Merci à Rhumframboise et feufollet qui ont commenté plus vite que leur ombre !


II


— En quoi es-tu déguisée, au juste ?

Aidlinn s'empourpre face à la question d'Evan Rosier. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il vienne lui parler, mais elle l'a croisé et il s'est miraculeusement arrêté.

— Eugenia Shapter. La fameuse potionniste !

Du haut de ses douze ans, elle estime sa robe très ressemblante à celle qu'elle a dénichée dans son manuel scolaire. Elle aime les rubans de soie rose accrochés au bustier, les manches en dentelle blanche qui lui donnent l'air d'une princesse. Mais peut-être qu'elle se trompe, parce que le regard de Rosier se fait vague – elle devine qu'elle est en train de cesser de l'intéresser. Et derrière lui, elle surprend les filles plus âgées leur jeter des regards interloqués. Elle devrait le laisser partir, mais elle aimerait qu'il reste encore un peu.

— C'est elle qui a...

— Découvert l'acimine et montré ses avantages pour les potions cicatrisantes. Une avancée notable dans la médecine sorcière du vingtième siècle. C'est un bon choix.

Et toi, pourquoi tu n'es pas déguisé ? Les mots meurent dans sa gorge, il est parti.

— Je parie qu'Evan n'a pas osé te dire à quel point cette robe te boudinait.

Edern Avery vient de surgir fièrement derrière elle. Immédiatement elle bafouille de colère et lui lance un regard assassin – elle n'a jamais réussi à affronter ses piques. On dirait que ça l'amuse, pourtant il sait à quel point elle a été heureuse de recevoir la tenue par courrier la semaine dernière – sa mère l'a spécialement cousue pour elle.

Elle n'a rien à répliquer, parce qu'elle trouve son costume de chasseur de dragons très réussi – Edern a toujours beaucoup aimé les dragons –, alors elle tourne furieusement les talons. Il la suit en rigolant.

— Allez je plaisante, elle est très jolie cette robe. Tu es tellement susceptible !

Elle fait semblant de ne pas l'entendre et cherche son amie Sylvia Prewett parmi les visages présents dans la salle commune. C'était censé être une fête amusante, tous les élèves se sont déguisés – tous sauf Evan Rosier.

— Ne fais pas la tête, insiste Edern. Si tu arrêtes de bouder, je te montrerai quelque chose d'amusant.

Il sait évidemment comment lui redonner le sourire. Elle se redresse et son air offensé disparaît. Il l'emmène vers une fenêtre au fond de la salle commune avec un sourire malicieux.

— Prête ? Regarde bien. Lumos.

Sa baguette s'illumine et il tapote contre la vie, vers les ténèbres du lac. Au début, il n'y a rien, et Aidlinn se met à s'impatienter. Elle préférerait aller danser avec son frère, qui a, à son avis, le plus beau costume de tous les garçons – il s'est déguisé en commodore et il a de belles épaulettes dorées.

— Patiente encore un peu, l'encourage Avery.

Tout à coup, une mâchoire hérissée de crocs surgit de l'obscurité et claque contre le carreau. Aidlinn se recule en tombant tandis qu'Edern se contente de rire. Il rit toujours dans ces situations, comme s'il n'avait jamais peur.

— Qu'est-ce que c'était ? souffle-t-elle, encore apeurée.

Elle se jure de ne jamais plonger dans le lac.

— Un gros poisson, apparemment.

Après ça, il consent à jouer aux cartes avec elle. Son sourire, ses taquineries, les dragées qu'il a reçues de son frère et qu'il partage avec elle – tout ça lui fait oublier la bête du lac. Il gagne trois fois à la bataille explosive, mais il la console en disant qu'il lui prêtera sa toupie hantée le lendemain. Dans l'ensemble, c'est une merveilleuse soirée – c'est toujours le cas lorsque Edern décide de se montrer agréable.

Elle s'apprête à aller se coucher lorsqu'elle aperçoit Evan Rosier, seul, en train de scruter le lac par la fenêtre. Il a l'air de s'ennuyer ; Aidlinn ne peut s'empêcher de se demander s'il n'a pas non plus aperçu le monstre.

— Pourquoi ne t'es-tu pas déguisé ? ose-t-elle l'interroger.

— Parce que je n'ai pas de déguisement, répond-il simplement.

Elle se sent subitement très soulagée. Elle avait cru que ce serait plus difficile de lui adresser la parole, comme s'il était le seul à pouvoir franchir le mur qui les séparait.

— Mes parents m'ont dit que ce n'était pas correct, ajoute-t-il. Je crois qu'ils ont raison.

— Mon costume n'est pas correct ? s'inquiète-t-elle en inspectant ses jupons.

Elle n'est pas sûre de bien comprendre ce qu'il entend par correct, mais elle espère sincèrement qu'il la trouve correcte. Edern n'a-t-il pas dit pas sous-entendu que c'était le cas ? Edern a toujours un avis sûr, peut-être qu'elle devrait lui demander.

— Le tien n'est pas si mal, concède Rosier en haussant les épaules.

Sans vraiment se l'expliquer, elle rejoint son dortoir le cœur plus léger.