le Taureau avait porté son regard sur le jardin, et ne s'était rendu compte qu'à ce moment que les végétaux avaient une très légère teinte jaunâtre (il fixa son jardin et ses plantes à présent d'un vert éclatant). Aphrodite avait alors tourné son attention vers les étagères. Le Capricorne s'était retourné vers lui et avait secoué la tête, il n'avait pas trouvé ce qu'ils cherchaient. Le découragement put facilement se lire sur le visage du Suédois qui avait poussé un soupir affligé. Il s'était alors tourné vers le Taureau et lui avait demandé s'il ne possédait pas de livre en anglais. Aldébaran avait réfléchit, décidant de ne pas se poser de question sur le pourquoi du comment. Il avait fouillé sur une étagère au coin de la pièce et avait finalement mis la main sur un livre de philosophie traduis dans la langue demandée. Il ne possédait qu'un ouvrage de ce genre, ne s'étant jamais vraiment focalisé sur l'anglais. Il l'avait tendu à Shura qui l'avait remercié et gratifié d'un sourire timide pendant qu'Aphrodite observait à son tour les différentes étagères. Le Brésilien avait pu voir un court instant un sourire étrange se dessiner sur les lèvres du Poissons face aux livres écris dans sa langue natale ; pas un de ces faux sourires cherchant à cacher une douleur et une colère profonde, comme ceux de Kanon, mais un sourire sincère, dépourvu de tout l'orgueil qu'avait toujours affiché le Suédois. Puis il s'était redressé et son regard s'était durci. Il avait tourné la tête vers le Taureau et l'avait remercié assez froidement avant de sortir. Shura l'avait laissé s'en aller et s'était tourné vers Aldébaran, se sentant sans doute obligé de lui faire pardonner la réaction de son compagnon.
« On voudrait faire apprendre l'anglais à DM, lui avait-il confié. Il a cette langue en horreur… »
Un silence s'était alors posé sur la pièce, puis ils avaient éclaté de rire.
Par la suite, le Taureau avait croisé plusieurs fois le chevalier du Capricorne. Ils avaient échangé quelques paroles là où, quelques mois auparavant ils se seraient ignorés. Finalement… aucun de nous ne connaît vraiment les autres, songea-t-il avec tristesse. C'est peut-être ce qui nous a mené à notre perte. Il soupira, résigné à tenter une nouvelle approche avec le Capricorne et le Poissons.
Palais du Grand Pope – 12h05
Sion fixa son attention sur le cosmos qui se dirigeait vers le dernier temple. Il reconnu bien vite l'aura de Saga et se détendit. Il posa le casque assigné à sa fonction sur le trône qui se dressait au centre du grand hall ; la chaleur était vraiment trop grande et ses vêtements amples étaient suffisamment difficiles à supporter. Il attendit patiemment que le Gémeaux atteigne l'entrée et se décide à pousser l'une des portes. Il l'accueillit avec un sourire doux et le Grec baissa la tête avant de s'avancer en refermant derrière lui la lourde porte. Il s'arrêta face à l'ancien Bélier et s'agenouilla. Sion sentit son cœur se serrer à la vue de ce chevalier sans armure, comme si son image était incomplète. Même son ombre semblait moitié moins sombre que celle d'un homme normal.
« Pardonnez-moi Grand Pope… je…
- Tu peux m'appeler Sion, Saga. Je n'ai plus droit à ce titre depuis bien longtemps. Athéna est elle-même en train de me chercher un successeur. »
Saga se tut et Sion regretta de l'avoir coupé dans ses paroles. Le Gémeaux avait été détourné dans sa lancée et semblait à présent peiner énormément à trouver les mots qu'il cherchait désespérément à exprimer. L'ancien chevalier du Bélier se mua dans le silence à son tour. Attendant patiemment que son compagnon réussisse à former les mots que lui dictait son esprit.
Saga, les yeux toujours rivés au sol, remua les lèvres sans émettre le moindre son, avant de finalement poser son regard azuré dans celui, rosé, de Sion. Il commença par lui annoncer que la Maison des Gémeaux avait été entièrement réparée, et que son frère y était pour beaucoup. Il hésita ensuite, puis demanda la permission de pouvoir garder Kanon auprès de lui, au Sanctuaire. L'Atlante sourit et lui répondit que sa requête était inutile, que l'ex-Marina avait maintenant sa place parmi eux. Saga acquiesça et se tut à nouveau. Cette fois-ci, Sion ne le laissa pas tourner et retourner dans son crâne ces phrases si pénibles qu'il semblait arracher douloureusement à ses entrailles lorsqu'il les prononçait.
« Tu te punis en vain Saga. La Déesse t'a pardonné. Il est inutile de te torturer à ce point. Comme tous les autres tu as sacrifié tes dernières forces pour permettre aux chevaliers de Bronze d'aller mener leur combat pour sauver Athéna. »
L'ancien Bélier avait parlé d'une voix douce mais ferme, comme s'il étalait devant les yeux du Gémeaux, comme devant ceux d'un enfant, une évidence qu'il était incapable de voir tant elle semblait incontestable. Un nouveau silence s'abattit sur le grand hall, seulement troublé par le chant mélodieux de quelques oiseaux voletant près des hautes fenêtres entrouvertes. Les deux hommes se faisaient face, immobiles comme des statues de marbre. Finalement, le genou de Saga quitta le sol. Il se redressa et adressa un regard entendu à Sion, hochant doucement la tête. Il lui demanda s'il pouvait prendre congés, l'Atlante accepta en silence. Le Gémeaux tourna les talons et se dirigea vers les portes. Il s'arrêta face à elles. Sa respiration s'arrêta.
« Merci » lâcha-t-il dans un souffle.
Puis il quitta me temple sans attendre, ou peut-être fuyant toute réponse.
Temple du Cancer – 14h35
« Cretino ! »
Le murmure proféré entre les dents du Cancer résonna un instant dans le hall du temple. Death Mask se dirigea d'un pas rapide et ferme, dicté par la colère, vers ses appartements. Il ne s'arrêta pas avant d'avoir atteint sa chambre et s'être adossé à la porte violemment refermée derrière lui. Une nouvelle insulte lui échappa sur un ton haineux, son visage exprimant toujours la hargne qui l'avait assailli quelques minutes plus tôt. Il souffla bruyamment, passa ses mains sur son visage et repoussa soigneusement ses cheveux vers l'arrière pour éviter qu'ils ne lui tombent dans les yeux. Ils avaient légèrement poussé. Il devrait penser à les couper à nouveau. Sa colère s'estompa enfin et la lassitude prit place sur ses traits maintenant fatigués. Ses yeux bleu océan survolèrent la pièce plongée dans la pénombre à cause du rideau surmontant l'unique fenêtre présente. Ils stoppèrent leur course près de son lit, sur le crabe en peluche tenant entre ses pinces un cœur orné d'un « Happy Birthday » argenté ; l'un des nombreux délires d'Aphrodite que le Poissons lui avait offert le jour de ses 18 ans. Un sourire amer passa sur ses lèvres et il alla se laisser tomber sur les draps parfaitement repliés. Il prenait toujours le temps de faire sa chambre avec soin à son réveil. C'était pourquoi, contrairement à beaucoup d'autres, il avait retrouvé ses appartements dans un état appréciable. Et c'était aussi pourquoi aucun serviteur n'avait le droit de mettre les pieds dans son temple ; il savait très bien l'entretenir lui-même.
Il s'allongea lentement en s'étirant autant qu'il put sur son lit, puis croisa les bras derrière sa tête. Un tintement agréable frôla ses oreilles lorsque la gourmette en or qu'il portait à son poignet droit suivit son mouvement. Elle ne lui appartenait pas, il n'avait fait que la récupérer un jour sur le corps sans vie d'un de ses camarades qui avait succombé à son entraînement de chevalier. Il ne devait pas avoir plus de sept ans à l'époque. Enfant, il avait toujours adoré dérober des objets, il aimait particulièrement les objets inutiles tels les bijoux et les paires de lunettes qu'il avait enterré dans un coin du camp d'entraînement. Le nom n'était plus visible sur cette fameuse gourmette, il avait rayé les inscriptions à l'aide d'un morceau de roche pointu pour pouvoir la garder sur lui sans qu'on le traite de voleur et qu'on la lui enlève. Tandis qu'il grattait la partie dorée, il se souvenait avoir pensé que le jour où il mourrait, quelqu'un d'autre la lui prendrait, et que cette personne mourrait par la suite pour qu'une autre à son tour récupère la gourmette. Mais le jour de sa mort, il l'avait oubliée sur le bord de sa table de nuit, et lorsqu'il été revenu à la vie, elle n'avait pas bougé. C'était donc qu'il avait été destiné à mourir plus tard. Il avait maintenant pris l'habitude de ne plus la quitter.
Tandis qu'il était perdu dans ses pensées, son cou pivota légèrement et ses yeux se reposèrent sur ce foutu crabe en peluche. Il sentit la colère l'envahir à nouveau et serra les dents. Cette fois-ci, Aphrodite avait été trop loin. Avant tout cela, il avait toujours apprécié leurs joutes verbales qui pouvaient passer pour agressives, ainsi que ces quelques coups de poings distribués entre eux deux et que tout le monde prenait sans comprendre pour des combats à mort. Ce satané Poissons avait toujours été le seul chevalier qu'il pouvait qualifier de compagnon, le seul à être, tout comme lui, différent au point d'être considéré comme mauvais et à bannir de son entourage. Le seul à avoir enduré ce que lui avait enduré. Et voilà qu'il commençait à changer. Il changeait pour le plus grand plaisir des autres qui commençaient à l'accepter. Il changeait, et pendant ce temps, lui ne changeait pas. Lui stagnait dans son exil. Lui ne pouvait toujours pas supporter la présence des autres, leurs sourires mielleux et hypocrites qui dissimulaient la haine qu'ils portaient pour lui. Et eux ne pouvaient pas le supporter. Il préférait patienter dans son temple que la nuit tombe plutôt que de se confronter à ces faux sourires chaleureux. Il aurait préféré qu'ils exposent, comme autrefois, des regards agacés, courroucés, haineux, il aurait alors pu leur faire face, sourire aux lèvres. La nuit, seul, il pouvait reprendre ses entraînements, comme il l'avait toujours fait. Finalement, rien n'avait changé. Ou juste le fait que le Sanctuaire ait changé de main. Athéna, le Grand Pope, Saga, quelle différence ? La Justice ne pouvait pas être répandue sans un certain pouvoir ; du moment que la personne qui était à la tête du Sanctuaire était plus puissante que lui, elle ne pouvait que détenir la Justice. Cela Aphrodite l'avait su, mais il semblait à présent l'oublier. Et le Cancer en avait plus qu'assez de l'entendre le sermonner, plus qu'assez de le voir répandre de plus en plus souvent les sourires qu'il ne lui réservait avant qu'à lui seul. Il en avait plus qu'assez de le voir s'éloigner de jours en jours, le forçant à se replier un peu plus sur lui-même pour se protéger plus facilement des autres. C'était beaucoup plus difficile de lutter seul. I Dei ! Comme il détestait la solitude ! Mais il n'avait plus le choix à présent, le Poissons le lui avait bien fait comprendre cet après-midi ; il l'avait entraîné avec lui en lui rabâchant toujours la même chose : « Si tu continues à ne sortir que la nuit, tu vas finir par perdre ton magnifique bronzage, ce serait tellement triste ! ». Death Mask l'avait suivi, comme toujours en maugréant quelques paroles cinglantes. Mais malgré les apparences de son petit jeu de renfrogné, il avait senti que quelque chose n'allait pas, comme lorsque le Suédois et le Capricorne s'étaient introduits chez lui deux jours plus tôt avec cet horrible bouquin. Mais il présentait que cette fois, il aurait droit à autre chose qu'à un simple cours d'anglais, quelque chose de bien pire. Ils avaient finalement rejoints Shura sur les marches de l'un des grands colisées servant d'arène d'entraînement. Mais à sa plus grande surprise, l'Espagnol n'était pas seul à les attendre. A ses côtés se trouvaient Aldébaran, Dokho, Kanon, Mü, ainsi que trois chevaliers de Bronze, celui du Loup, de l'Ours, et de l'Hydre. Tous, ou presque, riaient en discutant, assis ou allongés sur les gradins de pierre. Le Cancer se souvenait avoir sentit tous ses muscles se raidir, et ses cheveux se dresser sur sa nuque. La main droite d'Aphrodite était toujours fermement agrippée à son poignet. Le Poissons avait salué les autres et avait forcé Death Mask à s'approcher. Les chevaliers les avait observé avec surprise, puis Dokho s'était empressé de se lever pour venir saluer l'Italien qu'ils voyaient tous si peu souvent. Il lui avait tendu la main et l'avait gratifié d'un large sourire.
« On te voit plus ces temps-ci, on se demandait où tu étais passé » lui avait-il dit. Le Cancer n'avait pas pu contenir le dégoût et la colère maladive que lui inspirait toute personne tentant (non, faisant semblant) d'être agréable avec lui. Il avait fixé le chevalier de la Balance d'un regard froid où le bleu océan se muait en une mer de cristal. « Qu'est-ce que ça peut vous foutre ? » avait-il craché sur un ton glacial. Dokho n'avait rien répondu, ses yeux s'étaient juste agrandis sous l'effet de la surprise, sa main toujours tendue en avant, nageant dans le vide. Aphrodite était revenu à la charge en insultant cet imbécile de crabe dans sa langue. Celui-ci lui avait répondu d'une grimace de colère et avait tourné les talons avant de disparaître derrière les murs du colisée. Il n'avait pas pu entendre le Poissons pester contre lui avant de partir à son tour, laissant derrière lui un public à demi attristé, à demi cherchant désespérément à comprendre ce qui se passait.
Death Mask rouvrit les yeux brusquement. Il avait failli s'endormir. Il passa une main sur son visage et se frotta les yeux. Puis il se redressa, lentement, en s'asseyant sur son lit. Pendant un court instant, son regard se perdit sur l'urne déposée dans un coin de la pièce, immobile et froide comme le marbre. Le Cancer se leva et s'en approcha. D'un geste se voulant doux, bien qu'hésitant, il toucha la surface dure de la caisse dorée renfermant son ancienne armure. Depuis qu'il était revenu, il ne l'avait plus revue. Elle n'était plus sortie de son urne. A son contact, le jeune homme ne sentait que froideur et dédain, comme si l'armure du Cancer tentait de l'ignorer, et ce même si elle semblait le désigner encore comme son maître. Il ne l'avait plus portée depuis le jour de sa mort, ce jour où elle l'avait abandonné, elle avait quitté son corps d'elle-même pour le laisser vulnérable à tous les coups de son adversaire. Aujourd'hui, songeait-il, peut-être se sentait-elle trahie autant que lui se sentait trahi de n'avoir plus même le droit de la voir. L'Italien grimaça de colère. Parfait ! Si son armure avait décidé de l'ignorer, il en ferait de même. Il se retourna et partit vers sa salle de bain. Il s'observa dans un miroir et vit que son teint avait pâli, et que son visage semblait plus maigre, faiblement creusé de sillons fatigués. Il soupira fortement pour montrer son désarroi au vide lui servant de compagnon. Il n'aimait pas cette image, il semblait éreinté et faible. Quelques mèches du même bleu abyssal que ses yeux retombèrent sur son front. Le Cancer agrippa d'un geste rageur la paire de ciseaux posée sur l'évier et commença, comme tous les mois, à trancher chaque parcelle gênante de cet océan de cheveux.
Temple du Lion – 14h05
« Aiolia attention ! »
Les cris de Ban et Jabu n'avaient pas laissé le temps au Lion de réagir suffisamment vite pour pouvoir esquiver l'énorme bloc de pierre qui tombait sur lui. Le jeune homme aux cheveux bruns avait levé la tête avec horreur, puis la roche avait explosé juste au-dessus de lui, dans un bruit atroce. Une dizaine de morceaux rocailleux vinrent éclater tout autour du Grec. Aioros courut vers lui, les deux chevaliers de Bronze sur les talons. Le Sagittaire s'accroupit près de son frère tombé à genoux. Une fine rigole pourpre coulait sur son front, mais Aiolia ne semblait pas s'en soucier. Son regard était perdu sur l'étendu de marbre qui se dressait sous ses mains posées au sol.
« Aiolia, est-ce que ça va ? » demanda Aioros avec inquiétude.
Le chevalier sembla reprendre ses esprits alors que Ban et Jabu s'arrêtaient derrière le Sagittaire. Aiolia leva la tête vers son grand frère. Ses yeux étaient baignés de tristesse. L'aîné allait l'interroger sur les raisons de son chagrin lorsqu'il vit son regard dévier vers l'urne d'Or se tenant à l'autre bout de la pièce, contre le mur, sage et immobile. Aioros baissa les yeux, comprenant parfaitement.
« Elle n'a pas bougé » murmura le plus jeune des deux frères.
Les chevaliers de la Licorne et du Lionet baissèrent les yeux à leur tour, n'osant s'imaginer ce que pouvait ressentir le Lion d'être ainsi ignoré par son armure, même lorsqu'il avait besoin d'elle. Aiolia n'arrivait pas à comprendre. Depuis qu'ils étaient revenus aucun d'eux n'arrivaient plus à porter leur armure (et cela il le savait bien que chacun le cachât honteusement, le cosmos de tous les chevaliers d'Or les trahissaient). La sienne pourtant, émettait toujours à son approche une énergie chaleureuse et protectrice, mais l'armure du Lion refusait d'en sortir. C'était à peu près pareil pour son frère, le Sagittaire le reconnaissait toujours comme son seul porteur.
« Ce n'est qu'une question de temps » murmura doucement la voix d'Aioros tandis qu'il caressait les cheveux de son frère. « Peut-être que notre rupture avec ce monde, le temps d'une mort, a affaibli les liens qui nous unissaient à nos armures, et ce malgré notre résurrection. Mais le fait qu'elle nous reconnaisse encore prouve que tout n'est pas perdu. Bientôt nous les reverrons, ne t'en fait pas. Laisse-leur juste le temps de se réhabituer à nous, de nous redécouvrir comme le jour où elles furent placées devant nous pour la première fois. »
Aioros sentit son jeune frère se détendre. Néanmoins, le Sagittaire se mordit légèrement la lèvre inférieure ; lui aussi espérait plus que tout que ses paroles soient vraies. Jamais il n'aurait pensé ressentir un tel sentiment de vide, comme si une partie de lui l'avait abandonné depuis que son armure refusait de se montrer. Heureusement qu'il avait pu créer grâce à son propre cosmos une flèche et un arc capable de pulvériser le bloc de pierre avant qu'il n'atteigne Aiolia. Aioros faillit sursauter quand son frère se releva sans crier gard. Son visage affichait un sourire déterminé. Le Sagittaire savait que le Lion avait du se forcer à faire apparaître cette expression, mais il se redressa lui aussi, prêt à jouer le jeu. Les deux autres chevaliers furent soulagés de voir que leurs aînés semblaient se reprendre.
« Bon, c'est pas le tout mais on a pris du retard sur les autres » lança Aiolia. « On a un temple à finir ! »
Temple de la Vierge – 15h00
Pour la première fois depuis longtemps, le visage d'ordinaire impassible de Shaka afficha une grimace de peine et de colère mêlées. Cela faisait des heures que son cosmos se répercutait contre la surface glaciale de l'urne de son armure, mais il n'était pas parvenu à franchir cette barrière. La Vierge restait imperturbablement muette à ses appels. L'Hindou se décida enfin à ouvrir ses yeux bleu ciel pour les poser sur la caisse dorée. Cette ignorance lui devenait insupportable. Son temple avait été le premier réparé (tous les chevaliers s'y étaient attelés en priorité étant donné l'état lamentable dans lequel il s'était trouvé à la suite des combats menés en ses murs) et il en avait profité pour consacrer la plupart de son temps à méditer pour tenter de communiquer avec son armure. Mais elle ne lui avait donné aucune réponse. Shaka s'était même rendu auprès d'Athéna pour lui exposer directement son problème et la déesse lui avait répondu, la tête basse, que tous les chevaliers d'Or se trouvaient dans cette situation délicate, et qu'elle n'avait aucune idée de ce qui pouvait bien se passer.
Le chevalier fronça les sourcils. Il se moquait bien de ce qui pouvait arriver aux autres avec leurs armures, ce qui comptait c'était lui et son armure. Depuis qu'elle ne lui était plus apparue, il n'avait plus réussi à élever son âme comme autrefois. Il avait le sentiment atroce d'être un dieu tombé dans le corps d'un ver. Ses sensations physiques s'étaient certes un peu développées, mais son esprit se voyait fermer les portes du monde spirituel. Il était prisonnier de ce corps physique et mortel, et il ne pouvait plus le supporter.
Shaka se releva et s'approcha de l'urne. Lentement, il passa sa main sur sa surface brillante. Le cosmos de la Vierge lui répondit, comme pour le réconforter. Il aurait presque cru entendre sa voix lui murmurer « N'ai pas peur, je reste près de toi, patiente encore un peu, je veille toujours sur toi. » C'était tout ce qu'il pourrait obtenir, rien de plus.
Troisième arène – 12h10
Sion était débordé, Dokho le savait parfaitement. C'est pourquoi le chevalier de la Balance ne s'était pas rendu aujourd'hui auprès de son plus vieil ami. Il s'était contenté, après un bref déjeuner dans le grand réfectoire encore vide de se diriger vers les arènes d'où s'échappaient depuis une heure les cris accompagnants un duel amical. L'Asiatique alla s'installer sur les gradins en secouant son tee-shirt blanc qui lui collait à la peau, et décida d'observer le Loup et l'Ours mener un combat qu'il trouva fort comique. Nachi usait de sa vitesse et de son agilité pour tenter de décontenancer son adversaire, mais celui-ci, le connaissant depuis maintenant bien longtemps, se riait de ses feintes et esquives et envoyait des coups d'une puissance inouïe que le Loup évitait en reculant exagérément, criant à son compagnon qu'il n'était qu'une brute, qu'il ne retenait pas ses coups alors qu'il le lui avait promis, qu'il avait faillit le tuer et enfin qu'il ne s'entraînerait plus jamais avec lui. Geki, tout en assurant que s'il avait voulu le tuer il l'aurait déjà réduit en charpie, s'élança pour envoyer un nouveau coup de poing qui creusa un cratère sur le sol dur de l'arène. Nachi l'avait évité avec un bond de côté mais déjà l'Ours se redressait pour lui envoyer un uppercut. Ne sachant à l'évidence plus vraiment quoi faire, le Loup chuta vers le sol pour esquiver. Ses mains rencontrèrent la terre sèche et les muscles de ses bras se détendirent violemment alors qu'il s'en servait comme tremplin pour envoyer son pied fouetter le visage de son adversaire. Geki stoppa facilement l'attaque en attrapant au vol la jambe de son ami qui poussa un cri outré.
« Lâche-moi Geki ! T'entends ? Baka kuma ! Lâche ma jambe espèce de stupide grizzli croisé avec un bulldozer ! »
Dokho ne put se retenir et éclata de rire devant ce spectacle on ne peut plus hilarant. Il regrettait de ne pas avoir quelques chips sous la main pour profiter pleinement de cette distraction. Ce n'est qu'à cet instant qu'il sentit la présence d'un autre chevalier à quelques mètres de lui. Il tourna brusquement la tête pour poser son regard sur Shura, un sourire aux coins des lèvres, lui aussi occupé à suivre le combat. L'Asiatique afficha un sourire gêné, confus de n'avoir pas repéré plus tôt le Capricorne. Il se leva pour s'approcher de l'Espagnol et se rassit à sa droite.
« On dirait que je ne suis pas le seul à apprécier cette pièce » lança-t-il à l'intention de l'autre chevalier d'Or. Celui-ci lui répondit, sans tourner la tête :
« Cela fait plaisir de voir que, contrairement à nous, certains chevaliers ne sont pas devenu des machines asservies aux ordres de n'importe qui… »
Dokho baissa la tête, ne sachant quoi répondre. Il reporta son attention sur les deux adolescents dont le plus ténu avait finalement pris le dessus, accroché au bras de son compagnon de ses dents blanches tandis que celui-ci lui criait d'arrêter ça, qu'il avait gagné. Shura se leva soudain, sortant Dokho de sa contemplation. Le Capricorne s'engagea dans l'escalier qui descendait jusqu'au centre de l'arène et l'Asiatique le suivit du regard. Il vit le Loup lâcher prise pour faire de grands gestes au nouveau venu pendant que l'Ours essuyait son bras sur ses vêtements avec un air des plus dégoûtés. Le chevalier de la Balance laissa un nouveau sourire s'inscrire sur son visage en s'apercevant enfin du fait que les deux adolescents ne portaient pas leurs armures, sans doute par respect pour leurs aînés dont la situation délicate était connue de tout le Sanctuaire (qui se résumait heureusement à Jabu, Ban, Ichi, Nachi, Geki, et les deux chevaliers d'Argent restés pour assister la déesse). L'Espagnol entama la conversation avec les deux combattants qui semblaient apprécier qu'un chevalier d'Or prenne le temps de taper la parlote. Dokho soupira, toujours souriant, et se leva à son tour pour les rejoindre. Les trois autres se tournèrent vers lui lorsqu'il atteignit les dernières marches. L'Asiatique comprit, sur le visage du Capricorne, que celui-ci n'attendait que sa venue. Néanmoins, il vit soudain les sourires du Loup et de l'Ours se muer en une expression de méfiance. Devant l'air surpris que prit Dokho, Nachi ne put s'empêcher de faire remarquer :
« C'est vous le maître de Shiryu ? Si vous saviez le nombre d'heures qu'il peut passer à vanter vos mérites… »
Dokho et Shura se regardèrent en silence, puis éclatèrent de rire.
Temple du Scorpion – 14h15
« Devine qui c'est !
- Milo, enlève tes mains s'il te plait. »
Le Scorpion ôta ses mains de devant les yeux de son compagnon en soupirant qu'il n'était pas drôle. Camus haussa les épaules et continua d'observer la colonne décalée qu'il tentait depuis cinq bonnes minutes de remettre en place. Le Grec partit s'asseoir sur un bloc poussiéreux, boudant, et répétant pour la énième fois qu'il s'ennuyait ferme, que c'était lassant de réparer son temple en compagnie d'une statue de glace introvertie et incapable-de-faire-même-semblant-de-vouloir-détendre-l'athmoshère. Le Français dont la patience légendaire n'allait pas tarder à atteindre ses limites, se retourna pour répliquer quelque chose au Scorpion, quand un cosmos entra dans le temple, attirant toute leur attention. Un homme apparut, de haute stature, aux cheveux courts et argentés, repoussés vers l'arrière et lui donnant un air hautain déjà perceptible dans ses yeux cobalt. Il s'approcha des deux chevaliers d'Or, d'un pas rude, en toussotant douloureusement, un poing devant la bouche. Des cernes grisâtres s'étendaient sous son regard azuré, dévoilant une maladie qui semblait le ronger depuis bien longtemps… depuis trop longtemps pour qu'on puisse songer qu'elle finirait par le quitter. L'homme s'arrêta face à eux et les salua.
« Athéna vous demande Chevalier du Verseau » dit-il de sa voix rauque.
Le Français hocha la tête en silence. Milo sauta sur ses pieds et se dirigea rapidement vers eux.
« Et pourrait-on savoir pourquoi ? demanda-t-il d'un ton agacé (et surtout vexé d'être de cette façon ignoré).
- Non. Le Verseau est le seul à être invité, répondit l'homme en fixant sur le Grec un regard froid et inexpressif.
- Très bien ! répartit le Scorpion en se tournant vers Camus. Parfait ! Que monsieur aille voir ce qu'on lui veut en emportant cette espèce de hyène avec lui (il pointa l'homme aux cheveux d'argent du doigt) et me laisse terminer mon temple dans la joie et la bonne humeur ! »
Camus soupira. Décidément, son compagnon ne pourrait jamais se débarrasser de cette jalousie étouffante. Il se tourna vers le messager, Hydri, chevalier d'Argent de l'Hydre mâle qui, comme tous les autres ne portait pas son armure, et lui fit signe qu'il était prêt à le suivre. Il jeta un dernier regard à Milo qui lui tournait le dos, les bras croisés et lui dit qu'il repasserait plus tard. Sur ce, les deux hommes disparurent, laissant le Scorpion seul dans son temple. Celui-ci se retourna en affichant cette fois une expression de profonde déception. Une fois de plus Camus l'avait laissé en plan pour continuer les réparations, sachant parfaitement que le Grec ne pouvait pas rester seul, surtout quand il s'agissait de réaliser une tâche aussi ennuyeuse que celle de réparer un temple. Ses yeux survolèrent le grand hall silencieux qui lui parut bien triste et sans intérêt maintenant qu'il y était seul. Il secoua la tête, bien décidé à présent. Sans plus attendre, il quitta la Maison du Scorpion pour descendre jusqu'à celle du Lion, espérant qu'Aiolia s'y trouverait.
Temple du Capricorne – 19h15
Shura s'avança parmi les colonnes grisées entre lesquelles s'étendaient maintenant les ombres du grand bâtiment à l'approche du crépuscule. Il marcha d'un pas lent jusqu'à son salon et sortit la dernière bière du frigo avant de s'installer dans un fauteuil. Il observa la canette pendant un long moment, en silence.
« C'est pas la peine de t'en faire tu sais… »
La voix hésitante du Taureau fit sourire le Capricorne. Il tendit la bière au colosse resté dans l'encadrement de la porte pour la lui proposer, mais celui-ci secoua la tête. L'Espagnol haussa les épaules et but quelques gorgées, puis son regard rencontra à nouveau le sol. Aldébaran se passa nerveusement une main derrière la nuque. Il savait que Shura était inquiet de la réaction qu'avaient eu le Cancer et le Poissons un peu plus tôt, et que le fait de ne pas les avoir vu depuis qu'ils avaient rejoint leurs temples le travaillait. Le Capricorne mourrait d'envie d'aller voir l'un de ses compagnons mais il craignait par-dessus tout de ne pas être la bienvenue. Avait-il donc si peur de la défaite ? se demandait le Brésilien. Ils restèrent immobiles durant de longues minutes, n'émettant pas le moindre son, chacun plongé dans ses réflexions amères. Finalement, Shura rompit le silence d'un soupir profond. Il leva ses yeux noirs vers le Taureau qu'il dévisagea un instant.
« Je ne m'en fais pas. Ce sont deux têtes de mules. (il sourit) On ne s'était jamais parlé avant cette histoire de bouquin. Est-ce que ça te dirait de bavarder cinq minutes ? »
Aldébaran parut ravi de cette proposition. Il laissa à son tour apparaître un sourire en venant s'asseoir face au Capricorne alors que celui-ci lui indiquait le fauteuil. Ils parlèrent de tout et de rien, en s'attardant sur le problème des tenues (sincèrement sérieux pour certains) que chacun avait sorti d'on ne sait où pour remplacer leur armure. Shura grimaça en écartant légèrement les bras pour montrer à son interlocuteur le tee-shirt grisâtre, le jogging beige et les chaussures effrayantes (des Van's d'après Geki qui les lui avait fourni) qu'il se voyait dans l'obligation de porter pour se montrer décent. « C'était ça », dit-il en pointant le pantalon du doigt « ou un short noir que j'ai retrouvé dans un meuble et que je ne me souviens pas avoir jamais porté. Je crois qu'il n'est même pas à moi… peut-être à DM. » Le Taureau hocha la tête en affichant une mimique profondément compréhensive de la douleur que devait éprouver l'Espagnol. Celui-ci se mit à rire devant cette peine complètement feinte et enchaîna qu'il ne se pensait pas tant à plaindre quand il examinait les vêtements que se voyait obligé de porter Saga sous les ordres de son frère. Mü avait, quant à lui, ressorti les toges qu'il portait autrefois, et tous les autres, ne retrouvant décidément que des vêtements élimés ou qui n'étaient plus à leur taille, avaient du s'en remettre aux chevaliers de Bronze pour aller faire leur shopping. C'est ainsi qu'Aldébaran s'était retrouvé pourvu de quelques tee-shirts noirs, d'un pantalon kaki et de lourdes bottes sombres en attendant mieux, tandis que les frères du Lion et du Sagittaire se partageaient jeans et joggings marron pour des débardeurs ou sweets aux teintes charbonneuses. Aphrodite avait dévoilé une garde robe tout à fait acceptable, et Death Mask (qui n'apparaissait de toute façon presque plus en public) sortait affublé d'un blouson noir sur un tee-shirt du même ton, d'un short presque identique à celui qu'avait trouvé Shura, et de sandales aux mêmes couleurs opaques.
Le deux chevaliers se turent à nouveau en passant en revu dans leur esprit la tenue de chacun de leurs confrères, un sourire aux lèvres. Ils n'en revenaient pas que d'aborder un sujet si futile leur soit si apaisant. Qu'il était bon de s'attarder sur des choses qui n'entravaient en rien la sauvegarde du monde qu'ils côtoyaient ! Il discutèrent longuement, sur différents sujets, apprenant lentement et innocemment à se connaître. Cette nuit-là, le Taureau ne quitta pas le temple du Capricorne.
Palais du Grand Pope – 14h35
« Vous avez demandé à me voir ? »
Sion leva les yeux sur le Verseau qui venait d'entrer en compagnie de Hydri. Le Pope fit un signe de la main à ce dernier pour lui permettre de se retirer. Le chevalier de l'Hydre mâle salua et tourna les talons sans un regard pour Camus qui le suivit des yeux jusqu'à ce qu'il ait franchi les portes épaisses. Il se remémora la discussion qu'il avait eut quelques minutes plus tôt avec cet homme ; Hydri s'était avéré être réellement l'homme froid et distant que tous décrivaient, tout comme lui. Et Camus n'aimait pas côtoyer des personnes si semblables à lui-même de par leur caractère, il préférait de loin passer son temps en compagnie d'hommes impétueux comme Milo. La froideur des autres ne lui rappelait que trop bien sa propre incapacité à dévoiler ses sentiments. Le Scorpion, un jour où le Français avait été trop loin dans son mutisme, l'avait alors traité d' « ataraxique ». Le Verseau connaissait bien ce mot dont on l'avait plus d'une fois qualifié. Peut-être était-ce vrai, peut-être était-il tout simplement victime d'une maladie destinée à noyer chacun de ses sentiments. Pourtant, il se souvenait que cette remarque de la part du Grec l'avait profondément blessé, même s'il n'en avait rien montré. Non, il n'était pas incapable d'éprouver de sentiments, il était tout simplement incapable de les laisser apparaître sur son visage, dans ses gestes. Son corps était comme une barrière empêchant toute joie, toute tristesse de se libérer ; c'était ainsi du moins qu'il voyait les choses. Et les autres avaient tort en disant que sa froideur était sa force, elle était au contraire sa faiblesse. « Est-ce réellement important ? » avait-il demandé au chevalier de l'Hydre mâle lorsqu'ils avaient quitté le temple du Scorpion. « Tu le verras une fois arrivé Chevalier du Verseau. Pourquoi ? Tu aurais préféré rester avec cet abruti ? » Hydri cherchait à le provoquer, c'était certain, et Camus avait été un instant tenté de lui faire remarquer qu'il venait de manquer de respect envers un chevalier d'un rang supérieur au sien, mais il n'en avait rien fait. Il s'était contenté de hausser les épaules et le chevalier d'Argent n'avait pas insisté. Sans doute avait-il simplement voulu vérifier que le Verseau était bien aussi froid que les glaciers qu'il côtoyait. Camus lui avait démontré que les autres disaient vrai, et Dieux ! comme il s'en était voulu.
Les portes se refermèrent, le Verseau se retourna pour faire face à Sion. L'ancien Bélier lui sourit et s'approcha de lui. Il portait la longue toge sombre de ses attributs mais avait ôté son casque. Il était même question de faire disparaître le masque noir qui devait depuis toujours couvrir le visage du Pope, histoire que d'autres incidents telle la trahison de Saga ne se reproduisent pas. Camus s'agenouilla, mais Sion lui demanda aussitôt de se relever, ce que fit le chevalier. Après un bref silence, l'Atlante lui exposa les faits. Il était question de sa succession. Lui et Athéna avaient longtemps hésité pour porter finalement leur choix sur lui.
« Notre déesse a tout d'abord pensé à l'un des chevaliers de Bronze, l'élève de Dokho, chevalier du Dragon, mais même si Shiryu est sage et intelligent, il n'en reste pas moins un enfant. Athéna et moi espérons que tu acceptes de prendre ma place pour les temps futur, assisté par l'élève de Dokho. »
Camus médita longuement cette proposition. Lui ? Devenir Pope ? Pourquoi ? Etait-ce à cause de cette fameuse froideur, de son esprit qu'on disait logique et de ses raisonnements rapides et rationnels ? Sans qu'il sache pourquoi, l'image de Hyoga se présenta à son esprit. Etait-il vraiment digne de jouer ce rôle ? Il s'excusa auprès de Sion en lui disant qu'il devait réfléchir. L'ancien Bélier acquiesça.
« Prends ton temps Camus, cette décision n'appartient qu'à toi. »
Le Verseau salua et quitta le temple. Il se dirigea aussitôt vers celui du Scorpion, espérant que Milo avait fini de lui faire la tête. Aussi incroyable que cela pourrait paraître au Grec, Camus avait besoin de parler.
Temple des Poissons – 20h00
Aphrodite s'était enfin calmé. La colère qu'avait fait naître en lui le comportement de l'Italien s'était finalement estompée après qu'il ait passé son après-midi à s'occuper soigneusement de ses rosiers, puis de son corps en passant plus de deux heures enfermé dans sa salle de bain. A présent, il s'était installé sur son lit, nu, et feuilletait des magasines d'herboristerie en sirotant une tisane destinée à calmer les maux de tête atroces qui l'avaient assailli dès que sa rage avait disparu. Il souffla sur le liquide que contenait la tasse brûlante aux senteurs délicates. Ses yeux turquoise glissaient sur les lettres noires sans vraiment les voir. Malgré tout ce qu'il pourrait dire, ses pensées le travaillaient. Avait-il fait une erreur ? Il avait pourtant cherché à aider Death Mask, car après tout, c'était bien pour lui qu'il avait fait tout ça. Il avait cherché à se rapprocher des autres pour voir si le terrain était sans danger, et il avait fini par trouver une terre à peu près stable dans cet océan d'ignorance. Et pourtant, ses efforts avaient été vains puisque le Cancer avait porté un regard méprisant sur tout ce qu'il avait entrepris. Pourquoi ? Lui qui lui avait toujours paru fuir la solitude, voilà qu'il s'enfonçait dans celle-ci au point de le repousser lui-même, son meilleur ami ! Car il était bien son ami n'est-ce pas ? Peut-être qu'il s'était trompé sur ce point aussi. Après tout, l'Italien avait toujours été quelqu'un d'insondable, même pour lui, même lorsqu'ils travaillaient ensemble sur des missions barbares que n'importe qui aurait refusé (mais ils n'avaient pas eu le choix, la Justice leur dictait les règles). Alors pourquoi pas ? Pourquoi ne serait-il pas simplement une sorte de « passe-temps » pour le Cancer ? Juste un objet sur lequel il aurait porté son intérêt un moment, comme tout ces détritus qu'il ramassait sur les cadavres ? Oh oui, il était au courant ! Il avait bien vu les quelques bijoux s'accumuler lentement dans un coin de la chambre de son compagnon lorsque celui-ci ne l'avait un jour pas suffisamment surveillé pour l'empêcher de fouiner. Il l'avait bien vu par la suite se rendre quelques fois au sommet des falaises qui bordaient le Sanctuaire pour balancer nonchalamment ses trouvailles en pensant à lui seul savait quoi. Seule la gourmette dorée qu'il portait au poignet droit semblait digne de l'intérêt de l'Italien. C'était en tout cas le seul objet que le Poissons ne l'avait jamais vu jeter. Il le portait toujours.
Le Suédois serra les dents ; quitte à n'être qu'un objet aux yeux de son compagnon, il espérait sincèrement l'être au même titre que ce bracelet. Son regard azuré glissa lentement jusqu'au gros poisson en peluche portant un tee-shirt marqué d'un « I am stupid », posé à côté de son oreiller. Death Mask le lui avait offert pour son dix-huitième anniversaire, en réponse au « crabe happy birthday ». Doucement, sa tension diminua, et il finit par s'en vouloir de s'inquiéter de la sorte. Ce cadeau de la part du Cancer l'avait tellement étonné. Comment pouvait-il douter de l'amitié de celui-ci ? Vraiment il s'en voulait !
Il se leva dans un soupir, lançant le magasine qui alla s'écraser sur une pile d'ouvrages de la même nature. Il finit sa tasse et la posa sur sa table de nuit, puis se dirigea vers la petite pièce reculée dont on ne pouvait avoir accès qu'à partir de sa chambre. Elle était sombre et sans fenêtre et Aphrodite ne l'avait jamais utilisé que pour y déposer des vêtements ou objets devenus inutiles (ce qui était très rare étant donné le peu de biens que pouvait posséder un chevalier d'Or). Il trouvait cet endroit lugubre, mais c'était pourtant ici qu'il avait décidé de laisser l'urne des Poissons. Il s'assit contre sa surface froide, dos à elle, face à la porte qui menait à sa chambre. Une voix douce et mélodieuse s'insinua lentement dans son esprit, le berçant, le réconfortant. Il aimait l'écouter. Ses paupières se fermèrent et il finit par s'endormir, recroquevillé sur lui-même, le dos toujours collé au mur froid qui le séparait injustement de son armure.
