Après le départ de Ron, Drago bâilla largement, et serra un peu plus Harry.
— Puisqu'on est levés, petit-déjeuner ?
Harry le suivit sans un mot, le front plissé en signe de réflexion. Le blond ne s'en formalisa pas, connaissant parfaitement son compagnon. Il savait que le brun était en train de repenser aux révélations de Ron, et qu'il essayait de relier chaque élément à la situation actuelle.
Dans d'autres circonstances, Drago aurait probablement dit que ça n'avait aucun rapport avec le reste, que ça pouvait être un événement isolé, puisque le vieux Barjow avait énormément d'ennemis. Il le soupçonnait même d'être impliqué dans des trafics plus ou moins légaux.
Cependant, il faisait confiance aux intuitions de Harry et s'il prétendait que la disparition de la boutique de Magie noire était liée aux perturbations qui secouaient l'allée des Embrumes, il le croyait.
Finalement, il attira l'attention de son compagnon qui s'était laissé tomber sur une chaise, toujours plongé dans ses pensées, en déposant un verre de jus de citrouille devant lui.
— Diggory est interné, et il a été mis à l'isolement. L'enquête a montré qu'il a agi seul, il ne faisait confiance à personne. Je peux comprendre la colère qui gronde chez ceux qui ont été mis au ban de la société après la guerre, mais…
— Mais pas au point de mettre une bombe ?
— Si c'était quelqu'un qui voulait se venger des actes de Diggory, c'est le chemin de Traverse qui aurait été attaqué !
L'ancien Gryffondor se frotta le visage.
— La guerre n'a pas tout résolu. Je pensais que… Quand j'ai fait face à Voldemort, j'imaginais qu'une fois vaincu, le monde magique redeviendrait un monde parfait. Le monde que j'avais rêvé lorsque je suis arrivé à Poudlard, lorsque je l'ai découvert. La vision enchanteresse que j'ai eue lorsque je suis entré pour la première fois sur le chemin de Traverse.
— Harry…
Leurs yeux se croisèrent, et le brun sourit tendrement, avant de continuer.
— Je me souviens de toi, tu sais. Le premier enfant sorcier à qui j'ai parlé. Chez madame Guipure.
Drago laissa échapper un ricanement amer.
— Le souvenir ne doit pas être… agréable. J'étais… stupide.
Harry gloussa, l'enveloppant d'un regard tendre.
— Tu étais… différent.
Ils se dévisagèrent un long moment puis l'ancien Serpentard haussa un sourcil moqueur.
— Hormis un souvenir lointain, quel était le but de ce petit rappel ?
Le brun prit le temps de boire son verre avant de se laisser aller en arrière dans sa chaise, ne quittant pas des yeux Drago.
— Juste la réalisation un peu brutale que la mort de Voldemort n'a pas résolu tous les problèmes comme je le pensais autrefois.
Drago resta silencieux, le fixant de son regard argent, et après un moment de silence, Harry grogna et reprit.
— C'est idiot n'est-ce pas ? Croire que la mort d'un homme, aussi monstrueux soit-il, pourrait résoudre ce qui ne va pas…
— Le fait est que tu as sauvé beaucoup de vies.
— Ce n'est pas le sujet. Je… Je ne suis pas un politicien, ou même suffisamment vieux pour donner des conseils, mais je suis capable de voir que ceux qui sont au pouvoir ont bousillé la chance de redresser les choses. Kingsley est un bon ministre, plein de bonne volonté…
— Mais la bonne volonté ne suffit pas. Je sais tout ça.
Harry eut un léger sourire en coin.
— Tu ne comprends pas, Drago. Je veux dire qu'Amos a perdu l'esprit probablement après la mort de Cédric, et il a planifié sa vengeance avec une patience incroyable. Cependant, il n'est pas le seul à avoir souffert ou à rêver de se venger.
Drago ferma un instant les yeux, repensant aux années après la guerre, avant qu'il ne soit propulsé coéquipier de Harry Potter. Les regards en coin, plein de méfiance, les insultes. Les bousculades dans la rue, lorsqu'on le reconnaissait.
— Ce n'est pas une nouveauté.
Il vit la tristesse dans le regard vert qu'il aimait tant et il lui jeta un coup d'œil rageur. Il ne laissa pas Harry ouvrir la bouche.
— Ne t'avise même pas de faire la moindre remarque à ce sujet, Potter.
Le brun fronça les sourcils, prêt à s'insurger, parce que même après toutes ces années, il était furieux du traitement qui avait été réservé à Drago alors qu'il avait été innocenté pendant son procès. Alors qu'il était à l'époque un enfant, qui n'avait pas eu le choix. Il savait que le blond ne supportait pas la pitié, mais ce n'était pas ce qu'il éprouvait. Bien au contraire, il l'admirait pour son obstination à continuer, pour avoir continué à vivre la tête haute malgré la haine autour de lui.
Sauf que Drago ne le laisserait pas le lui dire.
Il grogna, serrant les poings, se jurant qu'il ferait en sorte que plus jamais Drago ne soit pris à partie comme il l'avait été dans le passé. Puis, il se força à se détendre et haussa les épaules.
— J'allais juste dire que ceux qui sont les plus… virulents étaient bien cachés pendant la guerre. J'ai toujours eu de la peine pour la perte qu'avait subie Amos Diggory, parce que Cédric ne méritait pas d'être entraîné là-dedans et tué, mais… je ne l'ai jamais vu se battre. Il s'est retranché dans son chagrin et… il a attendu que tout soit terminé pour exiger le prix du sang.
Le blond ricana moqueusement.
— Et voici le sauveur qui découvre que les hommes ont une face sombre. Dans un monde idéal, l'ensemble du monde magique serait venu se battre. Non. Dans un monde idéal, personne n'aurait laissé… ne l'aurait laissé prendre autant de pouvoir.
Harry se leva pour préparer le thé, servant une tasse à Drago de la façon dont il aimait. Puis, il reprit, évitant le regard de son compagnon.
— Ça pourrait être n'importe qui.
— Révélation fracassante Potter… je reste scotché par ton pouvoir de déduction.
Malgré lui, le brun laissa échapper un ricanement, et roula des yeux avant de tirer la langue à son compagnon.
— Tu as mieux à proposer peut-être ?
Le blond prit une gorgée de thé, et reposa sa tasse lentement avant de hausser un sourcil moqueur. Ses yeux brillaient d'amusement bien qu'il affichait un visage parfaitement sérieux.
— Jamais de suppositions avant le petit déjeuner. C'est une règle absolue.
Harry roula des yeux, mais un fantôme de sourire jouait sur ses lèvres et il s'obligea à ne plus penser à la situation alors qu'ils déjeunaient calmement, profitant de la présence de l'autre.
Le brun pensa distraitement que c'était ce qu'il avait toujours voulu, cette intimité tendre avec quelqu'un. Il n'aurait jamais pu imaginer l'obtenir auprès de Drago Malefoy, mais c'était une évidence qu'ils étaient faits l'un pour l'autre.
Ils semblaient presque totalement opposés en apparence, pour un regard extérieur. Mais finalement, il apparaissait rapidement dans leurs comportements et dans leurs échanges qu'ils étaient parfaitement complémentaires. Drago apportait à Harry la stabilité qui lui avait toujours manqué tout en comprenant son besoin d'indépendance dû à une enfance sans amour.
Sous ses airs fiers, Drago manquait terriblement d'assurance. Il compensait ses incertitudes par une attitude hautaine et agressive, s'attirant régulièrement l'inimité de ceux qui le rencontraient. Harry avait réussi à percer sa carapace — probablement depuis le premier jour de leur rencontre. Si pendant leur scolarité, il s'en servait pour le déstabiliser, il avait appris à le rassurer discrètement depuis qu'ils étaient collègues puis compagnons.
Harry sortit de ses pensées alors qu'il terminait sa tasse de thé, et débarrassa la table d'un coup de baguette adroit.
— Nous devrions peut-être prendre l'avis de ton père, à condition qu'il accepte de se montrer…
— Honnête ? Ne rêve pas trop, stupide Gryffondor. Tu as conscience que mon père nous aidera que si ça sert ses intérêts.
Le brun soupira, et n'insista pas, détestant en cet instant Lucius pour avoir laissé Drago se forger de telles idées. Il haussa les épaules avec un sourire amusé.
— Et bien de toute façon, nous devons interroger la jeune demoiselle ramenée par ton père. Cette petite doit bien avoir un nom, et… même si j'ai le pressentiment qu'elle n'a pas de famille, nous devons nous assurer que personne n'est à sa recherche.
Drago se rembrunit, et Harry ricana.
— Oh allez, Malefoy ! Tu ne vas pas jalouser cette gosse ? Comment aurais-tu fait si tu avais eu un frère ou une sœur ?
Les poings serrés, le blond répondit, d'un ton tranchant.
— Je voulais un petit frère ou une petite sœur. Tout plutôt que d'être seul. Mais… mon père ne cessait de me dire que j'étais l'héritier et qu'il devait avoir tout son temps pour me… « former ». C'est juste… blessant de voir qu'ils sont capables de se montrer humains finalement.
Harry laissa passer quelques secondes avant de parler, avec douceur.
— Et bien peut-être que tu devrais t'en réjouir, Drago. Peut-être que tu devrais voir qu'ils ont changé, et que c'est probablement pour toi. Et s'ils prennent soin d'une petite orpheline, est-ce vraiment si mauvais ?
Drago fronça les sourcils, mais les paroles de Harry avaient fait mouche et sa colère semblait douchée. Finalement, il haussa les épaules.
— Probablement pas. Sauf s'ils essaient de la modeler à l'image de la parfaite Sang-Pur.
Harry éclata de rire.
— Alors son grand frère adoptif s'occupera de lui apprendre à désobéir ?
Le blond grogna.
— On parle d'une gosse trouvée dans la rue, non identifiée et tu me propulses déjà grand frère. Tu as vraiment un problème Potter !
Ils se préparèrent en se chamaillant, repoussant leurs inquiétudes, jusqu'à se tenir prêt à partir. Drago soupira.
— On commence par quoi ?
— Quelques questions allées des Embrumes pour s'assurer qu'une petite fille n'est pas recherchée ? Puis nous passerons chez tes parents en espérant qu'elle soit moins perturbée qu'hier et qu'elle accepte de nous parler. Au moins de nous dire son nom.
L'allée des Embrumes était inhabituellement calme. Visiblement, les Aurors avaient terminé leur office et avaient déserté les lieux. Il ne restait de l'ancienne boutique de Barjow et Beurk qu'un tas de gravats, et quelques habitants des lieux fouillaient les débris pour espérer y trouver des objets à revendre.
Harry soupira, mais ne prit pas la peine d'intervenir : de toute façon, dès qu'ils auraient le dos tourné, d'autres vautours viendraient prendre tout ce qui pouvait avoir la moindre once de valeur.
Drago s'approcha d'un vieil homme, d'une saleté repoussante et à l'odeur plutôt envahissante. Sans rien montrer de son dégoût, il l'aborda avec un sourire tranquille.
— Alors ? La pêche est bonne ?
Le vieux haussa les épaules et fixa Drago — ses vêtements de qualité et propres, notamment — avec intérêt.
— Couci-couça. Rien qu'des bricoles sans intérêt. L'vieux Barjow avait enlevé tout c'qu'avait d'la valeur quand l'Ministère l'a fait fermer.
— Auriez vous déjà vu une petite fille seule par ici ? Une petite brune pas plus de sept ans je dirais.
Le clochard plissa les yeux et renifla.
— Et j'gagne quoi à répondre ?
Drago sortit une pièce de sa poche, exhibant un gallion sans hésitation — une véritable fortune à cet endroit.
— Et bien, ce gallion est à vous si vous me répondez.
— Et j'peux garder c'que j'trouve ici ?
Le blond eut un sourire rusé.
— Nous ne sommes pas là pour surveiller ce tas de débris.
Le vieux hocha la tête et gratta d'un ongle noir de crasse sa tignasse, puis il plissa les yeux suspicieusement.
— Et vous lui voulez quoi à c'te gosse ? J'vais pas vous laisser prendre les petits pour les revendre, hein !
Harry était resté silencieux, laissant Drago mener la conversation. Cependant, il hoqueta et intervint, choqué.
— Les revendre ?
Le vieux le dévisagea et plissa le nez.
— Ah. L'Sauveur. Forcément. On sait qu'vous êtes réglo par ici normalement. Mais pas question d's'en prendre aux petits.
— Nous ne voulons pas enlever des enfants ! Quelle horreur ! Juste retrouver la famille de cette petite, nous l'avons secourue et… quelqu'un doit la chercher…
L'homme renifla et cracha sur le sol, avant de les dévisager, l'un après l'autre. Il hocha la tête, et soupira.
— Après tout. Mon copain Eddie m'a dit que vous l'aviez aidé alors… J'connais pas personnellement la gosse que vous cherchez, mais j'l'ai d'jà vu mendier dans l'coin. Si vous voulez des infos, vous devriez parler à Peter Pan.
Harry fronça les sourcils, agacé.
— C'est une plaisanterie ? Peter Pan ?
Le vieux ricana.
— Paraît qu'il a pris son nom à partir d'une histoire moldue. En tous cas, c'est c'lui qui… surveille les gosses des rues. Qui les nourrit, les abrite et les fait travailler.
