Petit mot de l'auteure : avec du retard mais le voilà!
Jour 26 : Payer
Contexte : post tome 2
Kaz ne s'était jamais senti aussi peu à sa place qu'en cet instant.
Il essayait tant bien que mal de poser son regard sur Inej afin d'y retrouver une habitude, un point d'ancrage qui lui fasse oublier l'étrangeté de la situation. Mais à chaque fois qu'il regardait la suli, il ne pouvait pas ne pas remarquer la lueur de nostalgie dans ses yeux. Yeux qui étaient le plus souvent posés sur la source même de son inconfort, par ailleurs, à savoir Adriel et Shayli Ghafa.
Le couple était profondément gentil, et faisait tout pour le mettre à l'aise. Néanmoins, Kaz ne pouvait oublier qu'il s'agissait du père et de la mère d'Inej. Les rencontrer était déroutant. Certes, c'était lui qui les avait retrouvé et fait venir jusqu'à Ketterdam. Et certes, il les avait déjà vu une fois, alors que Inej leur donnait la plus belle étreinte de sa vie, celle qui marquait leurs retrouvailles. Mais il n'était resté que le temps de leur donner un petit hochement de tête poli avant de vite regagner le chemin du Barrel. Il ne voulait pas déranger les Ghafa dans ce moment si spécial, alors qu'il n'avait pas grand chose à y faire. Lorsqu'il lui avait expliqué cela, Inej avait levé les yeux au ciel – il avait rendu ce moment réel, bien sûr qu'il avait quelque chose à faire dans toute cette histoire. Elle avait ensuite dit que ses parents voulait rencontrer ce « si gentil ami à elle » et qu'elle souhaitait ainsi sa présence. Kaz avait failli dire qu'il ne comprenait pas comment ses parents connaissaient Wylan, avant de réaliser que le "si gentil ami", dans l'esprit du couple, était lui-même.
Peut-être était-ce parce qu'il savait évidement qu'il ne méritait pas une telle considération qu'il se sentait si mal à l'aise lors de ce dîner.
Adriel et Shayli parlaient de tout et de rien, de la vie dans leurs steppes, donnaient des nouvelles à Inej de sa famille, cherchaient à connaître la vie de leur fille durant ces années loin de la maison. Inej répondait avec la douceur qui la caractérisait, passant sous silence certains détails, mais commentait avec un grand entrain les propos de ses parents. Kaz, quant à lui, restait un peu à l'écart, se demandant bien ce qu'il faisait là. Remarquant sa mise en retrait, et sûrement souhaitant l'inclure dans la conversation, Shayli lui demanda dans son kerch mélodieux :
- Nous avons vu qu'il y avait beaucoup de jardins à Ketterdam. Une passante nous a dit que chaque habitant avait son jardin préféré, que cela marquait les territoires. Celui des roses a été notre préféré... Quel est le votre ?
- Je...
Kaz ne parvint pas à finir sa phrase. Au lieu de répondre comme il avait l'habitude de le faire, d'un tout froid et assuré, il se retrouva balbutiant et hésitant.
- Je suis désolé, finit-il par dire, je reviens dans un instant. Je viens de réaliser que je n'ai pas payé la table, nous risquons d'être chassés si je n'y vais pas tout de suite.
Évidement, c'était un mensonge ; à Ketterdam, l'on ne payait qu'au moment de partir. Inej le savait pertinemment mais accepta le mensonge avec compréhension. Kaz se leva ainsi sans même regarder les hochements de têtes compréhensifs du couple Ghafa et, de sa démarche boiteuse, fila au comptoir. Au lieu de sortir quelques kruge, il commanda plutôt un alcool fort, afin de chasser les émotions qui lui traversaient l'esprit. La question innocente l'avait remué. Il avait failli répondre que le jardin des roses était son préféré lui aussi, mais c'était retenu de justesse. Car lorsque la mère d'Inej lui aurait demandé pourquoi, il aurait été obligé de révéler que ce qui lui plaisait dans le parc, c'était l'accès direct qu'il donnait à la monnaie nationale – l'endroit rêvé pour n'importe quel voleur. Il aurait dû expliquer qu'il passait des jours dans les allées odorantes pour repérer les failles dans le bâtiments et les agents. Mais comment pourrait-il dire de telles choses à des êtres aussi purs ?
Kaz ne savait pas pourquoi il ne voulait pas décevoir les Ghafa.
Peut-être parce qu'ils voyaient en lui un héros, un homme bon, et qu'il n'avait pas envie de briser cette illusion. Que pour une fois, ne pas être vu comme le voyou qu'il avait dû devenir.
Ou peut-être parce que la présence du couple ne faisait que lui rappeler que très bientôt, Inej retournerait avec eux dans leur contrée lointaine.
Ou bien parce qu'inconsciemment, Adriel et Shayli lui rappelaient ses parents, et qu'il réalisait combien ces derniers lui manquaient.
Dans tous les cas, partager ce repas lui était douloureux.
Néanmoins, une fois calmé, il finit par retourner s'asseoir. Parce que malgré les émotions vives qui se mélangeaient en lui, profiter du temps qui lui restait avec Inej était ce qui lui importait le plus.
