Les deux détectives étaient rentrés chez eux, perturbés par ce qu'ils venaient d'apprendre.

Que l'enfant était sans domicile ne les surprenait pas réellement, ils s'en étaient doutés dès le début puisque personne n'avait semblé s'inquiéter de cette pauvre gosse perdue.

Le geste de Lucius avait probablement été la seule marque d'attention qu'elle ait reçue de sa vie de la part d'un adulte, et elle s'était accrochée à lui, se sentant vraisemblablement rassurée. Après tout, Harry était prêt à reconnaître que Lucius était un homme imposant, qui savait se faire respecter par son maintien et son assurance.

Il pouvait comprendre que l'enfant l'ait vu comme un protecteur.

Cependant, ils ne pouvaient pas croire qu'ils aient pu passer à côté d'un groupe d'enfants livré à eux-mêmes, en plein milieu de l'allée des Embrumes. Que personne ne leur ait jamais parlé de ces pauvres gosses sans repères. Des laissés-pour-compte, obliger de mendier pour vivre, ne mangeant probablement jamais à leur faim. Et la guerre était trop loin derrière eux pour accuser les exactions des Mangemorts.

Drago de son côté avait les sourcils froncés, et restait silencieux. Harry soupira, masquant son trouble et sa fatigue.

— Tu vas bien ?

— Je ne comprends pas. Comment des enfants peuvent-ils se retrouver dans cette situation ?

Le brun détourna le regard, et haussa les épaules, désabusé.

— Si mon oncle et ma tante n'avaient craint la colère de Dumbledore, j'aurais pu être l'un d'entre eux. Ils ne voulaient pas vraiment de moi à leurs côtés.

Drago l'observa un long moment, les poings serrés, ses yeux ayant pris une teinte de mercure liquide sous la colère. Cependant, il ne prononça pas un seul mot.

Surpris de sa réaction excessive, Harry essaya de détourner son attention en lui proposant d'aller voir l'enfant chez ses parents. Le blond acquiesça, mais resta crispé et silencieux.

À leur arrivée, Lucius leva un sourcil surpris. Les deux hommes habituellement si proches et si tactiles étaient particulièrement silencieux et son fils semblait furieux. Cependant, il avait parfaitement retenu les mots de son épouse, et ne prononça pas une seule parole — même s'il aurait aimé semer la discorde.

Après avoir salué le couple Malefoy, Harry se dirigea immédiatement vers l'enfant — vêtue de vêtements propres et soigneusement coiffée, elle ressemblait à une petite poupée — qui se tenait sagement assise sur le tapis sous le regard soucieux de Narcissa. Autour d'elle étaient disposés une profusion de jouets — probablement ayant appartenu à Drago — mais elle les observait juste, ne semblant pas oser les toucher.

Harry s'installa près de Narcissa.

— Comment va-t-elle ?

L'aristocrate laissa échapper un bref soupir, puis secoua doucement la tête.

— Nous avons demandé au médicomage de famille de passer l'ausculter. Physiquement, elle va bien, même si elle a quelques carences dues à une mauvaise hygiène alimentaire. Mais elle reste silencieuse, et nous ignorons son nom. Cependant, elle nous entend et nous comprend, elle fait ce que nous lui demandons avec docilité.

— Vous allez l'héberger en attendant que nous sachions qui elle est ?

Narcissa lui jeta un bref regard.

— Bien évidemment. Lucius a même suggéré que nous la gardions près de nous puisqu'elle semble être une enfant abandonnée.

Harry eut un sourire amusé.

— Je n'imaginais pas que votre mari puisse… être ce genre de personne.

Loin de se froisser, la mère de Drago eut un sourire nostalgique.

— Lorsqu'il était jeune, Lucius était un idéaliste. Son père le voyait comme… un agitateur, en quelques sortes. Il pensait qu'il pourrait user de sa richesse et de son nom pour réformer la société magique, laisser son empreinte. Mais… Mon beau-père Abraxas a pris la marque. Il connaissait le Seigneur des Ténèbres déjà, et il a poussé Lucius à le suivre. Il a changé après ça. Il est devenu… assoiffé par le pouvoir, et il a oublié ses idéaux de jeunesse.

Harry hocha la tête pensivement, puis il se pencha vers l'enfant pour lui tendre une peluche. La petite se figea, son regard naviguant entre Harry et Narcissa. Finalement, elle prit le jouet pour l'examiner, le tournant en tous sens, curieuse.

Narcissa hésita un bref instant puis s'éclaircit la voix.

— Harry ? Un problème avec mon fils ? J'ai remarqué à votre arrivée que vous étiez distants tous les deux.

Le brun parut surpris de l'observation et il évita le regard acéré de la femme, un peu gêné.

— Oh. C'est juste que… Drago était furieux d'apprendre que cette petite était livrée à elle-même dans la rue, et que d'autres enfants semblent être dans sa situation alors je le laisse… se calmer. Je crois qu'aucun mot ne l'aidera.

Il passa sous silence sa propre enfance, espérant que Drago s'apaiserait rapidement et cesserait de se montrer si froid. Il savait qu'ils finiraient par se rapprocher, mais il n'aimait pas ce fossé entre eux.

— Mon fils a eu une vie protégée. Lucius a été un père distant et exigeant, mais… Drago n'a jamais manqué de rien. Je suppose qu'il n'avait jamais pris conscience de la souffrance d'autres enfants.

En arrivant chez ses parents, Drago se tendit en voyant le regard de son père passer de lui à Harry. Il peinait à canaliser sa fureur et il s'était volontairement tenu à l'écart de son compagnon. Lorsqu'il était en colère, ses pires côtés ressortaient, et la dernière chose qu'il voulait était de blesser Harry, de quelque façon que ce soit. Ce serait inconscient, mais il ne pourrait pas effacer des mots malheureux.

Il laissa le brun aller discuter avec sa mère — étrangement, si Harry s'était attaché à la froide Narcissa sans peine, l'inverse était vrai également — avant de se tourner vers son père.

— Pourrions-nous parler dans ton bureau ?

Lucius haussa un sourcil intrigué et lui fit signe de le suivre sans un commentaire.

Une fois la porte fermée derrière eux, ils se firent face et Drago soupira, hésitant. Lucius ironisa, sans se rendre compte de l'état de rage dans lequel était son héritier.

— Alors mon fils ? Des soucis avec ton cher Potter ?

La magie de Drago s'agita, révélant qu'il était puissant — peut être pas autant que son compagnon, mais il n'avait pas à rougir de la comparaison — et il fusilla du regard son père, ignorant son air surpris.

— Tu l'attaques encore alors qu'il t'a tiré de prison ! Comment peux-tu être aussi stupide ?

Le jeune homme fit quelques allées et venues devant le bureau où son père s'était appuyé, refusant de le regarder directement, marmonnant en ressassant sa colère. Finalement, il s'immobilisa et se planta devant l'homme, une grimace amère sur le visage.

— Quand nous étions adolescents, tu l'as attaqué. Tu t'en es pris à un garçon de l'âge de ton fils, et je suis certain que si tu en avais eu la possibilité tu l'aurais tué. Que savais-tu de lui, père ?

Lucius fronça les sourcils, incertain de ce que son fils attendait.

— De quoi parles-tu ?

— Sa famille, son enfance. Que savais-tu ? Tu m'as toi-même appris que la connaissance donnait du pouvoir et qu'il fallait connaître ses ennemis pour les anéantir. C'est probablement le seul conseil de ta part que j'applique à l'heure actuelle. Avec Harry, nous avons eu à cœur de bâtir un solide réseau d'informateurs, ce qui nous permet d'être… efficaces. Donc… je suppose que tu t'étais renseigné sur lui. Que savais-tu de Harry Potter ?

L'aristocrate sembla gêné, et tenta de se soustraire aux questions de son fils, mais Drago insista, perdant presque le contrôle de sa magie alors qu'une carafe de whisky pur-feu explosait sur un meuble à proximité sans qu'il n'en paraisse véritablement conscient.

— Que veux-tu que je te dise ?

— Oh, je crois que tu en as une petite idée, père.

— C'était un gosse miséreux venant d'une famille moldue intolérante. Ça te va ?

— Continue.

Lucius soupira et roula des yeux.

— Dumbledore l'a placé dans la famille moldue de sa mère. J'ai mis quelques années à obtenir l'adresse, et je pensais trouver le gamin entraîné et choyé, mais je suis tombé sur un môme ignare et laissé-pour-compte. Affamé, mis de côté, insulté. Ça te va ?

Un autre bibelot explosa et Drago haleta, essayant de se calmer sans succès. Le peu de maîtrise qui lui restait l'empêchait de se mettre à hurler.

— Tu savais.

— Ne sois pas stupide, Drago. Il était notre ennemi ! Toi-même, à l'école, tu n'as jamais rechigné à t'en prendre à lui…

— Il était un enfant ! Et j'étais idiot, je ne me rendais pas compte ! Si j'avais deviné ce qu'il vivait… Contrairement à toi, père, je n'ai jamais voulu sa mort. Bon sang, j'étais juste vexé qu'il refuse mon amitié ! Et tu as profité de cet incident pour insister sur son mépris du monde magique alors qu'il était simplement ignorant ! Tu as attisé des disputes d'enfant pour servir tes intérêts !

Lucius hésita, et choisit de rester silencieux. Il était surpris par la violente réaction de Drago et sa façon de décrire le passé le rendait mal à l'aise, mettant en évidence à quel point il s'était fourvoyé.

Après un long silence, Drago ferma les yeux et prit une grande inspiration, s'obligeant à ne pas perdre le contrôle. L'atmosphère de la pièce se fit moins étouffante et malgré lui, Lucius ressentit une pointe de fierté face aux pouvoirs de son héritier.

Cependant, toute idée de le flatter à ce sujet disparut quand le jeune homme ouvrit les yeux et qu'il lut la haine à son égard brûler dans le regard d'argent.

— J'ignore comment Harry peut te faire confiance. Il me dit savoir qui tu es, et il semble persuadé que tu ne vas rien faire de stupide. Mère lui a probablement promis de te tenir à l'œil… Peu importe. La principale différence entre Harry et moi, c'est qu'il n'est pas friand de vengeance. Malgré son enfance misérable, il n'a jamais cherché à faire payer les responsables, que ce soient ces affreux moldus, ou les sorciers qui savaient et n'ont rien fait pour lui. Moi par contre… sans lui pour me retenir, je n'hésiterai pas à faire souffrir chaque personne qui l'a blessé. Et crois-moi, père, tu es en bonne place sur ma liste.

Laissant Lucius choqué, Drago sortit à grands pas du bureau, plus calme qu'à son arrivée, et rejoignit Harry. Lorsqu'il entra dans le salon, il nota le regard inquiet du brun sur lui, et il lui sourit pour le rassurer, puis il s'approcha de son compagnon pour l'enlacer.

Le contact entre eux le calma tout à fait, lui permettant de recouvrer un peu de sérénité, alors qu'il retrouvait sa chaleur et son odeur familière. Il le serra un peu plus, et tous ses muscles se relâchèrent lorsque Harry répondit à son étreinte, déposant un léger baiser sur sa joue.

Apaisé, il prit le temps d'observer la petite fille qui semblait fascinée par la douceur d'un ours en peluche.

Finalement, il murmura à l'intention de Harry.

— Nous devons trouver son identité.

Le brun hocha la tête.

— Et dénicher ce groupe d'enfants abandonnés.

Lorsque Lucius revint dans le salon, il semblait plus distant, et Harry le dévisagea avec curiosité, sans pour autant s'écarter de Drago. Narcissa jeta un regard sévère à son fils, mais ne fit pas la moindre réflexion, se contentant d'attraper l'enfant pour la prendre sur ses genoux.

La gamine se raidit dans un premier temps, craintive, avant de sourire et de se laisser aller contre la femme, avec un soupir satisfait.

— Drago. Je disais à Harry que nous voulions prendre soin de cette jeune demoiselle. Puisqu'elle ne semble pas avoir de foyer… Après tout, tu es grand maintenant et indépendant.

Le jeune homme hésita, ne sachant visiblement pas comment accueillir la nouvelle. Le regard de pure adoration que la gamine eut pour sa mère le fit soupirer et il hocha la tête.

— Et bien, tant que cette petite est… heureuse. Je suppose que mon ancienne chambre d'enfant pourrait resservir.

Narcissa eut un hochement de tête approbateur et Harry envoya un clin d'œil à la petite fille.

— Je crois que j'aimerais beaucoup visiter cette chambre. Qu'en penses-tu jeune demoiselle ?

Comme à chaque fois qu'un adulte s'adressait à elle, elle se crispa, avant de dodeliner lentement de la tête, légèrement méfiante.

Harry lui tendit la main, attendant patiemment qu'elle les rejoigne, avec un sourire doux.