Chapitre 15 : Piques

Les deux groupes attendaient dans leur espace de repos que le festival ouvre et que le premier concert de la journée ne commence. Assis dans les canapés, ils discutaient tranquillement. Le leader des Danaïdes se leva pour attraper une bouteille d'eau à quelques pas de lui, grimaçant en sentant les courbatures dans ses reins. Cette expression, pourtant discrète, n'échappa pas aux autres.

- Tout va bien ? s'inquiéta Florian. Tu as encore mal au dos ? Tu as porté du matériel encore ?

- Non. C'est rien, juste les conséquences d'une semaine de travail.

Mozart ricana, sachant pertinemment qu'il était le seul responsable de ces douleurs. Après leur ébat de la veille, ils s'étaient tous les deux endormis, épuisés, sur le lit de l'italien. Quand le réveil avait sonné, Wolfgang avait déjà les yeux ouverts depuis quelques instants, admirant son amant assoupi. Celui ci s'était éveillé et avait sursauté, avant de se rappeler des évènements. Le brun s'était hâté de s'habiller, et il avait déserté la chambre pour aller dans le hall de l'hôtel. L'autrichien avait été déçu, mais surtout inquiet à l'idée qu'il puisse regretter. Mais il s'était vite rassuré, Antonio était du genre à fuir dès que quelque chose le perturbait. C'était normal de lui laisser un moment pour digérer tout cela. Ils ne s'étaient pas reparlé depuis, et Salieri évitait soigneusement son regard. Il évitait d'ailleurs tout le monde, assis dans son coin sur un fauteuil plus éloigné, à regarder son téléphone sans participer à la conversation. Il but un peu d'eau avant de retourner à sa place. L'autrichien se leva à son tour pendant que la conversation prenait une tournure dynamique, Florian menant le débat avec conviction, et il se servit un verre d'eau avant de se pencher à l'oreille du brun qui était juste à côté.

- Désolé, murmura-t-il doucement, j'y suis peut être allé trop fort... Tes reins vont tenir le coup pour un second tour j'espère ?

Derrière son écran, le visage d'Antonio rougit. Heureusement, à cet instant, un membre du staff vint les avertir de préparer leurs instruments pour monter sur scène d'ici trente minutes. Les Danaïdes se levèrent, étant les premiers à passer. Ils installèrent tranquillement leur matériel, effectuant les premiers tests. Wolfgang, posté devant la scène à la place du public pour les guider quant à la sonorisation de la place, dévorait Antonio des yeux pendant que celui ci remontait le pied de micro devant son visage. Quand l'aîné sentit le regard ardent sur lui, il se retourna pour ne pas réagir et demanda à ses amis.

- Je peux vous aider ?

- Non, dit Thalie en lui souriant. Ménage toi pour une fois.

- Ouais, déjà que tu marches comme un petit vieux qui s'est fait percuté par je ne sais quoi, railla gentiment Florian. Wolfgang, pourquoi tu lèves la main ?

- Pour demander la parole et suggérer ce qui aurait pu percuter le maestro Salieri ! cria le blond avec impertinence.

Les joues du brun s'enflammèrent tandis que le reste de leurs amis éclataient de rire suite au sous entendu du chanteur. La demi heure passa vite, et bientôt, le premier groupe fut sur scène pour chanter. Mozart, derrière la scène, ne cessait d'admirer le plus âgé, s'imaginant mille et un scénarios à ses côtés. Il était beau, il était talentueux, et même s'il avait déjà pu le faire sien, il le voulait encore. Jamais il ne pourrait se lasser de l'italien. Leur partie terminée, les musiciens laissèrent leur place à Requiem. En montant pour se placer à son tour devant le micro, il glissa discrètement au brun.

- Peut être que je pourrais te masser pour soulager tes courbatures avant de t'en offrir de nouvelles pour demain ?

- La ferme, Mozart.

- Oh, on en est encore là ? Toujours pas de prénom ? Donc même en ayant partagé ton lit et ton corps, je n'ai pas encore comblé la distance entre nous ? Maestro, je vais devoir remettre ça au plus vite dans ce cas.

Salieri leva la main pour saisir le col de l'insolent, mais celui ci désigna d'un regard la foule qui attendait patiemment le changement de groupe, et il abandonna l'idée d'avoir le moindre contact avec l'autrichien.

- Tu ne t'en tireras pas aussi facilement.

- Oh non, je ne voudrais pas. J'ai hâte qu'on en reparle...

Antonio quitta la scène, frustré, sous le sourire impertinent du blond qui saisit aussitôt le micro.

- Bonsoir Paris ça va ?! Vous êtes prêts, on va foutre le feu sur la scène en plus de l'avoir au cul !

Le public rigola à sa grossièreté tandis qu'Antonio sentait le sous entendu à son égard. Il jeta un regard par dessus et son épaule et son intuition se confirma, Wolfgang lui avait jeté un coup d'œil mesquin en parlant. Et il ne pouvait pas répondre sans dévoiler à tout le monde ce qui s'était passé la veille. Il était donc condamné à subir les moqueries de son cadet en silence. La musique commença, et Mozart ouvrit la bouche pour chanter. Aussitôt, la colère de Salieri retomba comme si elle n'avait jamais existé. Ce garçon n'était pas normal, il l'envoûtait bien trop facilement. Que ce soit pas sa voix ou encore ses mains sur son corps, tout en l'autrichien l'emprisonnait avec violence, révélant ses propres désirs qu'il tentait pourtant de museler depuis tant d'années. Comment était-ce possible ? Pourquoi cet homme avait-il ce pouvoir sur lui. Et lui, il avait cédé si vite. Il ne regrettait pas un instant leur nuit, et c'était justement cela qui l'effrayait. Quand il avait ouvert les yeux ce matin, quand il avait croisé le regard du plus jeune, qui l'admirait avec tant de force, il avait eu peur. Peur de lui même, peur de ressentir quelque chose qui le détruirait ensuite, peur de ce que le blond allait dire. Il avait fui. Et maintenant ? Il ne pourrait pas s'échapper éternellement. D'autant plus que l'autrichien semblait satisfait et qu'il ne voulait qu'une chose, s'il en croyait ses piques depuis leur arrivée à Sonate, recommencer. Et il savait pertinemment que lui aussi n'attendait que ça.