CHAPITRE 1
Dix ans. Je peine à croire que cela fait déjà dix ans que Lucy et moi sommes en couple. Et que ce soir, tous nos amis sont réunis pour l'occasion dans le bar de Mirajane que nous avons privatisé. La musique fait déjà danser les corps, les stroboscopes projettent des couleurs envoûtantes, de toutes les formes, dans toutes les directions, rendant la vision psychédélique. Elles épousent merveilleusement les silhouettes apprêtées. Oui, je dois dire que tout le monde a fait un effort vestimentaire, les smokings semblent de rigueur et mettent en valeur les qualités athlétiques des membres masculins de notre cercle d'amis. Les heures à transpirer sur les terrains de squash ou à l'aviron ne sont pas peine perdue et ont sculpté nos corps tout en renforçant nos liens d'amitié indéfectible. Pour la plupart, nous nous sommes rencontrés sur les bancs de l'école maternelle et nous ne nous sommes plus quittés depuis. Nous avons traversé les années merveilleuses de notre scolarité, avons découvert, ensemble, presque dans le même temps, les premiers émois amoureux, les premières déceptions aussi, les premiers revers tout autant que les premières grandes victoires, éclatantes et fondatrices. Nous avons fait les choix de notre orientation avec le souci de toujours être les uns près des autres, d'entretenir cette précieuse amitié. Nous avons pour beaucoup réussi brillamment nos études, nous nous sommes réalisés professionnellement oui, je peux dire que mes potes et moi avons une vie que beaucoup pourraient nous envier. Mais on n'a rien sans rien ! Et c'est à force de volonté, d'un travail acharné, de choix audacieux aussi, que nous jouissons aujourd'hui de situations plus que confortables.
Je suis avocat d'affaires, droit commercial, droit du travail, droit des sociétés. J'ai une spécialité en droit international. Mes honoraires sont devenus pharaoniques depuis que j'ai gagné un procès contre une multinationale, il y a deux ans. Aujourd'hui, ce sont ces firmes gigantesques qui m'engagent. Elles préfèrent m'avoir dans les rangs de leurs avocats plutôt que je plaide contre elles. Cela nous assure, à Lucy et à moi, un train de vie indécent. Certes, il m'a fallu renoncer à quelques principes, quelques idéaux, mais je n'ai pourtant pas l'impression d'avoir vendu mon âme au diable. Peut-être me fourvoyé-je ?
Un papillon multicolore passe à côté de moi, virevoltant. Il lance ses bras autour de mon cou, me fait face et resserre son étreinte dans un élégant mouvement de rotation. Des prunelles parfaitement maquillées, d'un caramel céleste, prennent possession de mes yeux amusés. Elles pénètrent en moi profondément tandis que la main cajoleuse effleure ma nuque.
— Sais-tu que je t'aime à la folie ? m'interroge d'une voix enjôleuse la blonde pulpeuse pendue à mon cou.
— Il vous faudra me le prouver ce soir mademoiselle, susurré-je en souriant tout en empaumant son menton afin d'affirmer ma position de dominant.
Lucy fait la moue. Elle n'est pas satisfaite de ma réponse. J'éclate de rire. Bon sang, je la connais par cœur. Cette femme divine qui m'a fait l'honneur de m'offrir son cœur désire toujours être rassurée. Vingt fois par jour, mille fois par jour, je dois lui témoigner mon amour absolu. Ainsi s'écoulent nos années de bonheur. De la tendresse, de la sensualité, de la passion. Cela peut paraître inconciliable mais Lucy Heartfilia a ce don incroyable et unique. Elle me comble merveilleusement. Chaque parcelle de mon cœur, chaque exigence de mon ventre, chaque ressort de mon cerveau trouvent satisfaction auprès de cette nymphe que la nature a dotée de toutes les manières qui soient : belle, drôle, intelligente, sacrément sexy et le cœur sur la main. J'ai une putain de chance ! Je le sais… Alors pourquoi ce soir ne puis-je échapper à ce tremblement ? Pourquoi ?
Ma main sur son délicat menton s'est effacée. Je contemple le doux minois qui me jauge d'un air amusé recouvrer un peu de sérieux.
— Tout le monde n'est pas encore arrivé, m'annonce Lucy.
Je fais mine d'être surpris. Pourtant je n'ignore pas que certains manquent à l'appel. Une personne en particulier. Une personne que j'attends avec tout autant de fébrilité que d'impatience et avec qui je veux m'entretenir. Désamorcer la situation que j'ai moi-même initiée cet après-midi. Le jour de nos dix ans. À Lucy et à moi. J'ai vraiment merdé !
— Grey est en train de discuter avec Jubia, il a été vraiment très surpris de la voir.
— Ah oui ? réponds-je en me tournant vers nos amis séparés depuis maintenant un peu plus d'un an.
L'ancien couple est effectivement en pleine conversation. Jubia est sublime comme toujours. Grey me lance un regard indéchiffrable, de loin. Un léger frisson court le long de ma colonne vertébrale. Je sais que c'est pas cool pour lui ce que j'ai orchestré. Lui mettre sous les yeux, dans les pattes, pour toute la soirée, son premier grand amour. Et surtout ne pas l'en avertir… Je me mords sauvagement la lèvre inférieure, me fustige de tant de faiblesse. Tout ça parce que je sais que Jubia va le monopoliser, qu'elle fera en sorte d'être le centre de son intérêt, de ses attentions qu'elle va aimanter son regard et, je l'espère, le détourner de cette autre qui n'est pas encore arrivée.
Drapée dans une robe noire d'une extrême élégance, ses cheveux d'un bleu profond dévalant ses épaules dénudées, je vois Jubia Lokser en plein exercice de séduction. Elle ne renoncera jamais à mon ténébreux meilleur ami et, pourtant, c'est bien elle qui est à l'origine de leur rupture. Elle a préféré Tokyo, les opportunités professionnelles qu'on lui proposait, à la sérénité de Magnolia, sa relative austérité pour la créatrice qu'elle est, et même au couple qu'elle formait avec l'un des hommes les plus influents de notre province. Lui que je croyais fou d'amour pour elle n'a pas souhaité tenter l'aventure à ses côtés alors qu'il lui était tout à fait possible, voire prolifique, de déménager certaines de ses activités dans la capitale. Il a mis un terme à leur relation, abruptement. Dire que je croyais leur amour indestructible ! Jubia a souffert le martyre mais elle a quitté Magnolia, elle s'est installée à Shinjuku, un quartier chaud de Tokyo et y a ouvert avec succès une galerie d'art. Elle y expose ses propres créations - sa côte internationale ne cesse de grimper - ainsi que d'autres artistes. Sculptrice en vogue, galériste visionnaire, mais femme toujours célibataire. Nous la voyons peu désormais, elle est très occupée. Mais elle a répondu « présente » pour aujourd'hui lorsque je l'ai contactée au dernier moment, dimanche dernier, pour la convier à cet anniversaire. Jubia n'a pas fait mention de l'aspect tardif de l'invitation et moi, je me suis refusé à le justifier. Je pense qu'elle a deviné que, de manière très naturelle, malgré nos tentatives du début, nous avons été amenés à faire un choix… La voir aujourd'hui me fait vraiment plaisir, au-delà de la manipulation que j'orchestre et que je suis seul à connaître, ça a un petit côté nostalgique auquel je ne suis pas insensible. Je sais que Grey n'apprécie pas. Bien qu'il s'en défende, la fin de leur relation a été douloureuse, il a œuvré à sa façon pour se défaire de tous ses sentiments. Étrange comme il a voulu effacer tous les stigmates de leur amour, comme il l'a renié. Après leur séparation, il a sombré dans une hyperconsommation de jeunes et belles donzelles. Je n'ai pas compté le nombre de femmes qui sont passées dans ses draps et je n'ai certainement connaissance que de la partie émergée de l'iceberg. Mais il n'a satisfait que son ventre et lui aussi reste un célibataire endurci. Son poste de directeur général de la société familiale l'occupe beaucoup. Il s'y est révélé excellent homme d'affaire, un requin comme on dit. Avec un sens de l'opportunité, un flair, très étonnants pour celui qui était si réticent à s'investir dans les projets à l'université. J'étais toujours celui qui prenait les initiatives, celui qui menait, lui suivant en traînant savate, n'étant intéressé à cette époque que par Jubia et le sport. Et nous sommes tous aujourd'hui à saluer cette grande capacité qu'il a à savoir s'entourer, à choisir ses collaborateurs. Il a le sens du management, il motive, et tous lui sont d'une indéfectible fidélité. Il inspire respect et admiration. Sa réussite est épatante et il est considéré aujourd'hui comme l'un des meilleurs partis de Magnolia.
— Je vais voir Mirajane, me lance Lucy avant de déposer un petit baiser sur mes lèvres, renonçant à zyeuter davantage l'ancien couple.
Je la suis du regard. Elle se dirige vers la blanche barmaid qui est en train de discuter avec Luxus. Ce dernier ricane et ouvre les bras comme pour enlacer ma blonde. Je plisse les yeux malgré moi, je suis pourtant habitué aux lourderies de notre vieil ami. Mirajane met une pichenette à son amoureux mais ne l'empêche pas d'étreindre Lucy. Celle-ci joue le jeu et se coule un instant entre les bras musculeux de celui qui a tenté de mettre dans son lit toutes les figures féminines célibataires de notre cercle et, je dois l'avouer, y est parvenu pour beaucoup d'entre elles. Je ne saisirais jamais ce qu'elles peuvent bien trouver à ce vantard débauché. Mais bref, je suis un mec, je peux pas comprendre…
J'observe donc ma femme tout sourire avec Luxus. Elle est vêtue ce soir d'une robe bleue en mousseline, couverte de strass. Elle brille de mille étoiles, les astres célestes lui vont si bien. Cette robe ne possède pas de bretelle et je ne peux que constater que le bustier, qui épouse parfaitement son torse, met en valeur sa poitrine généreuse, ce décolleté dans lequel l'autre gougnafier plonge son nez. Ah, ça m'irrite ! Mais je laisse couler, ce n'est qu'un jeu. Pour l'un, comme pour l'autre… Et puis je suis loin d'être irréprochable !
Lucy se saisit de l'appareil photo dont elle ne se sépare jamais, un vieux Minolta argentique, et fusille le couple Mirajane, Luxus qui se serre amoureusement pour répondre aux exigences photographiques de ma blonde. Lucy est photographe professionnelle, très convoitée par les magazines people de la région. Elle est si attentive aux autres, entre autres qualités, qu'elle a réussi à développer un œil d'une terrible sagacité, capable de rendre beau ce qui est laid, et monstrueux ce qu'il y a de plus gracieux. Comment fait-elle pour capter ces instants où l'on est véritablement soi-même, où la grâce transparaît ? Je l'ignore, mais j'admire ce talent reconnu par tous et qui me laisse pantois d'admiration devant ses œuvres. Après, ce travail est avant tout alimentaire et mon amour aime plus que tout parcourir la campagne plutôt que les studios aseptisés car, ce qui lui plaît vraiment, c'est la photographie naturelle, ornithologique pour être plus précis. Chez nous, je ne compte plus les photographies d'oiseau en parade amoureuse, en scène de chasse, en période de nidification, en combat apocalyptique… C'est ainsi, mon trésor n'a que faire des starlettes qu'elle fige sur papier glacé, elle est passionnée par l'air, le ciel et ses habitants. Parfois, je me dis que je voudrais lui offrir des ailes… Voilà comment je la vois… un ange.
— Elle est magnifique, hein ?
La voix de mon meilleur ami me sort de ma béate contemplation. Je ris tout en détournant la tête vers les yeux noirs de Grey.
— Tu es le plus chanceux d'entre nous, j'espère que tu en es conscient !
— Évidemment ! réponds-je avec un agacement que je n'explique pas.
— Sympa de m'avoir prévenu pour Jubia, assène-t-il vivement.
— Désolé Grey…
— Laisse tomber, c'est votre anniversaire, on en parlera plus tard. Lisanna n'est pas arrivée ?
Une vague de contrariété échoue en moi, je lutte pour n'en rien montrer et dévisage avec attention l'homme qui me fait face. Je veux lire en lui ! Tout comme vendredi dernier quand, dans la plus grande inconscience, il m'a fait basculer…
— Non, je ne l'ai pas vue encore. Elle ne devrait pas tarder.
Je dissimule ma fébrilité. Je n'ai ce soir qu'une seule crainte, que Lisanna ne vienne pas. Qu'elle soit trop bouleversée par ce que nous avons partagé cet après-midi, qu'elle m'en veuille ou qu'elle me craigne, je discerne mal quel peut être son état émotionnel après ça. Je dois lui parler. Absolument. Là est mon urgence.
oOo
Vendredi dernier…
Soirée de merde chez Erza. Je dis de merde car elle fut pour moi source de bouleversement, l'ambiance y était pourtant, comme à l'accoutumée, chaleureuse et drôle et nous arrivions tous au compte-goutte, en fonction de nos activités professionnelles respectives. Certains avaient déjà entamé un poker, d'autres grignotaient, la liesse régnait. Les filles en particulier échangeaient des potins qui, je dois le dire, m'indifféraient au plus haut point et qui concernaient des couples célèbres. Ça jacassait et ricanait. Pour ma part, je discutais avec Grey. Il avait besoin de conseils juridiques concernant un changement de règlement intérieur dans l'une de ses boites. Notre conversation était sérieuse et on s'était un peu éloignés des autres pour échapper au brouhaha ambiant. Tandis que je lui faisais part de mon avis, je fus étonné du changement qui s'opéra chez lui. Brusquement, sans que je n'y comprisse rien du tout, son visage se figea, ses yeux s'obscurcirent alors qu'il fixait quelqu'un dans mon dos. J'avais deviné évidemment qu'il s'agissait d'une femme, une personne qui le troublait au plus haut point en tout cas. Cela me ravît. Il y avait bien longtemps que je n'avais pas vu mon ami à ce point happé. Un sourire, qui devait s'évanouir bientôt, s'installa sur mes lippes car je pressentis une affaire de cœur. Oui, de cœur ! Inespéré aujourd'hui ! Seule Jubia avait pu, en son temps, transfigurer ainsi Grey Fullbuster, lui faire abandonner bien malgré lui son impénétrable maîtrise de soi. Les femmes qu'il fréquentait depuis lors ne l'ébranlaient pas le moins du monde. Elles n'étaient pour lui que des pantins destinés à satisfaire ses envies sexuelles. Mais là, là ! Il y avait du sérieux ! Je connais mon meilleur ami mieux que moi-même à vrai dire et son trouble m'était si palpable que je retardais le plus possible la découverte de celle qui était source de pareil ébranlement. Je voulais savourer ce moment de plaisir. Cet espoir qui naissait en moi. Mon ami pouvait de nouveau succomber au charme d'une femme, jouissive révélation. Mais déjà Grey ne me voyait plus, ne m'entendait plus, il était entièrement absorbé par une apparition que j'imaginai divine. La curiosité me piquait, je résistais, tentais de deviner. Puis renonçais. J'entamais alors un demi-tour pour découvrir celle qui allait devenir la cible du plus grand séducteur du monde. Je ne doutais pas d'ailleurs de son éclatante victoire car, quelle femme normalement constituée pouvait résister au charme de Fullbuster ? Mais je ne m'attendais pas à ce que je vis.
Je flanchai, je croulai sous l'horreur de la vision qui m'apparut. Non, pas elle ! Le souffle quitta mon corps alors que prenait forme sous mes yeux l'objet de désir de Grey. Et je posai sur elle un regard absolument différent de tous ceux que j'avais posé sur elle jusqu'à maintenant. Oui, ce fut comme si je voyais ma meilleure amie sous un jour nouveau, au travers des yeux de mon meilleur ami. Elle était métamorphosée. Prenait pour moi une consistance nouvelle. Les traits de son visage pénétrèrent mon cœur. Ce fut douloureux ! Horriblement douloureux et je ne parvins pas à endiguer le prénom qui me monta aux lèvres :
— Lisanna…
Je la regardai, la contemplai, en même temps que lui. Je suivis des yeux ses courbes androgynes, m'attardai sur son allure. Comme d'habitude, elle n'avait pas fait d'efforts vestimentaires, un jean slim bleu denim et un débardeur rose crème, sans manche qui moulait sa poitrine menue. Elle n'avait visiblement aucune intention de séduire ce soir. Je jetai un regard désenchanté à mon voisin. Il restait imperturbable, transporté par l'apparition. Depuis quand voyait-il Lisanna ainsi ? Jamais je n'en avais eu conscience ! Depuis peu, assurément, je tentai de me rassurer. Mais je me retournai vers elle. Elle n'avait rien capté de notre contemplation, semblait indifférente à tout, saluait avec chaleur les autres membres de notre cercle. Elle embrassa Lucy qui passa une main amicale dans ses courts cheveux blanc immaculé. Je saisis ce geste de tendresse. Lisanna avait été le sujet de tant de scènes au début de notre relation, mon amitié avec la blanche source de tant de craintes chez mon amoureuse. Elles avaient malgré tout réussi à nouer une relation affective elles n'étaient pas amies à proprement parler, comme Lucy l'était avec Jubia, mais elles s'appréciaient et se respectaient. Quant à ma chérie, elle acceptait maintenant complètement ma relation à Lisanna, notre complicité immuable, ce besoin viscéral que j'ai de tout partager avec elle, comme je le fais avec Grey d'ailleurs. Le problème, longtemps, fut les sentiments qu'avait nourri la blanche à mon égard. Sentiments que je n'ignorais pas, Lucy non plus, mais qui, jamais, n'entachèrent notre sincère amitié, Lisanna parvenant à les faire taire, à les nier. Et moi, pleutre couard, je n'eus jamais le courage d'aborder le sujet avec elle. Je me satisfis de profiter de ce que l'on s'offrait, l'oreille attentive, l'épaule secourable, la bienveillance, cette compréhension absolue et réciproque, cette douceur qu'elle m'accorde toujours. Mon âme sœur, me plais-je parfois à croire…
Mais là, je dérouillais sévèrement. Grey voulait Lisanna ! Et s'il la voulait, il l'aurait. Alors, certes, ma blanche avait succombé à quelques-uns. Dont Luxus d'ailleurs, quelle horreur ! Mais jamais, ô grand jamais, je ne m'étais formalisé, je n'en avais pris ombrage, n'en avais été contrarié. Qu'y avait-il de nouveau pour que Grey changeât ainsi ma vision des choses ? Pourquoi ne le considérais-je pas comme un autre prétendant potentiel ? Inoffensif tout autant que l'étaient ces fameux autres ? Inoffensif ? Devais-je absolument trouver les prétendants de Lisanna inoffensifs ? C'était ridicule !
Je me souvenais de ses confidences amoureuses. Elle avait entamé des relations environ six mois après que nous ayons officialisé avec Lucy. Tout à mon bonheur nouveau, j'avais été aveugle au désarroi de mon amie. Toujours j'ai pressenti chez elle ce qui n'allait pas, toujours j'étais présent, je dédramatisais, je consolais. Mais pas cette fois-ci, je n'y pouvais rien. Je l'ai laissée panser ses plaies, celles que je devinais et qui me concernaient. Mais elle comme moi avons pris la peine de ne pas déconstruire notre relation amicale, celle qui nous nourrit encore aujourd'hui. Aussi, c'est quelques six mois plus tard qu'elle me confiait les affres de sa première fois. Rien. Je n'ai rien ressenti alors que j'écoutais avec un léger amusement les déboires de son dépucelage. Ni jalousie, ni même une frustration ou une contrariété, aussi minime soit-elle. C'était dans l'ordre des choses et notre complicité affective n'était pas amoureuse. Acté ! Alors pourquoi vendredi dernier ai-je vacillé sous la déflagration ? Pourquoi ai-je détesté les yeux que mon meilleur ami avait posé sur ma meilleure amie ?
Parce que je n'étais pas dupe ! Il avait certes ce regard de prédateur, celui capable de séduire toute féminine engeance mais, plus encore, il était pétrifié, lui-même hameçonné, prêt à donner bien plus de sa personne que ses aptitudes sexuelles. Qui plus est, je savais que jamais Grey ne chassait dans notre cercle, il avait cette délicatesse-là. Il avait évité toutes les femmes que l'on fréquentait régulièrement et jamais il ne convoiterait celle à qui je tenais le plus au monde après Lucy. Jamais il ne l'envisagerait comme proie potentielle. La vérité était simplement qu'il était mordu. Putain ! Quand et comment cela avait-il débuté ? J'avais rien vu.
Je passais donc la soirée à bouillir intérieurement. Je ne voulais pas ! C'était clair comme de l'eau de roche. Je ne voulais pas qu'il y ait rapprochement entre ces deux-là. Je rendais donc le jeu impossible, je cherchais Grey sur n'importe quel sujet, tentais de le ridiculiser, j'étais irritable avec Lisanna. Elle posait sur moi ses grands yeux bleus surpris et insondables je n'en avais cure. Très vite, l'atmosphère s'était tendue entre nous tous, certainement de mon fait mais peu l'avait compris je me servais de mes dons d'avocat pour induire le malaise mais suffisamment subtilement pour qu'on ne puisse m'identifier comme étant l'unique responsable de la situation. Le débat dévia politique, un sujet délicat sur lequel les plus proches amis peuvent se déchirer, et notre groupe est particulièrement prompt à s'échauffer. Et ce fut hélas Lisa qui essuya les plâtres des humeurs râleuses et belliqueuses.
— Comment sont tes élèves cette année ? s'enquit Gajil.
— Supers, répondit Lisanna. Je m'éclate toujours.
Professeur de mathématiques, elle enseignait dans notre ancien lycée. Elle était devenue complice avec nos maîtres, avait même eu une aventure avec l'un d'eux. Cela m'avait fait halluciner mais avait aussi attiré le respect de toutes les femmes de notre cercle. Lisanna avait tout simplement concrétisé leur fantasme commun : coucher avec Monsieur André, le professeur de sciences physiques le plus sexy de l'univers, à les entendre.
— Tu travailles toujours trois heures par jour ? renchérit notre ami aux piercings.
— Évidemment, je suis payée à rien foutre ! C'est bien connu.
Je saisis une animosité certaine. Le ton s'échauffa rapidement et je pris l'option de ne pas entrer dans la discussion. Il fut question de fonctionnariat, de patronat, de syndicats, de salaire, de statut social. Lisanna se retrouvait un peu seule contre tous nous avons pour la plupart choisi la voix du « privé », de l'entreprise, du profit, je me dois de le reconnaître. Elle a toujours été à défendre le pot de terre contre le pot de fer, est de toutes les manifestations, fervente défenseuse des droits de l'homme, milite pour le droit des LGBT, est une féministe convaincue. Cet aspect de sa personnalité s'est renforcé depuis qu'elle a pris ses fonctions et que ses fréquentations se sont élargies à plusieurs de ses collègues. Sans être caricatural, le monde enseignant a ses qualités, il a aussi ses travers. Ces hommes et ces femmes ignorent, pour la plupart, à peu près tout du monde de l'entreprise, ils n'ont jamais quitté les bancs de l'école. Et pourtant, certains d'entre eux fustigent ce que bon nombre d'entre nous sommes, des investisseurs, plus que nécessaires à l'économie du pays, les spécialistes vous le diraient, des actionnaires, des patrons, des indépendants. Lisanna ne fait pas partie de cette frange radicale mais peut parfois sombrer dans la vindicte facile, surtout quand elle se sent acculée, ce qui fut le cas vendredi dernier. Personnellement, j'étais trop sonné de découvrir que Grey en pinçait pour elle pour prendre part, désenvenimer les propos, j'étais donc à des années-lumière de venir à sa rescousse. Il me fallut quelques longues minutes avant d'intervenir. Je la saisis enfin par le bras et l'entraînai à ma suite, sur la terrasse, sous les regards amusés mais aussi soulagés que la tension retombe. Moi seul étais en mesure de la désamorcer. Erza me remercia d'un signe de tête. Nous croisâmes Grey, bras croisés, adossé contre un mur. Il avait assisté à la scène, constaté que Lisanna était toujours aussi prompte à s'énerver. Je pus voir une nouvelle fois le regard perçant qu'il jeta à ma volcanique meilleure amie et devinai que cet aspect de sa personnalité, rebutant pour beaucoup, ne faisait qu'accroître l'attirance qu'il avait pour elle. Je sentis ma contrariété regonfler tandis que nous échangeâmes un regard lourd de sens. Lui m'indiquait qu'il partait en croisade, en conquête moi, je marquais mon territoire, communiquai ma désapprobation. Lisanna n'était pas un terrain de jeu.
Sur la terrasse où nous avions trouvé refuge, nous fûmes saisis elle et moi par la morsure du vent. Il faisait frais. Elle frissonna et j'abandonnai ma veste sur ses épaules. Ce geste de réconfort ne reçut toutefois pas l'accueil que j'escomptai, elle posa sur moi un regard mauvais.
— Tu l'as cherché Lisa, il faut que t'arrêtes de croire que le monde entier en a après les profs.
— Merci de m'avoir soutenue.
— Ppfff, soufflai-je légèrement exaspéré.
Elle se retourna et se pencha par-dessus la rambarde admirant le vaste jardin de la propriété des Scarlett.
— Pourquoi es-tu si nerveux Natsu ?
— Comment ça ? répliquai-je de mauvaise foi.
Ainsi donc elle avait capté mon manège.
— Tu as électrisé l'ambiance ce soir, tu t'es montré limite agressif avec beaucoup de monde. Moi y compris je te ferais remarquer. Il y a un souci ?
Elle s'était retournée et me fixait avec intérêt, presqu'inquiétude. Ouais, il y avait un souci ! Et ce souci s'appelait Grey Fullbuster ! Est-ce qu'elle avait déjà compris qu'il lui tournait autour ? Était-elle sous son charme ? Serait-elle réceptive aux avances qu'il ne tarderait pas à lui faire ? Comme toutes les autres. Affligeante et décevante généralité à laquelle elle n'échapperait sûrement pas.
J'enrageais mais ne souhaitais pas rendre plus équivoque notre conversation. Lâcher brutalement la vérité que je ne discernais que depuis peu me sembla être la plus mauvaise décision que je pouvais prendre sur le moment. Je me morigénais avec sévérité. J'affichais une faiblesse qui me dégoûtait. Je voulais étouffer dans l'œuf une relation qui m'exécrait avant même qu'elle ne voie le jour. Pourquoi donc m'exécrait-elle d'ailleurs ? J'observai Lisanna, elle semblait inquiète et n'avait certainement encore aucune conscience du danger qui la guettait. Putain, j'étais où là ? Danger ? Non mais je dérivais salement… Incapable de discernement, d'être raisonnable… C'était quoi cette révélation me concernant ? Pourquoi la perspective de savoir ma meilleure amie dans les bras de mon meilleur ami était-elle si douloureuse ?
— Je suis fatigué, ça doit être ça. Et rien ne t'échappe à toi !
— Hum, fit-elle amusée, je ne dois pas être la seule à te connaître aussi bien. M'est avis que Lucy et Grey t'ont aussi cerné ce soir.
Je grimaçai.
— Gajil m'insupporte vraiment, reprit-elle, visiblement en proie à des résurgences de la scène qu'elle avait offerte quelques minutes auparavant. Il peut être con parfois !
Je louai silencieusement son caractère de feu et sa détestation de se donner en spectacle. Il lui insupportait perdre le contrôle de ses émotions et elle craignait plus que tout perdre l'estime que nous lui portons tous. Elle manquait souvent cruellement de confiance en elle et cela contrastait avec son intelligence aigüe et sa parfaite conscience de ses qualités professionnelles. Il n'était pas toujours facile de cerner sa personnalité.
— Tu t'es montrée odieuse, me moquai-je d'elle.
— Merci de me remonter le moral, s'agaça-t-elle en me dévisageant avec désespoir, toujours penchée sur la rambarde.
Je m'installai à ses côtés.
— Allez, on s'en fiche, ce n'est qu'un jeu.
— Le problème Natsu, c'est que moi je ne le prends pas comme un jeu. Comment crois-tu que je vive d'être si différente de vous ?
Je fronçai les sourcils.
— Et en quoi es-tu différente, je ne comprends pas ? Nous sommes tous différents je te signale.
— Voyons, je suis vraiment très… spécifique. Professionnellement, j'ai choisi une toute autre voie que la vôtre.
— Tu généralises encore Lisa, nous n'avons pas tous choisi une même voie. N'essaie pas de te marginaliser, tu es un excellent professeur, tu es brillante, certainement la plus intelligente de nous tous. Ta voie te correspond merveilleusement.
— Tu comprends très bien ce que je veux dire.
— Tu regrettes ?
— Non ! répondit-elle avec véhémence. Je me sens seulement pas considérée… dans notre groupe. Enfin quelque chose comme ça.
— Tu te trompes… Gajil t'adore, il sait seulement très bien te pousser dans tes retranchements. Et toi tu marches pas, tu cours. On se fiche tous que tu sois fonctionnaire, de gauche, révolutionnaire, lesbienne, fétichiste ou je ne sais quoi d'autre.
Mais elle resta sourde à ma tentative de légèreté lourdaude je le concède. Quel paradoxe !
— Alors comment tu expliques que moi je vive très mal que vous soyez tous si pétés de thune que c'en est inconvenant, anti-prolétariat, de droite, indifférents à l'injustice sociale. Vois-tu que je suis la seule ici à ne pas être propriétaire, à avoir une voiture de plus de deux ans, la mienne en a dix, à être incapable de vous accompagner en vacances dans vos destinations de rêve par manque de moyens…
— C'est vraiment comme ça que tu me vois ?
Le silence s'interposa entre nous. Je sondai ses prunelles soudain inquiètes.
— Natsu… tu es mon meilleur ami, je t'adore, me dit-elle, réalisant ma contrariété.
— Lisanna, ce que tu penses de nous n'est pas tout à fait faux. Même si j'espère ne pas être la caricature que tu viens d'énoncer, mon amour propre en prend un sacré coup… mais, ne crois-tu pas qu'il faille tenir compte de toutes les facettes d'un individu pour le cerner vraiment ? Gajil par exemple, pour en revenir à lui, n'est-il pas celui qui t'a protégée alors que tu te faisais chahuter au collège par cette bande de morveuses ? Moi je n'avais rien vu, tu te taisais. Gajil, lui, a compris, il a agi et leur a mis une belle correction. Certes, il est parfois un peu violent et expéditif mais ça a eu le mérite de te sortir de la situation. Et puis pas plus loin que l'an dernier, n'est-ce pas lui qui a recueilli ce chat blessé qu'il a soigné comme une mère-poule pendant des jours, jusqu'à ce qu'il soit tiré d'affaire ? Ce chat, Lily, ne le quitte pas aujourd'hui. Et avec Reby, il est si patient, si doux. Alors oui, il est teigneux en affaire, peut manquer de subtilité mais il n'est pas le monstre que tu dépeins. Et il t'apprécie beaucoup.
Ma meilleure amie s'arracha de mon regard, l'air contrit.
— Mon raisonnement manque de finesse, c'est ce que tu sous-entends ?
Mon silence l'interpela et elle se tourna vers moi à nouveau. J'accrochai ses douces mirettes, comment communiquer le mal qu'elle venait de me faire ?
— Lisanna, c'est comme ça que tu me vois ? ne trouvai-je qu'à répéter.
— Non ! interjeta-t-elle avec force.
Elle quitta la rambarde pour me faire face, ma veste chut derrière elle. Très adroitement, comme elle l'avait fait si souvent, elle se lova dans mes bras, prenant la peine de me serrer très fort, abandonna son visage contre mon torse. Je refermai mon accolade autour de ses épaules nues, perdis ma main dans la caresse de son dos. Mon esprit trouva enfin un peu de réconfort dans l'étreinte.
— Tu es l'homme que j'aime le plus au monde Natsu, celui que j'admire le plus au monde, tu sais tout ça n'est-ce pas ?
— Oui, chuchotai-je en précisant mes caresses sur sa nuque et en remontant vers sa joue que j'empaumai délicatement.
Je relevai la tête. Lucy et Grey nous rejoignaient sur la terrasse, certainement inquiets de ne pas nous voir reparaître. Je me trouvai con d'être ainsi pris en flagrant délit, serrant ma meilleure amie dans un souci de réconfort. Pourtant, je ne lus aucune remontrance dans les mines compréhensives qui avançaient vers nous.
C'est à ce moment peut-être que je réalisai que Lucy acceptait beaucoup, depuis toujours. Et que je devinai que Grey n'en accepterait pas autant, même si, pour le moment, il semblait seulement préoccupé de l'émotion de la blanche.
— Pardonne-moi, lâcha-t-elle d'une voix à peine audible tandis qu'elle échappait à mes bras pour se tourner tout sourire vers les deux autres êtres que je chérissais plus que tout au monde.
Lorsque nous rentrâmes chez nous, Lucy se perdit en palabres délicieuses dans la voiture. Elle voulait que nous projetions un voyage en Afrique, en Casamance pour être plus précis, dans une réserve ornithologique. C'était Rebi qui avait lancé le sujet. Bien sûr, ma blonde se montrait plus qu'enjouée. N'était-ce pas là une destination de rêve pour fêter nos dix ans ? Et elle alors de s'étaler sur les détails extraordinaires de la faune aviaire que nous pourrions trouver sur place, les photos incroyables qui l'attendaient. Je me montrais réticent. Tout d'abord, je ne voulais pas qu'on soit accompagné pour ce voyage que je projetais avant tout romantique et en tout cas intime ! Et puis, j'avais imaginé qu'elle n'emporterait pas ses innombrables objectifs et appareils dans notre périple anniversaire. La perspective de ce voyage ne trouva donc pas chez moi l'écho enthousiaste auquel Lucy s'était attendue.
— Hum, t'es rabat-joie ! m'invectiva-t-elle avec un doux sourire en s'extirpant de la voiture et en s'échappant en courant vers notre demeure.
Je devinai immédiatement un jeu et lui emboîtai le pas, grondant et promettant de terribles représailles. Elle gloussa mais hâta sa course, faisant mine de me craindre et, ce faisant, titilla mon instinct de chasseur.
Je la retrouvai dans notre chambre. Ma blonde riait à gorge déployée lorsque je parus devant elle, l'air menaçant. Elle se colla contre le mur et se perdit en supplique. Que je ne lui fasse pas de mal. Que je ne m'en prenne pas à sa vertu. Vivement, je la pris de force, la jetai sur l'une de mes épaules tel un vulgaire tapis puis la lâchai sans délicatesse aucune sur notre lit. Elle m'opposa un air outré, voulut m'échapper mais je la retins avec brutalité. Lorsqu'elle échoua de nouveau sur notre lit, qu'elle se mit en appui sur ses coudes, je ne pus qu'admirer sa beauté solaire. Sa longue chevelure blonde, maintenant détachée, cascadait sur ses épaules menues qu'elle roulait avec sensualité. Son visage mutin, qu'éclairait un sourire ravageur, était tourné vers moi. Ses yeux caramel s'éteint teintés de luxure. Son désir était palpable, le mien explosa bientôt dans mon ventre. Lucy passa sa langue rose sur ses lèvres humides, déboutonna le haut de son chemisier de soie, dévoilant l'échancrure de son vertigineux décolleté. Me projetant profiter très vite de ces rondeurs merveilleuses, sources d'une félicité inégalable, je me sentis perdre le contrôle. J'allai la prendre violemment. J'ôtai ma chemise précipitamment, me débarrassai tout aussi rapidement de mon pantalon et de mes dessous pour apparaître nu devant elle, mon sexe accablé d'un désir impressionnant. Je la tirai vers moi, lui arrachai sans douceur les effets qui la recouvraient. Elle protesta pour la forme mais ne tenta pas d'entraver sa mise à nu. Je pris ensuite un peu de hauteur, posai chacune de mes mains sur ses genoux repliés et les ouvris sans délicatesse afin d'apercevoir son sexe, qu'il se soumît à moi sans réserve aucune. Je contemplai fiévreusement son entrejambe, lançai une main possessive sur un sein que je maltraitai ce qui arracha un gémissement de plaisir à mon amour. De mon autre main, j'investis son intimité, je voulais vérifier qu'elle était parfaitement disposée à me recevoir. Avec fierté et satisfaction, mes doigts se couvrirent de cyprine, je jouai quelques instants dans son antre trempée, Lucy se tortilla de plaisir. Puis je retirai ma dextre, léchai consciencieusement mes doigts sous les yeux transis d'amour et de concupiscence de ma blonde. Je la tractai vivement vers moi afin qu'elle se trouvât parfaitement positionnée au bord de notre lit. Elle rit et gloussa d'impatience. Enfin, je la pénétrai.
Lorsque nous fûmes rassasiés l'un de l'autre, elle échoua dans mes bras, je caressais son corps sans même en avoir conscience, juste comblé par les sensations de plaisir que mes doigts retirèrent du contact de sa peau. J'adore plus que tous les moments post-orgasmiques, lorsque nous nous retrouvons alanguis, repus de nous, dans une délicieuse communion corporelle. Je l'aime, je l'aime, je l'aime.
— Comment va Lisanna ? Ça n'a pas été simple pour elle ce soir.
Je me suis tendu. Il est impossible que Lucy n'ait pas ressenti le tressaillement qui m'a assailli lorsqu'elle a fait mention de ma meilleure amie.
— Je crains parfois qu'elle ne se sente pas à sa place lorsqu'on partage ces soirées.
— Natsu, me dit Lucy après s'être relevée et posée sur son avant-bras pour croiser mon regard. Elle ne l'est pas forcément ! Lisanna n'évolue pas dans le même monde que nous. Il n'y a que toi qui n'en es pas conscient. Je crois qu'elle est maintenant plus proche de son cercle d'amis profs que de nous.
Je fronçai les sourcils, contrarié. Ma blonde le comprit et tenta de me rassurer.
— Je ne dis pas que je ne la trouve pas à sa place hein, murmura-t-elle maladroitement. Juste que je la comprends. Elle n'a pas la même vision du monde que nous.
— Je n'attends pas que mes amis partagent ma vision du monde, ripostai-je. Et puis, je ne pense pas avoir la même vision du monde que tous ceux qui étaient présents ce soir.
— Ne prends pas la mouche Natsu ! mais sois juste lucide. Lisanna n'est plus aussi complice avec nous et je ne crois pas que cela va s'arranger. Il faut se faire une raison !
— On est donc des petits cons snobinards, réacs et égocentriques ?
— C'est ce qu'elle pense ? osa Lucy légèrement décontenancée.
— Non, bien sûr que non ! C'est peut-être ce que moi je pense de nous, m'avançai-je.
— Arrête de dire n'importe quoi. Nous évoluons en fonction de nos expériences de vie, quelles soient professionnelles ou personnelles. Le fait est qu'aujourd'hui Lisanna a des repères très éloignés des nôtres. Et quelque part, elle a toujours été la plus engagée politiquement.
— Donc toi tu es d'accord avec elle ?
— J'ignorais qu'elle avait ce sentiment, elle ne m'en a pas parlé. Mais si c'est le cas, je suis d'accord et je ne pense pas que cela soit grave. Elle reste ton amie d'enfance, rien ne changera cela. Elle a le droit de choisir un autre chemin que le nôtre, elle a le droit de s'éloigner de nous si elle ne prend plus plaisir à nos retrouvailles ou si elle se sent mal à l'aise en notre compagnie. Et puis ça peut aussi n'être que passager. Vous semblez toujours aussi proches tous les deux, je me trompe ?
— Elle n'allait pas bien ce soir, dis-je plus pour moi que pour Lucy, omettant de lui répondre, je suis inquiet.
— Ça serait bien que tu trouves le temps d'en discuter avec elle, proposa la femme que je gardais dans mes bras. Je l'ai trouvée très contrariée, ça ne lui ressemble pas et moi aussi ça m'inquiète.
Je caressai le visage angélique tendu vers moi, le plus beau que je n'ai jamais vu. Quelle était donc la fée qui s'était penchée sur mon berceau pour me donner cette chance folle ? Celle d'avoir croisé la route de Lucy Heartfilia, celle d'avoir su éveiller en elle les mêmes sentiments que ceux qui m'ont étreint dès que je l'ai vue, celle qui fait de chacun de mes jours un voyage inédit et merveilleux.
— Oui, je vais le faire, chuchotai-je submergé d'émotion. Tu es merveilleuse.
Ma blonde me gratifia du plus éloquent des sourires et ajouta.
— En fait, ce qu'il faudrait à Lisanna c'est une belle histoire d'amour ! As-tu remarqué qu'elle plaît à Grey ?
Mon cœur se serra et je crus défaillir. Lucy avait vu aussi ?
— Quoi ? m'étranglai-je. Euh, non, je ne pense pas.
— Ça serait génial qu'ils sortent ensemble ! Tu crois pas qu'on pourrait organiser une petite soirée à quatre ici pour donner un coup de pouce au destin ?
— Lucy ! Grey n'est pas la bonne personne pour Lisanna. Je n'ai pas envie de la ramasser à la petite cuillère après que Casanova l'ait abandonnée. C'est franchement pas le bon plan.
— Hum, fit-elle pensive. Je ne suis pas d'accord avec toi. Si Grey n'avait envie que d'une aventure, il passerait son chemin. Mon petit doigt me dit qu'il est véritablement sous le charme. Et si c'est le cas, nous verrons bientôt Lisanna Strauss au bras de Grey Fullbuster.
— J'espère pas.
— Arrête de la surprotéger, elle n'est pas ta sœur !
Je me suis tu. Lucy, sans le savoir, avait réactivé mon désarroi. Lisanna m'était éminemment précieuse et, lors de cette soirée, elle avait revêtu à mes yeux une nouvelle importance. J'avais envie de la voir, seule à seul, afin de pouvoir cerner les exacts contours de cette urgence qui venait de s'installer en moi. Un désir ? Je tentai d'analyser mon trouble. Quel genre de désir ? Je déglutis. L'évidence venait de me foudroyer.
