Titre : Double jeu

Auteur : Mokoshna

Manga : Hikaru no Go

Crédits : Le manga Hikaru no Go appartient à qui revient de droit, c'est-à-dire principalement ses auteurs, Yumi Hotta et Takeshi Obata.

Avertissements : Spoilers de la fin du manga, Yaoi Akira/Hikaru, Ogata/Koyo, Isumi/Waya.

Blabla de l'auteur : Le dernier chapitre ! C'est pas trop tôt ! J'en avais marre ! J'espère que ça vous plaira. Merci de votre fidélité !

Important ! Pour ceux qui sont passés directement ici :

J'ai réécrit les premiers chapitres en modifiant certaines choses, pour les rendre plus clairs ou simplement par souci du détail (et parce que j'avais changé de style). Allez les relire ! Vous comprendrez mieux la fin. J'ai essayé de garder la trame générale mais certains éléments rajoutés apparaissent dans cette conclusion, vous risquez de ne pas comprendre si vous n'avez pas relu !

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Chapitre 6 :

SCHIZOPHRÉNIE, subst. fém.

A. PSYCH. Psychose chronique caractérisée par une dissociation de la personnalité, se manifestant principalement par la perte de contact avec le réel, le ralentissement des activités, l'inertie, le repli sur soi, la stéréotypie de la pensée, le refuge dans un monde intérieur imaginaire, plus ou moins délirant, à thèmes érotiques, mégalomanes, mystiques, pseudo-scientifiques (avec impression de dépersonnalisation, de transformation corporelle et morale sous l'influence de forces étrangères, en rapport avec des hallucinations auditives, kinesthésiques).

Définition tirée de :

Laboratoire d'Analyse et de Traitement Informatique de la Langue Française

Trésor de la Langue Française informatisé (version simplifiée)

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Takeshi Morimoto était un idéaliste qui croyait sincèrement au sens véritable de la justice. Pour lui, les criminels devaient être envoyés en prison et payer leurs dettes en proportion de la gravité de leurs crimes, et les innocents devaient à tout prix être préservés du mal. Bien entendu, il avait eu l'occasion de se rendre compte par lui-même des multiples variations que le genre humain trouvait à ces deux termes. Personne n'était jamais totalement blanc ou noir, et même le plus perfide des hommes pouvait avoir un sursaut de bonté à un moment ou un autre. Cela était d'autant plus vrai lorsqu'il s'agissait d'un enfant qui n'avait pas encore eu l'occasion de goûter à la vie.

Akira se trouvait là, au centre de cette pièce sordide à peine éclairée par un rayon de soleil blafard qui s'échappait d'un interstice entre deux planches de bois. Il tenait dans ses bras la silhouette amincie d'un garçon nu : Hikaru. De multiples écorchures rayaient sa peau sale, si pâle qu'elle ressemblait à celle d'un cadavre ; certaines plaies s'étaient infectées et faisaient peine à voir. Akira sanglotait et le suppliait de rester avec lui, pleurant, criant... Takeshi s'arrêta net à ce spectacle. Il crut un instant que Hikaru était mort, qu'il était arrivé trop tard. Il ne fut apparemment pas le seul : l'instant d'après, plusieurs de ses hommes, hurlant de colère, se précipitèrent sur les deux garçons et les séparèrent de force. L'un deux, un jeune bleu un peu trop échauffé par les arrestations musclées qu'il voyait au cinéma, attrapa Akira qui se mit à hurler. Sans doute pour le faire taire, l'agent lui asséna un coup fulgurant au ventre qui plia le garçon en deux. Takeshi se réveilla d'un coup et mugit :

— BORDEL, QU'EST-CE QUE TU FOUS ?!!

L'homme le fixa d'un air interloqué.

— Je fais comprendre à ce fils de pute qu'il a eu tort de s'en prendre à ce gamin !

— Mais qu'est-ce qui m'a foutu des abrutis pareils !

Il souleva Akira et vérifia qu'il allait bien. Ça n'avait pas l'air d'être trop grave ; le gamin était jeune, il s'en remettrait vite. Il allait quand même faire un beau rapport sur cet imbécile pour lui apprendre à s'attaquer à un jeune homme inoffensif.

— Que quelqu'un appelle une putain d'ambulance ! tonna-t-il. Et qu'ils se grouillent !

Un autre de ses hommes avait pris Hikaru dans ses bras. Takeshi déposa Akira à terre en prenant garde à ce qu'il ne soit pas incommodé par les débris tranchants et retira son manteau pour en draper le garçon nu. Avec précaution, il retira les cheveux collés à son visage et vérifia son pouls.

— Quelqu'un a-t-il une bouteille d'eau ?

— J'en ai une dans la voiture.

— Apporte-la, et dépêche-toi ! Où en est cette ambulance ?

— Elle arrive !

Takeshi hocha la tête, l'air grave. Ils ne pouvaient plus faire grand-chose d'autre. Quelle sale histoire ! Hikaru remua faiblement dans ses bras. Tant mieux ; s'il avait encore la force de faire ça, ça prouvait qu'il était encore en vie. Takeshi regarda autour de lui. Ses hommes s'affairaient à dégager les fenêtres comblées. On y voyait déjà plus clair, et ce qu'il aperçut ne le réjouit guère. Ça et là, gisaient maintes poupées et miroirs teints en rouge et recouverts de terre, certains déchiquetés, d'autres en excellent état bien que fort sales. C'étaient les poupées intactes qui lui faisaient peur. En y regardant de plus près, on pouvait constater que des photos, grossièrement découpées pour qu'elles correspondent à la forme du visage des poupées, y étaient collées ; chacune représentait un visage, toujours le même.

Akira Tôya.

Il fit une prière silencieuse et attendit.

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Seiji Ogata apprit la nouvelle de manière abrupte. Il avait donné la veille son numéro à Isumi et lui avait demandé de le tenir au courant de l'évolution de l'affaire Shindô ; le jeune homme tint parole puisqu'il reçut un coup de fil. Il vérifia le réveil près de son lit : quatre heures. La voix paniquée du pro 2-dan assaillit son oreille une fois qu'il eût décroché ; il lui fallut un peu de temps pour comprendre, au milieu du brouhaha qui régnait autour d'Isumi, qu'on avait retrouvé Hikaru Shindô et qu'Akira était peut-être le suspect numéro un dans son enlèvement. Ça l'avait réveillé sec.

— On arrive, dit-il simplement en raccrochant.

La forme ensommeillée de Tôya père s'agita près de lui ; son maître ouvrit les yeux et lui sourit, doucement. Il hésita. Sans que personne n'en sût rien, Koyo était le seul homme qu'il eût jamais aimé, la raison pour laquelle il n'avait jamais pu se résoudre à rester avec une même personne plus d'un mois. Il ne voulait pas voir son visage bouleversé ; la nouvelle de l'arrestation d'Akira pourrait rompre le fragile équilibre de leur relation.

— Il s'est passé quelque chose ? demanda son amant. Vous êtes bien pâle.

Comme s'il pouvait lui cacher une telle information, tiens. Seiji soupira. Il savait qu'Akira était le deuxième amour de Koyo avec le go ; le laisser alors qu'il était dans une mauvaise passe, c'était prendre le risque de subir les foudres de son amant sans espoir de réconciliation. Non pas qu'il souhaitât réellement abandonner Akira. Il n'avait pas eu les détails de l'affaire mais cela semblait suffisamment grave pour qu'un jeune homme aussi poli et réservé qu'Isumi perde son sang-froid et l'appelle à quatre heures du matin sans même se donner le temps de s'excuser.

— On vient de me dire qu'on avait retrouvé Shindô, dit-il sur un ton mesuré.

— Vraiment ?

Koyo se redressa sur un coude, les yeux grands ouverts. Seiji admira la silhouette de son amant. À presque cinquante ans, Koyo avait un corps encore svelte et apte à être aimé. Il adorait cet homme depuis des années ; il était son idéal, celui dont il suivait les traces avec la ferveur d'un fanatique envers son dieu. Il se pencha vers lui et l'embrassa.

— Qu'est-ce qui vous prend ?

— J'avais juste envie de garder quelque chose de vous, dit-il.

Son maître lui lança un regard indécis. Seiji sourit et sortit du lit.

— Nous n'avons pas de temps à perdre, fit-il. Shindô et Akira se trouvent à l'hôpital Seibo, à Shinjuku.

— Akira aussi ? s'inquiéta Koyo.

— Oui. Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais il semblerait qu'il ait été blessé quand ils ont retrouvé Shindô. Et...

Sa voix chancela.

— J'ignore si c'est vrai, mais on dit qu'il est le ravisseur de Shindô.

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Asumi Nase arriva à la Nihon Ki-In à neuf heures, pile à l'heure pour son cours du dimanche. Elle eut la surprise de remarquer qu'une agitation peu commune y régnait : des gens couraient à droite et à gauche ou discutaient en groupe de vive voix. Elle entendit les noms de Shindô et de Tôya, sans qu'elle pût mettre un thème sur les conversations tant elles étaient tumultueuses. Elle se dirigea d'un pas rendu alerte par la curiosité en direction de l'ascenseur qui la mènerait à l'étage du cours des Insei.

— Nase ! fit la voix d'Ochi alors que l'ascenseur se fermait.

Elle jeta son pied devant l'entrée et la porte automatique se rouvrit avec fracas. Ochi la rejoignit essoufflé ; sa coiffure était un peu défaite, ce qui piqua la curiosité de la jeune fille. D'ordinaire, il s'arrangeait toujours pour être impeccable. Et pourquoi lui adressait-il volontairement la parole, d'ailleurs ? Depuis qu'il était devenu pro, il mettait un point d'honneur à les ignorer, elle et Fukui...

— Tu connais la nouvelle ? fit-il entre deux halètements. C'est scandaleux !

Elle secoua la tête.

— Je viens d'arriver, dit-elle un peu gênée. Ça concerne Tôya et Shindô, non ? J'ai cru entendre leurs noms cités dans le hall d'entrée.

— Et comment ! s'écria Ochi. On vient d'apprendre que Tôya avait été arrêté par la police pour l'enlèvement de Tôya ! Tu y crois, toi ?

Asumi ouvrit de gros yeux. La porte de l'ascenseur se referma en tintant.

— Non ?!

— J'en ai bien peur, dit-il en remettant ses lunettes en place. C'était dans le journal télévisé de ce matin. Ne me dis pas que tu ne l'as pas vu ?

— Excuse-moi de dormir le matin, fit-elle un peu vexée. Mais on est sûr que c'est lui ?

— On l'a trouvé en train de maltraiter Shindô !

Deuxième tintement. Ils venaient d'arriver. Asumi aperçut Fukui qui discutait avec d'autres Insei et se précipita vers lui, Ochi sur les talons.

— Nase ! s'écria-t-il en la voyant. Tu es au courant ?

— Ochi vient de me dire.

— Ochi ?

Fukui sembla enfin remarquer la présence de son ancien camarade et le salua.

— Drôle d'histoire, hein ? J'aurais jamais cru Tôya capable de ça !

— Mais enfin, comment on sait que c'est lui, vraiment ? J'ai du mal à le croire ! On l'a vu pas plus tard qu'avant-hier, et il cherchait Shindô avec nous !

— C'est peut-être une erreur, fit pensivement Fukui. Ou alors il nous a bien roulé pour qu'on ne le soupçonne pas.

— Fukui !

— Bah, si c'est le cas, le coup avec Sai, c'était pas mal joué !

Asumi se renfrogna. À côté d'elle, Ochi releva une nouvelle fois ses lunettes et ricana. Il devait être bien perturbé pour rester discuter de cette manière avec eux, pensa la jeune fille. Ils n'étaient pas assez bons pour disputer des parties de go ou même en parler avec lui, mais des échanges de ragots étaient convenables, n'est-ce pas ? Plus que jamais, elle se jura de tout faire pour parvenir au niveau de professionnel, ne serait-ce que pour rabattre son caquet à ce sale gosse d'Ochi !

— Il faut avouer que Tôya n'a jamais été très normal, continua le garçon à lunettes. Il a toujours été obsédé par Shindô.

— Tu peux parler ! dit-elle avec énervement. T'en connais beaucoup, de garçons « normaux » dans ce milieu, toi ?

Fukui acquiesça.

— C'est vrai que ceux qui ont choisi la voie du go sont pas tout à fait comme les autres... je suppose que ça doit être d'autant plus vrai quand on est un joueur aussi exceptionnel qu'Akira Tôya.

— Mais de là à se comporter comme un pervers et à enlever son rival !

Ils restèrent silencieux.

— C'est vrai que c'est important, un rival, fit doucement Fukui. Si j'en avais un comme ça, j'irais pas tout gâcher en l'enlevant et en le séquestrant.

— Il voulait peut-être le garder pour lui ? hasarda Ochi. Son obsession s'est peut-être changée en possessivité...

— C'est encore plus absurde, l'interrompit Asumi, comment tu veux espérer voir évoluer quelqu'un s'il joue tout le temps avec toi ? Pour progresser au go, il faut jouer sans cesse avec pleins de joueurs différents, c'est la base !

— Qu'est-ce que j'en sais, moi, rétorqua un Ochi piqué à vif, je ne pense pas comme un détraqué !

— Tôya n'est pas un détraqué !

— Je te trouve bien sûre de toi, Nase !

— Ça, c'est parce qu'elle a le béguin pour Tôya, intervint Fukui en riant.

— N'importe quoi ! s'offusqua la jeune fille. Tu me vois craquer pour un garçon plus jeune ?

Son ami prit un air coquin.

— C'est vrai que tu préfères les vieux, comme Ogata Honinbo...

— Fukui !

Elle se mit à le poursuivre, folle de rage. Ils déambulèrent ainsi sur une bonne partie de l'étage, courant comme des enfants. Asumi était la première à trouver ce comportement enfantin ; pourtant, elle le pratiquait de plus en plus souvent avec Fukui depuis que la plupart des personnes de leur ancienne bande étaient partis. Cela les réunissait davantage, quelque part. Fort heureusement pour eux, leur professeur, Maître Shinoda, n'était pas encore arrivé, sans quoi ils auraient eu de sérieux problèmes. Les autres Insei les virent passer en riant ; ils s'étaient déjà habitués aux frasques des deux amis et les laissaient volontiers faire pour se distraire. Ochi renifla avec mépris.

Fukui sauta par-dessus quelques goban et tira la langue. Il rata son dernier saut et buta contre le bord d'un goban au centre de la pièce, le faisant rouler. Asumi poussa un cri.

— Oups, fit Fukui. Je ferais mieux de ranger ça.

Il souleva le goban pour le remettre à sa place ; un morceau de papier s'en échappa et glissa à terre.

— C'est quoi, ça ? fit Asumi en le ramassant.

Ochi s'approcha d'elle.

— Qu'est-ce qu'il y a, Nase ? Tu as trouvé un détritus ?

— Non, on dirait une lettre. Elle est tombée du goban.

— Ça dit quoi ? intervint Fukui.

— Quelle drôle d'écriture, fit-elle remarquer. On dirait un style de calligraphie ancienne. Je me demande pourquoi elle se trouvait là...

— Ça dit quoi, allez ?

Asumi soupira et lut à voix haute.

— « Si Torajiro a existé pour moi, de la même façon, Heihachi a existé pour Hikaru et Hikaru pour quelqu'un d'autre. C'est un cycle sans fin qui durera aussi longtemps qu'il le faudra. » Hikaru... Il s'agit de Shindô ? Et qui sont ces « Torajiro » et « Heihachi » ?

Fukui se gratta la tête.

— C'est peut-être des membres de la famille de Shindô ? Ses ancêtres ?

— Oui, mais qui a écrit ce truc ?

Ils échangèrent des regards confus.

— Tu crois qu'ils acceptent les visites de la part de connaissances, au commissariat ? dit Fukui.

— Pourquoi tu veux savoir ça ?

— Ben, je me disais que Tôya...

— C'est un criminel ! gronda Ochi.

— Je crois surtout que c'est celui de nous tous qui comprend le mieux Shindô, dit Fukui en hochant la tête. Après tout, c'est son rival, non ?

— Et ça change quoi ?

Fukui sourit.

— Peut-être rien, dit-il doucement. Mais je crois qu'il serait le seul capable de remuer ciel et terre pour Shindô. Si cela le concerne effectivement, il a le droit de savoir, criminel ou pas.

— C'est absurde, comme raisonnement !

— Si j'avais un rival, j'aimerais qu'il sache.

— Savoir quoi ? T'es vraiment tordu, Fukui !

Le jeune garçon se mit à rire... puis il empocha le bout de papier.

— De toute façon , c'est moi qui l'ai trouvé par accident, dit-il sur un ton sans réplique. Il est donc à moi et moi seul peut décider de ce que je vais en faire.

Asumi soupira et laissa le soin à Ochi d'essayer de reprendre le message. Elle connaissait assez Fukui pour savoir qu'il était inflexible quand il employait ce ton. Qu'Ochi et Fukui s'amusent tant qu'ils le veuillent, ça ne la regardait plus !

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Koji Saeki sentit poindre un mal de tête abominable. Il fallait dire que son maître n'avait pas cessé de hurler depuis son arrivée à l'hôpital Seibo : vers les journalistes qui étaient venus aux nouvelles, attirés par la perspective d'un joli scandale, vers le personnel de l'hôpital qui lui demandait de baisser le ton par égard pour les malades, vers les policiers qui refusaient de les laisser voir Shindô et Tôya.

— Mais puisque je vous dit que nous sommes presque de sa famille ! cria-t-il aux agents stationnés devant le couloir où se trouvait la chambre des deux garçons. Je suis son maître d'étude, bon sang !

— Je suis désolé, mais seule la véritable famille est admise dans ce secteur.

— Je vous ferai tous renvoyer ! tonna une dernière fois Morishita avant que Koji ne trouve la force de le traîner loin de l'endroit avec l'aide de Waya et d'Isumi.

Ils s'assirent avec plus ou moins de calme dans une salle d'attente située au même étage. Isumi partit chercher des rafraîchissements.

— C'est moche, quand même, ce qui arrive, dit Koji. Je me demande ce qui a bien pu passer par la tête de Tôya.

— Rien du tout, scanda Morishita, puisque ce n'est pas lui qui a enlevé Shindô !

Waya grogna.

— Je ne vois pas pourquoi. Il avait un mobile et il en est capable.

Il eut droit à un coup d'éventail sur la tête de la part de Morishita. Choqué, Waya se frotta la tête en lançant un regard indigné vers son maître.

— Quand je dis que ce n'est pas lui qui a fait ça, ce n'est pas lui, ok ?

— Mais Maître... tout est contre lui ! La police dit qu'on l'a retrouvé avec Shindô !

— Eh bien, c'est qu'il a réussi son enquête et qu'il l'a retrouvé avant tout le monde, c'est tout ! Au contraire, on devrait le remercier !

Koji s'étonna.

— Maître, depuis quand vous avez une si haute estime d'un Tôya ?

Morishita fit une grimace.

— Moi ? Jamais de la vie ! Mais je ne trouve pas juste d'inculper ce jeune homme alors qu'il n'a rien fait. Je suis persuadé que le coupable est quelqu'un d'autre.

— Qui alors ? intervint Waya. Ils n'ont trouvé personne d'autre ! Et si c'est le cas, il se balade encore dans la nature !

Koji fronça les sourcils. L'éventualité qu'il y ait un fou psychopathe lâché dans la ville ne l'enchantait guère. Qui sait ce dont cet homme serait capable en apprenant que sa victime lui avait échappée ?

— Alors Shindô est peut-être encore en danger ! s'écria-t-il, horrifié.

Waya pâlit considérablement. Ce fut à cet instant qu'Isumi revint avec les boissons.

— L'endroit est rempli de journalistes, dit-il en donnant à chacun sa canette. Heureusement, la police et le personnel de l'hôpital ont bouclé cette partie de l'étage. Apparemment, on leur a dit de ne laisser rentrer que des proches.

— Alors comme ça, dit Morishita, on est assez proches pour les alentours mais pas assez pour la chambre ?

— Il faut croire.

Morishita se plongea dans une réflexion intensive. Koji vit Waya et Isumi échanger un regard complice qu'il ne comprit tout d'abord pas, jusqu'à ce que les deux hommes se prennent la main et se plantent devant le professionnel 9-dan.

— Maître, je sais que ce n'est pas le moment, mais Shinichiro et moi avons quelque chose à vous dire...

Koji sourit. Il était temps que ces deux-là se mettent enfin ensemble ! Il les avait vu se tourner autour pendant des mois. Cela l'avait amusé et agacé en même temps. La relation qu'avait eue Waya avec Shigeko avait certes été plaisante pour leurs familles, mais Koji savait mieux que quiconque qu'ils n'étaient pas faits l'un pour l'autre. À cette heure, la jeune fille attendait sans doute qu'il l'appelle pour qu'il la rassure sur le sort de son père... Il avait promis à sa nouvelle petite amie de veiller sur lui et sur Waya aussi. Il hocha la tête en direction de son ami et lui affirma son soutien du regard. Waya parut un peu moins nerveux.

— Voilà, vous savez sans doute que Shigeko et moi avons rompu. Je sais qu'elle est maintenant avec Saeki, mais il y a autre chose qu'il vous faut savoir...

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Pour la deuxième fois en vingt ans de carrière aux horaires réglés comme du papier à musique, Masao Shindô quitta son travail plus tôt que prévu, sans prendre le temps d'en informer son supérieur. Il n'était pas sûr de pouvoir s'en tirer à si bon compte cette fois-ci, malgré la gravité de la situation ; son supérieur actuel était beaucoup moins compréhensif que l'ancien. Tant pis, il s'arrangerait pour faire du zèle un peu plus tard. Il ne pouvait pas se permettre de perdre son travail, pas si l'état de Hikaru s'annonçait aussi critique que ce que les sanglots de sa femme au téléphone lui avaient fait comprendre. L'espace d'un instant, il eut l'impression de revivre une seconde fois les mêmes événements d'il y a huit ans, à quelques détails près. Cela le mortifia. À croire que le sort s'acharnait sur leur modeste famille ! Pourtant, Masao réussit à garder son sang-froid. La première fois l'avait pris par surprise mais à présent, il était plus mûr et surtout mieux préparé. Les doux rêves qu'il avait eus durant sa jeunesse, cette confiance ridicule qu'il avait mise dans la perception de son avenir avaient été étouffés depuis longtemps par la réalité.

Il se souvenait encore des événements de cette journée. Sa femme lui avait vaguement parlé du voyage scolaire de Heihachi ; il n'y avait pas fait attention à cause d'un dossier en retard qui lui occupait l'esprit. Il était parti travailler très tôt en s'imaginant rester après les heures de bureau pour boucler cette affaire. Un coup de fil l'avait surpris à midi : sa femme lui avait annoncé en pleurs que le bus de leur fils s'était renversé et qu'il n'y avait eu qu'un unique survivant. On avait besoin d'eux pour identifier la dépouille de Heihachi, si dépouille il y avait. Le monde de Masao s'était effondré à ce moment-là. Il avait lâché le combiné sans même prendre la peine de raccrocher et était parti à l'hôpital sous les regards interloqués de ses collègues de travail. Le trajet lui avait semblé durer des heures, alors que quarante minutes à peine s'étaient écoulées. Il avait trouvé sa femme en compagnie d'un couple aux traits tirés, les Morimoto. Le médecin en charge leur avait dit que l'unique enfant encore en vie était impossible à identifier ; selon toute probabilité, il était soit Heihachi Shindô, soit Sai Morimoto. Le tirage au sort qu'ils avaient effectué pour déterminer à quelle famille reviendrait l'enfant avait failli très mal se tourner ; Mme Morimoto en avait d'ailleurs perdu la raison.

Aujourd'hui, Masao se trouvait de nouveau dans un taxi le menant à l'hôpital Seibo. Il savait que Morimoto devait très probablement se trouver en compagnie de Mitsuko ; l'inspecteur avait insisté pour s'occuper du cas de Hikaru et très franchement, il n'aurait pas pu demander mieux. L'homme était dévoué à cet enfant comme s'il se fût agi du sien. Masao ne pouvait guère l'en blâmer : eût-il été à sa place, il aurait suivi la croissance de Sai Morimoto avec la même ferveur. Hikaru était le fils de ces deux familles ; même après lui avoir donné son nouveau nom, personne n'avait eu le coeur de le réclamer entièrement.

Il fut accueilli par le même médecin qui s'était occupé de Hikaru huit ans auparavant. L'histoire se répétait ; il frémit en pensant aux épreuves que son fils avait eues de nouveau à subir. Kenji Fujiwara le salua et le mena dans la chambre de Hikaru. Mitsuko s'y trouvait déjà ; elle se précipita dans ses bras en le voyant arriver et y resta, pleurant toutes les larmes de son corps. Un coup d'oeil en direction du lit le fit frémir.

Hikaru se trouvait là, mais il était plus aminci et plus pâle que dans ses souvenirs. On lui avait branché un appareil respiratoire et on l'avait mis sous perfusion ; des bandages et pansements couvraient en abondance son corps. Masao serra les dents.

— Qu'est-ce qu'il a ? demanda-t-il.

— Il est épuisé et souffre de malnutrition et de déshydratation, répondit Fujiwara en consultant son bloc-note. Il a aussi diverses contusions sur le corps et un début d'infection, mais rien qui ne puisse se soigner avec un peu de repos et un régime approprié. En fait, ce n'est pas son état physique qui m'inquiète...

— Comment ça ? fit-il d'une voix blanche.

— Eh bien...

Un bruit venant de la porte leur fit tourner la tête. Masao remarqua d'un air distrait que les cheveux de Fujiwara, qui étaient déjà très longs huit ans auparavant, atteignaient à présent le milieu de son dos. Était-ce bien réglementaire pour un médecin ? Il secoua la tête et sa main chercha celle de Mitsuko.

— Désolé de vous déranger, fit la voix de Morimoto à l'entrée. Le gamin voudrait voir Hikaru.

— M. Morimoto, je vous ai déjà dit que j'ai un nom, dit alors un jeune garçon au visage délicat en s'avançant dans la chambre.

Masao fronça les sourcils. Il sentit sa femme se raidir dans ses bras.

— Pardonnez mon insolence, dit-il en s'inclinant, mais j'espérais voir Shindô à son réveil.

— J'ai bien peur que cela ne se fasse pas avant un bon moment, dit Fujiwara. Vous ne devriez pas être allongé, vous aussi, jeune homme ?

— C'est ce que je lui ai dit, mais cette tête de mule ne veut rien savoir, grogna Morimoto. Il insiste pour rester au chevet de Hikaru.

Masao ne savait plus quoi penser.

— Qu'est-ce qui se passe, à la fin ? s'écria-t-il. Que fait ce garçon ici ?

Morimoto toussa et s'avança vers lui.

— Akira Tôya, professionnel de go 5-dan et aussi le rival de Hikaru, si j'ai bien compris.

— Lui ? Pourquoi se trouve-t-il ici ?

— Il n'aurait pas dû, normalement, mais voyez-vous Masao, les circonstances font qu'on a un peu besoin de lui. Hikaru a besoin d'être soigné.

— N'est-ce pas ce que vous faites déjà ? dit-il en se tournant vers Fujiwara.

Celui-ci parut gêné.

— Je vous l'ai dit, physiquement, il n'y aura aucune complication. Par contre, j'ai bien peur que Hikaru ait besoin de soins psychiatriques.

— Hikaru ?

— Oui. J'en suis le premier navré. Malheureusement, nous n'avons pas pu diagnostiquer son mal à temps et cela a causé du souci à tout le monde et lui a presque coûté la vie. Mais nous allons faire en sorte que cela n'arrive plus, avec votre aide et celle des personnes de cette pièce.

Masao retint son souffle.

— Je suis désolé de vous dire ça, continua le médecin, mais j'ai bien peur que Hikaru souffre d'un trouble mental assez grave dans son cas. Je suppose que vous avez déjà entendu parler par les médias de la schizophrénie ?

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Kaori Fujiwara était une femme comblée, aussi bien sur le plan professionnel qu'affectif. Elle était l'heureuse gérante d'un café situé en plein centre-ville qui marchait assez bien ; son mari était un homme charmant qui travaillait en tant que médecin à l'hôpital Seibo à Shinjuku. Ils s'étaient rencontrés deux ans auparavant lorsque Kaori s'était cassée la jambe suite à un accident de la route ; Kenji avait été assigné comme son médecin traitant. Ils s'étaient si bien entendus qu'elle avait accepté sans problème un rendez-vous à sa sortie de l'hôpital. Dix mois plus tard, ils s'échangeaient leurs voeux devant le maire.

Elle vérifia la bonne tenue de sa coiffure et aspira un grand coup pour se donner de la contenance. Keiji serait si heureux en la voyant ! Elle avait spécialement fait le chemin depuis son café pour lui apporter ses chocolats de St-Valentin. Elle remarqua en entrant dans le hall que le personnel s'était donné la peine de décorer l'hôpital aux couleurs de la fête, roses et rouges, coeurs et rubans. Elle rit. Son ventre rebondi se fondait parfaitement dans le décor, au milieu des ballons.

— Kaori ? fit Mme Makino, l'infirmière-en-chef, en la voyant. Que faites-vous ici, dans votre état ?

— C'est le meilleur endroit pour moi, au contraire ! dit-elle en riant de plus belle. Savez-vous où est Kenji ? J'ai une surprise pour lui.

Et ce disant, elle brandit le paquet couleur or qu'elle avait mis tant de temps à envelopper correctement. À l'intérieur se trouvaient une vingtaine de chocolats faits maison qu'elle avait préparé en cachette à son café. Mme Makino sourit et regarda son carnet.

— Voyons, à cette heure il est encore en consultation avec les Shindô, dit-elle. Mais je ne pense pas que votre présence soit un problème. Vous pourriez l'attendre dans la salle d'attente, vous ne pouvez pas le manquer. C'est au cinquième étage, section bleue.

— Merci bien.

Elle s'inclina et marcha à pas lents en direction de l'ascenseur. Il fallait qu'elle fasse attention : à huit mois de grossesse, il était risqué pour elle de s'aventurer dans des endroits trop encombrés, quand le moindre choc pouvait mettre en danger son bébé. Pourtant, elle avait absolument tenu à respecter la tradition de la St-Valentin.

Atteindre la bonne partie de l'hôpital ne lui prit que cinq minutes. Elle s'installa confortablement sur un siège et sortit un livre. Sa meilleure amie le lui avait conseillé lorsqu'elle lui avait dit qu'elle s'ennuyait et cherchait des activités calmes pour passer le temps. Chieko Sakurano était professionnel de go 3-dan, il ne lui avait donc pas été difficile de lui trouver un bon livre pour débutants, afin qu'elle puisse se mettre au jeu. Kaori avait tout d'abord accepté avec réticence : pour elle, le go était un jeu de vieillard sans intérêt, mais elle n'avait pas voulu vexer Chieko et avait pris le livre sans y penser. Elle eut largement le temps de réviser son opinion. Le go était en fait un jeu passionnant, doté de subtilités insoupçonnées qui l'enchantèrent. Elle espérait bien commencer à jouer à un niveau plus actif une fois le bébé né.

Une balle roula à ses pieds alors qu'elle avait les yeux baissés sur l'ouvrage. Elle ressemblait à ces jouets d'antan, en tissu joliment décoré. Kaori la ramassa et leva les yeux. En face d'elle, se trouvait un jeune garçon aux yeux doux, habillé dans un kimono d'homme sobre mais coûteux. Ses cheveux noirs lui tombaient jusqu'aux épaules et certaines mèches lui cachaient les yeux ; il ne semblait pas s'en soucier. Il lui fit un sourire énigmatique et pointa le doigt vers la balle.

— C'est à moi, fit-il.

— C'est vrai ? dit-elle gentiment.

Elle lui tendit l'objet avec le sourire. Le garçon l'attrapa d'un geste vif. Ses yeux étaient rivés sur le livre qu'elle tenait à la main.

— Go, fit-il.

— Ah. C'est un livre sur le go. Vous vous y intéressez ?

Il souriait encore.

— Oui.

— C'est une amie qui me l'a conseillé. Je ne sais pas encore tout à fait bien y jouer, mais j'aimerais bien essayer.

Il tendit la main la posa sur le ventre rond de Kaori. En temps normal, la jeune femme détestait qu'on la touche sans sa permission. Pourtant, sans qu'elle sache pourquoi, elle ne s'en offusqua pas. Un sentiment rassurant l'envahit.

— Sai, chuchota le garçon.

Une larme unique coula du coin de son oeil droit et alla se perdre dans le col de son kimono. Kaori fixait le visage du garçon, fascinée. Elle voulut lui parler encore, mais ce fut à ce moment qu'une douleur fulgurante lui traversa le bas-ventre. Un flot liquide coula de son entrejambe. Elle se mit à paniquer.

— Pas maintenant !

Des voix s'agitaient au loin. Levant les yeux, elle aperçut un groupe de gens parmi lesquels se trouvait son mari, courir vers eux avec des expressions horrifiées.

— Hikaru ! s'écria un jeune homme aux longs cheveux noirs et au visage délicat de fille. Qu'est-ce que tu as fait ?

Le garçon qui lui avait touché le ventre sourit. Le nouveau venu le prit dans ses bras ; Kaori pouvait l'entendre gronder faiblement Hikaru à travers la douleur.

— Kaori ! cria Kenji en accourant près d'elle, affolé. Tu vas bien, ma chérie ?

Elle lui fit un maigre sourire et s'affala au sol en poussant un cri.

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Hikaru sourit aux gens autour de lui. Akira le berçait et lui chuchotait des mots tendres. On le ramena dans sa chambre. Il était parti alors qu'ils avaient le dos tourné ; il le savait, il fallait qu'il aille par là-bas, quelque chose l'y attendait, quelque chose d'heureux. Lumière. Chaleur. Il avait fait rouler la balle qu'Akira lui avait offerte et l'avait suivie.

La dame attendait. Elle avait l'air gentille. Un livre sur le go. Sa balle dans la main. Sai dans son ventre. Il rit.

— Qu'est-ce que tu as fait, Hikaru ? demanda Akira.

Il rit.

On venait le voir dans l'ordre. Il y avait d'abord ses parents. Sa mère, triste. Son père, perdu. L'homme au manteau, l'espoir dans ses yeux. Il leur souriait et ils repartaient plus tristes. Puis des amis ; n'importe quel ami. Il jouait parfois avec eux et les battait tout le temps au go. Sai. Akira l'appelait parfois Sai, mais il n'était pas Sai. Sai était parti.

— Il est toujours là, lui disait Akira, dans ton go, Hikaru. Tu es Sai. Tu l'as toujours été, au fond de toi, même si tu ne le savais pas.

Chaleur. Akira était chaleur. Il se blottissait contre lui et se réfugiait dans son coeur.

— Souviens-toi, Hikaru. Sai était un homme avec un grand chapeau. Il t'a appris à jouer au go.

— Sai m'a appris à jouer au go, répétait-il.

— Mais Sai n'a jamais vraiment existé. C'est toi qui l'a créé, Hikaru.

— C'est moi qui ai créé Sai.

— Tu es Hikaru. Ni Heihachi, ni Sai, juste Hikaru. Mon Hikaru.

— Je suis Hikaru, disait-il.

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— Comment va-t-il ? demanda Koyo en fronçant les sourcils.

Akira soupira et remonta la couverture sur le corps de Hikaru.

— Il s'est endormi. Son état n'a pas changé.

— Et l'épouse de Fujiwara ?

— Elle est en salle d'opération. Il paraît qu'elle va accoucher prématurément.

— C'est Hikaru qui a causé ça ?

— On l'ignore. J'espère que non. Ce serait un bien mauvais remerciement pour tout ce que le docteur Fujiwara a fait jusque-là.

Koyo prit une chaise et s'assit à côté de son fils. Comme il avait changé en quelques mois ! Akira avait décidé de laisser pousser ses cheveux pour rappeler un peu à Hikaru ce Sai qui l'avait hanté pendant près de trois ans, et qui n'avait été en fin de compte qu'une chimère inventée par son esprit malade. Akira l'avait compris après les découvertes qu'il avait faites sur le passé de Hikaru et les motivations qui l'avaient animé.

— C'est quand même dingue, qu'il ait été malade durant tout ce temps et que personne n'ait rien vu, murmura-t-il.

— Ce sont les symptômes de la schizophrénie, dit Akira. Quelqu'un d'atteint peu très bien vivre au milieu de ses pairs sans attirer immédiatement l'attention. Pendant ce temps, il se créait son propre univers avec des personnages fictifs et une idée faussée de la réalité. N'empêche, le cas de Hikaru est un peu différent des autres, selon Fujiwara.

Koyo ricana.

— Décidément, même dans sa folie, ce garçon ne peut pas être comme les autres.

Il regretta sa remarque en voyant l'expression peinée que prit Akira.

— Je suis désolé...

— Non, ça va aller, dit son fils en secouant la tête. C'est vrai qu'il n'est pas comme les autres.

— Si tu as besoin de quoi que ce soit, dit Koyo avec un soupir, sache que nous sommes là pour vous deux, Seiji et moi.

Akira lança une oeillade coquine à son père.

— J'en déduis que tout va bien entre Ogata et toi ?

Koyo ne put s'empêcher de rougir.

— Je...

— Ne t'inquiète pas, dit Akira avec affection. Ogata m'a déjà téléphoné pour m'annoncer la nouvelle. Tu emménages bientôt ?

— Tout est déjà prêt, répondit Koyo avec gêne. Je pourrais y aller dès ce soir.

Le visage d'Akira prit une expression sombre.

— Et Mère ? Qu'en dit-elle ?

— Elle n'a pas son mot à dire, asséna Koyo d'un ton sec.

— Je sais, mais...

— Je croyais que tu ne voulais plus lui parler, dit Koyo. À cause de ce qu'elle a fait à Hikaru.

Akira secoua la tête.

— Je sais qu'elle n'a pas vraiment voulu nous nuire, souffla-t-il, mais je ne peux pas lui pardonner, pas encore...

— Elle pensait bien faire.

— Et à cause de ce qu'elle a dit à Hikaru, il a sombré dans sa folie.

Koyo hocha la tête et se tut. Il n'avait plus aucun sentiment amoureux pour son ex-épouse ; pourtant, il ne pouvait s'empêcher de vouloir la défendre auprès d'Akira. Elle restait sa mère, quoi qu'ils fassent.

— Hikaru a retrouvé la mémoire de cette scène, fit brusquement Akira. Il a passé un jour entier à hurler jusqu'à en perdre la voix. Elle l'a traité de tous les noms, tu sais. Elle lui a dit que c'était à cause de lui si j'étais un mauvais garçon et que j'allais brûler en enfer à cause de ça. Elle n'aurait pas été là, Hikaru ne serait jamais parti !

— Elle ne savait pas, fit Koyo d'une voix raisonnable. Elle pensait te protéger.

Koyo vit Akira serrer les poings.

— Tu sais ce qui est pire ? dit-il d'une voix crispée. Elle ne l'aurait pas rencontrée au bas de mon immeuble ce jour-là, il serait monté me voir et je lui aurais avoué mes sentiments. Cette histoire aurait eu une fin heureuse. Et ça, je ne peux pas lui pardonner.

Koyo détourna les yeux.

— Je comprends. Sache seulement que si tu veux lui parler de nouveau un jour...

— Non. Pas encore.

— Je...

Le téléphone d'Akira vibra. Surpris, il décrocha en s'excusant.

— Allô ?

Koyo regarda la silhouette endormie de Hikaru en attendant. Le jeune garçon avait perdu la teinture blonde à l'avant de ses cheveux et les avait à présent entièrement noirs. C'était un peu dommage, quelque part ; son entourage s'était habitué à sa drôle de coupe. Akira passait tout son temps libre à l'hôpital et travaillait à sa guérison. Bien que moins instable qu'au début de son hospitalisation, Hikaru avait encore des réactions trop étranges pour qu'il puisse revenir vivre en société.

— C'était Waya, fit Akira en raccrochant. Il paraît que Sai a joué contre un professionnel nord-coréen sur le Net.

— Encore cette histoire ? Fujiwara n'a rien dit à ce sujet ?

Akira fit la grimace.

— Personne n'y comprend rien, même lui.

— C'est dingue, quand même. Il dort vraiment ?

— Il n'y a aucun doute.

— Et il arrive à jouer sur le Net, comme ça, sans connexion, sans même savoir qu'il le fait...

Akira ferma les yeux.

— C'est un mystère du cerveau humain, mais je dois avouer que je n'ai rien contre. Sai ne m'aurait pas contacté ce jour-là sur mon ordinateur, je ne sais pas si j'aurais trouvé Hikaru.

— Tu crois que...

— Quelle importance ?

Akira caressa la joue de Hikaru d'un geste tendre. Une brise légère s'engouffra par la fenêtre ouverte et fit voler les cheveux de l'endormi autour de son visage, formant un halo sombre qui le fit ressembler à un ange déchu. Koyo écarquilla les yeux, fasciné.

— Il y a tant de choses que j'ignore encore sur Hikaru, murmura Akira. Mais très franchement, je m'en fiche. Je veux juste rester avec lui, tant qu'il me le permet. Heihachi a existé pour lui, alors il peut bien exister pour moi.

Hikaru sourit dans son sommeil. Ses lèvres bougèrent. Akira se pencha vers lui et entendit un nom.

Sai.

Quelque part à l'autre bout de l'hôpital, un petit garçon vint au monde.

FIN