Ouf ! Un grand merci à mon Daimon pour m'avoir permis de finir enfin ce chapitre ! Et bien sûr merci à tous ceux qui me laissent des reviews ! Parce que on a beau dire... savoir que quelqu'un aime ce qu'on fait ça aide quand même plus qu'une petite bêbête imaginaire XD Donc bref, je voulais juste vous dire que j'ai un pitit peu de mal à écrire en ce moment (j'ai de la philo plein la tête !) et je voudrais passer un petit coucou à ma chère Idael qui a toujours su trouver les mots qui me mettaient hors de moi : Moi aussi je t'aime très chère !

J'ajoute aussi qu'après ce chapitre le supplice des "lieux - heure" sera normalement terminé XD (je dis supplice parce que moi ça me gonflait vraiment mais j'avais pas le choix si je voulais me retrouver, y a tellement de personnages --") comme la petite troupe va se séparer je pense que je ferais un chapitre parlant à chaque fois d'un groupe différent. Voilà...

Merci Laura, ma plus ancienne lectrice, merci Sephi et Tenbra que je ne connais pas depuis longtemps mais que j'adore et merci Uasti pour tes encouragements !

Chapitre 3 : Pactes et Conflits

Infirmerie du Sanctuaire – 10h30

La lumière chaude filtrait paisiblement à travers le tissu fin et orangé des rideaux ténus. Le silence qui régnait dans la chambre semblait féerique, son calme et sa douceur contrastant avec le corps meurtri, à la peau hâlée, étendu sur le lit blanc. De nombreuses tâches brunies, virant au bleu violacé pour certaines, s'étendaient sur le torse, les bras et le visage du jeune homme endormi. Une compresse barrait sa tempe droite, dissimulant la moitié de sa paupière clause. Le sang qui avait, quelques heures plus tôt, recouvert son menton, sa gorge et sa jambe gauche avait été nettoyé. Sa respiration lente soulevait à peine sa poitrine qui restait imperturbablement immobile. Son souffle restait silencieux. Il semblait dormir d'un sommeil si profond que même ses traits ordinairement durs et dédaigneux s'étaient adoucis. Il parraissait serein malgré son combat intérieur, dans son âme rendue froide, dure et cassante par la souffrante qu'avait fait naître en lui cette déchirure, la blessure profonde mise à vif lorsque le seul être en qui il pensait avoir confiance l'avait trahi et abandonné. Pour lui, Elle n'était pas à l'origine de sa transformation en cette chose répugnante, c'était lui, son « ami » et tous les autres qui avaient donné vie à cette apparence.

Le jeune Japonais baissa les yeux. Cette vision lui était douloureuse. Il s'approcha de la chambre et ferma la porte qui la séparait du couloir, pour fuir cette scène figée. Puis il se retourna vers son compagnon dont les yeux noirs et perçants étaient fixés sur le carrelage glacial. Geki soupira, puis grogna en se massant la nuque et faisant craquer ses vertèbres. Il commençait à en avoir assez d'attendre ici à ne rien faire. Enfin… ce n'était pas totalement vrai. Surveiller le Cancer lui faisait peur. C'était la première fois qu'il ressentait une telle peur, et son orgueil bien connu de son entourage ne le supportait pas. Il était nerveux, sentant qu'un danger pourrait surgir à tout moment. Il n'avait déjà ressenti une telle chose qu'une seule fois dans sa vie, lors d'un de ses entraînements dans les montagnes rocheuses. Son maître lui avait un jour proposé un nouveau mode d'entraînement, ou plutôt une façon de mesurer sa force actuelle. Ce n'était qu'à un mois environ du tournoi organisé par la Fondation et l'Ours avait accepté le défi en ricanant. Il se souvenait encore avoir deviné un regard sûr et calme derrière le masque aux reflets d'ivoire de son maître, mais sa confiance était bien trop grande pour qu'il n'y prête attention. Aussitôt, le jeu avait commencé…

& & & & & &

Je me souviens. Le soleil se couchait et déjà la lumière du jour s'atténuait pour ne laisser présente que l'ombre des grands arbres qui m'enveloppaient. La mienne disparaissaient parmi celles des colosses végétaux. Un vent faible soufflait, faisant bruisser légèrement les feuillages. Seul leur chant endormi était maintenant perceptible, et je n'entendait plus un seul bruit animal. Elle ne doit pas être loin, je me dis. Elle a du se cacher dans un arbre ou dans la crevasse d'une falaise. Et je m'étais lancé à sa poursuite. Sur mon chemin, je trouvais des branchages brisés et quelques traces de pas peu profondes. Trop facile ! Un simple jeu de piste, vraiment loin d'être à ma hauteur. Je connaissais la forêt pour y avoir vécu et m'y être entraîné depuis déjà tant d'années, depuis que j'avais été envoyé ici pour récupérer l'armure de l'Ours. Un jeu d'enfant, me répétais-je. Et la nuit tomba. Les heures passèrent. Je n'avais pas froid, j'étais habitué au climat. Elle était bien cachée, je l'avais sous-estimée, mais je la trouverais tôt ou tard, peu importait l'heure ou le climat. Les heures passèrent encore sans que je m'en rende compte. J'avais fini par m'arrêter près d'une rivière pour boire un peu d'eau fraîche, ma gorge me brûlait. Soudain, alors que mes mains sortaient du ruisseau pour porter à mes lèvres quelques gorgées bienvenues, un frisson m'avait parcouru. Un frisson violent. Tellement violent que je sentis à cet instant des crampes se profiler un peu partout dans mon corps. J'arrêtais mon geste si brusquement que l'eau s'écoula rapidement de mes mains. Je restais là, sans bouger, dans la même position. J'étais observé, je le savais. Ou plutôt j'étais traqué. Je ne m'en été pas rendu compte, jusqu'à cet instant… mais depuis le début, c'était elle le chasseur, et moi la proie.

& & & & & &

Geki serra les dents en repensant à cette nuit terrifiante et à ses effets dévastateurs. Dès qu'il s'était rendu compte de sa terrible méprise, il s'était retrouvé perdu, effrayé. Il n'avait plus été capable d'analyser chaque situation qui se présentait à lui. Il avait fui toute la nuit.

Nachi releva soudain la tête, sortant l'Ours de ses souvenirs douloureux pour sa conscience et son amour propre. Le Loup le dévisagea de son regard perçant et Geki se sentit rapidement mal à l'aise. Il n'aimait pas ces moments où le garçon aux cheveux bleu foncé perdait sa façade souriante ou expressive. Lui qui pensait que sa véritable nature de « loup solitaire » avait disparue en même temps que les mauvais traitements de l'orphelinat. Apparemment, ses années d'entraînements lui avaient aussi servies à dissimuler sa personnalité sous une autre, mais pas à la changer complètement. Nachi du se rendre compte de la gêne de son ami car il lui sourit. Son visage resta néanmoins dur et marqué d'une certaines méfiance. Depuis la blessure que lui avait infligé le Cancer il n'avait plus dit un mot, ou juste un chuchotement au moment du combat, lorsqu'il avait soufflé à l'Ours où se trouvait le point faible du monstre (mais peut-être ce silence était-il aussi du à l'état déplorable dans lequel Orthros s'en était sorti ; Nachi avait du le laisser à un ami qui vivait hors du Sanctuaire). La tenue sombre qu'il portait sous son armure cachait les bandages qui recouvraient son ventre, mais l'odeur de sang était encore bien présente sur sa peau. Le Loup reprit sa position initiale, ses iris charbonneuses comme attirées vers un gouffre invisible. Son sourire avait disparu. Geki sentit son cœur se serrer. Nachi était son plus vieux compagnon. Très jeune déjà ils s'étaient retrouvés dans le même orphelinat. Ils avaient essuyé ensemble la douleur et l'humiliation de se retrouver seuls aux mains d'adultes qu'ils ne connaissaient pas. Le Loup avait été un garçon peureux, c'est pourquoi il avait entretenu un caractère indépendant et méfiant, malgré la présence de l'Ours à ses côtés qui s'était toujours interposé à tout ce qui pourrait le blesser, comme l'aurait fait un grand frère. Les sentiments qu'il éprouvait pour Nachi depuis cette époque était l'une des seules choses n'atteignant pas son orgueil. Jamais il n'avait eu honte de protéger le garçon aux yeux d'ébène, ni de le réconforter en le serrant dans ses bras lorsqu'en ce passé peu lointain la fierté du Loup ne parvenait plus à retenir ses larmes. Aujourd'hui, Nachi semblait avoir retrouvé la raison qui l'avait un jour poussé à se refermer sur lui-même. Cette remarque blessait profondément l'Ours qui ne savait pas comment réagir après tout ce temps. Devait-il laisser Nachi trouver un accord avec lui-même, comme pour les chevaliers d'Or, ou le serrer dans ses bras comme autrefois ?

Le Loup releva la tête lorsqu'il entendit Geki venir vers lui. Il n'eut pas le temps de réagir avant de sentir les bras robustes de son compagnon l'enlacer. Nachi ne dit rien. Il ferma les yeux, éteignant ainsi leur lueur dangereuse, et se laissa bercer doucement. Il lui semblait n'avoir plus senti une telle chaleur depuis une éternité. Les mains qui caressaient son dos et ses cheveux suffisaient à faire taire en lui toute méfiance ou animosité, et il put à nouveau afficher un sourire.

Un cosmos emplit soudain le couloir, comme si quelqu'un venait de le dévoiler pour les prévenir de son approche. Nachi repoussa son ami en s'éloignant vivement, son regard agressif déjà posé sur la femme qui avançait vers eux. Ses longs cheveux noirs étaient reconnaissables entre tous. Son visage ne l'était pas, et les deux adolescents le voyaient pour la première fois. C'était pourtant bien elle, Céléris de la constellation du Petit Cheval, son armure le prouvait. Elle avait des traits fins et asiatiques, et sa peau était presque aussi pâle que celle d'Hydri. En outre, les même marques sombres que celles du chevalier de l'Hydre Mâle se dessinaient sous ses yeux bleu nuit. Ces deux Argents ne sont plus de première fraicheur, songea amèrment Geki qui n'oserait cependant pas contester les choix d'Athéna.

« Le Grand Pope vous demande. »

La voix lasse et éteinte de la femme fit grimacer les deux adolescents. Ils acquiescèrent néanmoins et Céléris tourna les talons pour rejoindre le palais. Les deux garçons se lancèrent un regard hésitant. Ils jetèrent un dernier coup d'œil à la porte de la chambre qu'ils surveillaient, puis partirent à la suite du chevalier d'Argent.

Palais du Grand Pope – 10h50

« Si, si ! Je vous assure ! Gros comme trois immeubles !

- N'éxagérons rien…

- Mais si ! Pas vrai Ichi ? Grand comme… euh… le truc là… la Tour de Tokyo !

- D'habitude c'est moi qui amplifie un peu la réalité…

- Mais à ce point c'en devient risible…

- Je vous jure ! J'étais bien placé pour le voir !

- Il a déjà vu la Tour de Tokyo ?

- Marine la lui a montré dans un atlas.

- De quoi il parle au fait ? »

L'arrivée d'Athéna dans le grand hall du palais imposa le silence. Tous les chevaliers présents la saluèrent respéctueusement, elle leur rendit leur salut avec un sourire. Cela faisait déjà quelques heures que la déesse était revenue, mais à nouveau son corps humain avait mal supporté son voyage en Olympe et elle avait du prendre du repos. Elle se trouvait maintenant aux côtés de Sion avec qui elle avait longuement discuté. Son apparition au royaume des dieux avait certainement été mal vue par nombreux d'entre eux, et la déesse s'était montrée soucieuse quant à des représailles de la part de ses frères divins. Elle avait mis ses chevaliers en garde ; une attaque était peut-être à craindre.

Les dix chevaliers de Bronze avaient rejoint la salle principale du palais un peu plus tôt, les derniers arrivés étant les deux préposés à la garde du Cancer. A leurs côtés se dressaient Camus, Shaka, Hydri et Céléris dont le masque facial avait disparu. Aioros était resté au chevet de son frère. Le débat commença. Beaucoup étaient pour donner priorité aux recherches sur la malédiction, mais la protection du Sanctuaire était devenue un point tout aussi important puisque la plupart des chevaliers d'Or étaient inaptes à tenir leur rôle de gardien. Il fut décidé que des groupes de deux seraient formés, les chevaliers de Bronze se chargeant de la protection des temples inhabités. Les deux équipes formées de Aioros et Céléris d'un côté, et de Camus et Hydri de l'autre iraient donner les soins adéquats à leurs compagnons maudits. Shaka et Sion, enfin, s'occuperaient des recherches concernant la symbiose entre les armures et les corps qu'elles avaient investis.

« Mü pourra peut-être nous aider » dit doucement Athéna à l'intention de Sion.

L'ancien Bélier acquiesça, bien qu'il sentit sa gorge se nouer ; l'homme qui gardait le premier temple n'était plus celui qui avait été son élève, et il devait bien l'avouer : il l'effrayait. Le vieil Atlante avait même préféré éloigner Kiki de son maître, et le garçon restait maintenant au palais en compagnie de son aîné. Sion ne put retenir un sourire en songeant que le jeune Tibétain devait être en train de les épier, dissimulé dans un coin de la grande pièce. L'élève de Mü s'inquiétait énormément pour son maître, et le fait de l'en avoir éloigné l'avait rendu méfiant et tendu. Il avait échappé plusieurs fois à la surveillance des gardes pour se rendre à la Maison du Bélier, malgré les recommandations de Sion qui lui avait pourtant expliqué à quel point il était dangereux de traverser celles des Poissons et du Capricorne. Mais le jeune garçon n'en faisait qu'à sa tête. Cependant, il n'avait jamais dépassé le temple du Scorpion. A chaque fois le cosmos de Milo s'était élevé pour les prévenir, à chaque fois ils avaient récupéré l'enfant terrorisé dans l'antre du Scorpion.

Le bruit de la lourde porte qui vint frapper le mur avec fracas mit fin au brouhaha qui régnait dans le palais. Les trois gardes entrèrent avec précipitation.

« Une attaque » lâcha l'un d'eux, le souffle court.

Temple du Bélier – 11h10

Mü observait avec prudence la créature qui se dressait face à lui. Ses pupilles s'étaient rétractées au milieu de l'étendue bleu vert de ses iris. Il tentait de sonder l'adversaire, serrant de ses mains fines et délicates le métal froid des accoudoirs de son fauteuil roulant. La tension presque palpable l'avait obligé à freiner sa respiration. Les deux êtres se fixaient. Le Bélier était éreinté, fourbu par ces longues nuits passées sans sommeil, alors que son armure refusait de lui laisser tout contrôle. La puissance de son cosmos s'en ressentait douloureusement. Elle, tanguait de droite à gauche sur ses six membres robustes, un sourire s'étirant sur ses lèvres basanées, ses yeux restants cachés sous le casque osseux aux contours de fauve qui ornait son crâne. Son corps de félin imposant bandait ses muscles par à-coups, son torse de femme nu dansait sur un faible vent chaud. Ses grandes ailes brunes fouettaient l'air. Elle semblait prête à attaquer. L'Atlante n'aurait jamais cru possible de se retrouver un jour face à un sphinx. Il chercha dans sa mémoire les légendes qui entouraient cette créature. Seulement voilà, elle n'avait pas l'air de vouloir discuter… et encore moins de poser quelque énigme dont le chevalier aurait sans doute eut moins de mal à se dépêtrer que de la défaite qui l'attendait si elle se décidait à passer à l'attaque.

Derrière elle se tenait une femme en armure, la main droite refermée sur une grande lance du même matériau que sa protection : une armure brillante à la couleur pourpre. Elle suivait les formes musclées et agiles de la femme aux cheveux roux, longs et bouclés qui apparaissaient de sous son casque. Sa poitrine n'était élevée que d'un côté, comme si son corps avait été mi masculin, mi féminin. Une Amazone...

Le sphinx bougea soudain, arrachant Mü à son analyse ; la bête venait de se précipiter sur lui. Le Bélier chassa rapidement la stupeur qui l'avait assailli pour dresser un mur de protection entre lui et son assaillant.

« Crystal Wall ! »

Le monstre se fracassa avec une violence hors du commun contre la barrière, une violence à laquelle le chevalier ne s'attendait pas. Il eut beaucoup de mal à contenir le choc et déjà le sphinx se dressait devant lui de toute sa hauteur imposante, en appuie sur ses pattes arrières, ses griffes avant et ses mains aux bras musclés forçant contre la surface du mur synthétique. Elle ne semblait se servir que de sa force physique, mais celle-ci était nettement suffisante pour que l'esprit de Mü commence à paniquer. Bon sang, mais d'où viennent-elles ? Elle est trop forte, ma barrière ne tiendra pas longtemps ! Le visage du jeune homme affichait maintenant la crainte et la douleur liée à l'effort pour maintenir en place son « Crystal Wall ». Le sphinx graillait sourdement en frappant de ses poings contre le mur invisible, tandis que ses griffes acérées s'enfonçaient lentement dans la surface maintenant crépitante, dévoilant les dernières bribes de cosmos que mettait en œuvre le chevalier pour contenir son opposant. La fatigue alourdissait tous ses mouvements. Il avait besoin d'aide…

sinon… elle va me tuer…

« Tu crains donc à ce point la mort ? Ce n'est pas digne d'un chevalier. »

Mü ferma les yeux et se sentit envahir par le désespoir.

C'est normal de craindre la mort quand on a déjà touché à l'Enfer !

« Tu ne la craignait donc pas avant ? »

Non !

« … … … Alors tu n'es plus digne de ce poids que je suis… »

Un hurlement déchirant s'échappa de ses lèvres alors que les extrémités dures et noirâtres s'extirpaient de son crâne, pointant et se recourbant au-dessus de son visage. La douleur était trop grande et il perdit le contrôle de son cosmos, libérant le bête qui atterrit avec fracas sur le sol avant de s'élancer sur le jeune homme aux cheveux mauves qui entourait sa tête de ses mains blanches.

Le sphinx n'eut pas l'occasion d'atteindre le Tibétain. Un choc brutal qu'elle ne vit pas venir s'abattit sur son crâne protégé par le casque osseux, et elle s'écrasa contre le sol, sa mâchoire rencontrant la terre sèche et dure la première, envoyant deux de ses dents valser dans un éclat pourpre. Geki recula, surpris autant que son adversaire de la vitesse de sa propre réaction. Mais il avait réussi, il était arrivé à temps. Shiryu était juste derrière lui, accroupi aux côtés de Mü pour s'assurer qu'il allait bien. L'Atlante leva sur le Dragon un regard mort cerclé de cernes appuyés, puis il hocha la tête, comme pour l'assurer qu'il n'y avait aucun problème. Hydri et Camus avaient pris place dans la Maison du Verseau, Shun et Ban s'étaient arrêtés dans celle du Sagittaire, Hyoga et Nachi dans celle de la Balance, Ikky et Ichi occupaient celle du Lion, et Seiya et Jabu avaient du s'arrêter dans celle des Gémeaux. Les deux chevaliers de Bronze observèrent leur duo d'adversaires. Le sphinx s'était lentement relevé, et crachait maintenant en feulant contre son agresseur, dévoilant une dentition aiguisée et répandant une pluie de gouttelettes rougeâtres. Derrière elle, la femme n'avait pas bougé, son expression restant dissimulée sous son casque ne dévoilant que ses yeux de braise. Le Japonais aux longs cheveux noirs tourna la tête vers son compagnon. Ce dernier lui fit signe de reculer, sans même lui porter un regard ; il devait finir ce qu'il avait commencé. Shiryu acquiesça imperceptiblement et recula vers Mü pour le protéger. Geki se mit en position de combat, ses mains aux doigts recourbés comme une prise griffue dressés devant son visage, les genoux pliés, prêt à contenir n'importe quelle attaque physique. Il put deviner l'éclat verdâtre du regard courroucé de la femme au corps de lion. Le plumage brun de ses ailes frémit, et elle s'élança, son abdomen relâchant soudain toute la pression qu'il avait accumulé. Elle bondit, toutes griffes dehors, dévoilant chaque muscle de son corps agile. Une trajectoire, en outre, facilement prévisible…

« Hanging Bear ! »

Les pattes arrières de la créature hybride percutèrent violemment le sol tandis que les bras puissants de l'Ours agrippaient directement sa gorge dénudée, la stoppant en plein vol. Le monstre parut un instant surpris, puis se débattit avec force et colère. Son long corps se contorsionna dans tous les sens, frappant, griffant, de sa bouche encore ouverte s'échappait un cri inaudible. L'adolescent suait à grosses gouttes. Il grimaça quand les griffes antérieures du sphinx s'enfoncèrent douloureusement dans le torse de son armure, y formant des cassures d'où s'écoula bientôt une faible dose de sang. La force du monstre était terrifiante, lui-même avait du mal à maintenir sa prise, mais il devait pourtant y parvenir… Il tenta le tout pour le tout et envoya soudain son cosmos exploser dans ses bras dans un cri de colère. Ses jambes faillirent se dérober sous lui tandis que sa prise augmentait brutalement, pour le plus grand malheur de la créature. Un craquement bruyant retentit, et l'Ours cru un instant que son armure venait de se briser, mais lorsqu'il ouvrit les yeux, il ne put que constater à l'angle qu'avait pris le cou de sa victime que sa nuque était rompue. Il lâcha le cadavre qui s'étala de tout son long sur le sol poussiéreux, faisant s'élever autour de lui un nuage brunâtre. Geki recula en soufflant bruyamment. Il porta une main tremblante à son torse. Quelque chose n'allait pas, ses blessures n'étaient pourtant pas si graves. Du poison ! comprit-il enfin. Mais avant qu'il put réagir, il avait déjà perdu connaissance et s'effondrait.

Shiryu se précipita vers son compagnon, posant un genou prêt de son visage pour tenter de sentir son pouls. Il était faible.

« Mais… qu'est-ce que… » bégaya le Dragon qui ne comprenait pas d'où venait le mal de son ami. Un tintement lui fit lever la tête et il s'aperçut que l'Amazone lui souriait. Elle avait ôté son casque, dévoilant son beau visage encadré de cheveux à la couleur de feu. Dans sa main droite dansait un flacon, soumis au regard du jeune Japonais.

« C'est l'élixir » dit-elle enfin. « Si tu le veux, tu devras te battre chevalier. »

Son ton était moqueur. Elle ne craignait pas la défaite. Le Dragon serra les dents de colère, mais le faible cosmos du Bélier le rappela à lui.

« Elle ne plaisante pas… » résonna la voix du Tibétain dans sa tête. « Essaye de trouver le moyen de lui dérober l'antidote. Seul tu n'arriveras à rien… »

L'adolescent se retourna. Mü avait lui aussi perdu connaissance. Dans quelles galère se retrouvait-il ? Il fit face à nouveau à la femme qui l'attendait, le flacon sagement accroché à sa ceinture. Il devait rester calme, protéger les autres avant tout. Le garçon souleva son compagnon pour le porter aux côtés du chevalier infirme. Geki respirait de plus en plus faiblement, inquiétant encore plus le jeune Dragon.

« Il ne lui reste qu'un quart d'heure. Tu es lent, chevalier. »

A peine eut-elle prononcé ces paroles qu'une trombe brûlante se dirigeait vers Shiryu. Celui-ci l'évita en jurant, atterrissant difficilement contre les marches qui menaient au temple suivant. Le Dragon posa son regard d'ébène sur l'Amazone. Il devait analyser ses mouvements, chacune de ses techniques s'il voulait s'en sortir. Il vit la lance de la guerrière briller d'une lueur étrange, sanglante, puis une nouvelle rafale vint l'envelopper.

& & & & & &

« Tu entends ? »

Oui, je les entends…

« Ils sont des ennemis… »

Non ! Ils ne sont pas des ennemis ! Pourquoi… cherches-tu à me tromper ?

« Qui trompe l'autre ? Ton devoir est de protéger ces terres. »

Pas comme ça ! Nous ne sommes pas des machines !

« Tu refuses ton devoir ? »

Non ! Je ne laisserais personne franchir le seuil de cette Maison !

« Alors tues-les. »

Non ! Je ne veux pas ! je ne dois pas les tuer !

« Tu souffres. Pourquoi infliger telle douleur à ton corps ? Il te suffit de m'obéir. »

N… non… tu n'es pas mon maître… c'est moi… le maître !

« Vraiment ? Tu n'en donne pas l'impression. Quel pitoyable chevalier tu fais ! As-tu jamais pris une seule décision ? »

Je… je dois suivre les ordres…

« Toujours les ordres, n'importe quel ordre… Devrais-je avoir honte ? Comment ai-je pu te laisser me dominer ? Un chevalier sans personnalité, incapable de prendre une décision par lui-même ! Cesse de te mentir ! Depuis toujours, tout est pareil, tu suis l'avis des autres, tu ne parles pas, tu ne dis rien, tu te contentes d'écouter et d'acquiescer en allant te réfugier auprès de ceux qui savent s'imposer ! Tu n'es qu'un chien pitoyable ! »

Ce n'est pas… vrai…

« Toutes ces connaissances que tu as acquises, de la théorie toujours, jamais de pratique ! Tu t'enfermes dans cet univers rassurant et fictif ! A quoi te servent tes connaissances ? Personne ne sait même que tu en possèdes ! »

Si… c'est pas…

« Encore des mensonges… tu me fatigues ! »

Je sais m'imposer ! Je suis plus fort que tu ne le crois !

« Tu tentes de les effrayer, et tu es doué pour ça, je te félicite pour ce déploiement de cosmos agressif, mais ça ne suffit pas, parce que moi je sais. Je sais que tu ne peux rien faire ! Je sais que tu es fort mais que tu n'es pas capable d'utiliser ta force ! Tu as beau menacer, jamais tu ne passeras à l'action ! »

Tu te trompes ! Je vais te prouver… que je suis digne de te contrôler !

& & & & & &

Son épaule droite fut transpercée, puis sa gauche. L'adolescent assistait à la désintégration complète de son corps et de son armure, sans qu'il puisse réagir, sans qu'il ait la possibilité de faire le moindre geste. Les bourrasques cinglantes qui l'encerclaient se refermaient sur lui, jouaient avec lui, le broyant lentement. Il avait l'impression de se trouver au centre d'un ouragan, dans « l'œil du cyclone », là où les vents violents n'étaient pas encore mortels, mais dont les parois hurlantes et tournoyant à une vitesse vertigineuse risquaient de le déchiqueter au moindre accrochage. Il ne pouvait rien faire. Il ne pouvait qu'attendre que l'attaque passe, forçant son corps à rester dans une position de défense, enveloppé de ses bras, les jambes pliées, son visage caché derrière les restes de son bouclier. Il ne pouvait qu'espérer, bien que les vents ne semblaient pas vouloir s'arrêter. Il ne voyait même plus la femme, l'Amazone. Sa vue était trouble. Où était passée toute son énergie ? cette énergie dévastatrice qu'il avait usée lors de ses combats dans le royaume d'Hadés ? Bien sûr, il ne s'était plus vraiment entraîné depuis plusieurs mois, mais elle n'avait pas pu disparaître ainsi ? Pourtant il se sentait vidé de toutes ses forces, son cosmos fatiguait. Même en usant d'Excalibur il n'avait pas réussi à sortir de ce flot bouillonnant de vents. Il avait l'impression de s'enfoncer dans un gouffre à l'air lourd, qui faisait lentement taire chacun de ses sens. Non ! Il ne devait pas abandonner, il ne pouvait pas rester ainsi ! Geki allait finir par mourir ! Combien de temps déjà s'était écoulé ? Il n'en avait même plus la notion. Son esprit faiblissait en même temps que son corps. Il devait tenter le tout pour le tout, invoquer les cent dragons de Rozan malgré sa faible puissance. Il devait s'en sortir, il devait survivre car il était le seul à savoir comment soigner l'Ours. Et puis il ne pouvait pas baisser les bras si tôt, laisser ses compagnons, son maître. Il rouvrit les yeux, serra les dents pour oublier les coups de fouets tranchants qui déchiraient sa peau mise à nu. Lentement, presque inconsciemment, ses bras tracèrent les mouvements fluides et silencieux de l'invocation, ignorant la violence de l'attaque qui redoubla d'intensité, ignorant les longues entailles qui apparurent à toute vitesse sur son corps entier, ses longs cheveux qui furent tranchés net de toutes parts, le sang qui s'extirpa à flots de ses oreilles. Ses yeux noirs, si fragiles, étaient fixés sur un ennemi invisible, mais dont le cosmos lui apparaissait clairement. Elle semblait vouloir en finir avec lui. Tant mieux, c'était aussi son cas.

« Rozan Hyaku Ryû Ha ! »

Son ouragan contre celui de l'Amazone. Les cent dragons apparurent accompagnés d'autant de rugissements de rage. Les reptiles emplirent les murs de vent, s'y écrasèrent, les poussèrent à leurs derniers retranchements, puis la tornade explosa dans une nuée de longs corps en furie couverts d'écailles émeraudes. Toutes les bêtes foncèrent aussitôt vers la femme encore pantoise, tels des câbles noueux se déversants autour d'un aimant, ouvrant leurs larges mâchoires sur des rangées de crocs meurtriers. Ils frappèrent. Leur colère détona furieusement en un torrent de flammes qui se déversèrent sur l'ennemie, l'enveloppant complètement. L'explosion qui s'en suivit retentit jusqu'au palais.

Shiryu tomba à genoux. Pourtant il ne ressentait plus rien, ni douleur, ni fatigue. Un faible coup d'œil vers ses jambes lui aurait appris que ses tendons étaient sectionnés. Il n'entendait plus rien, sa vue était trouble. Tout ce qu'il pu se dire, ce fut que l'air semblait s'être rafraîchi maintenant qu'une faible brise pouvait déposer son étreinte sur ses épaules qui n'étaient plus protégées par ses cheveux épars dont les spectres mouvants flottaient encore autour de lui. Face à lui, la femme chassait les dernières bribes de cosmos du Dragon en fouettant l'air de sa lance. Elle finit par la poser à terre. Son sourire avait disparu pour laisser place à une expression de mépris à l'état pur. Son armure n'avait que peu souffert.

« Tu es faible chevalier » siffla-t-elle en reprenant sa position d'attaque, ses jambes fléchies, son arme tendue vers l'arrière et braquée vers le jeune homme tel un fauve à l'affût. Ce petit jeu avait assez duré ; un adversaire affaibli à ce point n'avait plus aucune raison de vivre. Quelle honte et quel déshonneur de devoir l'achever dans cet état, mais les ordres étaient les ordres. Le garçon ne bougea pas, son regard vide de toute expression posé sur le sol devant lui. L'Amazone fonça vers lui. Sa lance fendit l'air pour venir se loger dans le crâne du Dragon.

La lame s'abattit, et perfora le sol entre les mains de l'adolescent, posées sur ses genoux. La guerrière ne bougea plus, retenant son souffle, ses yeux écarquillés sur une expression de stupeur, plongés dans ceux, d'un noir charbonneux, de la nouvelle créature qui lui faisait face. A quelques centimètres de son visage seulement, le museau velu du monstre dévoilait une colère sourde, ses naseaux soufflant bruyamment un souffle suffocant, et ses dents serrées laissant échapper un grondement bas. Il avait enveloppé le jeune Japonais de sa carrure imposante, penché au-dessus de lui pour venir planter son regard dans celui de l'Amazone, lui faisant ainsi rater sa cible. La femme reprit enfin conscience et recula d'un bond, sa lance tenue par ses deux mains pointée vers l'avant. Son visage angélique était maintenant méfiant. Un chevalier maudit… mais celui-ci semblait plus dangereux que le Bélier endormi dans son fauteuil roulant. La guerrière observa rapidement l'homme à l'apparence de Minotaure. Celui-ci se redressa et passa devant le Dragon qui n'avait pas bougé d'un millimètre, son cosmos n'était plus perceptible. L'homme à tête de taureau fixa à son tour la femme en grondant plus sourdement. Sa queue bovine fouettait l'air avec colère. Seul le bas de ses vêtements semblait avoir survécu à sa mutation, ses cheveux noirs s'étaient transformé en un pelage hérissé le long de sa colonne vertébrale. Elle ne devait pas perdre de temps. De toute façon elle n'avait rien à craindre des maudits, Il le lui avait assuré. Et elle avait toute confiance en Lui, c'est pourquoi un sourire railleur se dessina aux coins de ses lèvres. Elle fonça à nouveau, dans un petit souffle méprisant. L'homme se contenta de croiser les bras, la fixant toujours. Ridicule, il ne peut rien.

« Great Horn ! »

L'Amazone ne su si le cri à voix humaine du Minotaure l'étonna plus que la décharge d'énergie fulgurante qui explosa des bras du monstre lors que sa lance le toucha. Tout se brouilla. Plus rien ne lui parvenait. Qu… qu'est-ce qui se passe ? Ne sont-ils pas censés… être faible ? Pourquoi… moi ? Son corps retomba lourdement sur le sol. Elle était allongée sur le dos, sa lance brisée à quelques mètres de son bras, trop loin pour qu'elle puisse l'atteindre. Elle grogna de douleur. Aucun de ses membres ne lui répondait. Elle devait se relever, vite, et mettre ce monstre hors d'état de nuire. Un frisson la parcouru quand elle le vit approcher d'un pas lourd. Il s'arrêta à côté d'elle, la toisant depuis ses plus de deux mètres. Il semblait réfléchir.

« Crains-tu la mort ? »

Non…

« La mort des autres ? »

Non…

« Alors tues-la. »

Sa jambe s'abattit. Un craquement retentit. Il n'avait pas eu le temps de voir l'expression de terreur de la femme, et cela valait mieux. Il ne dit rien, baissa les yeux. Un froissement attira son attention et il se retourna. Le Dragon rampait vers lui. Il le rejoignit et s'accroupit près de lui. Un murmure lui parvint, lent et mal articulé, mais il comprit sa pensée à travers le faible cosmos du jeune Japonais. Le laissant là, il retourna chercher la fiole à la ceinture de la femme. Elle était intacte. Ça ne le surprit pas. Il la ramassa et vint la faire ingérer à l'Ours, allongé un peu plus loin, et dont la respiration maintenant inexistante ne laissait aucun espoir. Il jeta la fiole vide, puis son regard se posa enfin sur le dernier chevalier présent. Il semblait dormir, les mains sagement posées sur les accoudoirs de son fauteuil. Sa tête était penchée en arrière et couverte de sa chevelure mauve et trempée de sueur qui s'égarait dans chaque recoin de son visage, collée à sa peau, ne dévoilant que ses paupières closes cernées de traces grisâtres comme celles de Hydri et Céléris. Le Taureau resta silencieux. D'un geste lent et avec attention, il repoussa les mèches parmes du visage de son ami. Deux cosmos venaient à leur rencontre.

& & & & & &

Ils étaient donc passé à l'attaque. Athéna, réincarnée sous les traits de Saori Kido, était presque certaine qu'il s'agissait là de l'œuvre d'un dieu, et pas n'importe lequel : Arès, dieu de la guerre et son plus grand ennemi. Peut-être n'était-ce qu'une mise en garde. Le fait que leurs adversaires n'aient pas franchi la première Maison prouvait que cette attaque n'était pas destinée à atteindre véritablement la déesse ou même ses chevaliers. Mais alors pourquoi ?

« Tout porte à croire qu'il s'agit d'Arès.

- Ca parait logique, les Amazones sont de son sang…

- Peut-être trop logique… »

Sion resta perplexe. Bien sûr, tirer des conclusions hâtives n'était pas dans ses habitudes, mais les preuves étaient cette fois accablantes. Pourtant, Athéna ne semblait pas totalement convaincue. Faudrait-il un nouveau combat ? plus violent ? Peut-être auraient-ils moins de chance la prochaine fois… Si le Taureau n'était pas intervenu au détriment de tous, deux des chevaliers de Bronze y auraient laissé la vie, ainsi que, probablement, le gardien du premier temple. Heureusement qu'ils avaient pu récupérer à temps les deux Japonais pour leur apporter les soins nécessaires…

L'ancien Bélier fut tiré de ses pensées par un mouvement situé dans son dos. Il sentit le cosmos de Shaka s'éloigner. Le bruit des lourdes portes qui s'ouvrirent lui parvint. Elles se refermèrent sur la silhouette frêle du chevalier de la Vierge.

Temple des Poissons – 13h00

Alors qu'il pensait avoir enfin pieds une lame de fond l'avait entraîné, plus loin, beaucoup plus loin qu'autrefois, au-delà de ce simple océan qui lui paraissait aujourd'hui aussi insignifiant que les lacs de Suède. Il avait été englouti, noyé au fond d'un gouffre abyssal, là où la lumière n'avait plus aucune emprise, abandonnant sa toute puissance aux ténèbres suffocantes. Quelques raies envoûtantes lui parvenaient parfois, depuis la surface, mais disparaissaient aussi vite, le laissant à nouveau seul, seul au milieu de cet océan âcre d'un noir poisseux. Il restait là, immobile, attendant comme un cadavre pâle de pouvoir voir à nouveau un de ces rayons. Des nageoires lui avaient poussé, un membre caudal robuste et écailleux avait pris la place de ses jambes, des membranes fines s'étaient développées entre ses doigts, le rendant ainsi apte à survivre en ce milieu, ce milieu qu'il ne pouvait plus quitter, ce milieu qui était maintenant le sien. Qui avait toujours été le sien. Il avait voulu y échapper mais son destin l'y avait reconduis, inexorablement, et lui avait lutté comme le prisonnier accroché à ses chaînes. Ce milieu froid, cet océan éloigné de tous, de toute vie, c'était qu'il devait être…

Un son assourdi par l'eau qui l'entourait retentit à la surface, la repoussant en quelques sillons qui s'estompèrent rapidement. Un pas… approchait ? Ses mains fines et blanches comme celles d'un mort remontèrent hors du bassin et se posèrent lentement sur les bords. Il posa son menton au creux de ses bras repliés. Trois mèches azurées glissèrent sur son front pour se coller contre sa peau. Ses yeux embués se posèrent sur les deux silhouettes qui approchaient. Il était encore à la limite du sommeil, donc en position de faiblesse.

« Nous te protégeons… » chanta-t-elle. Autour de lui, il sentit les corps des petits êtres se refermer sur son territoire. Elle le protégeait, et elles aussi. Ses yeux turquoises se réenorgueillirent de leur brillance. Ses pupilles maintenant inutiles dans son nouveau milieu s'étaient estompées de ses iris. Mais il les fixait néanmoins, ces intrus, de son regard de mort.

& & & & & &

Le jeune garçon aux cheveux verts tressaillit, et il s'arrêta. Son compagnon en fit de même, sans dire un mot. Shun resta immobile quelques instants, observant le visage livide, posé sur ses bras, du chevalier des Poissons, vision angélique et monstrueuse à la fois, et autour de lui, grouillants sur les murs tels des serpents répugnants, dans des froissements accompagnés de sons gutturaux, les rosiers empoisonnés. Ils les mettaient en garde. Ils leur sifflaient de ne pas avancer. Les lianes, les branchages, tout se mettait en branle dans un cortège funèbre pour se refermer lentement sur l'homme dont seul le haut du corps sortait du bassin doré, au centre de la pièce. Ils n'étaient pas la bienvenue…

Le chevalier d'Andromède jeta un coup d'œil incertain à Ban qui s'était arrêté à côté de lui, un peu en arrière. Le Lionnet gardait les bras croisés, la bouche fermée, et les yeux posés sur ce qui lui faisait face, impassible, comme s'il ne voyait pas la menace que percevait son jeune compagnon. Shun se retourna vers le Poissons, et prit une inspiration contenue avant de faire quelques pas encore. L'homme maudit parut étonné mais son visage comateux semblait avoir du mal à bouger ne serait-ce qu'un trait. Les rosiers dont la course s'était ralentie en un rythme régulier et léthargique se remirent à grouiller rapidement pour se refermer un peu plus autour de leur maître. Le Japonais s'arrêta à nouveau, de peur que les branches hirsutes ne se referment complètement, formant un mur entre lui et le Poissons. A cet instant, il se dit qu'il n'aurait jamais du venir. Si Ikky le savait, il aurait de sérieux ennuis, et surtout, il mettait Ban en danger puisque le Lionnet, étant lié à lui par leur duo (décidé par Athéna elle-même) ne le quittait plus d'une semelle.

« Aph… »

Le son de sa voix se perdit dans sa gorge lorsqu'elle fut remplacée par celle du Poissons.

« Odjur (1) ! » cracha-t-il avant de disparaître sous la surface sombre du bassin. Les rosiers frappèrent, fusèrent, griffèrent, puis fermèrent complètement le passage qui menait à l'ancien maître des lieux. Le jeune homme resta pétrifié. Derrière lui, le Lionnet n'avait eut que le temps d'esquisser un mouvement pour venir le protéger.

Temple du Scorpion – 13h00

Camus sortit du grand temple d'un pas rapide, angoissé, son visage même dévoilant l'anxiété, mais aussi une rancœur qui se voulait sans doute contenue. Une fois encore il n'avait pas pu approcher le Grec, pire, celui-ci l'avait chassé, violemment. Il avait semblé vouloir le tuer. Et il l'avait mordu d'une certaine façon. Le Français n'en revenait pas ; outre son amour propre qui pour la première fois avait été blessé, il avait pu sentir les innombrables aiguilles du scorpion le transpercer de toutes parts. Son corps était intact, mais sa conscience était en lambeau. Pourquoi ? Il ne cherchait… qu'à l'aider. Il revoyait encore le regard glacial de Milo ; jamais il n'aurait pensé que le visage du Grec puisse peindre une telle expression. Comment ? Pourquoi ? Et cette voix intérieure qui lui soufflait qu'il ne faisait que voir pour la première fois son propre reflet.

C'est faux !

« Je ne cherche pas à te détruire… c'est pourquoi je ne te mentirais pas… »

Je ne suis pas comme ça… et lui non plus ! Surtout lui…

« Comment pourrais-tu avoir une vision objective de toi-même ? »

« Alors ? »

La voix du Coréen arracha Camus à son dialogue personnel. Hydri l'observait, les bras croisés, son regard fatigué mais toujours hautain planté sur lui. Quelque chose se brisa à l'intérieur du Français, comme si une nouvelle barrière venait de tomber, mais pas l'une des barrières que Milo avait toujours espéré voir flancher. Non, ces barrières étaient celles de sa patience, celles qui retenaient sa colère et sa haine.

« Laisse tomber cet imbécile. Pense plutôt à toi » reprit le chevalier d'Argent. Puis il tourna les talons, mais son regard resta posé sur Camus, par dessus son épaule. Son ombre se découpant ainsi, à contre jour, en cette heure où le soleil flamboyait, faisait paraître l'homme aux cheveux gris encore plus irréel. Et le Verseau ne pu que le haïr d'autant plus.

Temple de la Balance – 13h00

Hyoga laissa son regard filer sur les murs blancs du temple. Tout était tellement calme… Les événements de la guerre du Sanctuaire lui revinrent en mémoire et il sentit sa gorge se nouer en repensant à sa rencontre avec son maître qui avait failli lui être fatale en ce lieu. Aujourd'hui, plus aucune trace de son cercueil de glace. Le temple de la Balance, comme tous les autres, avait été entièrement rénové, et il ne subsistait ici que quelques bribes éparses du cosmos de Dohko. Si calme… Le chevalier du Cygne avait encore beaucoup de mal à se faire à l'idée que leurs aînés étaient maudits d'une façon si horrible. Il l'avait pourtant vu, il avait été témoin de ce qui leur arrivait au travers de sa rencontre avec le maître de Shiryu, et celle de Saga. A la pensée du Dragon, le jeune homme blond se mordit la lèvre inférieure pour contenir de nouvelles larmes. Il ne devait pas se montrer si sensible, il le savait, mais la vision qu'il avait eu du corps de son ami, transporté vers l'infirmerie du palais… les traces rougeâtres, innombrables et profondes, ses cheveux noirs en bataille à présent à peine plus longs que ceux de Ikky, le sang, partout, qui s'écoulait de toute faille visible, pourquoi ? Pourquoi Athéna leur avait-elle donné l'ordre de se disperser ainsi ?

« Gomenasai, murmura le jeune métisse d'une voix faible. Pardon… de n'avoir pas pu t'aider… »

Aioros était venu leur donner des nouvelles du Dragon ; son état s'était stabilisé. Ses yeux s'étaient à nouveau fragilisés mais les médecins du Sanctuaire, secondés de Céléris, avaient pu sauver sa vue. Il pourrait voir à nouveau, ce qui les inquiétait réellement c'était une lésion cérébrale possible ; ses tympans avaient été déchirés sous la puissance de l'ouragan déclenché par l'Amazone, et ses cordes vocales avaient été sérieusement endommagées par les morsures que le vent avait infligés à sa gorge. Shiryu s'en sortirait, Hyoga en était sûr, mais dans quel état ? Pourrait-il se battre à nouveau ? Et Shunrei, comment allait-elle réagir ? Elle allait leur en vouloir à coup sûr…

Le Cygne parvint enfin à chasser ces pensées moroses, et tourna la tête vers le compagnon qui lui avait été assigné. Ses yeux gris orage rencontrèrent ceux d'ébène du Loup. Son regard était froid, distant et incroyablement mauvais. Hyoga en fut surpris mais ne se détourna pas pour autant. Il savait que, tout comme lui, Nachi s'inquiétait pour un ami proche : le jeune homme sur lequel aucune information n'avait filtré depuis qu'il avait lui aussi rejoint l'infirmerie. Le Loup n'avait rien dit quand Aioros était venu les voir, mais Hyoga avait pris soin de demander des nouvelles de l'Ours. Le Sagittaire avait simplement dis… qu'il ne savait absolument rien.

Le garçon aux cheveux blonds s'en voulut soudain de ne pas mieux connaître les deux Japonais. Et pas seulement eux : Ban, Jabu, Ichi, il les connaissait à peine. Ils avaient tous été dans le même orphelinat de la Fondation, ils avaient tous reçu un entraînement draconien et barbare, mais le Cygne n'avait jamais eu de lien réel avec les autres à cette époque. De par leur sang, ils étaient pourtant aussi proches les uns des autres. Seul Shiryu ne l'avait pas jugé comme le reste des enfants, il faut dire que le Dragon était déjà mûr malgré son jeune âge. Mais il semblait enfermé dans un monde que tous ignoraient, c'est pourquoi Hyoga avait préféré l'éviter, lui, le seul qui aurait pu l'accepter. Le jeune métisse tenta de rassembler les souvenirs qu'il avait de Nachi et Geki. Il se souvenait d'un garçon timide au sourire hésitant, et d'un autre, bien plus grand et robuste, à la voix forte, qui ne le quittait pas d'une semelle. De temps en temps, un autre garçon aux cheveux blancs du nom d'Ichi se joignait à eux. Le seul événement qui l'avait vraiment marqué avec ces trois-là, ce fut le jour où Geki le frappa sauvagement. Il se souvenait de chaque coup qu'il avait reçu depuis son enfance. Ce jour-là, durant l'entraînement, Seiya s'était énervé et l'avait poussé hors du ring. Hyoga était tombé sur Nachi qui s'était foulé la cheville la veille, et qui courait en boitillant sous les ordres d'un éducateur. Le Loup l'avait reçu de plein fouet et s'était étalé sur le sol sous les cris de l'homme qui les surveillait. Le Russe s'était relevé rapidement et s'apprêtait à s'excuser quand un formidable coup de poing l'avait cueilli à la mâchoire. Il s'était retrouvé au sol à son tour, un poids encombrant bloquant ses jambes, criblé de coups et d'injures dans un japonais qu'il ne connaissait pas encore assez pour en apprécier toutes les finesses. Ichi avait tenté sans succès de tirer l'Ours vers l'arrière, pour qu'il se lève de sur le métisse, pour qu'il arrête de le frapper. Finalement, il avait fallu l'intervention de deux adultes pour repousser Geki. Hyoga avait été emmené, pantelant, à l'infirmerie. Sa dernière vision était celle d'un des hommes giflant Nachi, « ce garçon qui ne savait qu'attirer des ennuis ».

Il finit par baisser les yeux. Le silence du Loup commençait à lui peser, mais il n'était pas, lui non plus, un modèle de conversation.

« Tu t'inquiètes ? » demanda soudain Nachi à la surprise du Cygne. Il releva la tête. Le Loup l'observait toujours d'un regard de prédateur, un regard dans lequel s'était cependant tapie une grande tristesse.

« Moi… je m'inquiète » ajouta finalement le garçon aux yeux charbonneux.

Hyoga ne dit rien, mais sa tension s'évapora d'un seul coup. Son expression s'adoucit. Il n'osait plus espérer pouvoir entendre la voix du Loup, mais celui-ci semblait vouloir lui confier son angoisse, cherchant un quelconque réconfort. Le Cygne hocha la tête.

Temple du Lion – 13h00

Ichi était nerveux. Et même plus que nerveux. Il sautillait d'un pied sur l'autre en marmonnant des paroles sans signification apparente. Pourquoi avait-il fallu qu'il se retrouve avec lui ? Il n'avait rien contre Ikky, loin de là, contrairement à Geki qui rêvait encore de lui faire payer l'illusion qui avait traumatisé Nachi. Non, la seule chose qui le gênait réellement, c'était cette tension palpable, et les regards que lui lançait parfois le Phénix, lui glaçant le sang et le faisant stopper tout mouvement… avant de reprendre ses sautillements nerveux et ses jérémiades à voix basse. Ikky, lui, tentait de rester calme malgré la rage qui fulminait en lui. Il n'aimait pas attendre sans savoir ce qui se déroulait autour de lui. Il n'aimait pas recevoir des ordres. Et par dessus tout, il n'aimait pas savoir son frère loin de lui. Shun avait dit vouloir rencontrer son ancien adversaire, gardien du dernier temple. Ikky le lui avait interdi. Il espérait maintenant que son jeune frère lui ait obéi. Pendant ce temps, Ichi n'en pouvait plus.

« Pourquoi est-ce qu'on se retrouve séparés ainsi ? C'est nul ces groupes !

- Arrêtes de te plaindre.

- J'en ai marre !

- Moi aussi !

- On se fait un jeu ? »

Ikky ouvrit la bouche, mais la referma aussitôt, se demandant s'il avait bien entendu.

« … Pardon ?

- Un baccalauréat ? »

Le Phénix soupira.

Temple des Gémeaux – 13h00

Kanon poussa un grognement agacé en passant une main sur son front échauffé. Il ramassa le petit cachet blanc qui se trouvait sur la table et l'avala avec un verre d'eau. Il commençait à en avoir plus qu'assez de ces beuglements désagréables, et il n'était pas aussi patient que Saga, même s'il faisait tout son possible pour rester maître de lui-même depuis plus d'une heure. En réalité, le Grec n'avait qu'une envie : se fracasser la tête contre le mur après avoir renvoyé les deux adolescents hors de ce temple.

Jabu et Seiya se disputaient depuis vingt bonnes minutes sur la façon de placer un coup de pied pour que celui-ci soit le plus dévastateur ; ils étaient avant cela passé sur la façon la plus rapide d'enfiler un pantalon, quel était le meilleur dessert entre le chocolat et la vanille et leurs records respectifs du plus long temps passé à uriner. Kanon se remit à tourner en rond dans le salon du temple de son frère. Il espérait que les cris des Japonais ne réveilleraient pas ce dernier, son frère avait besoin de sommeil. L'ex-Marina s'arrêta et baissa les yeux, contemplant leur reflet bleuté sur la surface de verre de la table basse. N'importe qui pouvait les confondre tous les deux se disait-il, jusqu'à ce qu'il les voit de plus près : Saga avait cette lueur bienveillante dans le regard (du moins avant que cette folie schizophrène ne s'empare de lui), mais derrière les iris bleu sombre du Dragon des Mers se cachait l'ombre de nombreux pêchés, des pêchés de toutes sortes. On ressentait facilement à son contact un côté malveillant, quelque chose de dangereux. Il avait plus d'une fois sentit frémir une personne passant près de lui, comme si un simple frôlement avait pu déclencher des frissons craintifs. Kanon serra les dents, et détourna son regard du miroir translucide. Il avait l'impression de sentir un poids immense enserrer sa cage thoracique, lui donnant peine à respirer ; que faisait-il ici ? Il n'avait pas sa place au Sanctuaire, pas sa place dans ce temple, même pas sa place auprès des deux garçons qui avaient fini par se mettre d'accord sur la partie la plus sensible de leurs corps. Il se sentait comme un démon, une bête affreuse tombée au milieu d'êtres immaculés, et en même temps, il avait sans arrêt la détestable impression d'être un agneau naïf derrière le dos duquel se tenait une bande de loups ricanant. Il n'était pas à sa place, il était sûr de sentir le regard lourd des autres dans son dos. Tous, ils semblaient lui en vouloir, comme si par sa simple présence il tentait d'effacer celle de son frère.

« Hé ! Kanon ! T'es d'accord avec moi hein ? Dis hein ! »

L'ex-Marina agrippa sa tête entre ses mains, sa migraine le reprenant. Il ne supportait pas d'être ainsi bousculé quand il réfléchissait. Machinalement, il se tourna vers les deux adolescents, un sourire grimaçant ayant pris place sur ses lèvres.

« Désolé, je ne suivais plus votre… conversation… »

Les deux chevaliers de Bronze s'observèrent en silence, puis se retournèrent vers Kanon.

« Je disais que Shaka devait faire au moins du 95D. » (nd : il ne connaît absolument rien aux mensurations et a donné ce chiffre tout à fait au hasard…)

Il ne fallut que quelques secondes au Gémeaux pour agripper les deux garçons et les envoyer valser en dehors du temple de son frère dans une douce mélodie de jurons en grec moderne, sans qu'aucun d'eux n'ait le temps de comprendre ce qui lui arrivait.

Temple du Taureau – 13h00

Alors… c'est ce que tu voulais ?

La lourde bête hocha la tête.

« Pardonne-moi, je ne savais plus comment te faire réagir… »

Le grand homme sourit.

Tu n'as aucune raison de t'excuser… c'est ma faute…

La bête aux larges cornes resta muette quelques instants.

« Tu les as sauvé. C'est ce que tu aurais toujours fait en d'autres circonstances. Mais cette fois-ci, la situation gênante dans laquelle nous nous trouvons ne pouvait que t'en empêcher, je n'ai fait que t'aider à agir comme tu l'aurais voulu. Les mots ne sont que des mots, oublies les miens, ceux que j'ai prononcé ce matin, ils ne valent rien. »

… … Tu ne pensais pas ce que tu disais ?

« Pas une lettre. »

Nouveau sourire triste.

C'est amusant… des êtres si purs et nobles, créés uniquement pour protéger une déesse qui savent néanmoins manier le mensonge…

L'animal sembla sourire à son tour.

« Des créations des hommes. L'humanité est par définition imparfaite. Penser que nous soyons infaillible ne serait qu'utopie. »

L'homme hocha la tête.

Votre mode de pensée… est donc le même pour toutes ?

Cette fois la bête ne sourit plus.

« Non. Nous sommes toutes différentes, aussi différentes que peuvent l'être les humains. Même le choix de nos maîtres se fait de manières différentes. »

Le grand homme repassa dans son esprit la vision de chacun de ses compagnons. Ils souffraient tous. Lui aussi souffrait, parce qu'il savait qu'il n'était pas encore totalement digne de porter la cuirasse de l'imposante créature. Mais Elle voulait l'aider, et Elle allait l'aider à surmonter ce mal.

Tu vas… m'aider ?

Elle hocha la tête.

« Tu as toujours honoré ton rang et ta justice. Mon rôle n'est plus de te tester, mais de faire en sorte que tu retrouves la confiance qui fit de toi mon porteur. »

Infirmerie du Sanctuaire – 13h00

Aioros baissa les yeux vers la tasse encore fumante que lui tendait la femme. Il la remercia d'un hochement de tête, la prit dans ses mains aux teintes presque brunes, et souffla sur le liquide brûlant. Il but quelques gorgées silencieusement, puis reporta son attention sur le lit aux draps blancs desquels apparaissaient les formes assoupies de son frère. Sa respiration était régulière, il semblait plus calme que jamais, aucune expression de venait définir son visage. Céléris posa sa propre tasse à demi vide sur le bord d'un meuble au bois brillant. Ses longs cheveux noirs contrastaient avec son teint pâle. Elle observa longuement le corps aux muscles saillants de l'équidé, ses ailes dorées aux plumes fines, puis le visage d'une grande mélancolie du jeune homme. Il s'était allongé sur le sol froid et dallé dans l'espoir de ne pas encombrer la chambre de sa stature imposante, et n'avait plus bougé depuis plusieurs heures. La jeune femme n'avait jamais fait équipe avec personne, elle n'avait jamais été entourée, elle avait toujours été seule. Son cœur s'était fermé depuis longtemps, elle le savait, aussi le fait qu'Athéna l'ait choisie parmi tant d'autres pour le rôle qui lui avait été assigné l'avait fortement étonnée. En l'espace d'une journée, elle s'était retrouvée dans cette foule de chevaliers, au milieu d'un conflit dont tout le monde ignorait l'origine. Elle se sentait perdue. Mais sans qu'elle sache pourquoi, la vision qui s'offrait à elle en cet instant la toucha plus que tout. Le jeune homme au corps difforme, perdu dans la lueur orangée des rayons tamisés qui laissait apparaître des taches rousses dans son pelage, les yeux noyés d'une tristesse douloureuse, était à son propre regard d'une beauté irréelle. Céléris s'en voulut ; elle avait toujours trouvé la souffrance magnifique.

« C'est ton frère ? » osa-t-elle enfin demander.

Le Sagittaire releva la tête, surpris d'entendre pour la première fois le son de la voix de la jeune femme. Devant l'air interrogateur du garçon, celle-ci ajouta :

« Vous vous ressemblez… »

Aioros comprit enfin. Un faible sourire se déposa sur ses lèvres.

« Oui, mon petit frère. »

Puis il rougit après avoir parlé, et baissa les yeux. Céléris pencha la tête sur le côté et le questionna sur la raison de sa gêne.

« C'est idiot, répondit le Sagittaire avec un faible rire. Aujourd'hui, c'est lui l'aîné. »

La femme à l'armure du Cheval n'avait pas compris. Aioros continua ; comme il était mort depuis bien longtemps, un écart s'était formé entre les âges des deux frères. Le Sagittaire n'avait que 14 ans. La jeune femme ne put cacher sa surprise ; comment ce garçon qui semblait si mûr pouvait-il être si jeune ? Elle eut soudain envie d'en savoir plus sur lui. Elle avait vécu trop loin du Sanctuaire, depuis trop longtemps, et elle ne connaissait personne. Elle aurait voulu lui parler mais elle n'en eut pas l'occasion. Un bruit de chute attira soudain leur attention. D'un bond, le centaure fut debout et sortit de la pièce au galop. Céléris le suivit. Ils traversèrent le couloir pour rejoindre la chambre d'où s'était échappé le bruit. Aioros grimaça en reconnaissant le numéro de la porte. Non, pas ça… Il la repoussa, laissant déjà son cosmos s'amplifier pour laisser apparaître un arc doré entre ses mains. Il stoppa tout mouvement, figé, en voyant le spectacle qui s'offrait à lui.

Les draps flottaient doucement sur le sol, comme animés par un faible souvenir. La pièce était vide. Au fond, la fenêtre ouverte laissait entrer une faible brise.

Temple du Bélier – 13h00

Shaka descendit les dernières marches pour rejoindre le Bélier, assis, comme toujours, dans son fauteuil, les yeux posés sur le paysage qu'offrait la vue depuis son temple. L'Hindou s'assit sur les dalles de marbre, fixant lui aussi le magnifique panorama. Ses yeux bleu ciel qu'il ne prenait plus la peine de maintenir fermés détaillaient avec attention chaque détail qui l'entourait. Mü tourna enfin la tête vers lui et lui sourit. Il semblait plus reposé à présent, même s'il n'avait dormi que deux heures à peine.

« Viens-tu pour parler ou pour observer le paysage ? demanda-t-il à la Vierge.

- Je venais discuter, mais je ne voulais pas te déranger. »

Le bruit mécanique du fauteuil se fit entendre alors que le Bélier le déplaçait pour se retrouver face à l'Hindou. L'Atlante soupira.

« Tu ne me dérange pas au contraire… je me sentirais même un peu seul même si je ne le suis jamais vraiment. »

Shaka évita le sourire triste de son compagnon pour poser son regard sur les extrémitées noireâtres aux courbes agressives qui semblaient se refermer sur son visage. Il les pointa du doigt.

« Ça te fait mal ? »

Mü frôla les pointes de ses mains blanches.

« Non… plus maintenant. (il sourit à nouveau) Camus m'a dit que tu avais gagné en puissance psychique ? »

L'Hindou ne répondit pas, et détourna le regard pour le poser à nouveau sur les vallées à l'herbe jaunies. Le Bélier se demanda s'il n'avait pas dit une chose que la Vierge ne voulait pas entendre. Il s'apprétait à s'excuser lorsque l'autre chevalier reprit :

« Tu as une idée sur l'origine de cette malédiction. »

Le jeune homme aux cheveux mauves se tut devant cette question qui n'en était pas une. Il était vrai qu'il avait quelques doutes sur ce point, et il était presque sûr que son ancien maître pensait à la même chose que lui.

« Je pense que le mal vient directement de leur conception. Je ne vois pas qui d'autre que mes ancêtres aurait pu créer un tel mécanisme au niveau des armures. J'ai essayé de questionner la mienne mais elle a refusé de me répondre.

- Alors notre seule piste réelle pour l'instant se trouve être celle des Atlantes ?

- C'est ce que je pense… »

L'Hindou s'appuya sur ses bras posés de chaque côté de son corps pour pencher la tête en arrière et observer le ciel du même bleu que celui de ses yeux. Il semblait méditer. Néanmoins, son silence ne dura que quelques minutes, puis il se leva, sans un mot et se tourna vers le temple qui se dressait plus haut, à quelques dizaines de marches.

« La situation devient trop grave pour certains, on ne peut plus rester ainsi. Je vais parler à Athéna pour lui demander de monter une expédition. »

Mü le questionna du regard. Une expédition ? Retrouver la trace de ce peuple disparu ? Shaka lui rendit un regard insondable. La Vierge tourna les talons et remonta les marches, laissant le Bélier seul avec ses pensées, seul avec Elle.

Temple du Cancer – 13h20

Jabu ne disait plus rien, sentant que le chevalier de Pégase n'avait plus envie de parler, ni même de tergiverser sur leurs sujets de prédilection. Le jeune Japonais marchait la tête basse, et celui qui portait l'armure de la Licorne se doutait qu'il devait penser à son compagnon gravement blessé ; lui-même n'arrivait pas à éloigner ses pensées de Geki dont il n'avait plus une seule nouvelle. Mais Jabu se trompait ; en cet instant, Seiya ne pensait pas à Shiryu, ou du moins pas consciemment. Il repassait dans son esprit la scène qui s'était déroulée quelques heures après sa résurrection, cet instant où il s'était retrouvé seul avec Aioros, où le Sagittaire l'avait salué avec une grande véhémence, et l'avait remercié de toute son âme pour ce qu'il avait fait. Le Grec avait aussi remercié chacun des adolescents s'étant battu pour cette justice qu'il avait lui-même protégée, mais le chevalier de Pégase avait réussi à endosser l'armure du Sagittaire, et pour cela il méritait la loyauté et la confiance qu'Aioros avait placées en lui.

« Seiya atten… ! »

Mais Jabu avait réagi trop tard, et son compagnon trébucha sur la proéminence rocheuse avant de s'étaler au sol.

« Aïe ! Mais qu'est-ce… »

L'adolescent se tut en voyant ce sur quoi il avait buté : un visage de marbre. Les deux chevaliers écarquillèrent les yeux et retinrent leur souffle ; tous les masques avaient pourtant disparus depuis que le maître des lieux avait été emmené avec les autres pour être drogué afin de ne plus représenter aucun danger. Les deux chevaliers s'empressèrent de tourner la tête dans toutes les directions et purent avoir la confirmation de ce qu'ils craignaient. Les visages sombres et grimaçants apparaissaient comme à travers une lourde brume, certains disparaissaient aussitôt, d'autre devenaient plus présents mais restaient aussi peu réel que des hologrammes. Seiya baissa à nouveau les yeux vers le sol : le visage sur lequel il avait trébuché n'était plus là.

« Bon, on sort d'ici tout de suite, on se pose des questions après ! » lança soudain Jabu, un début de panique dans la voix. Le chevalier de Pégase hocha la tête rapidement et se releva. Un vertige le saisit aussitôt lorsque l'odeur âcre de mort mélangée aux relents de vase frappa son système olfactif. Il dut retenir un renvoi violent et se protégea le bas du visage de ses mains. Il sentit soudain la main de Jabu se refermer brusquement sur son poignet pour l'attirer derrière une colonne. Le garçon n'eut pas le temps de se poser de question et courut à la suite de son compagnon vers l'abri de marbre. Ils se plaquèrent contre la surface froide dégageant, comme tous les murs, une sorte de senteur indéchiffrable déclenchant migraines et nausées.

« Ça pue ! Je veux pas rester ici ! » geignit Seiya, mais il fut aussitôt coupé par le contact gelé de la main de Jabu sur sa bouche. Une série de craquements lents et écœurant augmenta peu à peu, comme s'ils s'approchaient. Les deux garçons se figèrent et sentir leurs cheveux se hérisser. Le chevalier de Pégase repoussa la main de la Licorne et tenta un regard hésitant sur le côté de la colonne. Il retint un hoquet de peur et de surprise en apercevant la silhouette disgracieuse du monstre arachnéen se détacher de l'obscurité ambiante. Il revint se plaquer dos à la colonne, maudissant sa crainte irraisonnée des araignées qui se trouvait décuplée par l'atmosphère déjà peu engageante du lieu. Il se rendit compte que parmi les craquements des articultaions de la bête s'élevait la voix mi humaine mi mécanique de celle-ci. Elle parlait dans une langue qui lui était inconnue, une langue latine, sans doute celle de son pays natal.

& & & & & &

Il avançait, totalement vulnérable dans cette immense étendue de noirceur, une obscurité plus profonde encore que celle qui avait accompagné sa vie d'autrefois. Puis elle apparu, au milieu de ces ténèbres infinies, Elle, le fixant de ses yeux sans expression. Un grincement s'échappa de ses mâchoires entrouvertes.

« Imbécile ! Si tu reviens ici ils ne tarderont pas à venir nous trouver ! Il n'est pas question que nous retournions là-bas ! »

Un froid agressif l'envahit, le faisant frissonner.

C'est mon temple ! C'est le mien tu entends ? Il est sous ma protection !

« Ah ah ! Crois-tu vraiment pouvoir payer tes dettes ainsi ? En tuant tous ceux qui passeront par ce temple ? »

Mouvement de recul.

Tais-toi ! Ferme-la ! Je n'ai jamais dit que je les tuerais !

« Que sais-tu faire d'autre pauvre incapable ? Tu étais si fier que ce traître te choisisse pour cela, la seule chose que tu étais capable d'accomplir sans faute ! »

Nouveau frisson.

Khh... Ta gueule ! Savoir détruire son ennemi... ce n'est pas... donné à tout le monde !

« Mais pour qui te prends-tu ? Incapable même de voir ta propre lâcheté ! »

Je n'ai rien d'un lâche !

« Traître ! »

Il sentit le froid ambiant l'envahir complètement, le glaçant intérieurement, et ne put empêcher quelques larmes de perler au coin de ses yeux.

Je ne suis pas un traître ! Comment est-ce que toi tu peux me dire ça ? C'est toi qui m'as trahi lorsque j'avais besoin de toi !

« Tu as toi-même trahi ma confiance ! Et tu te traînes maintenant en te lamentant misérablement ! Tu n'as pas le droit de pleurer ! Tu ne mérites pas ce soulagement ! »

Non... Non !

« Ne pleure pas ! Tu n'as pas le droit ! »

Ses pleures augmentèrent, il avait plus de mal à retenir ses larmes entrecoupées de sanglots.

Pourquoi ? J'ai toujours... je suis toujours resté fidèle à ma justice...

« Cesse de pleurer ! »

J'ai tout fait pour honorer ce que je croyais juste ! A n'importe quel prix ! Au prix de dizaines de vies que j'ai décidé d'afficher à la vue de tous ! Pour qu'ils voient que je n'avais aucune hésitation moi ! Peu m'importait le prix !

« ... Tu as pris des tas de vies innocentes... »

J'ai toujours tué lorsque ça s'avérait nécessaire ! Et à chaque fois que je tuais je me disais que ça aurait pu être moi à une époque, ça ne m'a jamais freiné au contraire !

« ... »

Il ne pouvait plus les contenir, les larmes coulaient sans retenue sur ses joues.

J'ai fait ce que je croyais juste...

« ... »

J'aurais même été prêt à mourir pour les idées que je défendais ! Et puis j'ai vu la mort... et je ne veux plus mourir !

« Tu es faible... »

Ses sanglots commencèrent à s'espacer, les larmes sombres coulèrent moins fort sur ses joues maculées.

Tu dis que je suis faible... parce que je ne veux pas mourir ?

« ... »

Alors... j'étais fort autrefois ?

« Est-ce si important à tes yeux d'être fort ? »

Si on n'est pas fort... on ne peux pas défendre ce qu'on considère comme juste...

Elle resta silencieuse un instant, puis s'approcha et se pencha sur la silhouette du jeune homme à genoux, dont le corps et l'esprit, pour la première fois depuis bien longtemps semblaient fragiles comme du verre.

« Là où tu t'es fourvoyé, c'est quand tu as pris ta vérité pour une généralité. Tu n'as pas respecté la justice des autres. »

Il hocha lentement la tête, la prit entre ses mains.

Je ne l'ai pas... respectée...

Elle se tut à nouveau, contemplant son possesseur.

« Cherches-tu à rattraper tes erreurs passées ? »

Je dois... changer...

« Tu cherches à sauver ton âme ? »

Il hocha la tête. Ses larmes avaient cessé de couler.

& & & & & &

« Il faut aller prévenir Sion et Athéna.

- Pourquoi ? Tu ne peux pas t'en débarrasser à nouveau, toi, le champion qui a battu la bestiole de la taille de la tour de Tokyo ? »

Le chevalier de Pégase aurait bien répliqué si le silence soudain ne l'avait pas brutalement frappé. Il jeta un nouveau coup d'oeil de l'autre côté de la colonne, le monstre avait disparu. Sa respiration se bloqua. Jabu lui désigna la sortie d'un geste du menton, Seiya acquiesça. Ils se retournèrent vers l'issue quand une ombre se profila soudain devant eux. Les adolescents ne purent s'empêcher de pousser un hurlement de terreur, déclenchant un mouvement de surprise qui se dessina sur le visage fatigué de l'Italien. Pégase tomba en position assise, encore sous l'effet de sa brusque peur, constatant néanmoins avec incompréhension que le Cancer avait retrouvé forme humaine, baignant dans les haillons restant du vêtement destiné aux malades et blessés graves de l'infirmerie. Des sillons noirâtres parsemaient son visage, s'étendant sous ses yeux brillant faiblement d'une couleur marine. Il paraissait à bout de souffle, mais envahi d'un grand soulagement. Son regard s'abaissa sur ses mains pour les observer sous toutes les coutures, balaya les murs redevenus totalement vierge de toute décoration macabre, puis finit sa course sur les deux chevaliers de Bronze encore pantois devant son apparition soudaine. L'Italien grimaça une expression dédaigneuse.

« Quoi ? Vous avez jamais vu l'homme-crabe le plus célèbre de la région ? »

notes

(1) Odjur : "monstre" en Suédois.