Petit mot de l'auteure : merci pour vos review !


Jour 2 : Maux

Contexte : UA - enfance de Kaz


Inej avait souvent eu l'occasion de voir des cadavres. Des tous frais, des vieux, des cadavres d'hommes, de femmes, d'enfants, de sulis, de kerch ou d'ailleurs – en somme, un assez grand panel.

En revanche, c'était la première fois qu'elle voyait un cadavre qui respirait encore.

Ce constat l'étonnât un petit peu ; après tout, les cadavres, on les reconnaissait généralement au fait que justement, c'était des humains qui ne respiraient plus. Mais non, celui-là respirait bien, mais Inej ne voyait pas en quoi elle pourrait le qualifier de vivant. Tout d'abord, parce qu'il était maigre. Très, très maigre – tellement qu'il avait plus d'os que de peau, d'ailleurs. Ensuite, parce que son regard était vide. Et enfin, parce qu'il était sur un tas d'autres cadavres – qui ne respiraient pas du tout, pour le coup.

Ce fut au moment où le cadavre pas cadavre posa son regard sur elle qu'Inej commença à se noyer.

Cela n'aurait pas vraiment dû l'étonner. Ses parents lui avaient appris à virevolter dans les airs, à marcher en équilibre sur les mains et à lancer avec précisions tout un tas d'objet. L'air était son élément ; mais l'eau, ça, c'était une autre histoire... Comme nombre de gens de son peuple, elle ne savait pas nager. Cela ne l'avait pourtant pas empêcher de se jeter à corps perdu dans la masse noire et mouvante qui s'offrait à elle. Dès que ces hommes l'avaient enlevée, elle avait comprit d'instinct que le sort qu'elle connaîtrait sitôt arrivée sur terre serait pire que la mort. Alors lorsque l'occasion de s'enfuir s'était présentée, elle n'avait pas hésité à sauter par dessus bord. Après tout, un miracle était toujours possible ; peut-être que dans une de ses vies antérieures, elle était la meilleure des nageuses ?

Mais Inej découvrit rapidement qu'il n'en était rien, puisqu'elle eut à peine le temps de poser son regard sur le cadavre respirant d'un garçon de son âge qu'elle sentit son corps rejoindre le fond de la mer.

Bien évidement, elle tenta de se débattre, mais ses membres d'ordinaire si agiles ne semblaient pas vouloir l'aider. Elle remontait à la surface pour une poignée de secondes, avant que l'eau glacée ne l'embrase tout entière.

Jusqu'au moment où elle sentit une main lui attraper le bras. Celle-ci essayait tant bien que mal de l'attirer vers elle, mais ne semblait pas avoir assez de forces pour le faire. Cependant, lorsque Inej revint une nouvelle fois à la surface, elle vit qu'elle appartenait au cadavre pas cadavre. À croire qu'il était définitivement vivant, celui-là. Sachant qu'elle avait approximativement cinq secondes avant de replonger, elle tâcha de les mettre à profit pour analyser la situation. Le cadavre vivant s'était approché d'elle, une bûche provenant du brasier où il était sous son bras. La vision du bois flottant lui donna le courage de se battre pour arriver à s'y réfugier elle aussi.

Le fait d'avoir quelque chose à quoi se raccrocher lui procura une sensation de soulagement comme elle n'en avait jamais connu. Elle demeura quelques secondes immobile, avant de voir l'autre agiter ses jambes. Elle comprit qu'il essayait de faire avancer leur frêle refuge, mais était trop faible pour y arriver. Inej se mit alors à imiter ses mouvements et, à sa grande satisfaction, sentit qu'ils avançaient.

Ils arrivèrent après ce qui lui sembla des heures sur un quai. Lorsque ses pieds touchèrent le sol, Inej avait mal partout, elle était saisie de hoquets effroyables qui tentaient en vain de chasser toute l'eau qu'elle avait avalé et elle était si épuisée qu'elle tomba d'épuisement sur le bitume.

Mais elle était vivante.

Elle était vivante, grâce au garçon qui se trouvait à côté d'elle, dans un état aussi lamentable que le sien, et qui semblait lui aussi porter tous les maux de la terre.

- Kaz, finit-il par dire.

- Inej, répondit-elle.

Après cela, ils restèrent étendus de longues minutes. Lorsque le soleil se leva enfin, ils partirent ensemble. À la recherche de quoi, Inej ne savait pas bien. Mais elle n'était plus seule, alors elle se sentait capable d'affronter tout ce qui se mettrait en travers de sa route.