Recueil d'OS
Résumé Après la guerre, Harry s'isole dans le monde moldu et mène une vie solitaire, avec pour seule compagnie son hibou et son amie Shizue. La brusque apparition de renards magiques dans son jardin et ses retrouvailles inattendues avec Remus Lupin lui feront se poser des questions sur son choix de vie.
Couple : RL/HP, en quelque sorte.
Rating PG ou PG-13, je pense. (eh non, pas de lemon !)
Disclaimer Je suppose qu'il est inutile de préciser que je ne suis pas la femme la plus riche d'Angleterre, que, ô surprise, je ne m'appelle donc pas JKR, et qu'en conséquence, les personnages et l'univers de Harry Potter ne m'appartiennent pas. Cela dit, si quelqu'un veut me payer des droits d'auteurs pour Shizue, j'accepte aussi les chèques.
Avertissement Mention de relations homosexuelles. Autrement dit, attention, Y.A.O.Ï ! Ceux que cela dérange, fuyez loin, loin, pour que vos petits yeux chastes ne soient pas agressés.
Note de l'auteuze : La genèse de cette fic est une histoire tout à fait rocambolesque, mais je doute que cela vous intéresse. Ainsi donc, je ne m'étalerai pas, sachez juste que c'est le texte le plus long que j'aie jamais écrit en si peu de temps et qu'il n'est ni relu ni corrigé…Un postage à l'arrache, en gros, huhu. Bonne lecture.
Dédicace : A Ana, Artoung, Bady, BN, Chris et Eva. Keep the Dave-o-tion, les filles !
Remerciements : Chris, pour son fanart. Merci beaucoup !
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LES RENARDS MAGIQUES
Par Myschka
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Il y a des renards magiques dans ma rue. Il paraît qu'au Japon, on les appelle des Kitsune, c'est Shizue qui m'a dit ça.
Vous vous demandez sûrement qui est Shizue – en dehors du fait que c'est une amie à moi, donc, et qu'elle est japonaise, comme vous vous en doutez sûrement.
Shizue est une fille que j'ai rencontrée à l'université. Moldue. Après la guerre, j'en ai eu assez du monde sorcier, et surtout j'ai eu envie de m'éloigner un peu de tout ce qui avait fait ma vie depuis mes onze ans. Je n'en tire pas particulièrement de fierté, on pourrait même assimiler ça à de la lâcheté, mais que voulez-vous…Il y a parfois certaines choses que l'on préfère oublier – et puis, je n'en ai pas totalement délaissé le monde sorcier pour autant. Je continue à utiliser mes pouvoirs de temps en temps, et il m'arrive de parler avec Hermione, par exemple.
Je disais donc que j'ai rencontré Shizue à l'université moldue, après une période de deux ans passée en ermite afin de me remettre à niveau et de pouvoir passer les examens d'entrée. Moi qui pensais que je n'y parviendrais jamais, ça a finalement été plus facile que ce à quoi je m'attendais. Lorsque le jour de la rentrée universitaire est arrivé, j'avais quatre ans de plus que la majorité des étudiants entrant en première année, et je crevais de trouille à l'idée de ne pas m'en sortir. Puis j'ai croisé Shizue en sortant du secrétariat de la fac, elle était dans le même cas que moi – à la différence près que ses quatre ans de retard étaient dus à la maladie, et qu'elle est moldue – depuis nous sommes inséparables.
Il y a de la magie en Shizue, pourtant. Rien d'aussi tangible que celle qui coule dans mes veines, mais elle est bien là, présente, dans l'air qui l'entoure et dans tous les gestes qu'elle accomplit avec cette grâce inimitable qui lui est propre. Je peux affirmer sans honte que c'est la première personne – et probablement la seule – pour qui j'ai éprouvé de l'amour depuis la fin de la guerre. Rien qui implique du désir cependant. Mais c'est bien de l'amour. Je crois. C'est également la seule personne avec qui je me sois vraiment lié après être entré à l'université.
Elle a très vite deviné que je cachais – à elle, au monde entier – une part très importante de ma vie. La plus importante, peut-être. Elle a également très vite deviné à quel point je n'étais pas comme les autres, sans pour autant en faire jamais mention dans nos conversations. Je pense qu'elle savait que je ne voulais pas en parler, et qu'elle me laissait le temps d'aborder le sujet par moi-même si j'en avais envie. Ce qui n'a pas manqué d'arriver, et ce plus vite que je ne l'aurais cru.
Je lui ai avoué, seulement trois mois après notre rencontre. Etonnamment, elle n'a pas semblé surprise, même si elle ne connaissait absolument rien au monde sorcier. Simplement, elle savait. Elle me fait parfois penser à Luna Lovegood, cette fille excentrique et étrange même pour nous autres sorciers, et qui passait bien souvent pour folle.
Shizue aussi pourrait passer pour une folle, à maints égards. Mais elle ne l'est pas, elle est simplement la personne la plus sereine et ouverte que je connaisse. Je peux dire aujourd'hui qu'elle m'a beaucoup apporté, sur tous les plans, et qu'elle a largement contribué à m'aider à faire la part des choses. Moi qui étais du genre à faire une montagne d'un rien, on peut dire aujourd'hui que je prends les choses avec beaucoup plus de recul et de calme – même si objectivement, j'ai encore pas mal de progrès à faire. Nous sommes maintenant en deuxième année depuis plus de sept mois, et déjà je constate que je ne réagis plus comme avant.
C'est pour ça que lorsque j'ai aperçu pour la première fois ces petits animaux argentés batifoler dans mon jardin, je n'ai pas été effrayé, ni déconcerté. J'ai appelé Shizue, qui bien sûr ne les a pas vus – comment aurait-elle pu ? – et qui m'a simplement dit que dans son pays, on appelait des Kitsune ces esprits malicieux, considérés là-bas comme des sortes de messagers des dieux.
Je ne crois pas en un quelconque dieu, pas plus que je ne croyais aux signes du destin. Du moins jusqu'à maintenant, parce qu'au bout d'une semaine où j'ai vu les Kitsune m'apparaître tous les matins, je commence à me poser des questions. Shizue dit que peut-être quelqu'un cherche à me contacter, ou qu'il y a quelque chose que je refuse de voir et qu'il faut absolument que je comprenne. Je ne sais pas laquelle de ces explications est la bonne, ni même si Shizue a raison. Mais j'aimerais bien savoir.
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Aujourd'hui, Shizue est venue me voir, très tôt le matin. J'habite dans une petite maison de la lointaine banlieue de Londres, loin de tous ceux que j'ai pu connaître durant ma vie d'avant, alors elle a probablement dû se lever à l'aube pour arriver à cette heure-ci. Pourtant, elle semblait en pleine forme. Mais Shizue débarque souvent chez moi à l'improviste, alors cela ne m'étonne plus vraiment.
Elle s'est assise en face de moi, autour de la minuscule table ronde et bancale de ma minuscule cuisine, m'a regardé siroter mon thé en silence, puis alors que je m'allumais une cigarette, elle m'a simplement dit :
« Emmène-moi dans le monde sorcier, s'il te plait. Je voudrais voir le Chemin de traverse. »
Je n'ai pas répondu. J'ai hoché la tête et j'ai terminé ma cigarette, puis je me suis levé de ma chaise. Etrangement, je ne lui ai pas demandé pourquoi elle tenait tant à connaître cette part de moi – car je ne doute pas que ce soit ça, ce n'est pas une fille naturellement curieuse et elle ne m'a jamais posé de question sans qu'il y ait une bonne raison derrière. Et puis, curieusement, ça m'a parut tout d'un coup…naturel de retourner dans le monde sorcier. Et qu'elle vienne avec moi, alors qu'elle n'est pas sorcière, ni cracmole, et qu'elle n'a aucun lien avec le monde magique. Comme si c'était une évidence.
En traversant le jardin qui donnait sur la rue, elle m'a demandé :
« Les Kitsune…Tu les vois encore ? »
J'ai acquiescé, et elle n'a pas insisté. Cette nuit, une théorie m'est venue à l'esprit, mais je n'ose pas encore lui en parler. Ce n'est pas que j'ai peur qu'elle me prenne pour un fou – elle a déjà eu tant d'occasions de le faire ! – c'est juste que je voudrais y réfléchir encore un peu. Parce que la conclusion à laquelle je suis parvenu ne me plait pas forcément. Je ne suis pas sûr. Et puis surtout, je ne lui en ai pas encore parlé parce que cette sortie sur le Chemin de traverse, c'était une grande première pour elle ; je n'avais pas envie de la gâcher en l'ennuyant avec mes problèmes métaphysiques. Alors je n'ai rien ajouté de plus, et nous avons pris les transports en commun moldus pour arriver au Chaudron baveur.
J'aurais pu décider de prendre le Magicobus, après tout c'est une expérience comme une autre, mais j'en garde d'assez mauvais souvenirs et je ne voulais pas dégoûter Shizue d'emblée.
Comme il était encore tôt, nous sommes allés visiter en premier le magasin d'articles de Quidditch. Shizue s'est toujours montrée très enthousiaste lorsque je lui racontais mes matches à l'école, alors je me suis dit que c'était l'occasion de lui faire voir à quel point ce sport suscite l'engouement chez les sorciers. J'espérais qu'elle allait aimer, et je ne m'étais pas trompé puisque dès que nous avons passé la porte de la boutiques, elle s'est mise à fouiller partout avec des airs d'enfant émerveillée. A tel point que lorsque le vendeur s'est avancé vers moi pour me demander si j'avais besoin d'aide, elle avait disparu de mon champ de vision – mais je ne me suis pas trop inquiété, c'est le genre de chose qu'elle fait souvent.
Le vendeur ne m'a pas reconnu. Il faut dire aussi que j'ai plutôt changé depuis la fin de ma scolarité à Poudlard. Shizue me dit que je suis beau, honnêtement je n'en sais rien, je ne me regarde pas vraiment dans la glace le matin. Je sais simplement que ma cicatrice a disparu – à l'inverse de celles que je me suis faites durant la guerre et qui semble-t-il ne partiront jamais – et que sans elle et sans mes lunettes, je suis devenu difficilement reconnaissable pour les gens qui n'ont vu mon visage qu'à travers les photos de moi qu'on trouve de plus en plus rarement dans les journaux.
Je crois qu'à force de me terrer chez moi et de rendre ma maison introuvable pour quiconque n'y est pas désiré, j'ai réussi le tour de force de me faire lentement oublier des médias. Bien sûr, les gens savent que je suis toujours vivant, et bien sûr, je suis toujours considéré comme un héros. Mais j'ai été relégué dans les livres d'Histoire, et plus dans les tabloïds. C'est probablement l'un des rares points positifs – pour moi – qui résultent de la fin de la guerre. Ca et la mort de Voldemort, mais c'est quelque chose qui s'applique à l'ensemble de la population sorcière, alors on ne peut pas dire que ça compte vraiment.
Ensuite, nous avons flâné un peu au hasard des envies de Shizue, qui voulait tout voir. C'est quelque chose que j'aime beaucoup chez elle – elle ne me demande pas de faire des choix, ne me demande pas de parler si je n'ai pas envie de le faire, ne me force jamais à rien ; sa simple présence et sa joie de vivre suffisent à m'entraîner là où je veux aller, sans finalement que je m'en sois rendu compte. Se promener avec elle est une joie toujours renouvelée, et cette fois-ci sur le Chemin de traverse n'a pas fait exception à la règle.
Vers midi nous sommes allés manger chez Florian Fortarôme. Enfin, disons que j'ai mangé et que Shizue m'a regardé m'empiffrer de glaces sans toucher à la sienne. Je l'ai invitée, bien sûr, d'autant que c'est moi qui ai mangé sa part – elle n'a pas beaucoup d'appétit, ce qui m'inquiète souvent, mais les rares fois où je lui en ai parlé, elle s'est contentée de sourire et de secouer la tête sans répondre.
L'après-midi a été bien plus calme, en comparaison de la matinée. J'en ai profité pour faire un tour chez Fleury et Bott et renouveler un peu ma collection de bouquins. Normalement, les livres sont plutôt le domaine d'Hermione, mais les soirées sont longues lorsqu'on vit seul sans la télévision, et sans autre véritables amis qu'une japonaise aussi insaisissable qu'un coup de vent. Et puis, j'avais soudain envie de reprendre contact de manière plus tangible avec le monde sorcier. J'ai même songé à ce moment-là que ce serait bien si j'appelais Hermione, justement, histoire de prendre de ses nouvelles.
Elle est à peu près la seule personne en rapport avec le monde sorcier avec qui j'ai gardé contact depuis la fin de la guerre. Nous ne nous voyons jamais, je me contente de lui téléphoner ou plus rarement de lui envoyer un hibou. Je n'ai jamais grand chose à lui dire, et elle n'ose pas vraiment me donner des nouvelles des gens que nous connaissons, de peur de provoquer une réaction aussi violente qu'il y a quatre ans, quand j'ai fait exploser le téléphone sous le coup de la douleur. Je lui en suis reconnaissant, mais je crois que ce n'est plus nécessaire à présent.
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Je pense que j'ai dû passer plus de temps dans la librairie que je ne le croyais au départ, car tout à coup, elle était devenue bien silencieuse. Il n'y avait plus le bruissement incessant des clients qui allaient et venaient entre les rayonnages de la boutique, et le jour semblait avoir baissé. Puis il y a eu un bruit derrière moi qui m'a fait me retourner.
J'ai levé la tête et j'ai constaté que Shizue n'était nulle part en vue, mais qu'en revanche la silhouette qui se dressait en face de moi m'était douloureusement familière. C'était probablement l'une des personnes que j'avais le moins envie de voir depuis la fin de la guerre, alors j'ai voulu faire semblant de ne pas le reconnaître. J'espérais avoir suffisamment changé ces dernières années pour qu'il croie lui aussi à une erreur, mais lorsque j'ai commencé à lui tourner le dos, il m'a retenu par le bras. Avec gentillesse, mais sans non plus me permettre de me dérober.
─ Bonjour, Pro – Remus, ai-je alors dit, maladroitement, et en évitant son regard – je crois bien que je serais incapable de dire à quoi il ressemblait, à ce moment-là, à part qu'il n'avait que très peu changé depuis la dernière fois que nous avions discuté ensemble.
─ Bonjour Harry, a-t-il répondu, d'une voix incroyablement douce et dont je ne me rappelais pas. Cela faisait longtemps que je ne t'avais pas vu.
C'était vrai. Avant cet après-midi, cela faisait bien trois ou quatre ans que je ne l'avais plus revu. Pour être honnête, je crois bien que je comptais plus jamais le revoir – ni lui, ni tous les autres. Ou disons plutôt que je ne m'attendais pas à le recroiser, et que je ne pensais pas que cela arriverait si tôt. Je ne savais pas vraiment comment réagir, alors la seule chose que j'ai trouvé à répondre a été de lui demander des nouvelles de Tonks.
Il a balayé l'air de la main, d'un air désabusé, comme si c'était typiquement le genre de sujet qu'il ne voulait pas aborder. J'ai trouvé ça plutôt étrange.
─ Ce serait plutôt à moi de te demander de tes nouvelles, m'a-t-il dit avec un sourire fatigué. Cela fait…combien de temps ? Trois ans ?
─ Plutôt quatre, ai-je fait en lui rendant son sourire – mais j'étais incroyablement mal à l'aise, alors j'ai préféré écourter la conversation. Je n'ai pas vraiment le temps de discuter, ai-je ajouté, je suis avec une amie. Mais ça m'a fait plaisir de vous revoir. Il faudra que vous m'envoyiez un hibou un de ces quatre…
Et curieusement, c'était vrai, ça me faisait vraiment plaisir de savoir qu'il était toujours vivant et en – relative – bonne santé. Même si très honnêtement, je crois bien que je n'avais pas du tout l'intention de le rencontrer de nouveau. Il a semblé s'en douter – cela dit le contraire eût été difficile, parce que je me suis vraiment comporté comme un asocial, une conversation de trois phrases et demi, je crois que j'ai battu mon record – car il m'a adressé un autre sourire, encore plus fatigué que le premier, et il a hoché doucement la tête.
─ Bien sûr, Harry, a-t-il répondu. Je ne voudrais pas t'accaparer ton temps. Et puis, je dois rentrer chez moi (je me suis demandé s'il vivait avec Tonks désormais, mais je n'ai pas osé lui poser la question). Je t'écrirai, bien sûr, a-t-il conclu, mais il n'avait pas l'air sincère.
Puis il est parti. Je ne sais pas si j'en ai été soulagé ou pas, très honnêtement. Mais une fois qu'il a passé la porte de la librairie et que je me suis retourné pour ranger le livre que j'avais à la main, Shizue était de nouveau à côté de moi, et me regardait d'un air interrogateur.
─ Une vieille connaissance, lui ai-je expliqué à voix basse avec un sourire rassurant.
─ Il est tard, a-t-elle simplement dit. On devrait rentrer.
J'ai acquiescé sans rien dire.
A présent, je suis chez moi, un livre à la main, mais je ne parviens pas à me concentrer dessus. Shizue est repartie chez elle, et je me retrouve seul avec mes questions. Je n'arrive pas à décider si ma rencontre avec le professeur Lupin est une bonne chose ou non. Si je suis honnête avec moi-même, je dirai que je n'avais pas envie de lui parler, que toute cette partie de ma vie est loin derrière moi désormais. Mais si je veux être encore plus honnête, je devrai dire qu'au fond, ça m'a plutôt fait plaisir de le revoir. Que quelque part, j'ai envie de savoir. S'il va bien. S'il est toujours avec Tonks et s'il est heureux, maintenant. Comment vont…les Weasley.
Il faudrait que j'appelle Hermione demain. Ca fait longtemps que je n'ai pas parlé avec elle, ça me ferait plaisir de l'entendre.
Je me demande s'il va vraiment m'écrire…
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Finalement, je n'ai pas appelé Hermione. Quand je me suis réveillé ce matin, j'étais en retard pour la fac, et quand je suis rentré en fin d'après-midi, ça ne me semblait plus une si bonne idée. Je ne sais pas ce qui me retient, peut-être la certitude de savoir que finalement, je n'aurai pas plus de choses à lui raconter que les fois précédentes. Je n'ose pas lui demander des nouvelles des Weasley, je ne sais pas…comment elle vit la mort de Ron.
Nous n'en parlons jamais. Je ne sais même pas si elle est avec quelqu'un en ce moment. Après tout, ça fait quatre ans qu'il est mort, ce serait normal qu'elle s'en soit remise…qu'elle ait refait sa vie.
Les renards sont toujours là. Ils jouent dans mon jardin, il y en a même un qui regarde à travers ma fenêtre et m'observe sans bouger. Celui-là est roux.
─ Tu les vois toujours ? demande Shizue, qui s'est assise à côté de moi.
J'acquiesce lentement.
─ Je crois que tu as raison, dis-je. Ils cherchent à me dire quelque chose.
─ Tu as une idée de ce que ça peut bien être ? s'enquiert-elle avec intérêt.
Je secoue la tête.
─ Je n'en suis pas sûr, fais-je en allumant une cigarette. Je pense que Ron essaie de m'envoyer un message.
─ Ron…c'est ton ami qui est mort, c'est bien ça ?
Je ne réponds pas. Oui, c'est mon ami qui est mort, je pourrais lui dire ça. Mais ce n'est pas le seul, et surtout, c'était mon meilleur ami. En même temps, je sais que quelque part, cette histoire à propos de Ron essayant de communiquer avec moi…c'est juste un prétexte, un prétexte idiot pour parler de lui avec Shizue. Parce que je suis un sorcier, et je sais que les morts ne prennent pas l'apparence de renards magiques pour communiquer avec les vivants. Et surtout, je sais que si les morts ont encore des choses à faire dans notre monde, ils le font sous la forme de fantômes. Par conséquent, il n'y a pas de raison pour que Ron m'apparaisse sous la forme d'un renard magique, et encore moins pour qu'il se contente de me regarder sans me parler.
C'est donc un prétexte pour évoquer son souvenir en compagnie de Shizue, simplement parce que je n'ai pas le courage d'aborder les choses de manière franche et directe.
─ Tu sais, finis-je par avouer, je n'ai pas repris contact avec sa famille depuis la fin de la guerre. J'étais fiancé à sa sœur, je te l'avais dit ?
─ Pourquoi n'es-tu jamais revenu vers eux ? Tu penses qu'ils te croient coupable de sa mort ?
Oui. Oui, c'est ce que je pense vraiment. Et je pense aussi que je suis coupable auprès d'eux de bien d'autres choses, comme d'avoir abandonné Ginny au moment où elle avait le plus besoin de moi – au moment de la mort de Ron. Coupable également de ne pas en avoir éprouvé le moindre regret, parce qu'au fond je savais que je n'étais pas quelqu'un pour elle, et qu'elle n'était pas quelqu'un pour moi. Mais je ne le dis pas à Shizue, parce que ça impliquerait de lui raconter des choses que j'ai laissé enfouies au plus profond de moi, et que je n'ai pas envie de ressortir, même pour elle. Alors je me contente de répondre de manière évasive.
─ Je ne sais pas, dis-je en haussant les épaules. J'ai laissé tout ça derrière moi il y a tellement longtemps…Ce serait un peu étrange si je réapparaissais après tant d'années, tu ne crois pas ?
─ Ce n'est pas à moi d'en juger, ni même à toi, je pense, répond-elle avec un sourire. Oh, regarde ! s'exclame-t-elle soudain en montrant du doigt la barrière de mon jardin.
Il y a un hibou posé dessus. Rien d'inhabituel, encore que c'est peu fréquent, puisqu'il s'agit généralement du successeur d'Hedwige, que j'ai appelé Trevor junior en souvenir de Neville, et qui n'a pas d'autre mission que d'assurer ma correspondance anorexique avec Hermione. Là où ça devient surprenant, c'est que ce n'est pas mon hibou, puisque celui-ci dort actuellement dans sa cage au premier étage.
─ Je vais y aller, fait alors Shizue en se levant gracieusement. Tu ferais bien de t'occuper de cet oiseau.
Lorsque j'ouvre la fenêtre pour laisser passer le hibou et que je vois Shizue traverser le jardin, j'ai l'impression qu'elle a maigri.
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Le hibou est celui de Remus. Je ne pensais pas qu'il m'écrirait, finalement. A vrai dire, je croyais même pas que son hibou pourrait trouver le chemin de ma maison, puisque comme je l'ai dit, elle est introuvable pour quiconque n'y est pas désiré. Il faut croire que je voulais de ses nouvelles plus que je ne l'imaginais.
Sa lettre est brève, un peu empruntée. Comme s'il ne savait pas bien si m'écrire était une bonne idée ou pas. On dirait presque qu'il regrette de l'avoir envoyée, et en même temps, j'ai l'impression qu'il se retient de ne pas me poser plus de questions qu'il ne le fait. J'ai dû le mettre mal à l'aise, je suppose – probablement autant que lui m'a rendu mal à l'aise. Il ne dit pas grand-chose, au fond, se contente de banalités, de me dire qu'il aimerait bien me recroiser un jour histoire d'échanger des nouvelles plus détaillées, de m'assurer qu'il va bien. Une fois de plus, il n'est pas sincère. Parce que sais qu'en réalité, il voudrait parler de bien plus que cela. Des raisons pour lesquelles je suis parti il y a quatre ans, par exemple.
Je pourrais ranger la lettre. Je pourrais congédier ce hibou aux plumes fauves qui me fixe d'un air mortellement sérieux tout en s'abreuvant à l'écuelle que je lui ai donnée, et ne pas répondre en prétendant que le volatile n'a jamais trouvé ma maison. Il y a quatre ans, et même il y a moins longtemps, c'est ce que j'aurais fait, sans aucun doute.
Aujourd'hui, je ne sais pas plus que Remus si lui écrire est une bonne idée ; pourtant, après quelques minutes d'hésitation durant lesquelles je cherche n'importe quel prétexte pour ne pas répondre, je finis par sortir un vieux rouleau de parchemin, un encrier et une plume poussiéreuse, oubliés dans l'un des tiroirs de mon bureau – pour écrire à Hermione, je n'utilise que du bête papier, et un stylo à bille. Je pourrais ne pas m'encombrer de ces fioritures inutiles. Mais j'ai envie de le faire, un peu comme un cadeau que l'on envoie à un vieil ami à qui l'on n'a pas parlé depuis longtemps. Quelque part, c'est le cas.
N'est-ce pas ?
Ma lettre est tout aussi banale que celle de Remus, et remplie de platitudes sans nom qui me désoleraient si je prenais le temps de me relire – si j'en avais le courage. Mais je ne l'ai pas, pas plus que Remus n'en a eu lorsqu'il m'a écrit. Moi aussi, je me contente de lui dire que je vais bien, et qu'il faudrait qu'on se croise un de ces quatre. Moi non plus, je ne suis pas sincère, parce que je n'ai pas envie de simplement le croiser. Je voudrais, vraiment, avoir une vraie conversation avec lui, ou avec n'importe qui d'autre que j'ai pu connaître durant ma vie d'avant, et pouvoir évoquer le passer avec sérénité, sans oublier, mais sans trop d'amertume. Pourtant, je sais bien que je ne suis pas capable de plus que ce que je viens de faire, alors je scelle la lettre en espérant que cela suffira.
Pour le moment.
Lorsque le hibou de Remus s'envole par la fenêtre de mon bureau, les renards sont toujours là, et ils me regardent tous, la tête penchée sur le côté comme s'ils attendaient que je fasse quelque chose. Le problème, c'est que je ne sais toujours pas quoi.
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─ Pourquoi as-tu refusé son invitation ?
Shizue est assise en face de moi, dans ma cuisine. Comme a son habitude, elle touille distraitement son thé, sans y toucher. Elle a l'air en forme, et jette un coup d'œil distrait par la fenêtre.
─ Ils sont toujours là, dis-je sans lui laisser le temps de me poser la question.
Elle me le demande à chaque fois que je la vois, désormais. Elle tourne de nouveau son regard vers moi et penche la tête sur le côté – elle me fait penser aux Kitsune dans mon jardin.
─ Alors ? Pourquoi est-ce que tu as refusé son invitation ? Il a l'air sympa, non ?
Shizue parle d'un garçon qui m'a abordé cet après-midi sur le campus, alors que je l'attendais pour rentrer à la maison. Un type qui suit le même cursus que moi, mais qui est en troisième année. Elle a raison, il a l'air sympa, mais ce qu'elle ne semble pas avoir compris, c'est que ce garçon voulait plus que prendre une simple bière avec moi. Alors quand elle insiste et qu'elle me repose sa question, je hausse les épaules et je lui explique :
─ Tu n'as peut-être pas remarqué, mais il me draguait.
─ J'avais compris, répond-elle sur le ton de l'évidence. Et alors ? Il était mignon…et puis, ça te changerait les idées de voir de nouvelles têtes, pour une fois. Tu n'as pas l'air dans ton assiette en ce moment.
─ Tu me suffis, dis-je avec un sourire que je veux charmeur, et elle étouffe un petit rire.
Un rire qui me semble un peu triste.
─ Je sais, dit-elle. Mais tu devrais y réfléchir…puisque tu n'as pas l'air de vouloir revoir ce professeur Lupin…
Une autre lettre de Remus est arrivée, trois jours après que je lui ai envoyé ma réponse. Il me proposait de nous voir au Chaudron baveur, afin de discuter tous les deux. Son hibou partage la mangeoire de Trevor junior depuis vingt-quatre heures maintenant.
─ Ce n'est pas du tout la même chose, je proteste en me resservant du thé. Remus est un de mes anciens professeurs qui cherche à reprendre contact ; Sean est un type que je ne connais pas, et qui veut coucher avec moi.
─ C'est aussi un être humain, remarque Shizue en repoussant sa tasse dans laquelle son thé a refroidi.
─ Et alors ? Toi aussi, tu es un être humain. Ca veut dire quoi, que tu penses que je suis incapable de nouer des relations avec qui que ce soit ?
Elle ne répond pas, et ça m'énerve prodigieusement. Je sais ce qu'elle pense, mais elle a tort. Je peux tout à fait fréquenter d'autres personnes qu'elle. C'est juste que je n'ai pas envie.
─ Honnêtement, insiste-t-elle, tu ne le trouvais pas mignon ?
Une autre chose chez elle qui m'agace profondément : elle veut à tout prix me caser avec quelqu'un, et à tout prix avec un garçon. Nous en avons déjà parlé, très souvent. Elle pense que je suis gay.
Je ne suis pas homophobe. L'homosexualité est tout aussi fréquente chez les sorciers que chez les moldus, et à peu près acceptée dans un monde comme dans l'autre, ce n'est pas quelque chose qui me choque, ni ne me dérange plus que ça. A vrai dire, je n'y pense même pas, et quand je croise un couple de filles ou de garçons dans la rue, c'est toujours parce que Shizue me l'a fait remarquer que j'y fais attention. Sinon, je ne le verrais même pas.
Simplement, je ne suis pas gay. Je suis sorti avec Cho Chang et Ginny Weasley, et j'ai fantasmé, comme tous les garçons que je connais, sur Fleur Delacour ; j'ai même couché deux ou trois fois avec une fille de passage depuis que j'ai quitté le monde sorcier. Même si effectivement, ça ne m'a pas laissé un souvenir impérissable, il n'y a donc aucune raison valable pour que Shizue s'imagine que je préfère les hommes. Pourtant, elle s'obstine à vouloir me démontrer que j'ai tort, que je me trompe depuis le début, et que c'est pour cela que je suis incapable de rester avec une fille une fois que je suis parvenu à la tenir dans mes bras. Sinon, pourquoi aurais-je toujours désiré des filles inaccessibles, pour finalement les abandonner sitôt après les avoir eues ?
Je maintiens que c'est une idée ridicule. D'ailleurs, je n'aime pas quand elle me parle de ça ; ça me perturbe et ensuite je fais des rêves très déstabilisants pendant plusieurs jours. Ca la fait beaucoup rire par ailleurs, mais moi je soutiens que c'est parce qu'elle me met le cerveau à l'envers avec ses idées à la con.
C'est pourquoi je ne réponds pas à sa provocation, et que je préfère lui dire :
─ Je vais écrire à Remus que je le verrai la semaine prochaine.
Elle me sourit alors, d'un sourire lumineux qui semble éclairer toute la pièce. Et je me rends compte tout à coup que c'est vraiment ce que je veux, que j'ai vraiment envie de voir Remus et de lui parler, longuement, autour d'une pinte de bièrraubeurre. Alors qu'à l'origine, ce n'était qu'un prétexte pour changer de sujet.
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Remus n'a pas encore répondu au hibou que je lui ai envoyé hier soir. Je me demande bien pourquoi, et je ne peux pas m'empêcher de me sentir un peu vexé.
─ C'est la pleine lune en ce moment, fait remarquer Shizue assise sur le rebord de la fenêtre.
C'est vrai – j'avais complètement oublié. C'est pour ça, sans doute. J'espère qu'il va bien. Je me demande qui lui fournit de la potion Tue-loup depuis que Snape est mort…A côté de moi, Shizue chantonne doucement, et tout d'un coup quelque chose me perturbe.
─ Je t'avais dit que Remus était un loup-garou ? m'étonné-je.
Je ne rappelle pas l'avoir fait, mais elle sourit mystérieusement et secoue la tête.
─ Regarde, dit-elle. Comme la lune est belle, ce soir. Je pourrais presque voir les Kitsune danser dessous.
Elle a raison – je me penche à la fenêtre et comme toujours, ils sont là. Et ils dansent sous la lumière de la lune.
─ Tu ne m'as pas raconté pourquoi ils te font penser à Ron, chuchote Shizue.
Elle est assise à califourchon sur le rebord de la fenêtre et semble sur le point de tomber – mais je ne m'inquiète pas. Je m'installe en face d'elle, et je réponds :
─ C'était son Animagus. Il n'avait pas encore réussi à se transformer complètement quand il est mort.
Je m'interromps pour allumer une cigarette, comme toujours lorsqu'elle me pose des questions qui me rendent nerveux. Son regard posé sur moi est calme, attentif – elle me laisse le temps, et je lui en suis reconnaissant.
─ Lorsque Ron est mort, reprends-je, la plupart des combats avaient déjà cessé. En fait, j'avais tué Voldemort depuis plusieurs semaines, on peut donc dire que la guerre était officiellement terminée. Il a été pris dans une embuscade alors qu'il se rendait à Sainte Mangouste – un hôpital sorcier très réputé – pour rendre visite à Fred, l'un de ses frères qui avait été blessé.
─ On a réussi à arrêter les coupables ? demande Shizue en observant les volutes de fumée s'élever dans l'air nocturne.
─ Oui, je soupire. C'étaient des fidèles de Voldemort qui cherchaient à m'atteindre par le biais de mes proches. Ils s'imaginaient pouvoir enlever Ron pour me faire réagir…Il s'est tellement défendu qu'ils ont été obligés de le tuer pour s'en sortir vivants.
J'étouffe un petit rire désabusé. Bizarrement, je suis moins triste que je ne le craignais.
─ C'était tout Ron, ça…Incapable de se calmer, jamais…
Elle hoche la tête, doucement, et mon regard se porte de nouveau sur les renards qui batifolent sur mon gazon.
─ Je n'ai pas pu supporter sa mort, poursuis-je en écrasant ma cigarette. C'est ce qui m'a décidé à quitter le monde sorcier – j'étais déjà tenté, je dirais que ça n'a fait que confirmer ma décision. C'est drôle, finalement, on peut dire qu'ils ont réussi leur coup. Harry Potter n'existe plus désormais.
─ Tu peux toujours revenir, fait Shizue. Tu n'en as jamais eu envie ?
Si. Bien sûr que si. Seulement, les choses ne sont pas aussi faciles – c'est ce que j'explique à Shizue. Que je suis parti au moment où la famille Weasley avait le plus besoin de moi – en particulier Ginny. Que Molly, la mère de Ron, ne m'aurait sûrement jamais pardonné sa mort. Qu'à l'époque, tout le monde me prenait pour une espèce de demi-dieu, alors que tout ce que j'avais fait, au fond, c'était de tuer un homme. Que j'aie été le seul à pouvoir le faire et que Voldemort tenait plus du monstre que de l'être humain importe peu, finalement. Il n'en reste pas moins que j'ai tué quelqu'un – je ne suis pas le seul certes, après tout une guerre n'est jamais propre. Mais il n'empêche que je n'en suis pas particulièrement fier. De toute façon, il n'y a rien de glorieux à tuer. Ceux qui disent ça se cherchent des excuses. J'ai simplement fait ce que j'avais à faire, pour le bien de tous. Et ça s'arrête là.
Je m'aperçois que j'ai dévié du sujet – ou pas tant que ça, au fond. Je conclus mon explication un peu bancale en lui disant que je ne supporte pas d'être adulé pour de mauvaises raisons. D'ailleurs, j'apprécie peu d'être adulé tout court.
─ Ca ne te dérangeait pas lorsque c'était pour le Quidditch, objecte-t-elle calmement.
Elle a raison, mais ce n'est pas le sujet – ou peut-être que si, mais quoi qu'il en soit, je lui dis que j'avais besoin de prendre de la distance par rapport à tout ça, durant quelques temps.
─ Ca va durer encore combien d'années, ce « quelques temps » ?
Aïe. Elle marque un point, là. Et ça fait mal.
─ Tu crois que les Kitsune sont là pour me faire comprendre que je dois affronter les Weasley un jour ou l'autre ?
Elle hausse les épaules et rejette une mèche de cheveux en arrière.
─ Je ne sais pas, dit-elle avec un petit sourire. Mais si c'est le cas, ils n'ont peut-être pas tort.
o0O0o
Remus a l'air fatigué quand je le revois.
Il a finalement répondu à ma lettre, un ou deux jours après la pleine lune, je ne sais plus exactement. Il disait qu'il serait ravi de discuter avec moi un soir dans la semaine, mais en réalité, nous nous sommes croisés avant même d'avoir fixé une date de rendez-vous. Dans une librairie, encore une fois, mais moldue cette fois-ci. Je cherchais quelques ouvrages dont j'avais besoin pour mes cours, quant à lui, il se promenait dans le rayon « littérature étrangère ». J'ai pu constater que nous avions les mêmes goûts en matière de romans.
Il a eu l'air surpris de me voir – alors que théoriquement, c'est moi qui aurais dû être le plus étonné. J'ignorais qu'il fréquentait le monde moldu ; comme quoi même en connaissant les gens depuis plus de dix ans, on peut toujours en apprendre sur eux.
Nous sommes allés boire un thé dans un café tout proche. Le genre d'enseigne qui ne se remarque pas lorsqu'on passe devant dans la rue, un peu comme le Chaudron baveur, mais en plus chaleureux. Et à présent nous nous faisons face, encore plus mal à l'aise que la première fois, si c'est possible.
─ Alors, commence-t-il en se raclant la gorge. Que deviens-tu ?
Son entrée en matière est maladroite et convenue – je l'ai connu bien plus sûr de lui. A présent que je peux l'observer plus attentivement et que je n'ai plus l'intention de le fuir – du moins, pas tout de suite – je constate que la guerre a laissé ses marques sur lui. Comme sur tous les autres, deviné-je. Il n'a pas l'air tellement plus vieux que dans mes souvenirs, si ce n'est peut-être les quelques mèches de cheveux gris supplémentaires que je compte sur son crâne. Il est légèrement plus mince, également, mais globalement, c'est toujours le même. Simplement, il a l'air incroyablement fatigué, comme s'il portait un poids immense sur les épaules.
Et il y a une cicatrice sur sa joue gauche dont je ne me souvenais pas. Longue, large, un peu boursouflée comme si elle avait été mal soignée. La blessure devait être profonde, mais je ne rappelle pas par quoi elle a bien pu être causée. Je crois que je dois la regarder avec un peu trop d'insistance, car Remus détourne le visage, l'air gêné.
─ C'est Greyback qui me l'a faite, murmure-t-il en guise d'explication. Un peu avant que tu ne tues Voldemort…
C'est la raison pour laquelle je ne m'en souviens pas. Le jour où j'ai tué Voldemort, il portait encore des bandages autour de la tête – et puis je dois bien reconnaître que je n'y avais pas vraiment fait attention ; j'étais un peu trop occupé à essayer de sauver ma peau, et celle de millions de gens avec.
Je tente un sourire maladroit, mais je ne dois pas être très convaincu moi-même, parce que j'ai l'impression qu'il s'apparente plus à une grimace qu'autre chose.
─ Tonks doit trouver que cela vous donne l'air viril.
Inutile de dire que ma pitoyable tentative d'humour échoue lamentablement. Remus soupire lourdement, amorce un gentil sourire, mais les commissures de ses lèvres retombent immédiatement et je ne vois qu'un homme triste qui essaie de ne pas trop contrarier un enfant malade. Je n'aime pas ça.
─ Dora et moi ne sommes plus ensemble, énonce-t-il doucement, en buvant une gorgée de thé d'un air qui se veut indifférent.
─ Oh.
C'est tout ce que je trouve d'intelligent à dire, et je me sens tout d'un coup incroyablement pathétique. En même temps, il n'y a rien d'autre à répondre à ce qu'il vient de m'annoncer ; je ne me vois pas lui demander comment ni pourquoi c'est arrivé, en outre je me rends compte que je n'ai pas vraiment envie de le savoir. A vrai dire, ça m'est complètement égal.
J'ai toujours bien aimé Tonks, c'est vrai, mais je n'ai jamais été très proche d'elle. Et puis, son attitude avec Remus durant la guerre m'avait toujours un peu agacé. A l'époque, il était évident que Remus était clairement réticent à l'idée d'entamer une relation amoureuse avec elle ; et même lorsque, après la mort de Dumbledore, ils se sont affichés ensemble, j'ai toujours eu l'impression qu'elle lui avait plus ou moins forcé la main. Pour moi, qui venais de quitter Ginny justement parce que la guerre risquait de la mettre en danger, je trouvais le comportement de Tonks complètement irresponsable. Ou peut-être bien que j'étais jaloux, qui sait. De savoir qu'eux pouvaient se permettre d'être ensemble alors que moi, j'avais délibérément tué dans l'œuf mon idylle avec Ginny à cause du rôle que je devais jouer dans la guerre qui venait d'éclater officiellement.
─ Tu n'as pas l'impression de te chercher des excuses, là ? susurre la voix de Shizue dans ma tête.
Je sursaute légèrement sur ma chaise, et Remus doit interpréter mon mouvement involontaire comme de la surprise vis-à-vis de ce qu'il vient de me dire, car il balaie l'air de la main d'un geste négligent.
─ Ca n'a pas vraiment d'importance, dit-il en parlant de Tonks. Je pense que tout le monde avait compris, elle la première, que je ne l'aimais pas réellement. Elle vit avec Charlie Weasley, maintenant, et ils ont l'air heureux. C'est tout ce qui compte, je suppose.
J'acquiesce silencieusement, même si je suis tout de même un peu étonné d'avoir la confirmation de ce que je pensais, et que Remus n'aimait pas Tonks. Mais je suis content de savoir qu'elle va bien, ainsi que Charlie. Maintenant Remus me regarde et je sais qu'il attend que je lui pose la question fatidique. Je crois même que c'est la seule raison pour laquelle il tenait tant à discuter avec moi – aborder le sujet de la famille Weasley, et il vient de me tendre une perche que j'aurai bien du mal à refuser. Bon, peut-être qu'il tient aussi réellement à savoir comment je vais, mais je crois que ce sont deux sujets intimement liés.
─ Comment vont les autres ? finis-alors par demander, en choisissant volontairement mes mots pour que ma phrase soit la plus générale et évasive possible.
─ Eh bien, fait-il avec un petit sourire, absolument pas dupe. Je me suis laissé dire que tu avais régulièrement des nouvelles d'Hermione, je crois donc qu'il est inutile de te dire qu'elle va bien et qu'elle compte intégrer bientôt un troisième cycle d'études supérieures…
─ Oui, elle m'a dit, la dernière fois que je l'ai eue au téléphone, qu'elle comptait se spécialiser dans la recherche. Je n'ai pas bien compris en quoi ça consistait, entre nous…
─ Et entre nous, je sais bien que ça t'est totalement égal, remarque Remus d'un ton neutre alors que je m'étrangle avec mon thé.
Oh. Bien. Visiblement il ne tient pas à s'embarrasser de périphrases inutiles. Très bien. Dans ce cas, en avant pour les phrases nues, comme dirait Benacqista.
─ C'est vrai, j'approuve avec un petit rire. Je m'en fous complètement. De toute façon, elle m'en parlera encore pendant deux heures la prochaine fois que je lui téléphonerai, puisqu'il n'y a que ce sujet de discussion qu'elle s'autorise avec moi…
La constat pourrait sembler un peu amer, si ce n'est qu'au fond, je sais parfaitement qu'en réalité, c'est le seul sujet que moi, je lui autorise. Je crois bien avoir plus parlé études avec elle en deux ans au téléphone, qu'en sept ans de scolarité à Poudlard.
Remus ne relève pas ma remarque.
─ Ginny a entamé des études de médicomagie, préfère-t-il déclarer. Elle est restée seule depuis ton départ.
Très honnêtement, je ne m'attendais pas à ça. Et une vague de culpabilité m'envahit soudain alors que Remus me regarde avec compassion.
─ Ce n'est pas de ta faute, dit-il d'une voix douce et rassurante. Au bout d'un moment, tout le monde, même Molly, s'est demandé pourquoi elle refusait de refaire sa vie. Après tout, si Hermione a pu le faire alors que Ron est mort, il n'y a pas de raison pour qu'elle n'y arrive pas.
Là, il m'apprend quelque chose. J'ignorais totalement qu'Hermione avait quelqu'un dans sa vie. Je suppose qu'elle n'a pas osé m'en parler, étant donnée ma réaction lorsque j'ai appris la mort de Ron. Etonnamment, je ne lui en veux pas de ne pas m'en avoir informé – et encore plus curieusement, je suis sincèrement heureux pour elle. En revanche, pour Ginny, je commence à me sentir vraiment mal. Même si curieusement, cela me donne encore moins envie de la revoir. La culpabilité, sans doute. Finalement, il aurait peut-être mieux valu pour elle que je meure – cela lui aurait permis de faire son deuil.
─ C'est de loin la chose la plus stupide que tu aies jamais dite, gronde Remus, et je m'aperçois, effaré, que j'ai pensé tout haut.
Je rougis violemment et je baisse les yeux, incapable d'affronter son regard.
─ Comment s'appelle son fiancé ? demandé-je en parlant d'Hermione, pour changer de sujet.
─ Il s'appelle Terry Boot, répond Remus, une expression sévère encore accrochée à ses traits fatigués. C'est un ancien Serdaigle, qui suit les mêmes cours qu'elle à l'université.
Un intellectuel. Son choix est surprenant, si l'on se réfère à Ron, qui était tout sauf un cérébral. Mais je suppose que justement, elle a dû choisir quelqu'un qui ne lui ferait pas trop penser à lui. Elle n'est peut-être pas totalement remise, en fin de compte – ou alors c'est moi qui ferais mieux d'arrêter la psychanalyse sauvage.
─Molly ne t'en veut pas du tout, tu sais, déclare soudain Remus, après un long silence durant lequel chacun est resté plongé dans ses pensées.
Ou disons plutôt que moi, je suis resté plongé dans mes pensées, et que Remus m'a laissé m'embourber tout seul.
Je dois dire que j'ai du mal à croire son histoire comme quoi Molly ne m'en veut pas. Elle aurait toutes les raisons de le faire – la mort de Ron à cause de la haine que j'ai inspiré à d'anciens Mangemorts, le fait d'avoir abandonné sa fille et de l'avoir fait souffrir au point qu'elle n'est plus que l'ombre d'elle-même aujourd'hui…le fait d'être parti sans laisser d'adresse, également. Oui, Molly Weasley aurait absolument toutes les raisons du monde de m'en vouloir, et c'est ce que je réponds à Remus.
─ Tu te trompes, contre-t-il, les sourcils froncés en une expression désapprobatrice. Personne ne t'en veut, Harry, Molly pas plus que les autres, et surtout pas pour la mort de Ron. Tu n'y étais pour rien, c'était le genre de choses qui était susceptible d'arriver. Prends l'exemple de Neville : il n'est mort que parce que certains ont cru qu'il pouvait être l'objet de la Prophétie, au lieu de toi. Ca n'en fait pas pour autant de toi le responsable de sa mort.
J'avoue que j'émets des doutes quant à son argumentation, mais je ne dis rien. Parce que rien de ce que je pourrais dire ne réussirait à lui faire comprendre mon point de vue. Et parce que je sais qu'au fond, c'est lui qui a raison. Malgré tout, je ne peux pas m'empêcher de penser que j'aurais pu éviter bien des morts si je m'y étais pris autrement. Si je n'avais pas été aussi stupide à certains moments. Si j'avais été moins faible. Mais on ne peut pas changer le passé…
N'est-ce pas ?
Je soupire. Je savais que cette conversation serait pénible. Je m'y attendais, c'est même étrangement moins désagréable que ce que je craignais, pourtant ça ne change rien au fait que plus le temps passe, et plus j'ai envie de rentrer chez moi.
─ Comment vont Molly et Arthur ? demandé-je, une fois de plus pour changer de sujet.
─ Tu leur manques, répond-il doucement. Ils ne comprennent pas vraiment pourquoi tu es parti si précipitamment, et surtout pourquoi tu n'as pas donné de nouvelles pendant si longtemps. Ils ne t'en veulent pas, je te l'ai dit, mais ça leur fait de la peine de penser que tu ne les considères plus comme ta famille d'adoption.
Je grimace. Ca fait mal. Mais surtout, ce n'était pas ce que je voulais entendre. Pas du tout. Remus doit l'avoir compris, car il reprend :
─ A part ça, ils vont bien. Molly s'est remise de la mort de Ron, même si elle devient de plus en plus mère-poule avec l'âge. (Il m'adresse une petit sourire complice étonnamment sincère, puis poursuit) Elle couve avec bonheur la fille de Bill et Fleur. Quant à Arthur, il a obtenu une promotion au Ministère ; il s'occupe des relations diplomatiques avec les Moldus, à présent. Je suppose que je ne t'apprends rien si je te dis qu'il se sent là-bas comme un poisson dans l'eau…
Il suppose bien, en effet. Je hausse un sourcil amusé en imaginant Arthur poser mille questions toutes plus farfelues les unes que les autres à ses interlocuteurs moldus, et l'idée me fait rire. Je réalise que ça m'avait manqué. Qu'ils m'avaient manqué – qu'ils me manquent toujours, tous autant qu'ils sont.
─ Et Fred et George ?
Je me sens soudain devenir curieux – l'idée même de rentrer chez moi m'enfermer avec mes bouquins est repartie comme elle est venue. A vrai dire, elle ne m'effleure même plus l'esprit. C'est fou comme apprendre que les gens à qui l'ont tient sont heureux et ont réussi à surmonter tant d'épreuves peut donner tout à coup envie d'en savoir plus.
─ Ils vont bien, répond Remus – j'ai l'impression qu'il a l'air moins fatigué que tout à l'heure. La boutique marche très bien – les gens ont besoin de rire et de voir que la vie continue, je crois. Fred s'est totalement remis de ses blessures, et George boite un peu, mais rien de grave.
Je suis content pour eux, sincèrement. Bizarrement, il ne semble pas venir à l'idée de Remus de me parler spontanément de Percy. Je ne lui pose pas la question – ça ne m'intéresse pas. Et puis, quelque chose d'autre me turlupine depuis tout à l'heure, depuis que nous sommes entrés dans ce café, en fait.
─ Et vous ? finis-je enfin par demander, après quelques instants d'hésitation durant lesquels ni lui ni moi n'osons prendre la parole – je pense qu'il se doutait que j'allais aborder le sujet ; et qu'il n'en avait pas envie.
Ses traits s'affaissent un peu. J'avais bien deviné – ma question le gêne, et il préférerait être à mille lieues d'ici plutôt que de me répondre. Je le comprends – je ne lui ai rien moi non plus, ce n'est pas pour rien. En fait, j'ai déclenché les hostilités uniquement pour éviter d'y passer le premier – ai-je précisé que j'étais un lâche, parfois ?
Bref, je comprends parfaitement son état d'esprit et je compatirais presque. Je ne serais pas surpris, ni fâché s'il ne répondait pas. Pourtant, il le fait, d'une voix douce et neutre, presque sans timbre. Presque détachée, comme s'il parlait de quelqu'un d'autre.
─ Je donne des cours par correspondance en étude des Runes et en Arithmancie, dit-il en allumant une cigarette – je ne me rappelais pas qu'il fumait ; peut-être depuis la guerre ? Le Ministère refuse toujours aux…gens comme moi un emploi en contact direct avec les gens. Ce n'est pas très bien payé, mais c'est toujours mieux que sous le mandat de Fudge…
Je ne dois pas avoir l'air d'apprécier ce qu'il me dit, car il relève les yeux et m'adresse un sourire bienveillant.
─ Ne fais pas cette tête-là, dit-il gentiment. Je m'en tire bien mieux que tu ne sembles l'imaginer, vraiment. Et puis, j'ai tout de même des droits, maintenant.
Non. Non, en réalité je suis absolument catastrophé par ce que je viens d'apprendre. Et je refuse d'y croire, bordel ! Remus est un héros de guerre, il ne devrait pas avoir à lutter comme il le fait pour obtenir un travail et vivre décemment. Je ne comprends pas les décisions du Ministère, je ne les ai jamais comprises, aujourd'hui encore moins qu'avant. Et plus que tout, je ne supporte pas de voir cet homme que j'ai si longtemps admiré, se laisser piétiner de la sorte, sans aucune dignité.
Ma tasse de thé explose, et je réalise avec stupeur que ma magie a échappé à mon contrôle. Cela devait bien faire trois ans que cela ne m'était pas arrivé – j'ai du mal à croire que c'est moi qui viens de faire ça.
Alors qu'un serveur se précipite pour réparer les dégâts, je me lève de ma chaise, sans bien savoir ce que je fais. Je sais juste que de nouveau, je n'ai plus envie d'être ici.
─ Il faut que j'y aille, marmonné-je indistinctement tandis que je dépose sur la table de quoi payer nos consommations.
Remus a l'air triste alors qu'il acquiesce doucement.
─ Je comprends, dit-il. Merci de m'avoir accordé un peu de ton temps.
─ Ca m'a fait plaisir, réponds-je sur le ton de la protestation, sans savoir pourquoi. Ecoutez, il faut vraiment que j'y aille, mais pourquoi ne venez-vous pas dîner chez moi, un soir ?
─ Tu ne préférerais pas venir déjeuner un jour chez les Weasley ? me demande-t-il avec un sourire. Ca leur ferait plaisir, j'en suis sûr.
J'esquisse une grimace d'excuse.
─ Un jour, oui, fais-je distraitement – du moins, je tente de paraître détendu, mais je vois à l'air dubitatif de Remus que j'échoue lamentablement – en rassemblant rapidement mes affaires. Mais rendez-moi visite un de ces quatre. Un week-end où nous aurons le temps de parler, par exemple.
Puis je quitte le café, d'un pas pressé.
En réalité, je me fais plus l'impression de fuir de nouveau.
o0O0o
Les renards me semblent un peu moins nombreux lorsque je me réveille le lendemain. La veille encore, j'en comptais grossièrement une bonne douzaine dans mon jardin ; aujourd'hui j'en dénombre sept, peut-être huit, c'est difficile de savoir car ils sont très agités depuis ce matin.
─ Ils sont toujours là, dis-je machinalement à Shizue quand je la vois du coin de l'œil s'asseoir à la table de ma cuisine – je ne l'ai même pas vue traverser le jardin, tellement j'étais absorbé à compter les Kitsune.
Son rire résonne dans la pièce et je tourne mon regard vers elle pour lui offrir du thé. Tandis qu'elle accepte silencieusement, je suis frappé par sa minceur. Ca ne m'avait jamais alerté à ce point depuis que je la connais, mais je me rends compte qu'elle a vraiment maigri ces derniers temps. Elle a l'air épuisée aussi, mais étrangement, son sourire est encore plus lumineux qu'à l'accoutumée.
─ Tu as l'air en forme, lance-t-elle tout en jouant distraitement avec sa cuillère à thé. On dirait que tu as mangé du lion au petit déjeuner.
Je la dévisage, incrédule. Je ne me sens pas plus en forme que d'habitude. Bon, peut-être que je me suis levé avec un peu plus d'entrain ce matin ; mais je suis surtout très énervé depuis hier soir.
─ Tu sais, dis-je sans préambule tout en préparant du thé. J'ai revu le professeur Lupin hier après-midi, totalement par hasard.
─ Ah ! s'exclame-t-elle. C'est donc pour ça que tu sembles si énergique aujourd'hui…
Je me retourne pour lui faire face, l'air excédé.
─ Tu savais que le Ministère de la Magie pratique encore la régulation des créatures magiques ? m'écrié-je, indigné. Bordel, je n'y crois pas, ça ! Remus est un héros, il a sauvé je ne sais combien de vies durant la guerre, était un membre actif de l'Ordre du Phénix – il a même obtenu l'ordre de Merlin, troisième classe, pour ce qu'il a accompli au profit de la lutte contre Voldemort…Et qu'est-ce qu'il obtient comme récompense ? Le droit d'avoir un job minable et sous-payé, sous prétexte qu'il est considéré comme une créature dangereuse !
─ Tu as bien conscience que ce que tu me racontes s'apparente à du chinois pour moi ? me dit-elle avec pragmatisme. D'ailleurs, un loup-garou, ce n'est pas censé être dangereux, à la base ?
Je balaie sa remarque d'un geste agacé.
─ C'est ridicule, marmonné-je, m'adressant à personne en particulier. La potion Tue-loup régule parfaitement les instincts des lycanthropes, et nous sommes parvenus à la produire en masse durant la guerre – je sais de quoi je parle, c'est probablement la seule potion que je connaisse sur le bout des doigts…
Enfin, de façon théorique, bien sûr, parce que la pratique…mais je ne le dis pas à Shizue, parce que ce n'est pas du tout le sujet de mon propos.
─ Ce que je veux dire, reprends-je avec énervement tout en touillant avec acharnement dans ma tasse, c'est que ce n'est pas normal de laisser quelqu'un comme lui avec à peine de quoi vivre. Et ce qui m'énerve encore plus, c'est que quelqu'un comme lui trouve ça acceptable !
─ Que voudrais-tu qu'il fasse ? contre doucement Shizue.
─ Je ne sais pas ! Mais qu'il ne se laisse pas marcher dessus comme ça, en tout cas. Il mérite tellement mieux…
─ Tu as l'air de beaucoup l'aimer, remarque-t-elle d'une voix neutre.
Moi je remarque qu'elle a des cernes – je ne l'avais pas vu avant cet instant précis.
─ Tu es sûre que tu vas bien ? demandé-je d'un air soupçonneux. Je ne voudrais pas te vexer, mais tu as une mine épouvantable.
─ Ca va très bien, réplique-t-elle – et c'est son tour d'être agacée. En revanche, toi, tu ferais bien de réfléchir un peu à ce que tu veux vraiment. Et accessoirement, de te dépêcher, parce que tu vas être en retard en cours.
─ Tu seras là quand je reviendrai ?
Elle acquiesce en silence.
─ Très bien, souris-je. Alors je te confie mon palace. A ce soir.
Quand je quitte la maison, j'ai le vague sentiment de ne pas avoir compris ce qu'elle a voulu me dire. Et les renards me suivent du regard, avec une expression curieusement désapprobatrice.
o0O0o
Je ne vois pas Shizue durant quelques jours. Il faut dire que nous entrons bientôt en période d'examens, et que m'en voudrais de les rater alors que j'ai tellement travaillé pour les obtenir. J'imagine que la réciproque est vraie pour elle aussi.
Je me suis finalement décidé à appeler Hermione. Elle a semblé plutôt surprise d'apprendre que j'avais revu Remus, mais elle n'a pas fait de commentaires. Je lui ai dit que peut-être, j'irais voir les Weasley bientôt, et cela l'a bien sûr encore plus étonnée. Elle n'a pas osé me le dire franchement, mais je crois qu'elle considère que ce n'est pas trop tôt. Je ne peux guère la blâmer de penser ça, cela dit.
Et puis, ce sera l'occasion de la revoir, elle. J'ai l'impression que le téléphone ne me suffit plus depuis que j'ai eu de ses nouvelles par Remus.
Notre conversation dure plus longtemps que d'habitude, mais elle est interrompue par la sonnette de ma porte d'entrée. Je suis plutôt surpris, parce que personne ne vient jamais chez moi en dehors de Shizue, et qu'elle ne sonne jamais – elle se contente de pousser la porte, puisque je ne la ferme pas ; c'est inutile, étant donné que ne peuvent entrer que les gens qui y sont autorisés.
C'est Remus.
Je crois qu'il est aussi surpris que moi d'être parvenu à trouver le chemin de ma maison.
Quant à moi, je dois bien reconnaître que je suis sidéré – mais curieusement, je suis plutôt content.
─ Je ne m'attendais pas à vous revoir si tôt, lancé-je en l'aidant à retirer sa veste.
─ Je te dérange ? demande-t-il tranquillement, comme si quelque part, il se fichait de la réponse.
─ J'étais au téléphone avec Hermione, dis-je tout de même avec un sourire. Elle commençait à me faire un rapport détaillé de ses cours de la semaine, alors je peux dire que vous me sauvez plutôt la mise.
Il réprime un petit rire tout en s'avançant dans mon salon.
─ C'est une jolie maison, fait-il avec platitude alors que je l'invite à s'asseoir.
Je hausse les épaules.
─ C'est plutôt petit mais ça me suffit. Avec l'héritage de mes parents, je peux largement me la payer, et puis, c'est confortable. Shizue y passe presque tout son temps.
─ Shizue ? s'enquiert-il avec intérêt. C'est l'amie dont tu m'as parlé, n'est-ce pas ? Je ne crois pas l'avoir vue lorsque nous nous sommes rencontrés chez Fleury et Bott, à quoi ressemble-t-elle ?
Je hoche la tête.
─ C'est une moldue, elle connaît très peu le monde sorcier, expliqué-je. Elle devait sans doute fouiller dans les rayonnages quelque part au fond de la librairie. Elle est japonaise, mais vous deviez vous en douter, avec un nom pareil.
Il fronce les sourcils, perplexe, mais se contente de secouer la tête sans faire de commentaires. Je ne vois pas pourquoi il a l'air aussi surpris.
─ C'est ta fiancée ? demande-t-il encore avec un sourire – il a l'air d'apprécier l'idée de me savoir heureux avec quelqu'un.
─ Non, le détrompé-je en riant. Sortir avec Shizue, ce serait comme sortir avec Luna Lovegood, un vrai casse-tête. Et puis physiquement, ce n'est pas mon genre.
A ce moment-là, je serais bien incapable de définir quel est mon genre exactement.
─ Ah ? Elle n'est pas jolie ?
Je hausse les épaules – je fais ce geste souvent, ces derniers temps, j'ai l'impression.
─ Ce n'est pas mon genre, c'est tout, fais-je simplement en clôturant le sujet.
Et ça vaut mieux, parce que je réalise soudain que je suis tout aussi incapable de dire si Shizue est jolie ou pas. Elle est juste Shizue, c'est tout. Remus n'insiste pas.
─ Donc, tu vis seul, constate-t-il sobrement.
─ Pas tout à fait, précisé-je avec une grimace comique. Je vis avec Trevor junior, mon hibou.
Cette fois-ci, mon humour au ras des pâquerettes semble lui arracher un sourire, et je me dis que je n'ai pas tout à fait perdu les maigres compétences sociales que je pouvais avoir avant de m'exiler au fin fond de la banlieue londonienne avec pour seule compagnie occasionnelle un hibou toujours en vadrouille et une japonaise évanescente.
Mon dieu, je me fais l'impression d'être un parfait misanthrope, tout d'un coup.
Malgré tout j'essaie de me comporter en hôte décent, et comme je n'ai aucune idée de ce que peut bien être un hôte décent, je me contente de lui proposer à boire.
─ Je veux bien une tasse de thé, si tu as, accepte-t-il.
Pendant que j'attends que la bouilloire se mette à siffler, je jette un coup d'œil par la fenêtre de la cuisine. Les renards sont toujours là, et ça m'étonne que Remus ne m'en ait pas parlé. Peut-être qu'il ne les voit pas, lui non plus ; mais dans ce cas je crois qu'il serait grand temps que je m'inquiète pour ma santé mentale. Cela dit, je ne vais certainement pas lui en parler – je ne tiens pas à l'inquiéter.
Lorsque je regagne le salon, Remus est en train d'examiner les rayonnages de ma bibliothèque, et une expression concentrée s'est peinte sur son visage. Je me surprends à penser qu'il a l'air bien moins fatigué que la dernière fois, puis je me gifle mentalement – évidemment, me morigéné-je, la pleine lune est loin à présent. C'est normal qu'il ait l'air mieux.
─ Vous avez trouvé quelque chose d'intéressant ? demandé-je alors que je dépose le plateau à thé sur la table basse.
Il se retourne et me fait un sourire d'excuse, comme si je l'avais surpris dans une position compromettante.
─ Je suis étonné du nombre de livres que tu possèdes, dit-il comme pour se justifier. Je ne me rappelais pas que tu aies été un lecteur très assidu quand tu étais plus jeune.
─ Les choses changent, fais-je avec un geste de la main pour lui signifier que le thé est prêt. Je pense que les livres sont souvent de bien meilleure compagnie que les êtres humains…
─ C'est un point de vue, réplique-t-il en haussant un sourcil dubitatif, mais avec un sourire sincère.
Je sais qu'au fond, il n'est pas loin de penser la même chose que moi. J'ai l'impression qu'on forme une belle brochette d'inadaptés sociaux, tous les deux. Et je ne suis pas certain que nos raisons diffèrent de beaucoup.
─ Alors, reprend-il tandis que je nous sers une tasse chacun. Parle-moi un peu de toi. Qu'est-ce que tu deviens ? Tu ne m'as rien dit lorsque nous nous sommes vus la dernière fois…
Ca pourrait sonner comme un reproche, pourtant je sais qu'il n'en est rien. Il a juste envie de savoir, c'est tout. Malgré tout, je me demande ce que je vais bien pouvoir lui dire, parce qu'objectivement, je n'ai absolument rien d'intéressant à lui raconter. C'est d'ailleurs en substance ce que je lui dis plus ou moins.
─ Eh bien, fais-je en soupirant, vous savez, il n'y a pas grand-chose à dire. Pendant deux ans, j'ai suivi des cours par correspondance afin de me remettre à niveau pour passer les examens d'entrée à l'université ; j'ai travaillé comme un fou. Et à présent je suis sur le point de passer mes partiels pour entrer en troisième année. Je mène une vie...tranquille ; je parle de temps en temps au téléphone avec Hermione, je passe mes soirées à lire ou à discuter avec Shizue. Je pourrais dire que je vis seul avec mon chien, sauf que c'est un hibou. Et…voilà, c'est tout. Pas très glorieux, hein ? fais-je avec une expression contrite.
Je crois qu'en lui parlant, je viens seulement de prendre la pleine mesure de ma misère affective et sociale ; et je n'aime pas ça.
Remus secoue la tête avec un pauvre sourire.
─ Je comprends, dit-il doucement en levant ses yeux vers moi – je ne me rappelais pas qu'ils étaient si clairs, on dirait presque du miel liquide ; c'est joli.
Très honnêtement, je ne suis pas sûr qu'il comprenne. Dit comme ça on a l'impression que je suis malheureux, que je vis mal mon isolement, mais c'est faux. C'est simplement que j'aspire à une paix que je suis tout proche d'atteindre, à présent. Mais je ne suis pas certain qu'il comprenne ce que je veux exprimer, alors je ne dis rien.
Nous buvons notre thé en silence, et lorsque Remus part, il est encore tôt dans la soirée. Je n'ai pas osé l'inviter à dîner – de toute façon, vu le désert qu'est mon frigo, j'aurais été bien en peine de lui préparer quoi que ce soit de mangeable.
Alors que je le regarde regagner la rue, je remarque que les renards se sont cachés sous les buissons. Et je me sens curieusement coupable de ne pas l'avoir retenu…
o0O0o
─ Ils sont toujours là, dis-je alors que Shizue fait irruption dans mon salon.
Et ils sont nombreux aujourd'hui. Je suis assis dans mon fauteuil, et je fixe en buvant un verre de vin ce qui pourrait être un beau feu de cheminée mais qui n'est qu'un âtre vide et froid. Il y a un livre posé sur l'accoudoir, mais je n'ai guère réussi à lire plus de deux pages ce soir. Depuis plusieurs jours, j'ai la sensation d'être comme un lion en cage ; je tourne en rond sans réussir à savoir ce que je veux, sans parvenir à me décider sur ce que je dois faire.
─ Sean m'a encore invité à sortir, dis-je encore tandis qu'elle s'assied en tailleur sur le canapé.
─ Et bien sûr, tu as refusé, énonce Shizue, impassible.
Elle semble avoir repris un peu de poids depuis la dernière fois. Et elle a raison, j'ai refusé ; mais pas pour ce qu'elle croit. Je hoche la tête en m'allumant une cigarette.
─ Il se pourrait bien que je sois attiré par les garçons, dis-je finalement après avoir recraché la fumée de ma cigarette.
─ Pourquoi avoir refusé, dans ce cas ?
Je grogne, agacé.
─ Parce que je n'en suis pas sûr, grommelé-je en évitant délibérément son regard. Parce que Sean ne m'attire pas. Parce que, bordel, je viens juste de commencer à admettre que peut-être, tu n'as pas tort quand tu affirmes que je suis homosexuel.
─ Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ?
Il n'y a aucune nuance de triomphe dans sa voix, pourtant je sais qu'elle sourit, de cet air un peu moqueur qu'elle a parfois et qui me fait me sentir complètement ridicule. Et puis, je ne lui ai pas tout dit non plus.
─ Je sais que tu as raison quand tu dis que je cherche uniquement les filles inaccessibles, marmonné-je. Tu as raison également quand tu dis que je ne suis pas capable de nouer des relations normales avec les gens ; et, putain, tu as raison aussi quand tu dis que je pourrais bien être pédé, parce qu'à chaque fois qu'on en parle je fais des rêves mouillés comme un foutu adolescent !
Elle étouffe un petit rire et je retiens une exclamation énervée.
─ Ce n'est pas drôle, protesté-je.
─ Tu n'as pas répondu à ma question, dit-elle doucement.
Je sais. Je tourne autour du pot, exprès. Déjà parce que ça me fait mal au cul d'admettre que j'ai eu tort depuis le début. D'ailleurs c'est ce que je lui dis.
─ Bordel, Shizue, essaie de me comprendre, un peu ! m'exclamé-je. Je viens seulement de me rendre compte, à presque vingt-quatre ans, que je me suis planté sur toute la ligne, c'est un peu difficile à avaler, reconnais-le.
─ J'admets, fait-elle avec un petit rire. Tu es plutôt lent sur certains points…
Nous retombons dans le silence. Comme je ne supporte pas ça, je murmure un Incendio et le bois de la cheminée s'embrase brusquement, faisant immédiatement crépiter les flammes. Au moins aurai-je quelque chose sur quoi fixer mon regard pendant que je fais mon coming-out devant ma meilleure amie.
Et puis, il y a autre chose.
─ La nuit dernière, j'ai rêvé de quelqu'un en particulier, finis-je par avouer.
Je n'ai pas envie de lui dire de qui il s'agit. C'est trop perturbant. Et aussi parce que je n'arrive pas à y croire, parce qu'il n'y a aucune raison pour que ce soit lui. Parce que tout ce que je pensais qu'il pouvait m'inspirer, c'est de la pitié – ou peut-être est-ce de la compassion – au mieux du respect. Mais du désir…
─ C'est le professeur Lupin, n'est-ce pas ? demande Shizue – et son regard est lui aussi attiré par les flammes, comme un papillon de nuit.
─ Je ne comprends pas, fais-je en secouant la tête de désarroi. Il n'est même pas beau…
─ Ca c'est l'argument le plus stupide que tu m'aies jamais sorti, s'esclaffe-t-elle.
Oui, bon. C'est vrai, c'est complètement crétin comme remarque. Après tout, Cho et Ginny étaient sublimes, ça ne m'a pas empêché de les quitter sans le moindre regret. L'argument ne tient pas, je le sais très bien ; mais je me raccroche aux branches comme je peux. Parce que je voudrais tellement pouvoir m'expliquer pourquoi, et que je ne trouve pas la moindre raison valable à ce qui est en train de m'arriver. Sans que je le veuille. Et ça, franchement, ça me fout les boules.
─ Il y a vraiment besoin d'une explication ?
Je sursaute – je ne m'étais pas aperçu que j'avais parlé tout haut.
Et…oui, moi j'ai besoin d'une explication. Non qu'il doive forcément y en avoir une, je ne suis pas idiot au point de croire qu'il y a forcément une raison à tout – encore que, Hermione, si elle était à la place de Shizue, serait bien capable de me soutenir le contraire, et de me démontrer preuves à l'appui que le hasard n'existe pas en ce bas monde. Mais quoi qu'il en soit, j'ai besoin de comprendre.
Mais Shizue ne peut pas m'aider, cette fois. Hermione pourrait, peut-être. Elle me dirait sans doute des tas de choses intéressantes au sujet de comment je gère le choc post-traumatique d'après-guerre, et autres conneries du même genre. Elle aurait même sûrement raison, parce qu'elle a la foutue habitude d'avoir toujours raison, ce qui est un trait de caractère chez elle qui a tendance à me fatiguer, à la longue.
Seulement voilà, je n'ai pas envie de parler à Hermione. Enfin, je n'ai pas envie de lui parler de ça, en tout cas.
Et surtout, ça ne va pas m'aider à régler mon problème le plus urgent : Remus m'a envoyé un hibou, par lequel il m'annonce que les Weasley sont au courant que j'ai repris contact avec lui, et qu'ils m'invitent à déjeuner ce dimanche.
Et moi, comme un abruti, parce que sur le moment ça me semblait une bonne idée, parce qu'à ce moment-là je n'étais pas totalement perturbé par ce rêve à la con, j'ai accepté.
Bien sûr, Ginny sera là. Et Remus. Sinon, ce ne serait pas drôle.
o0O0o
Cela doit bien faire plus de quatre ans que je n'ai pas côtoyé autant de personnes en même temps.
Il y a la famille Weasley au complet, bien entendu. En comptant les pièces rapportées, c'est-à-dire Fleur et Tonks, ça fait déjà dix personnes – Percy est là, étonnamment, mais il est seul ; depuis la mort de Pénélope Deauclair, il est resté célibataire. Ajoutons à cela le bébé de Bill et Fleur, ça fait une personne de plus – même si ça ne compte pas vraiment. Puis Hermione et son fiancé, Terry, treize convives. Enfin, Remus…et moi.
Je ne me sens pas à l'aise. Oh, bien sûr, Molly et Arthur m'ont accueilli aussi chaleureusement que si je les avais quittés la veille. Hermione et Terry ainsi que les jumeaux s'occupent de me faire la conversation, aussi naturels que si je n'avais jamais disparu sans prévenir pendant quatre ans. Ginny fait même l'effort d'être civilisée avec moi et de ne pas me jouer les épouses trahies.
Malgré tout, il y a leurs regards sur moi qui me rappellent en permanence que Ron n'est pas là. Et que c'est lui qui devrait être à ma place.
C'est ridicule, je sais ; après tout, la première chose que Molly m'ait dite lorsque je suis arrivé – en me vautrant dans la cheminée, comme d'habitude ; voilà une chose qui n'a pas changé, tiens – c'est de me traiter d'imbécile pour avoir pensé qu'elle me tenait responsable de la mort de son fils. Et tout le monde est sincèrement heureux de me revoir.
Mais voilà, moi je ne peux pas m'empêcher. De savoir que c'est par ma faute que leur plus jeune fils est mort.
Et puis, il y a Remus, qui ne cesse de m'observer d'un air pensif, comme s'il cherchait quelque chose dans ma tête sans parvenir à le trouver. Et il y a Tonks, qui regarde Remus me regarder.
Tout cela me donne le sentiment d'être au zoo, ou bien d'être un patient difficile aux mains d'une équipe de psychomages déments.
D'accord, j'exagère un peu.
Beaucoup.
Mais comprenez-moi, mes contacts humains se limitent à une seule personne depuis des années, et je me contente de salutations d'usage minimales quand je suis à l'université. Forcément, il y a de quoi vous rendre agoraphobe – et merde, peut-être bien que je le suis, après tout.
Je profite du repas pour dévisager Remus discrètement – du moins, je le crois, mais je n'en jurerais pas, car Hermione me lance régulièrement des œillades soupçonneuses qui m'incitent à replonger immédiatement le nez dans mon assiette. Disons plutôt que j'essaie de ne pas trop le fixer du regard, mais c'est plus fort que moi. Il faut que je comprenne.
Et je comprends encore moins.
C'est vrai. Ce n'est pas un bel homme. Je sais que c'est ridicule mais j'aurais cru que je me sentirais attiré par quelqu'un de plus séduisant que ça. La balafre sur sa joue est impossible à oublier, et il se tient légèrement courbé en avant, comme s'il voulait s'effacer. Il a l'air fatigué, mais c'est plus, il me semble, une lassitude morale, comme si le poids du monde reposait sur ses épaules. Il a le regard fuyant, s'adresse à Tonks sur le ton de quelqu'un qui s'excuse pour le fait même d'être en vie. En vérité, il paraît plutôt pitoyable.
Pourtant…pourtant, je ne peux pas m'empêcher de le regarder. Parce que malgré tout, malgré son attitude, si peu habituelle par rapport à ce que j'ai connu de lui, je le sens, j'en suis persuadé, derrière cette façade pathétique, il y a encore l'ancien Remus. Celui qui malgré son statut de créature dangereuse, me rassurait par sa simple présence. Celui que je respectais et que j'admirais. Il en a encore le sourire incroyablement doux, et ces yeux extraordinaires.
Et je réalise soudain que j'ai envie de faire ressortir ce Remus-là. Je ne sais pas encore exactement pourquoi, si c'est pour moi ou si c'est pour le voir bien dans sa peau, mais c'est vraiment ce que je veux, retrouver le Remus d'avant, celui qui n'était pas encore tout à fait brisé par la guerre, les morts, et la vie en général.
─ Harry, est-ce que je peux te parler, s'il te plait ? me demande Hermione à la fin du repas.
Je crois que je me suis fait repérer. Avec un soupir que j'espère imperceptible, je me lève de ma chaise, décline poliment le café que m'offre Molly, et suis mon ex-meilleure amie dans un angle reculé du jardin. Du coin de l'œil, il me semble apercevoir un renard dans les fourrés, mais c'est sans doute un effet de mon imagination. Je suis tellement habitué à leur présence chez moi que je suis bien capable de les voir partout.
Hermione affiche un air sombre tandis que je m'allume une cigarette pour faire taire ma nervosité – je dois bien admettre que ça ne marche pas du tout, et je constate avec agacement que ma main tremble un peu.
─ Pourquoi as-tu soudainement décidé de revenir ? attaque-t-elle d'emblée.
Et assurément, je n'étais pas du tout préparé à cette question. A la limite, j'aurais plutôt pensé qu'elle me demanderait pourquoi je suis resté absent si longtemps. C'est franchement vexant.
─ A t'entendre, on pourrait presque croire que tu n'es pas contente de me revoir, ironisé-je tout en tirant avec acharnement sur ma cigarette.
─ Ce n'est pas du tout ça, et tu le sais, soupire-t-elle en passant une main dans ses cheveux.
Non ma belle, justement, je ne le sais pas. Mais je sens que tu ne vas pas tarder à me le dire de toute façon. D'ailleurs, elle poursuit :
─ C'est juste que ça semble si…étrange. Tu t'es terré pendant si longtemps chez toi que je m'étonne de ce revirement brutal de situation.
─ Tu exagères, Mione, protesté-je. Je t'ai dit la semaine dernière que je songeais à revenir.
─ Mais pourquoi maintenant, précisément ? Pourquoi à une telle réunion de famille alors qu'il y a encore quelques semaines, tu ne voulais même pas me voir seul à seule ?
─ Je ne sais pas, réponds-je en haussant les épaules. Je suppose que j'ai voulu faire d'une pierre plusieurs coups et les – vous – affronter tous en même temps.
Elle hausse un sourcil incrédule, puis secoue la tête, dépitée. Je sais que j'élude sa question, mais il y a du vrai dans ma réponse. Et puis, que veut-elle que je lui raconte, honnêtement ? Que tout à coup, des renards magiques sont apparus dans mon jardin, que je suis persuadé que c'est un message de Ron qui veut me convaincre de revenir, et qu'ils ont réussi je ne sais comment à me décider à le faire ? J'imagine déjà sa tête si je lui dis ça, tiens…Mais je n'ai pas à le faire, puisque contrairement à son habitude, elle n'insiste pas.
─ Que se passe-t-il avec Remus ? préfère-t-elle me demander, d'un ton brusque et sec.
Oh. Alors là, je dois bien avouer que je m'y attendais encore moins, à celle-là.
─ Justement, j'aimerais bien le savoir, réponds-je tout en me félicitant mentalement pour ma parade. Tonks le regarde comme si elle voulait l'étriper.
Hermione renifle dédaigneusement, et curieusement, j'ai l'impression de me retrouver en face de l'Hermione d'il y a dix ans, lorsqu'elle nous expliquait à Ron et à moi à quel point la Divination était une matière inutile.
─ Elle n'a pas réussi à avaler le fait que Remus l'ait quittée, et surtout, les raisons pour lesquelles il l'a quittée, fait-elle avec un claquement de langue agacé. Si tu veux mon avis, Tonks est une connasse, et je me demande bien pourquoi Charlie s'encombre d'une fille comme elle.
Wow. Euh, je crois que j'ai loupé un wagon, là, voire carrément le train tout entier, parce que je ne comprends absolument rien à ce qu'elle raconte.
─ Depuis quand tu n'aimes pas Tonks, toi ? m'étonné-je, complètement abasourdi.
─ Depuis qu'elle n'a pas réussi à accepter que Remus l'ait quitté parce qu'il préférait les hommes, et depuis qu'elle se venge en profitant de l'amour que Charlie a pour elle, déclare sèchement Hermione en m'arrachant ma cigarette des mains pour en tirer une longue bouffée, qu'elle garde longtemps dans les poumons avant de la recracher lentement.
D'accord. A cet instant je trouve vraiment dommage que nous soyons au fond du jardin, parce que j'aurais vraiment besoin de m'asseoir. Ca fait un peu trop d'informations à gérer d'un coup, et j'ai la tête qui tourne un peu.
La première chose que je constate, et qui me fait énormément de peine, c'est que Hermione n'est pas si heureuse avec Terry qu'elle veut bien le faire croire. C'est un garçon charmant et qui a l'air tout à fait amoureux d'elle, malheureusement je viens de me rendre compte que mon amie ne lui rend pas ses sentiments. Parce qu'elle est visiblement amoureuse de Charlie Weasley. Accessoirement je pourrais lui faire remarquer qu'elle se comporte exactement de la même manière que Tonks, en sortant avec un homme qu'elle n'aime pas pour en oublier un autre. Mais je me garderai bien de lui dire, parce que je ne tiens pas à me prendre un maléfice de plein fouet.
La deuxième chose, c'est que Tonks est loin d'être la gentille poire dont je me rappelais il y a quelques années. Je ne la savais pas si mesquine, et j'avoue que ça me déstabilise un peu.
Ensuite, je constate également que malgré leurs visages sereins et leur bonheur apparent, la guerre a fait bien plus de ravages chez mes anciens amis qu'ils ne veulent bien le montrer. C'est précisément le genre de raisons pour lesquelles j'ai décidé de retourner dans le monde moldu, le temps que les choses se tassent, soi-disant. Et je m'aperçois que quel que soit le nombre d'années qui passeront, tant que tous les survivants de la guerre ne seront pas morts, elle laissera ses stigmates. Partout. Le constat est douloureux. Mais je me rends compte que je ne peux rien y faire. Quelque part, on peut dire que c'est plutôt positif que je le réalise enfin, même si ça me laisse un goût amer dans la bouche.
Enfin, je finis par intégrer la dernière information – et je me prends une grosse, mais alors très grosse gifle.
─ Remus aime les hommes ? m'écriai-je alors qu'Hermione jette rageusement ma cigarette au loin – du coup, je m'en rallume une, et j'en offre une autre à mon amie par la même occasion.
Oui, je sais, Shizue a raison. Parfois, je suis lent à comprendre certaines choses.
─ Il préfère, me corrige Hermione tout en fumant furieusement. Honnêtement, Harry, il n'y a guère que Tonks et toi pour ne pas l'avoir remarqué. En ce qui me concerne, j'avais compris depuis longtemps.
Pourquoi ce qu'elle vient de me dire ne m'étonne pas ? Une chose tout de même me dérange.
─ Pourquoi a-t-il accepté l'amour de Tonks, dans ce cas ?
C'est vrai ça. On ne se met pas avec quelqu'un uniquement pour lui faire plaisir, normalement.
─ Bah, soupire Hermione en balayant l'air de sa main. Il y a plusieurs raisons, j'imagine. Déjà parce que je pense qu'il la trouvait jolie et sympathique, et qu'elle était vraiment amoureuse de lui. Il a probablement dû coucher avec elle une fois et s'est senti coupable quand elle s'est accrochée. Il a voulu tenter le coup, à force de se faire harceler. La pression sociale, aussi. Déjà que c'est un loup-garou…disons que ça n'aurait pas été très bien perçu par la société si en plus il s'était affiché avec un homme…tu connais la stupidité des gens, n'est-ce pas…Et puis, il y avait Dumbledore, aussi.
Dumbledore ?
─ Dumbledore ? Tu m'excuseras si je te parais bouché, mais je ne vois pas du tout le rapport.
─ Eh bien, disons que j'ai deviné qu'Albus avait plus ou moins tenté de le convaincre que Tonks serait une bonne compagne pour lui…Tu sais, c'était un vieil homme, et il était très malade. Je pense qu'il voulait que Remus soit heureux, et il était persuadé que ce bonheur passait par Tonks.
Je ne sais pas pourquoi mais je ne suis pas du tout convaincu. Ca doit se voir, car elle reprend :
─ Tu sais, c'était un homme formidable, mais comme je te l'ai dit, il était très vieux, bien plus qu'on ne l'imaginait. Il était sans doute un peu conservateur, un peu vieux jeu pour accepter facilement que l'un de ses anciens protégés soit homosexuel…Remus n'a pas voulu lui faire de peine.
Evidemment, vu sous cet angle…Il n'empêche que quelque part, je trouve ça un peu dégueulasse de la part de Remus d'avoir donné de faux espoirs à Tonks ; mais je ne suis pas à sa place, et si j'ai subi bien des pressions dans ma vie, cela n'avait rien à voir avec ce genre de problèmes. Je ne suis donc pas en mesure de juger – et puis c'est vrai que Tonks avait en effet fortement insisté avant de lui mettre le grappin dessus.
Je devrais être satisfait d'avoir obtenu une réponse à mes questions, pourtant, il y a encore une chose. Un doute qui me frappe vicieusement là où ça fait mal.
─ Tu penses que Remus et Sirius étaient ensemble ?
Aïe. Je regrette presque d'avoir posé la question tellement je suis effaré d'avoir pensé à ça. Et surtout, je suis encore plus effaré à l'idée que je puisse avoir raison.
Non, en réalité, je suis carrément catastrophé. D'ailleurs la raison pour laquelle je suis catastrophé m'effraie encore plus – et je refuse d'y penser maintenant. Et ça doit se voir, parce qu'Hermione me scrute à présent d'un air inquisiteur pas franchement rassurant.
─Il n'y a absolument aucune chance, affirme-t-elle néanmoins d'un ton sans réplique. Sirius aimait les femmes, sans aucun doute possible.
Je me demande comment elle fait pour en être si sûre. Elle m'adresse un petit sourire condescendant.
─ J'ai eu le béguin pour Sirius pendant une période, m'explique-t-elle en riant sous cape devant mon expression horrifiée. Je l'ai beaucoup observé, et je peux t'affirmer que c'était un vrai coureur avec les Aurors féminines qui passaient au QG de l'Ordre – d'ailleurs, j'étais jalouse comme un pou. Cela dit rassure-toi, je n'ai jamais eu aucune chance, il ne s'intéressait pas aux gamines.
Mon dieu, mais c'est la journée des révélations. Je crois que j'ai besoin d'un verre.
─ Et il n'y a absolument aucune chance pour que Remus ait été un jour attiré par lui, poursuit-elle, imperturbable devant ma propre détresse. J'y ai cru, à un moment, mais j'ai vite su faire la différence entre les regards qu'il adressait à Sirius et ceux qu'il réservait aux hommes qui lui plaisaient…
Stop. Stop. Stop. Je ne veux rien savoir de plus.
Je sens que je suis devenu tout pâle – c'est vraiment trop d'informations d'un coup, j'ai du mal à tout analyser correctement. J'ai besoin d'y réfléchir. Seul. D'ailleurs, c'est ce que je dis à Hermione, qui me fixe à présent d'un air inquiet.
─ Tu est sûr que tu te sens bien ? s'enquiert-elle avec sollicitude.
Je hoche la tête, incertain.
─ Je crois que je vais y aller, articulé-je faiblement. J'ai promis à Shizue que je la verrais ce soir…
Ce n'est pas vrai, d'ailleurs je me rends bien compte que je me contredis moi-même, mais à cet instant, je prie pour qu'elle ait la bonne idée d'être chez moi au moment où je rentrerai.
Evidemment, les Weasley sont déçus de me voir partir si tôt, et Molly insiste pour que je revienne la semaine prochaine. Je lui promets tout ce qu'elle veut, mais il faut vraiment que je m'en aille. Maintenant.
Au moment de me faire engloutir par les flammes vertes de la cheminée, je sens le regard de Remus posé sur moi, et je ne peux pas m'empêcher de me sentir troublé.
o0O0o
Théoriquement, cela devrait me faire plaisir que Remus aime les hommes. Mais ce n'est pas le cas ; à vrai dire, je pense que ça m'effraie plus qu'autre chose.
─ Pourquoi ? demande simplement Shizue alors qu'elle se penche à la fenêtre pour observer les étoiles.
─ Ils sont toujours là, dis-je machinalement – ça n'a rien à voir avec sa question, je sais, mais c'est devenu un réflexe.
Je reprends :
─ Pourquoi ça m'effraie autant ? Je ne sais pas…Peut-être parce que ce qui restait du domaine du fantasme prend soudain corps dans la réalité…Ce qui n'était qu'une vague idée devient une possibilité, quelque chose de concret.
─ Il n'est peut-être pas attiré par toi.
─ Je sais bien, soufflé-je, agacé. Ca n'empêche que c'est une possibilité alors que je ne l'envisageais même pas, et que ça me fout la trouille.
─ Pourquoi ?
Mon dieu, elle m'énerve avec ses questions. On dirait une gosse de quatre ans qui ne sait dire que « Pourquoi ? ». C'est stressant.
─ Parce que ! je crie. Parce qu'avant de le savoir, je pouvais encore me dire que je délirais, que cette attirance bizarre n'était qu'un petit…dérèglement passager. Que ça finirait bien par passer…
─ C'est idiot, me fait-elle remarquer.
─ Je sais ! Mais de toute façon, même ça…même cet espoir-là vient de partir en fumée, maintenant. Parce que, si tu savais, Shizue, à quel point j'ai été heureux de l'apprendre…
─ C'est si terrible que ça, me demande-t-elle doucement, de te rendre compte que tu es gay et que tu te sens attiré par cet homme ?
Oui. Ca c'est une vraie question, la seule qui ait véritablement de l'intérêt. Et la réponse est oui, ça m'effraie, c'est terrible et dévastateur, parce que je ne sais pas quoi faire, parce que même après deux ans de discussions intensives avec Shizue sur le sujet, je n'arrive toujours pas à gérer le fait que je puisse être homosexuel. J'arrive encore moins à gérer le fait que je puisse en arriver à désirer un homme tel que Remus.
Et oui, je suis complètement paumé, et oui, ça me bouleverse, tout simplement parce que ça bouleverse tout ce que je connais, tout mon univers.
Je suis gay et je désire mon ancien professeur, et c'est une catastrophe parce que ça défie toutes les notions de « normalité » qu'on m'a inculquées.
─ On dirait que tu vois ça comme une tare, dit-elle avec un air réprobateur.
─ Ce n'est pas du tout ça, et tu le sais, soupiré-je en passant une main dans mes cheveux – ce fameux geste qui soi-disant me fait ressembler à James.
Oh. Tiens, ça aussi, c'est un putain de problème. En admettant et en mettant des tonnes de guillemets autour, qu'une relation puisse être possible entre nous, qu'est-ce qui me dit que Remus me verrait comme Harry, et non pas comme la réincarnation de mon père ?
─ Parce que la première chose qu'il t'a dite lorsqu'il a parlé avec toi quand vous vous êtes rencontrés, c'était que tu avais les yeux de ta mère…
Oui, eh bien, ce n'est pas mieux, hein. D'ailleurs comment elle le sait, ça ?
Shizue hausse un sourcil moqueur.
─ Tu me racontes tout, ce n'est pas bien compliqué.
Ok, et manifestement, elle lit dans ma tête, aussi. Ou alors je suis trop prévisible. Je secoue la tête, désemparé.
─ J'en ai marre de tout ça, dis-je avec lassitude. Pourquoi les choses ne pouvaient-elles pas rester comme avant ?
─ Les gens changent…dit doucement Shizue.
Et la discussion s'arrête là ; déjà parce qu'elle a raison, comme bien souvent, ensuite parce que je me sens tout d'un coup très fatigué et que je n'ai qu'une envie, dormir et oublier tout ça – du moins pour le moment.
Avant de me coucher, je regarde par la fenêtre de ma chambre, et comme d'habitude, les Kitsune n'ont pas bougé.
o0O0o
Hermione me menace avec sa fourchette – et je dois avouer qu'elle est assez effrayante quand elle fait ce genre de choses.
Pour remettre les événements dans leur contexte, elle a sonné ce matin à ma porte et m'a sorti de force de chez moi. Deux choses là-dedans me perturbent : d'une, elle a réussi, comme Remus, à trouver le chemin de ma maison – ce qui signifie qu'inconsciemment, je l'y accepte, ce qui n'était pas le cas il y a encore quelques semaines ; de deux, elle non plus n'a pas semblé remarquer les renards, et ça, franchement, ça commence à m'inquiéter.
Bref, elle ne m'a pas laissé le temps de discuter, m'a jeté ma veste à la figure et m'a empoigné le bras d'autorité pour me traîner dehors. Et à présent, nous sommes assis à la terrasse d'un restaurant italien du centre du Londres sorcier dans lequel elle nous a fait transplaner sitôt atteinte la ruelle située derrière la maison (est-il utile de préciser qu'elle est entourée de barrières anti-transplanage ?), et là je me sens comme un morveux sur le point de subir un remontage de bretelles en règle par sa mère. D'ailleurs les hostilités commencent avant même que nous ayons eu le temps de commander l'apéritif.
─ Pourquoi n'es-tu pas venu au déjeuner chez les Weasley dimanche dernier ? attaque-t-elle sans préambule.
─ Bonjour à toi aussi. Je vais très bien, merci de t'en inquiéter, répliqué-je avec acidité. Et toi-même ?
─ Harry, je ne plaisante pas, soupire-t-elle.
Mais moi non plus. On n'a pas idée de débarquer chez les gens sans prévenir, de les faire apparaître comme ça dans un restaurant, et de commencer à les agresser à peine installés à table. Cela dit je crois que je ne vais pas lui exprimer le fond de ma pensée parce qu'elle a l'air suffisamment de mauvaise humeur comme ça pour que j'en rajoute une louche.
─ Sérieusement, continue-t-elle, pourquoi n'es-tu pas venu ? Tout le monde était très déçu, et Molly en a fait des gorges chaudes tout l'après-midi.
─ Je n'étais pas très forme, argumenté-je – pourquoi ai-je l'impression de toujours devoir me justifier avec elle ? J'avais révisé toute la nuit à cause des partiels et j'étais crevé, c'est tout.
Bon, c'est faux, mais elle n'a pas besoin de le savoir ; après tout, je suis bien resté éveillé toute la nuit, même si ce n'était pas pour réviser. Et j'étais vraiment épuisé.
─ Tu aurais pu prévenir, au moins ! s'écrie-t-elle d'une voix pleine de reproches.
─ Mais j'ai prévenu, soupiré-je. J'ai envoyé un hibou pour m'excuser.
─ A quatre heures de l'après-midi, oui.
Oui, bon. Je me suis réveillé un peu en retard, ça arrive à tout le monde, non ? Hermione me regarde, dubitative, puis secoue la tête, une expression résignée sur son visage. C'est ça, dis tout de suite que je suis un cas désespéré, aussi.
─ Tu as mauvaise mine, me déclare-t-elle tout à trac, me faisant sursauter. Quelque chose ne va pas ?
Elle ferait mieux de me demander ce qui va bien, ça irait plus vite. Evidemment que quelque chose ne va pas : je vois des renards magiques que personne d'autre que moi ne peut voir, je viens juste de commencer à admettre que j'étais peut-être gay, après plus de deux ans de déni acharné (parce qu'avant on ne pouvait pas dire que c'était du déni, je ne pensais même pas au sexe), et par-dessus le marché je me rends compte que je suis attiré par la personne la plus improbable du monde. Ajoutons à cela le fait que je décide tout juste de me remettre à fréquenter le monde sorcier après plus de quatre ans d'exil, tout ça pour retrouver mes proches en pleine parodie de bonheur. Il y a de quoi flipper non ?
Evidemment, je ne lui dis rien de tout ça, et je me contente encore une fois de hausser les épaules et de m'allumer une cigarette – le geste ultime de défense. Et de lui assurer que tout va bien, que je suis juste fatigué à cause des partiels qui approchent. Je suis d'ailleurs surpris qu'elle-même ne soit pas complètement paniquée – ou surexcitée, c'est au choix – par la perspective de passer ses examens bientôt. Il faut croire qu'elle a changé plus que je ne le pensais durant mon absence.
Quoi qu'il en soit, il y a du vrai dans ce que je lui dis. Je travaille énormément en ce moment, quitte parfois même à sécher les cours facultatifs pour mieux réviser chez moi. Shizue est dans le même cas que moi ; cela fait plusieurs jours que je ne l'ai pas vue, et à chaque fois qu'elle vient chez moi, elle a l'air épuisée – et terriblement mince, au point que j'en viens à croire qu'elle ne s'alimente plus. D'ailleurs ça m'inquiète beaucoup, mais mes pensées n'ont pas le temps de dériver plus, car Hermione attire de nouveau mon attention.
─ J'ai vu Remus l'autre jour, m'annonce-t-elle d'un ton neutre, mais son regard perçant qui me darde ne me fait pas exactement me sentir en sécurité.
Aurait-elle par hasard l'intention d'analyser ma réaction ? Si c'est le cas, elle va être déçue, j'ai déjà Shizue pour m'allonger sur le divan, je ne tiens pas à faire les frais d'une deuxième psy.
─ Ah, fais-je platement. Comment va-t-il ?
Et voilà ; débrouille-toi avec ça, ma grande. Mais elle ne se démonte pas et contre-attaque sans attendre :
─ Il est malheureux, comme d'habitude, dit-elle distraitement en feignant de s'intéresser aux passants dans la rue.
─ Oh.
Je ne m'attendais pas à une telle réponse. Non que je sois stupide – je sais très bien que Remus n'est pas l'homme le plus heureux de la terre, loin de là – mais enfin, je m'étais imaginé qu'Hermione prendrait au moins la peine d'enrober les choses. Il faut croire qu'elle a aussi laissé les sous-entendus et les périphrases au placard pendant mes années d'exil. Ou alors c'est un traitement spécial qu'elle me réserve, ce qui est possible également ; car il faut bien reconnaître que je ne suis pas très doué pour lire entre les lignes et qu'il faut souvent me mettre les points sur les i et les barres aux t avant que je comprenne les choses.
Ceci étant, ça explique sûrement pourquoi je n'arrive pas bien à saisir la raison pour laquelle Hermione me parle de Remus et du fait qu'il soit malheureux.
─ C'est tout ce que tu trouves à dire ? demande-t-elle enfin, agacée par mon mutisme.
─ Tu voudrais que je dise quoi, exactement ? rétorqué-je – elle commence sérieusement à me porter sur les nerfs avec ses révélations fracassantes et ses tentatives tordues pour me faire parler (je ne sais toujours pas de quoi, d'ailleurs).
─ Je ne sais pas, dit-elle, faussement pensive, tu as peut-être une petite réaction à ce sujet ? Ou pas la moindre ?
─ Mais enfin, Mione, que veux-tu que j'aie comme réaction ? Remus est malheureux, ça me désole, mais je ne vois vraiment pas en quoi je peux y changer quoi que ce soit…
─ Il ne t'a pas parlé des lois concernant la régulation des créatures magiques ? demande-t-elle, sincèrement surprise cette fois-ci.
─ Il m'a juste dit que désormais, il avait droit à un travail, même si c'est loin d'être idéal.
Elle est visiblement sidérée – je crois que ce n'est pas la réponse qu'elle attendait.
─ Je vois, marmonne-t-elle. Ecoute Harry, la situation est beaucoup moins acceptable que Remus a voulu te le faire croire. Je ne comprends pas pourquoi il a voulu minimiser les faits devant toi…
Pour ne pas m'inquiéter, je suppose, ou pour ne pas se faire passer pour une victime. Mais je ne dis rien et laisse mon amie poursuivre :
─ Le Ministère a récemment fait passer un ensemble de lois concernant la régulation des créatures magiques jugées dangereuses, dit-elle, un air grave affiché sur son visage sérieux. Tu n'es pas sans savoir que la majeure partie des loups-garous européens vivant en meutes se sont joints aux forces de Voldemort durant la guerre ; c'est le prétexte qu'a invoqué Scrimgeour pour promouvoir une loi abolissant presque tous leurs droits.
─ Attends, fais-je en l'interrompant. Je ne te comprends pas ; Remus m'a dit que la situation s'était améliorée.
─ D'un certain point de vue, on peut dire ça, oui, réplique-t-elle, sarcastique. C'est vrai, les créatures magiques qui font la démarche de s'inscrire au registre du département de régulation bénéficient de meilleurs droits qu'avant. Ils ont le droit d'exercer un métier, tant qu'il ne les met pas en contact direct avec le reste de la population – autant te dire qu'il ne reste pas grand-chose comme possibilités. Ils ont également droit à un logement, dans des quartiers réservés – là encore inutile de te dire que le Ministère a fait des coupes sombres dans le budget consacré à les rendre salubres. Les mariages mixtes sont autorisés, à condition d'en faire la demande préalable au moins six mois auparavant, et si jamais un enfant venait à naître, il est automatiquement enregistré comme créature potentiellement dangereuse, étant donné que le gène « mutant » est dominant, et on bride sa magie.
Ai-je précisé que j'étais horrifié ? Eh bien, je le dis, je suis catastrophé. Mais je n'ai même pas le temps de m'insurger qu'Hermione continue son état des lieux, impitoyable.
─ Ce n'est pas tout, poursuit-elle, un air grave affiché sur son visage sérieux. Les mariages entre créatures de la même espèces sont également autorisés, mais dans ce cas-là, il faut au moins un an d'attente avant d'obtenir l'autorisation obligatoire. Les grossesses sont strictement régulées : un enfant par foyer non mixte, et s'il y en a un deuxième, les services sociaux viennent les enlever, avec une grosse amende à la clé – que la plupart ne peuvent pas payer, bien entendu. Dans ces conditions tu ne t'étonneras pas d'apprendre que la plupart des femmes se font stériliser après le premier enfant…Et ça, c'est pour les créatures qui s'inscrivent sur les listes, parce que pour les autres, qui refusent d'être parqués et contrôlés de la sorte, la situation est exactement la même que sous le mandat de Fudge, à savoir aucuns droits. Remus est un cas à part, puisqu'il est un héros de guerre ; il vit dans une petite maison en dehors des quartiers réservés et bénéficie d'une pension que le Ministère lui a allouée et qui accompagne son Ordre de Merlin…
─ D'accord, murmuré-je, complètement sonné. Je comprends mieux pourquoi il me disait qu'il n'était pas à plaindre…
─ Détrompe-toi, me corrige sèchement Hermione. Comment crois-tu qu'il le vive ? Il a passé des années à essayer de convaincre les loups-garous qu'ils seraient plus heureux s'ils ne se rangeaient pas du côté de Voldemort, et voilà le résultat ! En plus, excuse-moi de briser tes illusions, Harry, mais comme il est privilégié par rapport aux autres « espèces dangereuses », il est considéré comme un traître par ses congénères – d'où le logement en dehors des quartiers réservés, parce que ça ferait mauvais genre que l'un des héros de la dernière guerre se fasse molester dans un ghetto. Et malgré tout, malgré tout ce qu'il a fait pour eux, à côté de ça, les gens dits « normaux » le voient pour la plupart comme un animal, comme s'il n'était pas un être humain à part entière. Il est rejeté de toutes parts, n'appartient à aucune communauté. C'est le paria ultime, pour utiliser une expression grandiloquente.
OK, je n'avais pas vu les choses sous cet angle. Maintenant, il est clair que Remus ne m'a jamais parlé de ça pour la simple et bonne raison qu'il devait se douter de ma réaction. Il devait se douter que je n'allais pas laisser passer un truc pareil, et il devait sûrement penser que cela me forcerait à revenir dans le monde sorcier contre ma volonté, simplement parce que c'est le genre de choses que je ne supporte pas. Putain, il aurait raison parce que je ne me suis pas battu toute mon adolescence contre un dictateur en puissance pour en laisser un autre agir à sa guise sous couvert de protection de la population !
Quelque part, je sais qu'Hermione me raconte tout ça car elle sait parfaitement comment je fonctionne et qu'elle n'attendait que ça – que je réagisse exactement comme je réagis en ce moment. Elle me connaît trop bien, et contrairement à Remus, elle n'a aucun scrupule à en user pour faire de moi ce qu'elle veut.
Eh bien, cette garce a gagné.
─ Harry Potter est de retour, murmure-t-elle, à peine assez fort pour que je l'entende, lorsque je quitte le restaurant.
Elle a un sourire narquois qui lui étire imperceptiblement les lèvres, et je sais que je me suis fait avoir en beauté. Ce qu'elle, par contre, ne sait pas, c'est que j'en suis conscient et qu'au fond de moi je n'attendais qu'un prétexte comme celui-ci pour me bouger enfin le cul de ma chaise.
En revanche, je sens confusément que comme à mon habitude, je suis parti au quart de tour – et que je ne lui ai pas laissé le temps de me raconter tout ce qu'elle avait à me dire à propos de Remus aujourd'hui.
Tant pis, ça attendra plus tard.
o0O0o
Le hibou que j'ai envoyé à Remus deux heures plus tôt vient de revenir, avec sa réponse. Il est censé passer chez moi ce soir, d'ailleurs il ne devrait pas tarder. Dans mon jardin, les Kitsune sont agités et se réfugient sous les buissons comme s'ils craignaient l'arrivée imminente d'une tempête. C'est peut-être le cas après tout, car depuis que j'ai reçu la réponse de Remus, je me sens inexplicablement nerveux. Je ne lui ai pourtant demandé de venir que pour discuter de ce dont Hermione m'a parlé au déjeuner – mais malgré tout, je me fais l'impression d'attendre un rendez-vous amoureux. C'est franchement pathétique, et je tourne dans mon salon comme un fauve dans une arène – ou plutôt je me sens comme le gladiateur qui va se faire bouffer par le fauve, et mon dieu, cette comparaison est pitoyable.
─ Tu me donnes le tournis, se plaint Shizue en renversant sa tête en arrière sur le dossier du canapé.
Je m'arrête aussitôt. Je n'avais même pas remarqué qu'elle était entrée. Je ne l'avais pas vue durant plus d'une semaine, et je suis frappé de voir à quel point sa santé s'est apparemment dégradée depuis la dernière fois que nous nous sommes parlés. Elle a une mine effroyable, et je pèse mes mots.
─ Tu ferais bien d'aller voir un médecin, lui dis-je sévèrement. Je ne sais pas ce que tu fais pour te ruiner la santé à ce point, mais si tu continues comme ça tu ne vas bientôt plus tenir debout.
─ Pitié, gémit-elle, pas de sermon s'il te plait ! Et puis franchement, tu n'as pas vu ta tête ; on dirait que tu n'as pas dormi depuis plusieurs jours.
Effectivement, ce n'est pas loin d'être le cas, mais alors qu'elle a l'air d'à peine pouvoir faire trois pas sans s'écrouler, moi je serais prêt à courir un marathon si ça devait me permettre de dormir un peu.
─ Va chez le médecin, insisté-je. Maintenant. Je te paye le taxi et la consultation si tu veux mais tu ne peux pas rester dans cet état. Et si vraiment tu ne veux pas, rentre chez toi, fais un bon repas et dors. Tu donnes l'impression d'être perpétuellement au bord de l'évanouissement.
─ Tu me chasses parce que tu vois quelqu'un ce soir ? demande-t-elle avec humour.
─ C'est tout à fait ça, ma chère, rétorqué-je avec un sourire. Allez file, je veux te voir en pleine forme la prochaine fois que tu passeras chez moi.
Le sourire qu'elle m'adresse est d'une tristesse telle qu'il me donne brusquement envie de pleurer et de la prendre dans mes bras pour lui demander pardon – pardon pour quoi, je n'en ai aucune idée.
Mais elle se lève gracieusement, malgré ses jambes maigres et vacillantes, me fait au revoir de la main et sort de la pièce aussi furtivement qu'elle y est entrée.
Dans mon jardin, les renards la suivent des yeux avec curiosité.
o0O0o
C'est le moment que choisit Remus pour arriver – et bien entendu, je ne suis absolument pas préparé à la discussion que j'ai l'intention d'avoir avec lui. Le soleil est encore haut dans le ciel et se reflète sur la fourrure brillante des renards qui se cachent de nouveau dans les buissons.
─ Je ne vous attendais pas si tôt, dis-je en posant sa veste sur la patère dans l'entrée.
─ Je peux repasser plus tard si tu es occupé, sourit Remus.
─ Non, non, fais-je en riant nerveusement, c'est juste que je n'ai absolument rien préparé à dîner. Shizue vient de partir, vous avez dû la croiser…
─ Je ne l'ai pas vue, non, répond-il, perplexe. Il n'y avait personne dans la rue…A quoi ressemble-t-elle, déjà ?
─ Oh. Elle a dû partir du côté opposé, je suppose.
Puis je l'invite à passer dans le salon sans vraiment répondre à sa question. Parce que je viens tout juste de réaliser que je suis totalement incapable de dire à quoi ressemble Shizue – en dehors du fait que c'est une jeune femme et qu'elle est japonaise, bien sûr.
C'est d'ailleurs très déstabilisant. Je suis capable de décrire vaguement Hermione, je la connais depuis tellement longtemps que ce n'est pas bien difficile ; je connaissais par cœur les traits des visages de Cho et Ginny, là encore rien de très compliqué, j'ai passé beaucoup de temps à les observer. Mais Shizue…Oui, bon, elle a les cheveux noirs. Ou brun foncé. Je crois.
Je pense que ça vient du fait que je me suis toujours plus intéressé à son âme qu'à son physique, que je ne l'ai jamais désirée – ou plutôt considérée comme une personne sexuée, donc susceptible d'avoir des relations sexuelles ou amoureuses avec qui que ce soit. Pourtant il me semble qu'elle est jolie, encore que là aussi, je n'en sois pas vraiment sûr. Elle n'est pas laide en tout cas – encore que…je n'en sais foutrement rien ; et puis ce n'est pas vraiment important. Mais il n'empêche que je suis troublé par la question de Remus, plus que je ne veux bien le laisser paraître.
Il fait plutôt doux dehors – nous sommes début mai – mais je murmure tout de même un Incendio car il me semble soudain que je suis transi de froid. Ou alors c'est parce que je me sens incroyablement nerveux, et que ce sont des sueurs froides qui coulent le long de mon dos – ce qui n'est pas l'explication la plus rassurante pour moi.
─ Tu n'as pas l'air bien, me fait remarquer Remus alors qu'il se laisse tomber dans un fauteuil.
Pourtant, il ne me regarde pas – il a les yeux fixés sur les flammes qui dansent dans la cheminée, et il a l'air curieusement mal à l'aise.
Je m'écroule dans le fauteuil en face du sien, m'allume une cigarette et réponds ce que je réponds à chaque fois qu'on me sort cette phrase :
─ Je travaille beaucoup en ce moment.
Ce qui est vrai, mais pas tout à fait, du moins ces derniers temps. Mais comme je ne vais pas lui parler de tout ce qui me perturbe depuis que je l'ai recroisé ce jour-là sur le Chemin de traverse, je préfère attaquer directement sur le sujet qui me préoccupe.
─ J'ai vu Hermione ce midi, annoncé-je en me décidant enfin à le regarder dans les yeux. Vous ne m'avez pas tout dit au sujet des nouvelles lois concernant la régulation des créatures magiques.
Je crois que j'ai dit ça sur un ton un peu trop accusateur – bien plus en tout cas que je ne l'aurais voulu – car il se renfrogne un peu et se renfonce dans son siège, comme pour se protéger.
─ Eh bien, dit-il un peu sèchement, je n'allais pas t'assaillir avec les problèmes de la communauté magique alors que cela faisait des années que je ne t'avais pas vu.
Il soupire, se radoucit un peu, et ses yeux posés sur moi me donnent brusquement chaud – à moins que ce ne soient les flammes de la cheminée.
─ Ecoute, Harry, dit-il plus doucement. Tu avais l'air de ne plus vouloir entendre parler du monde sorcier. Qui suis-je pour te forcer à revenir ? Je savais qu'en te parlant de ces nouvelles lois, tu te sentirais obligé d'intervenir. Je ne voulais surtout pas que tu reviennes pour ce genre de raisons.
Oui. C'est bien ce que je pensais.
─ Hermione n'a pas ce genre de scrupules, apparemment, fais-je en souriant légèrement. Mais vous savez, Remus, je crois que je suis content qu'elle m'en ait parlé. Ca m'a donné le prétexte que je cherchais pour revenir.
─ Parce que tu avais besoin d'un prétexte ?
Eh bien, aussi aberrant que cela puisse paraître, oui. Mais je ne vais pas me lancer maintenant dans des explications longues et inintéressantes, alors je me lève de mon fauteuil et me dirige vers la cuisine.
─ Il faut que je prépare le dîner si nous voulons manger quelque chose ce soir, lancé-je par-dessus mon épaule. Si ça ne vous dérange pas, nous continuerons cette discussion dans la cuisine.
Ce que la plupart des gens ignorent, c'est que j'adore cuisiner – mais vraiment cuisiner, tout préparer moi-même, sans l'aide de la magie. Même éplucher les oignons et pleurer toutes les larmes de mon corps fait partie du plaisir, je trouve.
Oui, je sais, c'est un peu bizarre, d'autant que je n'aime toujours pas préparer des potions et que je suis toujours aussi mauvais dans ce domaine. Et puis en plus, je n'ai pas l'occasion de cuisiner souvent, puisque la seule personne qui venait chez moi jusqu'à il n'y a pas si longtemps, c'est Shizue, et que Shizue ne mange quasiment rien. Faire à manger pour une seule personne, ça perd tout de suite de son charme.
Malgré tout, j'aime ça, et c'est un véritable plaisir que de m'activer dans la cuisine pendant que Remus me regarde faire, un peu déboussolé. Shizue se moquerait certainement de moi en disant que je suis une parfaite petite fée du logis – mais ça c'est parce qu'elle ne sait pas que je préfère payer des fortunes au pressing plutôt que de m'emmerder à faire une lessive.
Bref. Pendant que j'épluche les légumes, je continue sur ma lancée :
─ Vous savez Remus, vous auriez dû me parler de cette histoire…En outre, Hermione ne m'a pas tout dit, je pense. Je me rends compte que je ne connais rien de la situation politique du monde sorcier et de comment elle a évolué durant mon absence…Mais j'ai l'impression que ce que je vais découvrir ne va pas me plaire…
D'ailleurs c'est plus qu'une impression, à ce stade-là c'est devenu une certitude.
Remus soupire doucement, et se lève pour nous préparer du thé. Il y a dans ses gestes quelque chose d'étrangement familier, un peu comme s'il avait sa place de manière indiscutable dans cette maison. C'est une sensation curieuse mais étonnamment agréable de le voir évoluer dans ma cuisine comme s'il était chez lui.
─ Je suppose que tu connais les événements qui ont ébranlés le monde moldu ces dernières années, commence-t-il sur un ton hésitant.
En effet. Je suis peut-être un asocial qui se terre chez lui, mais il serait difficile d'avoir ignoré tout ce qu'il s'est passé depuis le onze septembre 2001. En l'occurrence, je suis au courant des attentats, des guerres qui ravagent le Moyen-Orient depuis, et de la politique des dirigeants moldus d'Angleterre et des Etats-Unis. J'acquiesce donc en silence et Remus poursuit :
─ Il se trouve que le Ministère a établi des liens entre quelques uns de ces événements et les activités de certains sorciers malintentionnés, dit-il tout en sortant deux tasses d'un placard.
Ah. Ca par contre, je n'étais pas au courant – cela dit je ne risquais pas de l'être.
─ Des anciens fidèles de Voldemort ? demandé-je – je sens que mes sourcils se froncent de contrariété.
─ Eh bien, fait Remus en continuant tranquillement de s'activer dans ma cuisine, il y a de cela, entre autres, mais on a également recensé les activités de sorciers simplement douteux, des criminels « ordinaires » sans aucun lien avec Voldemort.
OK. Très bien, mais quel est le rapport avec la régulation des créatures magiques ? Mon incompréhension doit se lire sur mon visage, car il m'adresse un petit sourire indulgent – qui me fait inexplicablement frissonner.
─ J'y viens, dit-il, ne t'impatiente pas. La vérité, c'est que les activités criminelles en tout genre et notamment les opérations financières frauduleuses et le marché noir se sont considérablement développées pendant la guerre, et qu'elles ont continué de plus belle durant la reconstruction – eh oui, il n'y a pas que dans le monde moldu que ce genre de choses arrive. Une sombre histoire de déséquilibre économique auquel je ne comprends personnellement rien, mais les raisons importent finalement peu. Toujours est-il que le Ministère s'est vu obligé de resserrer les boulons. De plus, après la guerre, la population demandait une plus grande sévérité envers les criminels – tu dois te douter de ce genre de chose, la Terreur après la Révolution française doit sûrement t'inspirer quelque chose.
Je crois que je commence à comprendre ce qu'il est en train d'essayer de m'expliquer en me faisant un cours accéléré de géopolitique pour les nuls – est-ce que c'est bien de la géopolitique, d'ailleurs ? Sûrement pas, mais peu importe. Le fait est que si j'ai bien tout saisi à ce qu'il est en train de m'expliquer, donc, le Ministère s'est plus ou moins transformé en dictature après la fin de la guerre.
Ca me fait penser aux Imperators romains, censés à l'origine rendre le pouvoir au peuple une fois résolus les problèmes liés à une guerre ou à une crise, mais qui ne le rendent jamais. Tout le monde connaît le truc, une crise éclate, un général ou un sénateur plus populaire que les autres est élu Imperator le temps de régler le problème, et une fois la crise passée, l'Imperator est moyennement motivé pour raccrocher les gants. Plus proches de nous, on pourrait penser aux dictateurs sud-américains qui prennent le pouvoir suite à un soulèvement du peuple face à l'ancien régime. Ou les dérives du communisme en Russie avec Staline. Enfin, je crois que je saisis à peu près le concept.
Tout ça pour dire qu'au final, ce sont toujours les mêmes qui trinquent. Remus me sourit.
─ Je vois que tu as parfaitement résumé la situation, me dit-il alors qu'il verse du thé brûlant dans nos tasses.
─ Si je comprends bien, demandé-je encore, les créatures magiques ne sont qu'un exemple des abus du gouvernement ?
─ Elles se sont retrouvées sur la liste noire, oui, me confirme Remus. Mais dans ce cas, on pourrait presque faire une analogie avec les idées d'Hitler.
Je grimace.
─ Dire que c'est l'exemple que j'utilisais le plus durant la guerre pour expliquer l'idéologie de Voldemort…
─ Oui, la comparaison est peu flatteuse pour le Ministère, approuve-t-il tout en soufflant doucement sur son thé. Encore que concernant la régulation des naissances, on pourrait aussi penser aux politiques de restriction chinoises.
C'est pas faux. Et ça m'écœure franchement.
Je m'assieds en face de lui après avoir mis la nourriture à cuire tranquillement, et nous sirotons notre thé sans rien dire durant quelques minutes. Le silence est confortable, enveloppant, et seulement troublé par le grésillement des aliments qui mijotent sur la plaque de cuisson. J'essaie de réfléchir rationnellement à tout ce que je viens d'apprendre en si peu de temps, mais il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte et je n'ai pas l'esprit cartésien d'Hermione.
J'aimerais faire quelque chose. Je pourrais faire quelque chose, en fait. Je ne suis pas stupide, je sais bien que si je revenais sur le devant de la scène, j'aurais la possibilité d'agir. Les gens ne m'ont oublié que parce que je l'ai voulu, uniquement parce que je ne leur ai donné aucune possibilité de faire autrement. Avec l'appui et les conseils des bonnes personnes et si je faisais un effort pour entrer dans le jeu de la politique, j'obtiendrais même peut-être des résultats.
Mais voilà, pour cela, il faudrait que j'accepte d'être de nouveau sous les feux de la rampe. La cible des journalistes. Que j'accepte de voir réduite à néant la tranquillité que j'ai mis tant de temps à atteindre. Que j'accepte qu'on me montre du doigt dans la rue en murmurant « C'est Harry Potter ! C'est le Survivant ! ». Que je m'expose de nouveau aux mensonges et aux calomnies dont j'ai pu être victime plus jeune.
Je ne sais pas si je suis prêt à endurer ça une nouvelle fois. Je n'aime pas être un personnage public, en particulier si je le suis parce que j'ai tué Voldemort. Remus le sait, et c'est la raison pour laquelle il n'a pas voulu me mettre au courant de tout ce qui se passait dans le monde magique, et que je n'ai pas voulu voir par moi-même.
Le regard de Remus sur moi semble vouloir percer les tréfonds de mon âme. Il me donne chaud – encore.
Peut-être…peut-être bien que je suis prêt à accepter de faire tout ça pour lui. Pour lui et pour tous les autres.
Mais surtout pour lui.
o0O0o
─ Qu'est-ce que tu sais des Kitsune ? demandé-je à Hermione alors qu'elle jette un œil perplexe sur mes notes de cours – je passe mes examens dans trois jours, et elle est curieuse de savoir ce que j'étudie chez les moldus.
─ Les Kitsune ? s'étonne-t-elle en relevant la tête. Eh bien…pas grand-chose, à vrai dire. Je n'ai pas beaucoup étudié les créatures magiques que l'on ne trouve pas en Grande-Bretagne. Pourquoi tu me poses cette question ?
Nous sommes assis par terre dans mon salon, comme à l'époque de Poudlard où nous révisions nos cours près de la cheminée de la salle commune des Griffondor. J'ai un agréable sentiment de nostalgie qui m'étreint, et en même temps, je suis heureux de voir que nous parvenons encore à nous entendre malgré les années qui passent et qui nous ont séparés.
─ Depuis quelques temps, je vois des renards magiques dans mon jardin, finis-je par avouer en la regardant droit dans les yeux. Je suis apparemment le seul à les voir.
─ Oh.
Je l'ai connue plus loquace. Et l'expression soucieuse qui se peint sur son visage n'est en rien pour me rassurer.
─ Qui t'a dit que c'étaient des Kitsune ? demande-t-elle enfin, d'un ton prudent qui m'inquiète encore plus.
─ Shizue, mon amie japonaise. Elle dit que ce sont des esprits farceurs qui ont la forme de renards – parfois avec plusieurs queues selon leur âge. Au Japon, il paraît qu'on les considère aussi comme des messagers des dieux.
Hermione hausse un sourcil dubitatif. Elle n'a jamais vraiment prêté foi à ce qu'elle appelle des « contes de bonne femme » et mon explication doit lui paraître complètement folklorique. Néanmoins, elle s'abstient de faire le moindre commentaire désobligeant.
─ Qu'est-ce que ton amie t'a dit d'autres ? préfère-t-elle demander.
─ Que les Kitsune cherchent à me dire quelque chose.
─ Tu peux les voir, là ?
Je me lève pour aller regarder à la fenêtre.
─ Oui, confirmé-je en revenant à ma place, ils sont toujours là.
Il y a un long silence. Hermione semble réfléchir, mais je n'ai pas la patience d'attendre qu'elle se mette à me débiter la liste des théories qu'elle a pu établir.
─ J'ai pensé que ce pouvait être Ron qui cherchait à communiquer avec moi, dis-je brusquement, en évitant de la regarder, cette fois. Mais je ne suis pas franchement sûr que ce soit ça, ajouté-je en grimaçant.
─ Ca me paraît peu probable, en effet, énonce lentement Hermione, comme si elle revenait à elle.
Je suis une fois de plus surpris de constater avec quelle sérénité elle parle de lui. Alors que moi, j'ai encore du mal à simplement penser à lui.
─ Mais je pense toutefois que tu n'es pas très loin de la vérité, reprend-elle avec sérieux. A vrai dire, ça ne m'étonne pas tant que ça que tu aies pensé à Ron – l'analogie est évidente, entre le renard qui était son Animagus, la couleur du pelage…C'est même une théorie plus plausible que celle de mystérieux animaux mythiques envoyés des dieux et porteurs de présages…
Oui, alors ça, curieusement, c'est une réponse à laquelle je m'attendais, venant de sa part. Cette fille n'a vraiment aucun goût pour l'imaginaire, et elle est d'un terre-à-terre effrayant ; ça en deviendrait même inquiétant, pour une sorcière. Mais elle poursuit son petit laïus, à présent complètement partie dans ses réflexions – je pense que je pourrais quitter la pièce sans même qu'elle s'en rende compte.
─ J'ai lu quelques bouquins sur les troubles psychologiques liés à un traumatisme, fait-elle d'une voix songeuse. Ce pourrait bien être ton cas, en fait…tu as tellement culpabilisé après la mort de Ron que tu en es venu à t'enfermer chez toi, en refusant de voir quiconque. Il ne serait pas étonnant que tu aies développé des troubles de la personnalité jusqu'à ce que ton inconscient crée ces animaux fantastiques pour pallier ta solitude. Une sorte d'appel à l'aide de ton cerveau par le biais d'épisodes hallucinatoires, si tu préfères…Les renards étaient tout indiqués, puisque c'étaient les animaux qui te feraient le plus penser à Ron ; et le mythe des Kitsune messagers de puissances supérieures ou je ne sais quoi, était un parfait prétexte pour te remettre à penser au monde extérieur…Oui, je suis sûre que ça se tient…Le cerveau humain est fascinant, vraiment…
Alors là, c'est franchement n'importe quoi. Il faut que je l'arrête avant qu'elle ne se mette à délirer et à raconter que mon hibou me sert de complément affectif, parce qu'on touche au surréalisme, là.
─ C'est bon, tu as terminé ta psychanalyse express ? je l'interromps avec agacement. Franchement, Hermione, je sais que tu adores monter et démonter des tas de théories toutes plus farfelues les unes que les autres, mais tu n'as pas l'impression d'exagérer un tout petit peu ? A t'entendre, on croirait que je suis schizophrène ou quelque chose comme ça.
─ Ca se soigne très bien avec l'aide d'un psychomage, tu sais.
─ Ca suffit, dis-je froidement en me levant. Je ne t'ai pas invitée pour que tu te mettes à me traiter de cinglé.
J'ai parfaitement conscience de lui avoir fait de la peine – sa lèvre inférieure tremble un peu et je sais qu'elle risque de se mettre à pleurer si j'insiste ; et je ne veux certainement pas la faire pleurer. D'autant plus qu'elle a très probablement raison. Mais j'avoue que j'aurais largement préféré qu'elle pense à une autre hypothèse avant de m'affirmer comme ça que je suis déséquilibré – d'autant plus que si j'en crois ce que j'ai vu au premier déjeuner chez les Weasley, elle n'est pas en reste question névroses. Quoi qu'il en soit, je me rassieds en soupirant et lui adresse un sourire désolé que j'espère le plus convaincant possible.
─ Pardon, je me suis emporté, dis-je simplement. Maintenant, si ça ne t'ennuie pas, on va changer de sujet et discuter de choses plus intéressantes que mon soi-disant état mental.
L'avantage avec Hermione, c'est que si l'on dirige son attention sur des problèmes susceptibles de solliciter sa formidable intelligence, elle met beaucoup de bonne volonté à oublier les sujets qui fâchent et à se concentrer sur autre chose.
Il se trouve que par chance, mon intention de revenir sur la scène politique du monde sorcier pour tenter de changer ce qui ne va pas, est un projet à la hauteur de ses ambitions intellectuelles.
o0O0o
Le mois qui suit passe comme un éclair. Je n'ai le temps que penser à rien d'autre que mes partiels, que je passe durant la première semaine, dans une sorte de brouillard cotonneux qui me donne l'impression de ne pas évoluer dans la réalité. Je ne vois Shizue qu'une seule fois, et sa pâleur est désormais effrayante. J'utilise tout le temps que je passe avec elle à essayer de la persuader d'aller voir un médecin.
Mais je ne sais pas si elle m'écoute, car ensuite, j'occupe tout mon temps libre avec Hermione, parfois Remus mais beaucoup moins souvent, à étudier les failles légales que je pourrais utiliser pour m'opposer au gouvernement de Scrimgeour. Arthur Weasley se révèle une aide précieuse, puisqu'il nous fournit tous les renseignements nécessaires avec l'aide de quelque anciens membres de l'Ordre du Phénix bien placés au Ministère. Il faut dire que la rumeur concernant mon éventuel retour a fait grand bruit dans les milieux autorisés, à tel point que je crains parfois qu'il y ait des fuites et que le Ministre en soit informé.
J'ai également pris sur moi de contacter quelques journalistes que je savais acquis à ma cause, et avant la mienne, à celle de Dumbledore quand il était vivant. L'opération se révèle payante puisque, de cette manière, j'ai un certain contrôle sur les articles qui paraîtront sur moi dans quelques jours. Hermione ne cesse de me répéter que la manipulation des médias est une clé essentielle de la réussite, alors je suis son conseil et me plie à toute cette mascarade pour le bien de la cause que je veux défendre.
Je déteste tout ça.
Et plus le temps passe, moins je peux nier le fait que tout ce que j'entreprends n'est destiné qu'à rendre à Remus sa dignité, à refaire de lui l'homme qu'il était avant. Parce qu'il faut bien être un peu honnête, ce genre de grande croisade honorable et bien-pensante, c'est surtout le truc d'Hermione – cette fille est une passionaria dans l'âme. Bon, c'est vrai, le gouvernement fait n'importe quoi, c'est dégueulasse et tout ce que vous voulez. Mais très sincèrement, si Hermione ne m'avait pas poussé, et si Remus n'avait pas été impliqué, je ne suis pas certain que je m'y serais autant investi. Ce n'est peut-être pas très glorieux, mais si on ne titille pas ma fibre héroïque (encore que cela ne soit pas bien difficile, je le reconnais), j'ai tendance à plutôt rechercher la paix.
Les renards sont toujours là, mais ils me semblent moins nombreux, bien que plus agités. On dirait presque que quelque chose les perturbe, un peu comme s'il ne leur restait que peu de temps pour me délivrer leur message – et je suis persuadé qu'il y en a un. Hermione et moi n'en avons plus jamais reparlé, mais je sais que son regard s'assombrit dès que je jette un coup d'œil par la fenêtre pour vérifier leur présence. Cependant, elle ne dit rien, se contente de me scruter intensément puis de secouer la tête de dépit. En dehors de cette bizarrerie, elle semble considérer que je vais très bien, alors je n'y pense pas vraiment.
C'est donc ainsi que se déroule le mois qui suit mes partiels. Et puis un jour, alors que j'ai décidé de rester seul chez moi pour prendre une soirée de repos, Remus débarque chez moi sans prévenir. Il a pris l'habitude, à l'instar de Shizue, de ne pas frapper à la porte et de rentrer, simplement. Je le retrouve assis par terre dans mon salon, le dos appuyé contre le canapé. Il fixe l'âtre vide avec un air songeur.
C'est peu après la pleine lune, et son visage fatigué accuse encore le contrecoup de sa transformation. Comme d'habitude, une bouffée de chaleur m'embrase tout entier alors que je le salue. Je crois bien que je ne m'y habituerai jamais.
─ Tu n'as pas besoin de faire tout ça, tu sais, murmure-t-il doucement sans me regarder.
Moi, j'aimerais qu'il me regarde, qu'il pose ses yeux sur moi comme il en a l'habitude. Et ce qu'il dit me fait mal, parce que s'il pense vraiment que je n'en ai pas besoin, alors ça veut dire que tout ce que j'ai fait jusqu'à présent n'aura servi à rien.
Et quand il tourne enfin la tête pour me regarder, et que je croise l'éclat doré de ses yeux, les mots sortent sans que j'aie pu les en empêcher.
─ J'ai fait tout ça pour vous, chuchoté-je désespérément.
Je sais bien que je n'aurais pas dû. Je sais bien que je cours droit à la catastrophe. Je sais tout ça. Mais je ne regrette pas de l'avoir fait parce que même s'il ne comprend pas, ou pire encore, qu'il comprend et me rejette, au moins aurai-je été réellement courageux pour la première fois depuis quatre ans.
─ Je sais, dit-il.
Il me fixe toujours, et l'intensité de son regard m'empêche de savoir quelle est l'expression qui se peint sur son visage. Et puis, je me souviens.
L'odorat surdéveloppé des lycanthropes.
Je songe, résigné, qu'au moins il ne risquait pas de ne pas comprendre.
─ Si c'est uniquement pour moi que tu le fais, ajoute-t-il encore, alors tu n'as pas besoin de te donner toute cette peine.
Oh. Ca, ça fait vraiment mal. Je ne pensais pas. Que ça me ferait autant souffrir.
Je m'assied auprès de lui. Je sais que cela me fera encore plus mal, mais au point où j'en suis, autant ne pas me priver.
─ Je ne m'arrêterai pas, dis-je.
Ma voix est basse, enrouée, j'ai du mal à parler.
─ Je ne m'arrêterai pas, répété-je encore – je n'ose plus le regarder. Je serais vraiment le dernier des abrutis si je laissais tout tomber maintenant simplement parce que vous ne voulez pas de moi.
Il y a un silence, tendu, inconfortable. Je n'ai plus vraiment envie de rester ici, maintenant. Je voudrais qu'il parte et qu'il me laisse tranquille à présent. Je m'apprête à me lever, mais il soupire doucement et sa main se pose gentiment sur mon bras pour m'empêcher de bouger.
─ Tu n'as pas compris ce que je voulais dire, murmure-t-il. Je – si tu as fait tout ça pour obtenir mon affection…ce n'était pas la peine. Je…tu l'as déjà.
Je reste muet. Je ne sais pas quoi dire, pourtant je sais que je devrais réagir. Je le regarde, maintenant, et ses yeux me brûlent et m'attirent comme une flamme. Je n'ai même pas conscience de m'être approché avant que mes lèvres se posent sur les siennes.
C'est un baiser incertain. Il y a tellement longtemps que je n'ai pas touché quelqu'un que je ne sais pas comment m'y prendre. Je sais qu'il est dans le même cas que moi – je suppose que depuis Tonks, il a dû être très seul. C'est un baiser bancal, fragile, personne n'aimerait se dire que le premier baiser qu'il a échangé avec celui qu'il aime ressemblait à ça. Il n'y a pas de feu romantique dans la cheminée, la pièce est sombre mais la nuit n'est pas encore tombée et les étoiles ne brillent même pas. La lune n'est pas encore levée. Il n'y a rien dans ce baiser.
Rien que lui et moi. Et ça me suffit pour que je me dise que c'est la meilleure chose qui me soit arrivé depuis bien longtemps. Peut-être même depuis toujours.
Puis il s'éloigne, tout doucement, comme s'il avait peur de m'effrayer. Son front repose contre le mien, je sens son souffle sur mon visage.
─ Ce n'est pas une très bonne idée, chuchote-t-il.
Mais ses mains tremblent et s'accrochent à moi comme s'il ne voulait jamais me laisser partir.
Je souris.
─ Ca m'est égal, dis-je en posant ma tête sur son épaule. Parce que c'est ce que je veux. Vous, maintenant, le plus longtemps possible. Et si c'est ce que vous voulez aussi, alors je me fiche que ce soit une bonne idée ou pas.
Pour la première fois depuis que les Kitsune sont apparus dans mon jardin, je ne regarde pas par la fenêtre lorsque je vais me coucher. Parce que je tiens la main de Remus dans la mienne et que je ne pense à rien d'autre.
Et quand je me réveille le lendemain matin, et que je jette un coup d'œil par réflexe dans le jardin, il ne reste qu'un seul renard. Celui qui est roux et qui me regarde, assis sur ses pattes arrières, la tête penchée sur le côté. J'ai à peine le temps de m'approcher de la fenêtre qu'il se relève aussitôt et disparaît d'un bond par-dessus ma barrière.
Il me semble l'avoir aperçu me faire un clin d'œil juste avant de partir.
─ Tu as des renards dans ton jardin, maintenant ? demande Remus en m'enlaçant la taille de ses bras.
Je souris.
─ De temps en temps, dis-je en resserrant son étreinte autour de moi. Mais je crois qu'ils ne reviendront plus, maintenant.
Hermione va faire une drôle de tête quand je lui dirai qu'elle s'est plantée sur tout la ligne.
o0O0o
J'avais raison, les Kitsune ne sont plus revenus. Je ne sais pas si c'étaient vraiment des messagers des dieux, ni si c'était Ron qui tentait de me faire comprendre que je devais sortir de mon isolement. Ni même s'ils n'étaient que le fruit de mon imagination et que celui que j'ai vu la dernière fois n'était pas qu'un renard ordinaire.
Je pense que je n'aurai jamais la réponse. Mais ça n'a pas vraiment d'importance ; parce que je crois que j'ai saisi le message qu'ils voulaient me délivrer, et c'est tout ce qui compte, non ?
Aujourd'hui, je me promène dans le Londres moldu avec Remus. Nous ne nous tenons pas par la main, nous ne nous sommes pas affichés dans le monde sorcier. C'est une histoire tellement improbable que nous-même ne savons pas si elle a une chance de fonctionner sur le long terme. La plupart des gens qui sont au courant ont été choqués ou en tout cas surpris en l'apprenant, et pensent que notre relation est vouée à l'échec. Le monde sorcier n'est sûrement pas prêt à accepter que le Survivant vive avec un loup-garou, en cela ils ont peut-être raison.
Mais nous voulons essayer.
Alors que Remus observe la devanture d'une librairie, une silhouette familière traverse mon champ de vision.
─ Excuse-moi, je reviens, dis-je à Remus.
Et je me précipite vers Shizue.
Elle est mortellement pâle, et incroyablement mince. Elle semble si fragile qu'on dirait qu'elle est transparente et risque de s'évaporer à tout instant.
Et elle tient un sac de voyage à la main.
─ Tu t'en vas ? fais-je, paniqué. Pourquoi ? Tu ne m'as même pas prévenu !
Son sourire est fatigué quand elle me répond.
─ Tu n'as plus besoin de moi, dit-elle doucement. Et puis, je dois rentrer chez moi, à présent…
Elle jette un coup d'œil à Remus, qui regarde dans notre direction, une expression soucieuse sur son visage.
─ Tu as fait le bon choix, Harry, dit-elle encore – et sa voix est si faible que j'ai envie de pleurer. Il faut que j'y aille, maintenant.
Avant que j'aie eu le temps de la retenir, elle tourne les talons et s'éloigne rapidement, pour enfin, presque immédiatement, se perdre dans la foule des passants.
Le sentiment de perte est insupportable.
─ Qu'est-ce que tu faisais ? me demande Remus qui vient de me rejoindre, l'air peu rassuré. Tu es sûr que tout va bien ?
─ Je ne sais pas, fais-je, désemparé. Shizue vient de me dire adieu.
Car je sais que ce n'est pas un au revoir. Je ne me l'explique pas, mais c'est là, au fond de moi, et ce qui m'attriste le plus, c'est que ça commence déjà à s'effacer.
Remus me contemple à présent d'un air franchement inquiet.
─ Harry, commence-t-il lentement, d'une voix hésitante. Tu ne parlais à personne. Tu étais là, tout seul, au milieu de la rue, et il n'y avait personne avec toi. Tu es sûr que tu ne veux pas rentrer te reposer ?
Quoi ?
─ Mais…si, voyons. Tu n'a pas vu la fille qui était avec moi ? Tu sais bien, Shizue, je t'ai souvent parlé d'elle…mon amie japonaise…
Pourquoi suis-je de moins en moins sûr de ce que je dis ?
Remus m'attrape le bras, gentiment, mais fermement, et me ramène sur le trottoir.
─ Ecoute, Harry, dit-il avec le plus de douceur possible, je t'assure que tu étais seul. Shizue n'était pas avec toi.
Il s'interrompt, semble réfléchir, puis reprend :
─ Est-ce que tu veux que nous allions chez elle pour vérifier si elle va bien ? propose-t-il. Tu as peut-être eu une prémonition, ça arrive.
Je secoue lentement la tête. Parce que je viens de me rendre compte que je ne sais pas où Shizue habite. Et que je n'ai pas la moindre preuve physique de son existence. Et je comprends, tout d'un coup, que Hermione avait peut-être raison, que peut-être j'étais tellement seul que je me suis mis à halluciner pour ne pas devenir complètement fou. Et je comprends soudain, tout, pourquoi Shizue ne venait me voir que lorsque j'étais seul, pourquoi je n'ai pas la moindre photo d'elle chez moi, pourquoi je n'avais même pas son numéro de téléphone et que ça me paraissait normal. Pourquoi Remus ne l'avait jamais vue alors qu'il aurait dû la voir à plusieurs reprises. Pourquoi elle n'a jamais été surprise de tout ce que j'ai pu lui raconter sur moi. Pourquoi elle savait, avant que je lui dise, que Remus était un loup-garou.
Alors je secoue la tête encore une fois, et je réponds, d'une voix hallucinée :
─ Non. Non, ça ira. Je…je crois que tout ira bien, à présent…
Remus n'insiste pas, et je décide que la promenade a assez duré, qu'il est temps de rentrer à la maison.
o0O0o
Avec le temps, et le recul, je ne sais toujours pas vraiment quoi penser de tout ça. Je ne suis même pas sûr qu'Hermione ait eu raison. Je ne sais même pas si Shizue était le fruit de mon imagination ou bien une manifestation des Kitsune. Peut-être même qu'elle était réelle, après tout.
Cependant, j'ai réalisé certaines choses, grâce à elle, et grâce aux renards magiques.
Alors, désormais, je crois que je suis vraiment serein. La vie ne m'effraie plus comme elle le faisait auparavant, et que tout ceci ait existé ou non, que Shizue ait été réelle ou pas, je lui suis tout de même reconnaissant.
Mais, comme je m'y attendais, les renards ne sont plus revenus. Et je n'ai jamais plus revu Shizue.
o0O0o
Et voilà. Je ne sais pas trop quoi penser de cet OS, y'a même pas de lemon alors ça va sûrement en décevoir pas mal d'entre vous, mais quoiqu'il en soit, j'espère que ce n'était pas trop bancal…En tout cas n'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé dans une review…Je vous aime !
Et sinon : Please a Lydie, give her a Christophe ;
Climax a Bady and a Marie, give them a bounded and naked Dave;
Make smile a Biscuit, give her a Martin singing alone just for her;
And please me, give me just Martin.
