Petit mot de l'auteure : écrit ce matin, et je l'aime bien.
Jour 30 : Drôle
Contexte : post tome 2
« Avec toi c'est toujours pareil. On ne peut jamais discuter de choses sérieuses »
Inej se rappelait d'avoir fait de nombreuses fois ce reproche à son frère. Hébel avait en effet toujours le mot pour rire. C'était la personne la plus drôle qu'elle connaissait ; à ses côtés, les journées étaient amusantes. Cependant, parfois, Inej regrettait la légèreté de son frère. Elle aurait voulu pouvoir lui parler de ses peurs, de ses tracas, des angoisses qu'elle ressentait face au monde ou à son corps changeant. Mais lui balayait d'un revers de main ses préoccupations, semblant croire qu'un bon mot pourrait tout arranger.
Maintenant, tout était différent.
Passé la joie d'avoir retrouvé sa famille, elle ne put que se rendre compte que tout avait changé. Hébel ne riait plus ; il écoutait ses problèmes avec un sérieux qui la désarçonnait. Même quand l'occasion s'y prêtait, il se refusait au moindre commentaire humoristique. C'était comme si toute sa joie de vivre lui avait été arrachée en même temps qu'Inej. Sûrement était-ce le cas, d'ailleurs. La jeune femme n'y avait jamais vraiment songé, mais son enlèvement avait eu un terrible impact sur ses proches. Elle avait changé, mais eux aussi. Et maintenant, elle se retrouvait face à un inconnu qui portait les traits d'un frère qu'elle avait si longtemps chéri.
Ce contraste était dur à supporter. Et surtout, il l'angoissait. Elle était censée repartir avec les siens, mais au final, étaient-ce encore ceux qu'elle avait connu ? Sa peur était telle que la veille du départ, elle fit ce qu'elle faisait toujours en situation critique : elle s'engouffra dans la chambre de Kaz.
Le brun était en train de travailler à son bureau. Il ne sursauta pas en la voyant arriver, pas plus qu'il ne fit le moindre commentaire. Ils restèrent quelques minutes dans un silence confortable, avant que le bâtard du Barrel finisse par le rompre.
- Je peux t'entendre penser... lui dit-il.
Inej prit ces quelques mots comme une invitation à parler. Elle ne savait pas vraiment si s'en était une – après tout, Kaz pouvait très bien s'être contenté de râler – mais décida de la considérer comme telle. Elle lui partagea alors ses craintes, la sensation d'être face à un inconnu devant son frère, sa peur de ne jamais réussir à lui parler de nouveau. Le brun l'écouta sans jamais l'interrompre, et ce ne fut qu'à la fin de son monologue qu'il donna son avis.
- Peut-être que c'est devenu un inconnu. Un inconnu froid, au cœur de pierre, incapable de rire ou de sourire. Mais tu as déjà réussis à charmer un inconnu froid, au cœur de pierre, incapable de rire ou de sourire. Tu t'es frayée un chemin dans son cœur comme personne ne l'avait fait auparavant. Alors quoi qu'il arrive, tout ira bien. Tu peux conquérir qui tu veux.
- Tu sais, fit remarquer Inej, tu n'es pas inconnu froid, au cœur de pierre, incapable de rire ou de sourire.
- Je n'ai jamais dit que c'était moi, répondit Kaz en retournant à ses papiers.
Il ne l'avait pas dit, non.
En revanche, le léger rougissement sur ses joues l'avait fait pour lui.
