Cet OS a été écrit dans le cadre de la 136ème nuit du FoF pour le thème « naïf ». Le lien du forum francophone, sur lequel vous trouverez jeux et discussions autour de la fanfiction, se trouve sur mon profil et dans mes auteurs favoris. Rejoignez-nous si le cœur vous en dit !
Je déteste ces moments. Il fait nuit noire dehors et moi, allongée sur le dos, les yeux grands ouverts depuis des heures, je fixe le plafond en tentant de faire le vide dans mon esprit. En tentant de me convaincre que c'est possible, que je ne suis pas totalement sceptique sur le fait qu'on puisse y arriver vraiment si on n'est pas Voldemort.
Après m'être écroulée de fatigue et avoir dormi deux heures d'un sommeil comateux, je me suis réveillée le cœur battant il y a beaucoup trop longtemps. Je suis dans un état d'agitation tel que je pourrais tout aussi bien me lever, je le sais bien. Espérer débrancher mon cerveau et mettre mon corps sur pause est illusoire et pourtant, la perspective de tourner en rond dans la maison m'angoisse davantage encore. Ignorant de mes états d'âme, Lucius, à côté de moi, ronfle comme un bienheureux et affiche un visage parfaitement détendu. Enfoiré. Que j'aimerais être capable, comme lui, d'avancer dans la vie sans me poser sans arrêt tant de questions.
Je n'ai jamais été coutumière d'un sommeil de plomb, mes nuits sont plutôt du genre perturbé. Cependant, ce soir, je pensais sincèrement que je dormirais convenablement. L'épuisement mental ne me manque pas ces derniers temps et sombrer dans l'oubli m'apparaissait comme la meilleure perspective de ma journée.
Or, ce n'est pas ainsi que ça s'est passé.
Contre toute attente, je me suis réveillée en sursaut, éprouvant une anxiété que je connais bien mais que je n'avais pas vu venir aujourd'hui. Contre toute attente, également, c'est ma discussion de cet après-midi avec Regulus que je rumine.
Lucius et moi avons aimablement été invités par Orion et Walburga. Enfin, aimablement… Je crois que mon oncle et ma tante souhaitaient, surtout, sonder mon mari. Eux qui ne connaissent les Malefoy que d'assez loin m'ont bombardée de questions à son sujet lorsque notre mariage a été annoncé. Ils ne l'ont rencontré que le jour de la cérémonie et ne l'avaient pas encore revu depuis. Or, Orion ne déteste rien plus que de ne pas avoir assez d'informations pour se forger une opinion et, à mon avis, Walburga n'a pas dû se faire prier longtemps car sa curiosité pour les affaires du monde est sans égale.
Comme je pouvais m'y attendre, mon rôle dans cette affaire fut strictement d'ordre social. C'est Lucius, celui qui passait l'examen et devait supporter le processus des jugements familiaux. De fait, je n'ai pas eu grand-chose à dire et, à un moment, il m'a semblé que je pouvais m'autoriser à quitter la table pour aller prendre des nouvelles de mon petit cousin.
Ce dernier s'était montré particulièrement silencieux pendant le repas et s'était enfuit dès que la politesse rendait sa retraite acceptable. Je l'ai retrouvé dans sa chambre, un livre à la main et je me suis assise sur son lit pour entamer la conversation. Néanmoins, comme souvent ces derniers temps, il avait fallu batailler pour extraire les veracrasses du fossé. Regulus, qui n'a certes jamais été le gamin le plus expansif du monde magique, avait cependant toujours eu une forme de malice lorsque je venais lui rendre visite, ravi de l'intérêt que lui portait quelqu'un de plus âgé que lui. En revanche, depuis le départ de son frère, il n'est plus le même. Devenu le dépositaire de toutes les espérances parentales, il s'est mué en un adolescent particulièrement austère et sérieux.
Comme je n'avais toutefois aucune envie de retourner voir mon mari se faire cuisiner par des gens qui ne sont même pas mes parents, j'ai insisté. Pas très inspirée, je me suis appuyée sur ce que je savais de sa vie récente et je l'ai lancé sur ses premières impressions depuis qu'il a décidé de s'engager chez les mangemorts.
D'abord réticent, il a fini par parler. Il m'a raconté sa première réunion, à quel point il avait été angoissé comme jamais de rencontrer Voldemort. Il m'a raconté les tortures physiques et la violence psychologique, il m'a raconté l'absence totale d'une quelconque pitié.
Bien sûr, il n'a pas dit qu'il avait trouvé ça terrifiant. C'est de Regulus dont on parle, ne l'oublions pas. Il a utilisé des mots plus neutres, il a dit « pas toujours facile », « parfois un peu inquiétant » …
Et moi… Moi, qu'ai-je donc répondu ?
Je lui ai dit « mais gamin, tu es naïf ou quoi ? A quoi t'attendais-tu ? »
Et lui… Lui, il a reculé instantanément. Il a dit « non, non, bien sûr… Je sais que c'est comme ça, ça va… C'était juste parce que c'était la première fois, je vais m'habituer… »
Je n'ai pas su. Je n'ai pas su répondre, trouvé les bons mots… Je n'ai pas su lui dire que je savais de quoi il me parlait, parce que Lucius, à grand renfort de demi-mots et de périphrases, m'avait déjà bien assez laissé comprendre de quoi il en retournait… Je n'ai pas su lui dire que oui, c'est terrifiant (et ça le sera encore) mais c'est une terreur nécessaire, acceptée par ceux qui ont fait ce choix infiniment courageux de l'engagement, parce que c'est ce qu'il faut pour défendre un monde dans lequel on croit bien plus que ce qui se passerait sans cela… J'ai été incapable de lui dire qu'il peut être fier de lui. Que moi, je le suis.
Au lieu de ça, je l'ai traité de naïf. Comme une vengeance, non contre lui mais contre mes sœurs, qui m'ont tant et tant répété cela. Moi, la naïve, qui n'ait aucune expérience de la vie des grands. A six ans ou la vingtaine bien tapée, elles n'ont jamais manqué de me renvoyer ce qualificatif à la figure. Différemment peut-être, mais l'une comme l'autre n'ont jamais été en reste. Alors, comme une idiote mal finie, j'ai oublié combien j'en avais toujours souffert et j'ai jubilé de pouvoir inverser mon rôle pour une fois.
Aujourd'hui, c'était moi la grande. L'expérimentée. Ah, la sacro-sainte expérience de la vie, elle est si pratique pour pouvoir dire n'importe quoi !
Aujourd'hui, c'était moi la grande et je me suis vengée de mes frustrations d'enfant en renvoyant Regulus à ce statut de môme. Regulus, qui vient de prendre la marque des ténèbres. Regulus, qui vient de faire un choix que je me suis toujours contentée de soutenir chez les autres, en me trouvant des tas de bonnes raisons pour ne jamais franchir le pas moi-même.
Aujourd'hui, j'ai vu des doutes dans l'expression de mon petit cousin et je n'ai pas su lui apporter la réassurance dont il avait besoin. J'aurais dû le soutenir, le conforter dans son choix, reconnaître la difficulté de ce qu'il est en train de vivre pour l'encourager à en parler… Au lieu de ça, je l'ai laissé douter tout seul et j'ai, probablement, fermé toute possibilité qu'il vienne se confier à moi en cas de coup dur. Il les traversera seul, comme il le fait depuis longtemps.
Je déteste ces moments, ces nuits perturbées où je n'arrive pas à dormir mais plus que tout, je me déteste. Je me déteste de ne pas avoir trouvé les bonnes réponses et je déteste qu'il me soit impossible de retourner en arrière.
