Chapitre 17
Le lendemain matin, un domestique de la maison Ilch appela Tesla pour l'informer que l'avocat de la famille passerait à la demeure vers 11h00 pour y déposer les papiers de destitution. Joseph vint le chercher, prétextant une course de dernière minute pour se faufiler hors de la maison et attendit dans la cour de la demeure Ilch comme deux jours plus tôt.
On escorta Tesla jusqu'au salon, ou le reste des Ilch et l'avocat se trouvaient. Ce dernier détala ce que stipulait la déclaration de destitution et attendit. Personne ne parla. La pièce, si grande, paraissait se réduire petit à petit. Comme un étau se resserrant autour de Tesla. Plus rien ne le retiendrait. Rien ne lui appartenait ici. Même la tapisserie avait plus de valeur aux yeux de ses parents que sa propre vie. Il ne regretterait rien de cette maison. Rien de cette vie.
-Quelqu'un aurait un stylo ? Demanda-t-il soudain.
-Tenez.
Une fois les papiers signés et une copie attribuée à chacune des parties, une à Tesla et une autre à ses parents devenus juridiquement des inconnus, un poids énorme sembla se soulever de sa poitrine. Était-ce vraiment fini ? Avait-il enfin tiré un trait sur tout ça ? Non, il manquait...
-Une dernière chose. Déclara-t-il en sortant de la pièce. J'aimerais récupérer mes affaires. Si ce n'est pas trop demander.
-Si tu disparais après ça, fait donc. Mais personne dans cette maison ne t'aidera à tout transporter.
-Pas besoin d'aide Monsieur Ilch. Lança-t-il à son ex père, si cela se disait.
Tesla se dirigea vers l'entrée et demanda à Joseph de le rejoindre d'un signe de la main. Ils contournèrent tous deux la demeure, qui paraissait pour une fois bien petite aux yeux du blond. Un dernier tour de ce qui fut son enfer personnel. Ils traversèrent les jardins qui s'étendaient à perte de vue. Pensant ressentir de la tristesse, du dégoût, de la nostalgie, ou même de la colère en revoyant le théâtre de sa vie... Quelque chose, mais non. Rien ne lui vint d'autre que la joie de partir pour de bon.
-Mademoiselle ?
-Oui ?
-Vous n'avez pas dit que vous aviez besoin d'aide pour récupérer vos affaires ?
-Si. *jette un regard à Joe qui le regardait avec un air d'incompréhension * je ne logeais pas dans la demeure principale.
-Oh...
La bien séance du majordome empêcha Joseph de faire la moindre remarque. Ce trait de caractère était très appréciable chez l'homme. Ils arrivèrent au petit étant au fond de la propriété, là où Tesla aimait se réfugier petit. Puis ils entrèrent dans la résidence réservée aux domestiques et située un peu plus loin. En entrant, le peu de domestiques qu'ils croisèrent ne leur fit qu'un rapide salut avant de s'éclipser comme pour éviter une peste virulente.
Joseph s'abstint de tout commentaire à nouveau, aux côtés de Tesla, qui poursuivit son chemin comme si cela ne l'offusquait pas. Non, plutôt comme s'il était trop habitué à cette situation pour en être affecté. Ils se rendirent à l'étage, tournèrent au bout du couloir. Joe toujours sur les talons, le blond s'arrêta devant une petite porte, digne d'un placard. Il hésita un moment avant de l'ouvrir. Puis il entra dans la pièce. Elle était sombre, la fenêtre tout au fond ne laissant pas bien filtrer la lumière du soleil extérieur. Comme cela avait toujours était le cas.
Et, oui, il avait eu raison sur ce point, personne n'était entré ici. Rien n'avait bougé de place, et l'air sentait le renfermé. La porte grinça en se refermant légèrement derrière eux. Ce grincement si familier. Il ne l'entendrait plus non plus. Jamais.
-Je vais juste récupérer quelques habits. Tu peux me tenir le sac de voyage s'il te plaît ?
-Avec plaisir Mademoiselle.
Joseph observait de loin la petite pièce médiocre dans laquelle Tesla avait passé le plus clair de sa jeunesse. Une chambre de bonne à Paris était plus grande, sans l'ombre d'un doute.
{comment avait-il pu supporter ça si longtemps?}
Tesla se pencha vers un petit meuble sur lequel étaient pliés avec soin des costumes aux couleurs pastel et aux imprimés fleuris. Il se redressa avec la pile de vêtement et les déposa dans le sac que Joseph lui tendait. Puis il inspira un grand coup, fermant les yeux. Il se remémora les nuits passées ici. Enfant, les premières nuits qu'il avait passées dans cette pièce froide lui avaient paru insensées, insurmontables. Passant d'un cauchemar à un autre, nuit après nuit. Puis au fil des semaines, des mois, il l'avait chérie comme la seul zone neutre de sa vie. Le seul endroit avec le jardin ou il ne risquait rien. Car personne ne le voyait et ne venait le chercher quand il se trouvait là.
Rouvrant les yeux, il se déplaça dans la chambre, prit les deux paires de chaussures qui trônaient dans un coin, et les ajouta au sac de voyage.
-Allons y.
Ils firent le chemin en sens inverse, admirant une dernière fois ses jardins qui lui avaient autrefois apporté un peu de réconfort. Dans un ultime adieu.
-Je suis navré Mademoiselle. Lâcha Joseph tout à trac.
-Pour quoi ?
-Pour tout ça. Vous êtes une personne très forte, je comprends pourquoi Monsieur vous affectionne tant.
-Je vais bien. Maintenant je vais bien. Alors tu garderas ça pour toi d'accord ? Je ne veux pas que les autres soient au courant.
-Bien entendu. Tout ce que vous voudrez Mademoiselle *s'incline profondément*
-J'aimais beaucoup les jardins. C'était ma bulle de sécurité, de réconfort.
-Est-ce pour cela que vous y passez beaucoup de temps, chez Monsieur ?
-Oui, mais c'est différent. À la maison, je mis sent bien. Mais je ne cherche pas à fuir quoi que ce soit. Ou qui que soit. C'est plus un divertissement qu'une échappatoire.
-Je vois.
-Et si on rentrait maintenant, je n'ai plus rien à faire ici !
-Bien. Monsieur sera content de vous voir.
-Moi aussi. Mais avant...
-Oui ?
-Nous avons deux petits détours à faire.
Dans un premier temps, Tesla embarqua Joseph au centre-ville, direction une boutique bien spécifique. À la devanture, le majordome se décomposa.
-Heu... Mademoiselle, nous sommes déjà bien chargés. Pensez-vous que ce soit le moment de faire du shopping ?
-Tu es le premier à dégainer la carte bleue d'habitude !
-Oui mais, c'est à dire que...
-Je vais juste acheter une robe, pour me changer. Reste dehors si tu veux.
-Vous plaisantez ! Je ne vais pas vous laisser là-dedans, toute seule. Monsieur me tuerait si je ne vous escortais pas comme il se doit.
Dix minutes plus tard le jeune homme se rendit dans une cabine et se changea. Non sans peine.
-Mais bon dieu, tu vas te mettre correctement oui !
-Mademoiselle ?
-Quoi ?!
-Êtes-vous sûr de ne pas vouloir que je vous aide ?
-Sûrement pas ! J'ai dit que je mettrais ces bas moi-même, j'y arriverais ! Même si je dois y passer la semaine entière.
Un silence de mort régna quelques minutes avant que...
-Bon Dieu mais comment font les demoiselles pour les enfiler avec autant de dextérité ?!
Après une bataille acharnée de plusieurs dizaines de minutes en cabine d'essayage, Tesla et Joseph sortirent de la boutique. Une nouvelle robe blanche en dentelle bleu ciel sur le dos et des jarretelles et bas derniers cris aux jambes. Sans oublier les souliers à talons plats.
-Je suis arrivé à bout de ses engins de torture finalement ! S'exclama fièrement Tesla, le sourire aux lèvres.
-Vous êtes sûr que vous ne voulez pas un rafraîchissement ? Vous semblez exténuée.
-Ça ira. Je demanderais un verre d'eau aux sœurs quand nous serons à l'orphelinat.
-Comme vous voudrez.
Ils reprirent la route, déposant une valise remplie de robes à l'orphelinat des jeunes filles de Sainte-Sophia qui se trouvait à une dizaine de kilomètres de la demeure Von Lelle. Cet orphelinat était réputé pour prendre soin de ses filles. Les sœurs étaient très gentilles et attentionnées envers les enfants qu'elles recueillaient. Jin donnait régulièrement de l'argent à l'orphelinat, comme ses parents avant lui, pour les rénovations du bâtiment, la nourriture ou l'achat de fournitures pour les jeunes filles.
Le bâtiment était un ancien monastère, classé au patrimoine mondial. Il était d'une grande beauté. La façade était composée de moulures faites mains et la pierre, si blanche, lui donnait une dimension mystique hors du commun. La cour intérieure était à couper le souffle. Un véritable puits de lumière au milieu des arches et de la végétation qui emplissaient l'espace.
-Une véritable bulle hors du temps.
-Je vous demande pardon ? Demanda la mère supérieure qui les accompagnait pour leur faire visiter les lieux.
-Oh rien... Rien du tout. Je me disais juste que cet endroit est magnifique.
-N'est-ce pas ? C'est la petite Natalia qui s'occupe majoritaire de la cour intérieure. C'est une jeune fille très aimable et très serviable. La pauvre enfant est ici depuis ses 4 ans. Mais elle ne s'est jamais plein et a toujours aidée les sœurs et les nouvelles arrivantes du mieux qu'elle pouvait.
-Elle peut être fière de son travail *souri *
-Elle sera ravie d'entendre vos compliments. Et, pour ce qui des robes... Elle sont vraiment d'une grande manufacture. Êtes-vous sûr de vouloir vous en séparer ?
-Ça me fait plaisir. Je préfère qu'elles servent plutôt qu'elle reste dans un placard à faire tapisserie. Veuillez les accepter, avec toute ma gratitude, pour tout le travail que vous effectuez ici. Et puis je suis sûr que les filles seront ravies d'avoir de nouveaux vêtements.
-C'est trop je... Merci *s'incline devant la moue insistante de Tesla* infiniment.
-Ce n'est rien, vraiment. Je repasserais de temps à autre, pour faire connaissance avec vos filles. Si ça ne vous dérange pas bien évidemment.
-Oh mais non. Nous serons ravis d'avoir de la visite. Surtout les filles.
-Parfait. Je vais vous laisser maintenant. Bonne journée.
-À vous aussi, et merci.
Après un au revoir polis, échangés avec la mère supérieur de l'orphelinat, les deux hommes reprirent la route jusque la demeure des Von Lelle.
La maison. Enfin. Vers 17h, la voiture s'engagea dans l'allée principale et s'arrêta sur le côté de la demeure. Attendant que Joseph vienne lui ouvrir, Tesla sentit une impatience s'emparer de lui. Comme s'il était parti depuis des mois. Il descendit rapidement de la voiture et n'attendit pas le majordome pour monter les escaliers de l'entrée et ouvrir la porte.
-Mademoiselle ! Oh mon... Vous êtes ravissante. S'exclama la domestique d'un air surpris.
-Nina. Bonjour à toi. Peux-tu me préparer du thé s'il te plaît ?
-Bien sûr Mademoiselle.
-Comment va-t-il ? *Nina secoua la tête de dépit * je vois. Où est-il ?
-Dans la bibliothèque. Il n'en a pas bougé depuis votre départ. Il n'a pas mangé non plus. Et il est... Méchant.
Nina disparue dans la cuisine et laissa Tesla qui prit la direction de la bibliothèque. Il ouvrit la porte délicatement et entra dans la pièce au moment où une tasse vola dans sa direction.
-J'ai dit que je voulais avoir la paix !
La tasse s'écrasa contre l'encadrement en bois de la porte, laissant Tesla penaud un moment. Jin était assit sur le fauteuil où lui-même s'asseyait d'ordinaire et il ne lui adressa pas un seul regard.
-Eh bien ! Je pars à peine trois jours et je retrouve la maison sans dessus dessous. S'exclama-t-il d'un coup.
Jin tourna brusquement la tête vers lui et l'expression qu'il affichait lui rappela un enfant mi apeuré mi joyeusement surpris.
-Que... *se lève * on vient m'arrêter ?
[mais que s'est-il imaginé pendant mon absence au juste ? Que j'étais allé voir le FBI ?]
-Je serais travestie si c'était le cas selon toi ?
-Mais.. Tu es parti.
-Oui, trois jours. *soupir * et pour ta gouverne, c'est toi qui m'as mis dehors. Moi je t'ai juste demandé si je pouvais voir ma famille. Enfin ce n'est plus vraiment le cas, mais passons veux-tu. Comment as-tu pu penser que je me faisais une joie de partir pour retourner là-bas? Non, plus important encore... *pointe du doigt le cadavre de la tasse, désormais brisée, sur le sol* depuis quand jette-on la porcelaine de chine sur les gens !
-Tesla... *se rapproche de lui et baisse la tête pour lui faire face, les larmes aux yeux* tu...
[c'est un homme de 28 ans ou un enfant ?]
-Je ?
-Tu es rentré...
[c'est un enfant... Définitivement]
-Et bien oui. J'ai acheté cette robe sur le chemin, elle te plaît ? Demanda le blond tout sourire.
-Tu es de retour à la maison...
-Évidement, je te rappelle, selon tes propres dires, que c'est maison à moi aussi !
-*tend les mains et colle son front au sien * tu m'as manqué.
-Et bien je ne compte pas m'en aller de si tôt, alors tu peux te détendre à ce sujet.
Jin le porta et l'installa avec lui sur un des fauteuils de la bibliothèque. L'enlaçant fermement comme par peur de le faire tomber.
-Je n'ai plus que toi maintenant. Alors ne fais pas de bêtise, comme casser mon service à thé préféré par exemple.
Promis.
-Je l'aimais beaucoup celui-ci.
-Je t'en rachèterais un.
-J'espère bien... *soupir * il ne me reste que cette maison maintenant, je n'ai plus aucune attache nul part.
-Moi non plus. Dit-il en lui glissant une mèche de cheveux derrière l'oreille. Et tu me suffis largement, Tess.
-Et... tu as vu, j'ai même réussi à mettre mes bas tout seul, comme un grand !
-*rigole * je vois ça. Mais malheureusement ils ne vont pas rester en place bien longtemps.
-*rigole * on ne fera rien dans cette pièce... Nina pourrait entrer d'une minute à l'autre !
-Je ne te promets rien. Lui murmura Jin tout en l'embrassant et en se blottissant un peu plus contre Tesla qu'il mit à califourchon sur lui et se lova au creux de son cou. Je t'aime...
