Cher(e)s lecteurs et lectrices,
Me revoici pour vous proposer une nouvelle histoire, un récit en plusieurs parties au contenu un peu futile qui a le goût de l'été et des choses inutiles :)
Je me suis inspirée de mes propres visites très régulières à la clinique d'une école d'ostéopathie proche de chez moi, si régulières que je pourrai demander une carte de fidélité si ce n'était pas un peu étrange. Depuis que je me suis inscrite en salle de sport je n'ai jamais eu autant besoin d'un peu d'aide médicale. CQFD. Je prête donc au pauvre Dean un peu de mes traumas d'acharnée des machines de musculation et de tapis de course mais pour mieux lui faire rencontrer l'amour bien entendu :)
Je voulais quelque chose d'humoristique et de léger (d'où son titre que je trouve dans l'immédiat peu inspiré… j'attends une illumination plus tard), j'espère que ce moment vous distraira donc un instant.
Avant de commencer, je vous suggère quelques notes explicatives préalables mais libre à vous de sauter directement au vif du sujet :)
Je vous souhaite une excellent lecture et prends avec beaucoup d'humilité la moindre de vos remarques concernant l'orthographe ou la forme ou tout autre sujet.
Bien à vous,
ChatonLakmé
En préambule donc.
Une trattoria est un restaurant italien plutôt simple et familial qui propose une cuisine abordable et de tradition sans prétention.
Le spritz est un apéritif italien typique du Nord de l'Italie mais consommé dans l'ensemble de la Botte. Il est réalisé à partir d'un vin blanc effervescent, d'eau pétillante et d'un alcool plus ou moins amer à base d'agrume.
La Pancetta est une charcuterie salée et assaisonnée faite à partir de la panse du porc. Celle de Colonnata est la plus réputée, issue du fameux lard blanc de Colonnata, considéré comme le meilleur au monde et bénéficiant d'une Indication Géographique Protégée (IGP).
La pizza Campione est une pizza à base de viande de bœuf hachée, la Bianca Verdura est une pizza aux légumes marinés et au mascarpone.
Quelques mots d'italien à titre indicatif : « Ragazzo » signifie « garçon » « fratelli/fratellino » signifient respectivement « frères/petit frère » « bambino » signifie « enfant » « mio piccolo » signifie « mon petit » et « care mio » est un surnom affectueux que l'on peut traduire par « mon chéri ».
Dean et Sam font leurs études à l'université de Colorado-Boulder, fondée en 1870. Elle est particulièrement réputée pour son pôle scientifique, le Laboratory for Atmospheric and Space Physics et le National Snow and Ice Date Center. Ces deux instituts collaborent activement aux missions d'exploration du système solaire et à la recherche polaire et cryosphérique. Elle compte près de quarante milles étudiants et est la plus grande université de l'État du Colorado. Je l'ai choisi car le Colorado est un État limitrophe avec l'Utah d'où sont originaires les deux frères, conservateur et pas réellement LGBT friendly. La ville de Grantsville compte un peu moins de neuf milles habitants.
Les Buffaloes sont le club omnisports de l'université de Colorado-Boulder, installée dans la ville éponyme non loin de Denver. Leur équipe de football américain est particulièrement réputée, actuellement entraînée par le coach Karl Dorrell. Depuis 2011, elle joue dans la Pacific-12 Conference, une association multisports créée en 1915 et regroupant douze universités pour gérer les compétitions sportives dans onze sports masculins et féminins pour l'Ouest des États-Unis. Leur niveau est affilié à ce lui de la Division 1 de la National Collegiate Athletic Association (NCAA) soit le plus haut niveau du sport universitaire des États-Unis. C'est aussi le cas des Utes de l'université l'Utah à Salt Lake City.
Fast & Furious constitue une fameuse saga cinématographique d'action sortie au cinéma. Le premier volet est sorti en 2001, le dixième film (Fast & Furious X) est attendu pour 2023. La saga a connu une déclinaison en version animée pour la télévision sous le titre de Fast & Furious : Spy Racers, diffusée sur Netflix depuis 2019 et dont le scénario reprend celui de son aîné.
Hallmark Channel est une chaîne de télévision créée en 1984, spécialisée dans la production et la diffusion de téléfilms sentimentaux.
Dave Chappelle est un humoriste, acteur, scénariste et producteur américain, popularisé par son émission de sketches Chappelle's Show diffusé sur Comedy Central de 2003 à 2006.
Os-cultation
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Première partie
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Appuyé d'un coude sur le large comptoir en bois, patiné par les mains de décennies de clients affamés, Dean contemple avec attention l'intérieur de la cuisine qu'il devine derrière le corps sculptural de Lucia Mancini.
Les reins ceints par ce tablier à carreaux rouges et blancs que le jeune homme trouve si pittoresque, la propriétaire de la trattoria Mancini's Since 1926 est en train d'achever de préparer les consommations d'une bruyante table d'étudiants installés devant la vitrine. Le jeune homme entend leurs cris haut perchés, il ricane aux paroles d'une chanson un peu vulgaire et lève les yeux aux toasts portés en continue avec les petits verres de spritz que Lucia offre toujours en guise d'apéritif.
— « À la victoire des Buffaloes ! »
La voix claire et enjouée est couverte par le tintement sonore des verres les uns contre les autres tandis que le châtain hoche lentement la tête.
Leur dernier match contre les Utes de l'Utah a en effet été remarquable et l'hystérie de l'université au moins égale pendant une semaine.
Dean danse légèrement d'un pied sur l'autre pour se replacer contre le comptoir d'un air faussement nonchalant. Une douleur puissante, brûlante et pulsante vrille les muscles autour de son omoplate gauche à son mouvement et le châtain serre les dents. L'ignorant bravement, il déplace imperceptiblement son coude sur le bois lustré et tend un peu plus le cou en avant.
Derrière l'épaule de Lucia, il darde ses yeux verts sur son mari, Giovanni, penché avec l'attention silencieuse d'un artiste en pleine création sur un rond de pâte à pizza qu'il garnit d'une main sûre et leste. Les yeux rivés sur ses doigts encore enfarinés de la pâte maison qui fait la réputation du restaurant auprès du voisinage de l'université du Colorado-Boulder, Dean compte en silence les ingrédients que le pizzaiolo dispose avec précision.
Une très généreuse poignée d'émietté de bœuf haché. De grosses tranches de saucisse pepperoni. Une pluie de champignons frais et d'oignons rouges agrémentée d'un bouquet de lamelles de poivrons verts.
De la mozzarella.
Du fromage surtout, partout, couvrant en de gros morceaux généreux les autres ingrédients, s'égarant sur les bords de la pâte que le châtain imagine déjà gonflés et croustillants, légèrement luisants de graisse.
À cette idée, Dean sent un frisson de plaisir presque voluptueux remonter le long de son dos, supplantant brièvement la douleur qu'il sent venir lécher les petits cheveux qui balaient sa nuque, et il gémit doucement de contentement.
— « Ragazzo, arrête de me surveiller », l'interpelle soudain Giovanni tout en lui jetant un regard en coin. « Je fais mon métier que tu n'étais pas encore né. Je sais faire des pizzas. »
— « Je sais que vous savez, c'est vous le maestro », lui répond Dean avec un sourire charmant. « C'est juste… pour être sûr. »
— « Pour être sûr de quoi ? », lui demande l'homme d'un air ombrageux.
Le châtain voit avec inquiétude sa main remplie d'olives noires s'éloigner de la pâte d'un mouvement d'humeur et il enfonce sa tête entre ses épaules d'un air contrit.
La douleur est toujours aussi forte, pulsant à la racine de ses cheveux, s'enroulant comme une langue de feu autour de son épaule et Dean inspire brusquement. Il sent le regard de Sam se poser brièvement sur lui et le jeune homme change une nouvelle fois d'appui sur le comptoir sans réellement parvenir à trouver une position plus confortable.
L'idée de déguster sa délicieuse et plantureuse pizza Campione disparaît brièvement de son esprit, remplacée par une terrible envie de se laisser tomber sur une chaise du restaurant pour ne plus en bouger. C'est ridicule.
Dean déglutit légèrement tout en papillonnant des yeux. Il suffit de faire comme si la douleur n'existait pas et il est plutôt bon à ce jeu-là depuis six semaines.
— « Pour être sûr de quoi ? », répète Giovanni d'une voix vaguement menaçante.
Le châtain remarque que les olives noires s'éloignent définitivement de la pâte. C'est triste car il sait qu'il s'agit de la meilleure variété du monde, celle que Giovanni fait venir de Kalamata et qu'il fait longuement mariner dans une recette maison à base d'huile d'olive et d'origan. Une merveille de gourmandise que Dean apprécie en amateur éclairé.
Le jeune homme jette un regard un peu timide au cuisinier dont il connaît le sang bouillant.
Il pourrait mentir. Dean pourrait se faire charmant comme il sait si bien l'être pour apaiser la colère de Mr. Barnard, son professeur de physique atmosphérique quand il rend un devoir un retard.
Un autre jour sans doute, le jeune homme le pourrait mais il a juste mal et envie de rentrer alors il rend les armes.
C'est aussi un choix pragmatique.
Une fois sa réponse donnée, sa pizza n'en partira que plus rapidement en cuisson. À moins que Giovanni, dans un geste de héros outragé, ne la lui retire de la bouche avant même son achèvement.
Dean ne voit pas de perspective plus triste que celle-là à cet instant car il a vraiment envie de manger gras et chaud pour tenter de faire passer un peu stupidement la douleur dans son dos.
— « … Juste pour être sûr que tout soit parfait », avoue-t-il d'une petite voix.
Dean entend Sam ricaner légèrement à ses côtés et il tourne brièvement la tête pour jeter un regard noir à son frère, sagement assis à une table vide pour attendre avec lui leur commande.
Le jeune homme constate que le corps massif de Giovanni semble enfler sous l'effet de son indignation à ses doutes.
Il est peut-être temps qu'il commence à faire le deuil de sa Campione.
— « Ragazzo, tu- »
— « Giovanni mio, laisse donc le petit tranquille », l'interrompt Lucia d'un ton vaguement menaçant. « Dean a confiance en toi mais la confiance n'exclut pas le contrôle. Termine plutôt sa pizza, les fratelli attendent. »
Son mari hoche la tête de mauvaise grâce et achève rapidement de disposer les assaisonnements sur les ingrédients. Alors qu'il s'apprête à glisser le plat dans le four à bois traditionnel qui fait la fierté de l'établissement, Lucia contourne le comptoir pour récupérer son lourd plateau chargé de verres plus facilement.
— « Oh ! Mio caro, ajoute donc aussi un morceau de cette pancetta di Colonnata que tu viens de recevoir de Toscane », lui demande sa femme d'une voix chantante. « Dean est un connaisseur, il saura apprécier. »
Le jeune homme lui adressa un sourire rayonnant, faisant rouler distraitement son épaule trop raide sous son blouson pour tenter d'en chasser un peu dérisoirement la douleur.
— « Lucia, tu es merveilleuse ! », lui sourit-il chaudement. « Meragli- Meravio- »
— « Meravigliosa », le corrige doucement Sam tout en regardant l'écran de son portable.
La femme glousse légèrement et passe une main familière dans les longues mèches claires du jeune homme tout en maintenant dans un merveilleux équilibre son grand plateau.
— « Oh bambino, ton accent est adorable », pouffe-t-elle gentiment.
— « Je n'ai pas d'accent », ronchonne légèrement Sam tout en se dégageant d'un petit mouvement de tête.
Dean ricane légèrement et se tourne à nouveau en direction de la cuisine. En voyant Giovanni lui jeter un regard noir et se placer ostensiblement devant son four pour lui en cacher la vue, le jeune homme lève les yeux au ciel.
Il tire lentement à lui un menu oublié sur le comptoir pour le lire, se perdant distraitement dans la liste des desserts pour tâcher d'oublier la douleur de son dos qui semble ronronner comme un chat parfaitement satisfait.
Un chat énorme, monstrueux, aux griffes démesurées qui lacéreraient ses chairs sans pitié tout en lui soufflant une haleine d'enfer dans le cou.
Dean déteste les chats.
Le jeune homme lève les yeux au ciel d'un air de martyr quand il voit la serveuse de la trattoria apporter à une table la dernière énorme part de tiramisu, un chef-d'œuvre de mascarpone et de biscuits imbibés au café réalisé dans la plus pure et délicieuse tradition de l'Italie du Nord. Le châtain passe une main agacée et déçue dans ses cheveux, faisant ronronner plus fort encore le chat à son oreille. Quelle soirée pourrie.
Étouffant difficilement un grognement de douleur, il se tourne lentement pour regarder Sam et l'espionner afin de faire passer le temps jusqu'à la fin de la cuisson de leurs pizzas.
Les tables de la trattoria sont presque toutes occupées et, dans cette atmosphère joyeuse et bruyante, son frère met une note de concentration appliquée un peu décalée.
Les yeux baissés sur son portable, Sam fait défiler l'écran d'un geste régulier, ses yeux parcourant rapidement les pages couvertes d'une petite écriture serrée et appliquée. Trop petite pour qu'il s'agisse des réseaux sociaux ou de sites de ragots, pas d'illustrations non plus, et Dean hausse un sourcil interrogateur.
— « Qu'est-ce que tu fais ? », lui demande-t-il d'un ton nonchalant.
Le châtain gratte distraitement d'un ongle le vernis un peu écaillé du comptoir, observant avec un plaisir coupable les fines escarbilles de peinture sauter devant lui, faisant grommeler son frère d'un ton réprobateur. Sam marmonne sur le mobilier qu'il ne doit pas dégrader, sur ce restaurant si délicieux et abordable dont la patronne les adore et Dean s'arrête lentement. Il sait que son frère a raison mais cela ne l'empêche pas de contempler son œuvre avec une petite moue un peu déçue.
C'était distrayant et il pense que s'il avait continué un tout petit plus longtemps, il aurait pu faire apparaître la première lettre de son prénom sous les écailles du vernis.
Sam n'y connaît rien en saine distraction.
— « Je révise », lui répond finalement son frère tout en baissant à nouveau les yeux sur son écran.
— « Tu… révises ? », ricane le jeune homme. « Je peux t'assurer que tu n'as pas besoin de ça. On ne regarde que les trois premiers Fast & Furious ce soir, tu ne seras pas perdu dans le scénario… »
— « Et tu arrives à suivre tout en matant Paul Walker pendant une heure quarante-cinq ? », lui rétorque distraitement Sam tout en fronçant les sourcils sur son écran. « Je suis presque admiratif. »
Dean se raidit à ses mots, ignorant avec une force surprenante la douleur qui vient vriller soudain son épaule.
Les doigts crispés sur le rebord du comptoir, le jeune homme ne peut s'empêcher de jeter un petit regard autour de lui mais le service de la trattoria se poursuit sans encombre, Lucia et sa serveuse Émilie voltigeant de table en table avec adresse.
Le jeune homme roule une nouvelle fois des épaules pour tenter de les dénouer et la douleur semble remonter soudain dans le moindre de ses cheveux, le faisant se plier à demi en deux sur le comptoir.
— « Merde », grogne-t-il d'une voix étouffée, la gorge serrée.
Le sang battant sourdement à ses tempes, il reconnaît pourtant vaguement le couinement de la semelle en caoutchouc des baskets d'Émilie et Dean se redresse pour lui jeter une œillade aussi chaude et veloutée que sa douleur le lui permet. L'effet doit être moins réussi qu'il ne le pensait car la jeune femme blonde se contente de hausser un sourcil narquois et de contourner le comptoir pour passer derrière.
— « Inutile de me faire du charme, je ne suis pas en mesure de t'offrir le moindre dessert », lui dit-elle tout en pliant deux cartons à pizza d'un geste habile. « Et même si je le pouvais, je ne le ferais pas. Business is business. »
Le châtain entend Sam ricaner dans son dos et il lui jette un regard noir avant de tendre à nouveau le cou en direction de la cuisine.
Giovanni vient de sortir leur commande du four et Dean se mord les lèvres avec gourmandise, la douleur de son dos miraculeusement évanouie.
Une délicieuse odeur de viande grillée et de fromage fondu vient chatouiller son nez, suffisamment puissantes pour couvrir celles des légumes marinés de la pizza végétarienne de Sam dont la seule vue lui arrache une vague grimace.
Sa Bianca Verdura est d'une telle tristesse, sans viande ni graisses saturés que Dean en est presque peiné pour lui.
Il en va heureusement autrement de sa Campione et cela gonfle son cœur de joie.
La lumière du restaurant se reflète sur la croûte parfaitement dorée et luisante de fromage tandis que la graisse de la pancetta grillée se pare de reflets chatoyants presque précieux. Le jeune homme se tortille d'aise sur place et il observa avec une attention toute particulière le cuisinier les glisser habilement dans les cartons. La soirée s'annonce finalement magnifique.
Il exhale un soupir langoureux qui fait hausser un sourcil à Émilie, occupée à découper les plats à l'aide d'une roulette.
— « Arrête d'essayer », lui répète-t-elle tout en lui jetant un regard noir. « Et tu ne parviendras à séduire personne ce soir, tu as une tête à faire peur. »
— « J'ai faim », se contente de lui répondre Dean d'un air mauvais. « J'ai faim et tu es en train de maltraiter cette œuvre d'art en essayant de la couper. Tu vois bien que la pâte résiste alors laisse-la tranquille. »
La jeune femme rougit légèrement d'indignation à sa remarque et s'apprête à lui répondre vertement quand Lucia rejoint à son tour le comptoir.
— « Je vais m'en occuper Émilie », lui dit-elle gentiment. « Peux-tu aller prendre la commande de la table quinze s'il te plaît ? Je pense qu'ils ont enfin réussi à faire leur choix. »
La blonde acquiesce et s'éclipse dans la salle de latrattoria, non sans gratifier Dean d'un discret doigt d'honneur qui le fait ricaner.
Lucia achève de découper les pizzas en quelques coups habiles avant de fermer les boîtes en carton avec soin. Le châtain tend déjà les mains pour les récupérer mais la femme lui fait un clin d'œil, lui tournant brièvement le dos pour ouvrir un petit frigo d'appoint et en sortir une part de tiramisu contenue dans une barquette en plastique.
— « Je l'ai mise de côté pour toi Dean », lui glisse-t-elle avec tendresse tout en la mettant dans un sac en papier kraft. « Je sais que tu l'adores mais n'oublie pas de partager avec ton fratellino. »
Dean est éperdu de reconnaissance. Il marmonne de mauvaise grâce que son frère trouvera le dessert trop riche pour son estomac délicat mais un sourcil haut levé par Lucia le fait acquiescer sagement.
Dans son dos, le jeune homme devine que Sam vient de se lever et ce dernier vient le rejoindre tout en tirant sur le bas de son tee-shirt pour l'arranger et en lisser l'étoffe. Son frère veut toujours faire bonne impression et Dean n'avouera jamais qu'il trouve cela plutôt attendrissant.
— « C'est gentil Lucia mais je crois que mon frère en a plus besoin que moi », lui répond Sam avec malice. « Il a de dures journées depuis quelque temps. »
Le blond pouffe et tapote doucement l'épaule de Dean dans un simulacre de réconfort mais la douleur devient soudain, fulgurante et brûlante, faisant comme vibrer son corps entier de douleur. Le jeune homme ne peut retenir son grognement et il se tortille inconsciemment pour échapper à la main de son frère qu'il sent peser sur lui aussi lourde qu'une chape de plomb et comme hérissée d'aiguilles.
Le châtain adresse un sourire vaguement grimaçant à son frère dont il sent le regard inquiet sur lui et alors qu'il tend les mains vers les cartons agréablement odorants, Sam le devance et s'en empare sans un mot.
— « C'est Dean qui régale », s'empresse-t-il de dire à Lucia qui les observe en silence. « Il ne m'a pas laissé le choix des films de notre soirée cinéma alors les pizzas sont pour lui. »
— « J'ai choisi Fast & Furious pour que tu aies quelque chose d'intéressant à raconter à tes petits camarades de travaux dirigés », ronchonne le châtain tout en sortant son portefeuille de la poche de son blouson dans une contorsion un peu ridicule. « Le neuvième volet vient de sortir et tu n'en as vu aucun Sammy. C'est… impossible. »
Le jeune homme sort deux billets de vingt dollars pour les tendre à Lucia qui, les glissant dans la vieille caisse enregistreuse qui semble dater des années 1920, lui rend une conséquente monnaie. Dean écarquille légèrement les yeux de surprise.
— « Le dessert est un cadeau de la maison », lui souffle-t-elle avec gentillesse tout en l'obligeant à prendre les généreux quinze dollars avant de refermer doucement ses doigts sur les siens. « Prends soin de toi mio piccolo. Sam a raison, tu n'as pas l'air très bien. »
Dean se penche par-dessus le comptoir pour lui embrasser familièrement la joue, la gratifiant d'un sourire charmant. Il pense avoir l'âme d'un héros quand il se sent à peine ciller malgré la brûlure presque insupportable de son dos à son mouvement.
— « Juste un peu de fatigue », lui répond-il tout en haussant les épaules. « Sam parle en dormant quand il passe la nuit dans ma chambre et il ne fait que marmonner ses cours de psychopathologie. Ça devrait m'aider à trouver le sommeil mais je dors mal. »
— « Je ne fais pas ça, tu mens ! », lui rétorque vivement son frère tout en rougissant légèrement avant de regarder le couple derrière le comptoir. « Merci pour tout Lucia. Bonne soirée Giovanni. »
Dean salut la patronne et son mari d'un petit signe de la main et emboîte le pas à Sam qui traverse la salle de la trattoria, attendant devant la porte que le jeune homme vienne lui ouvrir. Le châtain s'exécute avec une grâce outrée qui le fait rouler des yeux et, l'un à côté de l'autre, les deux frères traversent la route pour gagner l'entrée du campus de l'université Colorado-Boulder.
Dean enfonce machinalement ses mains les poches de sa veste pour espérer apaiser un peu la tension de son épaule gauche par l'effet de suspension, son poignet reposant sur le rebord de la couture.
Il réalise en quelques pas que c'est parfaitement vain.
— « Nous aurions dû prendre l'Impala », souffle doucement Sam tout en le regardant discrètement. « Ça nous aurait obligé à faire un détour mais nous n'aurions pas eu à traverser tout le campus à pied pour rejoindre la résidence. »
— « Je ne suis pas impotent Sammy », lui rétorque le châtain dans un sifflement agacé. « J'ai juste un peu mal au dos. Nous sommes jeudi soir, le soir des sorties étudiantes alcoolisées et agitées. Baby est très bien garée où elle est et parfaitement en sécurité. »
Dean refuse d'avouer que la douleur dans son dos lui rendrait la conduite elle-même extrêmement pénible.
C'est trop mortifiant.
Sam le bouscule légèrement de l'épaule, effleurant à peine la sienne d'un geste malicieux mais ses sourcils se froncent toujours d'inquiétude.
— « Je pourrais être tenté de te croire si je ne te voyais pas serrer les dents si fort que j'ai l'impression de les entendre grincer », lui rétorque-t-il d'un ton vaguement moqueur. « Et tu rentres légèrement ta tête entre tes épaules, comme si cela te soulageait. »
— « J'ai juste fait un faux mouvement à la salle de sport », grogne Dean avec une parfaite mauvaise foi. « Benny n'arrête pas de me provoquer sur la machine à tractions pour travailler les dorsaux, il arrive à faire des séries de trente mouvements chacune. Pas moi. »
— « Ce n'est pas parce qu'il en fait plus qu'il travaille mieux », lui rétorque Sam tout en roulant des yeux. « Tu es le premier à m'avoir dit qu'il fallait privilégier des séries plus courtes mais répétées plutôt que de viser la performance. Quelle importance si Benny y arrive mieux que toi. »
— « … Il soulève plus de quatre-vingts kilos Sammy », boude un peu plus le châtain tout en l'ignorant. « C'est… beaucoup plus que moi. »
Le blond lui jette un regard en coin avant de ricaner légèrement.
— « Je trouve ton orgueil malmené très mignon mais cela commence à devenir franchement ridicule », reprend-il. « Tu as mal et n'importe qui pourrait te dire que tu ne vas pas bien en te regardant. Si je t'avais laissé faire, tu aurais même eu des difficultés à prendre nos cartons à pizza sans souffrir. Des cartons à pizza Dean », appuie Sam à dessein tout en lui jetant un regard en coin.
Le jeune homme veut le bousculer un peu rudement en guise de réponse mais quand son corps heurte celui de son frère, étonnamment solide contre le sien, une vibration envahit brièvement son dos.
Elle lèche ses reins avant de remonter sans pitié le long de sa colonne vertébrale pour s'achever dans sa nuque.
Brûlure sous sa peau.
Bourdonnement sourd dans la moindre fibre de ses muscles.
Sensation de sortir de son propre corps comme chasser par la douleur.
Dean frissonne violemment tout en s'arrêtant sur le chemin.
Il sent une sourde nausée venir tordre son estomac tandis que des paillettes blanches parsèment sa vision et, avisant un banc, le jeune homme s'y dirige d'un pas tremblant avant de s'y laisser tomber. Le châtain essuie ses tempes humides de ses doigts maladroits et se mord les joues pour contenir l'envie brutale qui monte en lui, lui intima l'ordre immédiat de se recroqueviller sur lui-même.
La douleur le paralyse à moitié et Dean peine à trouver sa respiration.
Malgré l'odeur prometteuse du fromage et de la viande de sa pizza Campione, le froissement du sac en papier contenant le divin tiramisu, il se sent juste profondément misérable.
À travers sa vue légèrement brouillée, il distingue vaguement Sam revenir immédiatement vers lui avec inquiétude, déposant les cartons déjà tâchés de graisse sur le banc pour s'agenouiller devant lui.
— « Ne les dépose pas sur le banc », annone Dean d'une voix pâteuse. « Tu ne sais pas ce qui a pu s'y passer, c'est dégoûtant. S'il te plaît, sauve notre dîner. »
Sam ignore sa tentative d'humour et se contente de poser doucement une main affectueuse sur son genou tout en cherchant son regard.
— « Tu me fais peur », avoue le blond d'une petite voix. « Tu ne peux pas rester comme ça. Prends rendez-vous à la clinique de l'école d'ostéopathie pour te faire examiner. »
— « Non », lui répond Dean d'un ton butté tout en crispant ses doigts sur l'assise du banc. « Je ne veux pas y aller. »
Sam lui jette un regard exaspéré et, passant une main dans ses cheveux, il se relève pour s'asseoir lourdement à côté de lui en signe de désapprobation.
- « Tu n'as pas l'air de réaliser que tu n'as pas mal depuis aujourd'hui », lui dit-il d'un ton un peu professoral et bon sang, ce que cela peut exaspérer Dean. « Tu t'économises depuis des jours, tu prends des cachets et ne crois pas que je ne te vois pas te tortiller pour mettre ta veste ou retirer ton pantalon. Tu pourrais ne plus pouvoir bouger ton bras ni sortir de ton lit d'ici quelques jours. »
Le châtain s'oblige à respirer lentement, ses doigts se serrant à intervalle régulier sur le banc comme pour accompagner ses inspirations et ses expirations. Dean se sent stupidement rassuré de sentir quelque chose de tangible sous sa peau alors que ses sens sont encore brouillés par la douleur.
— « Ne fais pas ta drama queen Sammy », râle-t-il tout en roulant des yeux. « Je ferai plus d'étirements avec Benny à la salle de sport et je travaillerai… peut-être un peu moins mes dorsaux pendant quelques jours. Et les cachets étaient pour autre chose. »
Dean ment avec aplomb mais il lit sans peine dans le regard de son frère que ce dernier n'en croit pas un mot. Le jeune homme est soudain un peu content d'avoir caché au fond de la poubelle l'emballage d'Oxycodone Mylan qu'il a fini le jour précédent. Sam aurait probablement déjà appelé le service de prévention des addictions s'il l'avait trouvé.
Le châtain considère pourtant ne pas réellement avoir quelque chose à se reprocher.
Si ce n'est que le très puissant antalgique à base d'opioïde a été d'une parfaite inefficacité et que cela devrait commencer à l'inquiéter.
À l'inquiéter vraiment si Dean Winchester n'avait pas une capacité à occulter les problèmes grosse comme l'État du Texas. Et il s'agit du plus vaste territoire habité des États-Unis.
— « Je ne te crois pas », acquiesce Sam d'un ton implacable qui le rend un peu honteux. « Pourquoi refuses-tu de t'y présenter ? Ils sont très bien tu sais, ce sont les étudiants en dernière année qui assurent les consultations. J'y suis allé deux fois depuis le début de septembre pour qu'on me décoince quand je suis trop stressé et je n'ai jamais eu à me plaindre du traitement. Et le tarif est très avantageux puisque c'est une école. »
Dean ricane légèrement tout en papillonnant légèrement des paupières pour en chasser la légère humidité qu'il voit brouiller sa vision. Merde, il est plus fort que ça.
— « Oh Sammy, je pourrais répondre tant de choses à ce que tu viens de me dire, sur tout le bien qu'on te fait là-bas », glousse-t-il tout en lui adressant une œillade langoureuse mais un peu douloureuse.
Son hilarité se fait plus forte quand il voit son frère rougir légèrement de gêne avant que Dean couine en sentant Sam lui pincer fort le genou entre ses longs doigts osseux.
— « C'est vraiment moche et indigne de ta part de t'attaquer à un blessé », grommelle Dean tout en agitant la jambe pour en chasser la douleur.
— « Quand ça t'arrange », lui rétorque son frère du tac-au-tac d'un air mauvais.
Le blond se mord vivement les joues, en proie à une vive agitation avant de bondir sur ses pieds. Dean écarquille mollement les yeux de surprise en le voyant soudain arpenter le sol devant le banc de long en large, ébouriffant ses cheveux d'un geste nerveux. Il ne peut s'empêcher de sourire légèrement en voyant une mèche se recourber et former un épi un peu comique au sommet de son crâne.
Juste un sourire, petit et très discret, car Dean n'a pas réellement envie de rire.
— « Si tu n'as pas confiance en moi, tu peux au moins croire l'entraîneur de notre prestigieuse équipe de football », siffle Sam d'un ton vexé tout en lui jetant un regard noir. « L'école a un accord avec les Buffaloes et tous les coachs y envoient toutes leurs joueurs. La plupart de leurs étudiants sont spécialisés en ostéopathie du sport, ce sont exactement les gens que tu dois aller voir. »
Le châtain hausse un sourcil vaguement dubitatif.
— « Qu'est-ce que tu en sais ? », lui demande-t-il d'un ton moqueur. « La seule activité sportive que tu pratiques est le sport de chambre. Et soyons clairs, je ne parle pas de tester la mauvaise literie de l'université mais plutôt de la manière dont tu t'avachis sur ton lit pour réviser… »
— « Seigneur, sois sérieux une minute tu veux ! », s'exclame Sam d'un ton exaspéré.
Le châtain constate avec une légère satisfaction que les oreilles de son frère chauffent un peu plus fort et il sourit en coin.
Sam a beau être entré à l'université depuis un an, il ressemble certaines fois encore tellement à l'adolescent un peu maladroit et timide qu'il était quand Dean a quitté la maison que c'est presque trop facile de la taquiner. Au fond de lui, le jeune homme sait que son frère a raison mais il est de son devoir d'aîné de tenter de le détromper et de le rassurer en le faisant rire.
Il déteste quand Sam s'inquiète pour lui.
C'est sa mission, pas la sienne.
— « Je lis le journal étudiant de l'université, c'est instructif », lui explique le blond tout en recommençant à marcher de long en large devant le banc. « C'est comme ça que j'ai appris l'existence de la clinique ostéopathique, dans une interview du coach Dorrell après la victoire de son équipe à un match de la Pacific-12 Conference. … Tu aurais aussi pu l'apprendre si tu t'intéressais à autre chose qu'à la longueur du short des mecs de l'équipe de cheerleading pendant les matchs… »
Dean se raidit et regarde rapidement autour de lui.
Malgré l'heure avancée, le campus autour d'eux est calme et peu fréquenté.
Il n'y a pas d'étudiant susceptible d'entendre ce que Sam clame avec maladresse aux quatre vents mais cela le rassure à peine tant la fébrilité de son frère les fait ressembler à cet instant à un couple en pleine rupture.
— « Fiche-moi nous la paix à moi et à ma sexualité », lui répond Dean dans un sifflement mauvais. « Que ce soit Paul Walker ou les cheerleaders, fous-nous juste la paix ! »
Le blond coule un petit regard dans sa direction sous ses longs cils dont l'ombre couvre légèrement ses joues sous l'éclairage électrique du lampadaire. Il a l'air attristé, un peu contrit également mais Dean se contente de serrer les dents. Il s'est crispé aux paroles de son frère et il lui semble que la douleur vient de monter un nouveau barreau de l'Échelle Numérique.
Ou peut-être trois d'un coup.
— « … Nous sommes à plus de huit cents kilomètres de Grantsville, ce n'est pas comme si cela avait réellement de l'importance », reprend doucement Sam d'un ton d'excuse. « Tu sais que cela n'en a pas pour moi, pas vrai ? Pas plus que pour papa et maman. Et que tout le campus de Colorado-Boulder se moque parfaitement du sexe de la personne que tu peux bien fréquenter. Nous sommes juste deux anonymes ici. »
— « … Ouais, je sais », grommelle légèrement Dean tout en enfonçant ses ongles dans le bois du banc.
Le châtain garde un silence un peu buté, triturant du bout du pied une petite branche cassée pour ne pas regarder Sam dont le regard lui brûle le front.
La petite ville de leur enfance et ses rumeurs sont loin mais pas encore ses propres appréhensions.
Perdu dans l'immensité du campus de Colorado-Boulder, Dean a accepté un peu plus facilement son attirance pour les hommes, mais il ne vise pas pour autant de figurer sur une page du CU Independent ou de porter sa sexualité en banderole arc-en-ciel sur son torse.
Le jeune homme bataille encore parfois avec lui-même.
S'il peut presque faire défaillir une fille d'un regard contenant toutes les promesses de volupté de la Terre, Dean peine encore à aborder un étudiant avec assurance malgré son entrée en troisième année i peine quelques mois.
Cette sexualité dont il apprivoise encore tous les tenants et les aboutissants est son jardin secret.
Le sien uniquement et Dean se sent incroyablement mal à l'aise quand Sam tente d'en plaisanter pour l'aider à dédramatiser la situation.
Il n'y a rien de mal à fréquenter des hommes mais le châtain aimerait posséder l'assurance suffisante pour en rire avec lui et se moquer des relations foireuses et expérimentales qui ponctuent traditionnellement les années d'université.
Il n'ose pas évoquer l'autre type d'histoire que racontent ad nauseam les téléfilms diffusés sur Hallmark Channel. Celle qui raconte des histoires de sentiments, concrétisées par un mariage à la fin d'un cursus universitaire parce que l'amour aurait fleuri entre deux amphithéâtres ou deux étagères de la bibliothèque.
Plus prosaïquement, il aimerait également ne pas rougir quand c'est lui qu'on gratifie d'une œillade enflammée. Dean trouve parfois que les hommes de l'État du Colorado sont un peu effrayants même s'il est agréable et rassurant de se sentir désiré. Certaines fois, il leur envie aussi un de ça, de tout ce qu'il n'est pas parce qu'il n'ose pas.
Le châtain joue d'une manière un peu plus frénétique avec le petit morceau de bois tandis que Sam le regarde toujours.
Il ne veut pas en parler.
Pas plus que la douleur dans son dos qui commence enfin à refluer lentement pour retourner se nicher presque cruellement dans les muscles entourant son omoplate gauche, entravant sa respiration.
Le jeune homme relève lentement les yeux, croisant ceux de son frère qui restent dardés sur lui avec une attention redoublée et Dean hausse imperceptiblement les épaules.
— « Rentrons à la résidence, j'ai faim », lui dit-il tout en prenant appuis à deux mains sur le banc pour s'aider. « Nous n'avons rien pour réchauffer nos pizzas et je refuse de manger la mienne froide alors dépêchons-nous Sammy. »
Le jeune homme pouffe légèrement et s'empare à nouveau habilement des cartons tâchés de graisse avant que Dean n'y pose les mains.
Pressant l'allure, Sam semble le défier d'un regard de parvenir à le suivre malgré sa relative impotence et le châtain ricane.
Son petit frère est né bien trop tard pour espérer parvenir à le dépasser en quoi que ce soit.
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Quand les deux hommes montent enfin les quelques marches du perron de la résidence B, Dean a l'impression de ne plus savoir où il se trouve.
Son souffle ne cesse de lui échapper tandis qu'une main de fer semble se refermer sur toute la moitié gauche de son corps, enfonçant ses doigts dans ses muscles et ses ongles dans ses chairs les plus profondes.
Sam compose le code digital de la porte d'entrée et le jeune homme en profite pour s'appuyer d'un air faussement nonchalant contre l'embrasure. Juste un instant pour tenter de retrouver un peu ses esprits.
Il s'engouffre enfin brusquement dans le hall, sans un regard pour son frère tandis que ce dernier lui tient gentiment la porte. Son frère y lirait trop de choses à cet instant.
Dean monte les marches aussi rapidement que son corps endolori le lui permet et remonte le couloir pour atteindre la porte de la chambre de Sam. Il a hâte de s'y enfermer avoir soin et de se rouler en boule sur le lit tout en mâchonnant une part de pizza.
Sans doute que son gras réconfortant et sa viande riche et juteuse lui feront le plus grand bien. Peut-être un peu aidés par les yeux bleus de Paul Walker.
Le jeune homme trépigne un peu en voyant Sam sortir ses clés de la poche de son pantalon et il entre dans la pièce sans ménagement, sa main tâtonnant déjà sur le mur pour trouver l'interrupteur.
Dean soupire doucement.
Enfermé entre les quatre murs de la petite chambre d'étudiant de son frère, il se sent plus à l'aise et un peu moins dans l'obligation de faire semblant que tout va vraiment parfaitement bien.
Il entend Sam poser doucement les cartons gras sur un angle de son petit bureau et, un sourire de contentement aux lèvres, le jeune homme hausse rapidement les épaules pour rejeter sa veste en arrière et la retirer.
La douleur irradie à nouveau si fort dans son dos à son geste que Dean ne cache pas son cri d'exaspération tandis que son vêtement se retrouve bloqué un peu stupidement au niveau de ses coudes.
— « Putain ! », jure-t-il bruyamment.
Le châtain pense qu'il doit avoir l'air particulièrement ridicule à cet instant, les mains cachées par les manches trop longues comme un enfant déguisé avec les affaires de son père, mais cette préoccupation passe immédiatement au second plan.
La nausée revient, plus forte encore et Dean utilise toute sa force pour ne pas ployer en avant en une attitude un peu pathétique, semblable à une allégorie de l'Affliction et de la Douleur.
Le châtain se raidit quand il sent Sam effleurer doucement ses trapèzes tendus et son instinct le pousse à faire un pas en avant pour s'éloigner de lui.
— « Ça – Ça va », croasse-t-il difficilement. « Juste cette foutue – légère douleur dans le dos. »
Dean n'a pas besoin de voir Sam pour deviner qu'il secoue lentement la tête d'un air vaguement exaspéré.
— « S'il te plaît, laisse-moi t'aider », lui souffle le blond tout en prenant le col de sa veste pour l'aider à se dégager.
Le jeune homme aimerait pouvoir lui répondre une parole séductrice pour le détromper mais ses dents sont trop serrées. Il se contente d'accepter le secours de Sam qui achève de faire glisser son vêtement sur ses avant-bras avant de s'asseoir avec une précaution infinie sur le bord du lit.
Du coin de l'œil et malgré la douleur qui vrillent ses tempes, Dean observe distraitement son frère étendre avec soin sa veste sur le dossier de sa chaise de bureau, lissant le col pour l'arranger, puis le rejoindre vers le lit. Il fait semblant de ne pas remarquer la manière dont Sam arrange un peu les oreillers contre le mur pour lui permettre de s'installer le plus confortablement possible. Son frère en glisse discrètement un de plus pour lui et le châtain ne cille pas, au fond de lui immensément reconnaissant quand il peut enfin s'y enfoncer comme dans un cocon moelleux et duveteux.
Ça a le goût du paradis.
— « Je te prends immédiatement un rendez-vous à la clinique et je n'admettrai aucune protestation de ta part », dit Sam, à moitié penché vers un petit frigo dont il sort des bières fraîches pour accompagner leur repas. « Je t'y conduirai moi-même s'il le faut et je manquerai des cours pour ça mais je ne peux pas te laisser souffrir comme ça. Ça ne passera pas sans un peu d'aide Dean. »
Le châtain se tait.
Il voit encore des papillons danser devant ses yeux tandis que la douleur de son épaule le lance de manière régulière et lancinante. Les yeux baissés sur ses genoux, Dean ouvre son carton d'une main un peu tremblante, soudain immensément reconnaissant à Lucia d'avoir découpé sa pizza car l'effort lui semble insurmontable à cet instant. Il aurait sans doute pu la manger en portant le carton à sa tête et en y enfonçant à moitié son visage mais le châtain songe que son frère n'aurait pas apprécié.
Dean observe Sam s'asseoir à son tour sur le lit, étendant ses longues jambes devant lui avant de déposer son ordinateur portable entre eux. Dans une dernière contorsion qui agite le matelas et lui donne encore un peu plus mal au cœur, il le voit enfin récupérer son smartphone dans la poche arrière de son jean et le déverrouiller.
— « À qui écris-tu ? », lui demande le jeune homme la bouche pleine. « Tous tes petits camarades de révision doivent être sagement couchés dans leur petit lit à cet instant. »
— « Ils sont allés à la soirée du club de cinéma, ils projetaient Pretty Woman », lui répond distraitement Sam tout en commençant à rédiger un message. « … Je pense que Jérémy et Anne vont se mettre ensemble ce soir. »
— « Anne ? » Dean fronce légèrement les sourcils. « Je croyais que tu avais le béguin pour elle. »
— « Elle est jolie et intelligente. Et drôle », marmonne Sam tout en haussant les épaules d'un geste nonchalant. « Je crois que Jérémy est amoureux d'elle depuis la rentrée, c'est une bonne chose qu'il le lui avoue enfin. … Mais je n'avais pas vraiment envie d'assister à ça alors ton invitation à un marathon Fast & Furious a été grandement appréciée. »
Avec mille précautions, le châtain vient appuyer son épaule contre la sienne en un geste réconfortant.
Son petit frère est un cœur d'artichaut depuis qu'il a appris comment utiliser cet organe pour autre chose qu'aimer éperdument ses parents et Dean. C'est touchant de voir Sam se débattre avec ses coups de cœur mais ses sentiments sont parfois mal récompensés et cela lui hérisse toujours le poil.
Il mérite d'être aimé et Dean aimerait réellement l'y aider. Ses propres histoires sentimentales sont bien loin sur l'échelle de ses priorités quand il voit son frère être blessé. C'est aussi son devoir de le rendre heureux.
Le jeune homme s'appuie plus lourdement contre lui, un remerciement silencieux qui le fait sourire.
C'est ça, c'est sa mission.
— « Ne crois pas que mes histoires de cœur me font oublier ta santé », reprend toutefois Sam tout en lui montrant son portable d'un petit geste de la main. « J'écris un message à Castiel, c'est l'étudiant qui s'occupe de moi quand je vais à la clinique et j'aimerai que ce soit lui qui te prenne. Il va probablement finir major de sa promotion et ses mains sont… magiques. Il fait vraiment du bien. »
Dean étouffe difficilement son rire un peu obscène par une nouvelle bouchée de pizza dont le gras coule dangereusement le long de la garniture. Son frère tend machinalement une main à côté de lui pour prendre une serviette en papier et la poser sur ses genoux afin de protéger son jean et son couvre-lit, ses yeux toujours rivés sur l'écran de son portable.
— « C'est à croire que tu le fais exprès », marmonne le châtain tout en s'essuyant discrètement le menton. « Il va me prendre pour me faire du bien ? Tu es sérieux ? »
Sam roule des yeux d'un air vaguement désespéré et, reposant son portable sur le couvre-lit, il ouvre son propre carton à pizza pour commencer à l'entamer proprement avec des couverts.
Dean a parfois l'impression de frôler les profondeurs insondables du gouffre du désespoir quand il regarde son frère manger sans se salir les doigts des choses sans viande ni graisses saturées.
— « Ne te sens absolument pas forcé de dire des choses déplacées à Castiel quand tu seras à la clinique », le sermonne Sam tout en mangeant une bouchée de sa Bianca Verdura. « Il est très sympa, particulièrement compétent et je veux pouvoir continuer à aller le voir tout en le regardant dans les yeux. »
— « Si sympa que tu as son numéro de portable », lui fait remarquer Dean d'un ton chantant et malicieux.
Sam hausse légèrement les épaules.
— « Une étudiante a fait un jour une erreur dans son planning et il n'a pas pu s'occuper de moi comme convenu. Son collègue n'était pas mauvais mais pas aussi efficace et Castiel a pris cela comme un affront personnel. Il est très attaché au fait de soulager ses patients et m'a donné son numéro pour que cela ne se reproduise plus jamais », lui explique le blond dans un sourire affectueux. « L'inconvénient est qu'il ne sait jamais réellement où est son portable et qu'il le consulte très peu. Je prends toujours rendez-vous très en avance en prévision d'examens importants pour qu'il ait le temps de remettre la main dessus et de me répondre. Je n'ai aucune garantie que ce soit concluant ce soir mais dans le cas contraire, j'appellerai la clinique demain à la première heure. »
Dean pouffe doucement à ce comportement un peu lunaire et assez adorable avant qu'un doute soudain ne l'assaille.
Aucun jeune adulte normalement constitué n'oublierait cet appareil bourré d'électronique, si vital pour une vie sociale et étudiante épanouie, sans en être déjà naturellement peu familier. Comme une personne plus âgée par exemple.
Le jeune homme sent un léger frisson d'appréhension remonter le long de son dos.
Il est parfois presque effrayé par l'état dans lequel rentre son frère après une séance à la clinique, à la fois désorienté, extatique et un peu incohérent quand ils parlent.
Dean refuse de se retrouver dans une telle situation de vulnérabilité devant un inconnu au visage ridé et au début d'embonpoint en réorientation professionnelle.
C'est hors de question.
— « … Quel âge a ce prodigieux futur médecin ? », lui demande-t-il tout en jetant un regard en coin à son frère.
Sam arrête sa fourchette en l'air à mi-chemin entre sa bouche et son carton à pizza avant de froncer les sourcils.
— « Je ne sais pas vraiment, il est probablement un peu plus âgé que toi », lui répond-il après un court silence. « Mais cela ne signifie en rien qu'il partage ton goût pour les plaisanteries de troisième mi-temps. Castiel a même un humour assez… particulier. »
— « Au moins autant que son prénom », note distraitement Dean tout en léchant avec satisfaction une goutte de graisse qui roule voluptueusement sur les reliefs d'un morceau de pancetta grillée. « … Et est-ce que tu me lancerais un défi ? Je suis aussi plutôt bon dans ce que je fais. »
Le jeune homme hausse un sourcil suggestif mais son frère se contente de ricaner.
— « Castiel t'usera avant, il déconcerterait même Dave Chappelle », lui dit-il d'un ton moqueur. « Je sais très bien que tu ne dis ça que parce que tu es mal à l'aise à l'idée de montrer tes faiblesses et que c'est une manière de retrouver un peu le contrôle de la situation. Une fois allongé sur la table d'auscultation, je peux te promettre que tenter de le gêner sera la dernière chose à laquelle tu penseras. »
Dean mord à belles dents dans sa part de pizza, mâchant d'une manière un peu écœurante avant de jeter un regard noir au blond.
— « Je déteste vraiment ton cursus de psychologie », bougonne-t-il dans sa barbe.
— « Cela n'a rien à voir, ce sont juste des années d'observations fraternelles », lui rétorque joyeusement Sam.
Une discrète sonnerie résonne soudain entre eux et le blond pose soigneusement ses couverts devant lui pour récupérer son portable. Dean surveille avec une pointe d'anxiété son expression et quand un large sourire ravi et profondément soulagé vient illuminer son visage, il se renfrogne.
C'est précisément ce soir que la petite bizarrerie de Castiel ne se manifeste pas et il jure silencieusement.
— « C'est merveilleux ! Castiel a retrouvé son portable et il a une possibilité demain matin juste avant le déjeuner ! », s'exclame Sam avec ravissement. « Et tu es en week-end à partir de onze heures, juste après ton cours de physique atmosphérique et spatiale. »
— « Je suis extatique Sammy », lui répond le châtain avec une mauvaise foi si outrée qu'elle en est palpable.
Il ricane d'aise quand son frère le foudroie du regard. Ce dernier semble prendre un plaisir presque pervers à confirmer son rendez-vous, ses yeux plantés dans les siens, et Dean se retient de lui siffler une insulte exaspérée.
— « Je suis vraiment rassuré qu'il puisse te recevoir. Castiel est incroyable et il fait des miracles. Il sait vraiment y faire et ses mains sont – Tu verras bien », achève rapidement le blond tout en pianotant furieusement sur son portable.
En silence, Dean articule outrageusement pour singer les paroles de Sam avant de rouler des yeux.
Repoussant brièvement le carton de sa pizza sur ses genoux, il se penche difficilement en avant pour allumer l'ordinateur portable et se connecter à son cloud afin de récupérer les premiers films de la saga Fast & Furious. Le jeune homme se cale plus confortablement contre les oreillers et il garde les yeux rivés sur l'écran tandis que le générique un peu racoleur du film commence.
À ses côtés, Sam semble si profondément satisfait de la situation que Dean se mord les joues.
Son épaule et son dos le lancent jusqu'à la racine de ses cheveux, la douleur est abrutissante mais le jeune homme est au moins un aussi grand obstiné que dans la manière de se voiler la face quand c'est nécessaire.
Son frère est un grand amateur de nourriture saine et de pratiques médicales un peu alternatives.
Soit.
Pas lui.
Dean lèche ses doigts couverts de gras avant d'entamer le deuxième quart de sa pizza, un sourire un peu narquois aux lèvres.
Il a réellement hâte d'annoncer d'un ton grandiloquent à Sam que ce dernier s'est trompé, que les mains magiques de l'étudiant si brillant en ostéopathique ont été parfaitement inutiles et que sa douleur passera seule avec des étirements. Le jeune homme le sait.
Il pensait en tout cas le savoir.
Le lendemain matin, à son réveil, la douleur est tellement insupportable que Dean en a le souffle coupé, l'esprit embrouillé et la mâchoire si contractée qu'il se demande un peu stupidement s'il parviendra à articuler une réponse à une question posée.
Le jeune homme s'est tordu dans ses draps pendant une grande partie de la nuit, la poitrine comme douloureusement oppressée par un poids et ses côtes semblant presque vibrer de douleur à chacune de ses inspirations et expirations.
Il peut à peine bouger son bras gauche à cause de la souffrance et quand Sam vient toquer à la porte de sa chambre d'étudiant dans la résidence A, le châtain se contente de lui jeter d'un air profondément défait les clés de l'Impala.
Il ne peut pas marcher jusqu'à la clinique de l'école, pas plus qu'il ne peut conduire sa plus grande fierté.
Dean a envie de pleurer tant il se sent misérable.
