CHAPITRE 5 : JALOUSIES

La balle en caoutchouc noire rebondit sur les murs dans un claquement sourd. Comme à notre habitude, Grey et moi escrimons une raquette de squash à la main. On se mesure l'un à l'autre, nous combattons sans pitié, à la fois rivaux et amis, spadassins vaniteux. Notre relation a toujours été empreinte de cette étrange dualité et nous en sommes tous deux pleinement conscients. Nul besoin de la verbaliser, les regards noirs que nous échangeons à chaque point perdu, les corps engagés dans la bataille jusqu'à la rupture, nos souffles décousus sont autant d'indications indiscutables de notre duel. L'enjeu n'est pas clair. Pour Grey, il est certainement question de couronner le meilleur joueur, le plus endurant, le plus habile, mais en ce qui me concerne le trophée est une blanchette au regard cérulé.

Je lâche mes coups, j'attaque, en rage. À aucun moment, Grey n'a évoqué avec moi son déjeuner avec Lisa et je suis persuadé qu'il ne m'en touchera pas un mot. Il veut dissocier, ne pas m'y mêler, ne pas me demander l'autorisation. Bon sang, pour qui se prend-il ? Qui dit Lisanna, dit moi. Je suis juste incontournable quand il s'agit d'elle, je l'ai toujours été, et aujourd'hui je le suis plus que jamais.

« Rhaaa ! » je rugis comme un lion alors que je le terrasse d'un coup somptueux.

Après le rebond, ma balle tape une arête et est repartie à très faible vitesse le long du mur gauche, rendant quasiment impossible sa remise en jeu.

« Putain, le coup qui tue ! » siffle Grey admiratif et légèrement dépité.

Je l'ai sonné ! Battu par K.O. Nous sortons nous abreuver, il fait plus que soif.

« Tu sembles en grande forme, t'as mangé quoi ce midi ?

- Hahaha, mon secret n'est pas dans mon assiette !

- Tu reconnais donc avoir un secret, lance-t-il en attrapant sa serviette. »

Je le contemple tandis qu'il s'éponge le front d'un mouvement mâle. Il me sourit de toutes ses dents en détaillant mon attitude pendant que je me bâillonne de ma bouteille d'eau.

« Mon secret, je reprends avec mon odieuse assurance légendaire, c'est simplement d'être plus fort que toi.

- Ouais c'est ça… convaincs-toi et reprends ton souffle, tu vas en avoir besoin, je vais te la faire bouffer ta raquette. »

On retourne sur le terrain, goguenards et complices.

Grey n'a jamais vraiment partagé quoi que ce soit d'intime avec Lisa, ils sont toujours restés à distance raisonnable l'un de l'autre. Je crois aujourd'hui que ma blanche est impressionnée par l'aura indéniable de Grey, elle n'est pas insensible à son charme; ses multiples sous-entendus, bien que naïfs, n'en sont pas moins révélateurs et je dois bien avouer que ça m'agace au plus haut point. Je peux même dire que ça me contrarie.

Je gronde intérieurement tandis que notre combat a repris et que la chaleur suffocante de l'effort m'étreint. À chacun de mes coups, il est un sourire mutin, un clignement de paupières, un haussement de sourcil qu'elle m'a servi lorsqu'il fut question de mon meilleur pote qui me remonte en mémoire, qui décuple ma motivation à l'écraser. Je ne peux nier le danger que je pressens. Il a juste fallu que Dom Juan la considère sous un jour nouveau pour que leur relation se pimente, change de dimension, qu'un certain jeu de séduction se mette en branle.

« Mais merde ! » je jure en lançant encore un de mes coups gagnants.

Le regard noir, la rage aux lèvres, Grey me maudit. J'exulte faussement.

Mais merde, il s'est passé quoi au juste ? Et quand ? Il n'a jamais été intéressé par elle. Certes, il l'apprécie depuis toujours, mais depuis toujours c'est de loin. Avec Lucy, ils sont complices, ils se voient en dehors de moi; je sais que ma blonde s'épanche sur l'épaule compréhensive, que chacune de nos disputes a trouvé écho auprès de lui là où moi je me réfugiais auprès de Lisanna. Jamais je n'ai pris ombrage de leur relation. Je la sais équilibrée et saine, je peux même dire qu'elle est bénéfique au couple que nous formons, Lucy et moi.

Chacun de nos coups est maintenant lourd, la fatigue ralentit nos jambes et nos réflexes perdent en efficacité mais la bataille ne faiblit pas, notre engagement reste entier pour damner le pion à l'adversaire. Le terrain résonne du crissement maîtrisé de nos chaussures et de nos respirations haletantes.

Oui, leur relation est bien plus saine que celle que j'ai développée avec Lisanna, relation que craint Lucy, qu'elle abhorrait même autrefois. Il y a eu tant de crises à gérer, tant d'ultimatum lancés pour que je m'éloigne de ma meilleure amie. J'ai parfois cédé du terrain, j'ai espacé nos sorties, j'ai renoncé à quelques-unes de nos manies, à nos bagarres tactiles et publiques qui insupportaient Lucy et que Grey ne comprenait pas, du reste. Que n'ai-je subi comme remontrances de la part de celui qui veillait à la pérennité de notre couple. Oui, j'ai beaucoup transigé à une époque. Je souhaitais aussi préserver le lien ténu mais pas inexistant qu'elles avaient tissé toutes les deux. Elles devaient être amies, j'en avais un besoin viscéral, c'était une nécessité. C'était utopique et idiot d'y croire mais j'ai œuvré dans ce sens de nombreuses années. Lisanna a elle aussi intégré que mon couple avait ma priorité, que notre amitié devait perdre en intensité, il n'y avait plus exclusivité de toute façon. Elle s'est effacée discrètement, s'est plongée dans les études, a fait de nouvelles rencontres, a élargi le cercle de ses amis, a vécu ses premières amours. Lucy s'est apaisée au fil des ans, Lisanna n'a plus fait partie de notre premier cercle même si elle est mon premier cercle.

Quant à Grey, il regardait mon amie avec une certaine indifférence; Jubia drainait toutes ses attentions, il était amoureux. Puis il y a eu leur rupture, mon pote a dévissé. Il s'est abîmé en mer auprès de sirènes d'un soir; il a gagné en assurance, en sex-appeal peut-être, mais a perdu en sincérité et en capacité à s'investir dans une relation. D'après ce que j'en sais, il a toujours considéré Lisa comme une fille un peu spéciale, un peu chiante, râleuse et irritable et ils évoluent dans des univers tellement différents, quasi-incompatibles. Je l'ai d'ailleurs toujours cru hermétique à ce qu'elle irradiait. Ils ne sont pas vraiment amis. Alors que s'est-il passé ?

Je me déballe le bide tandis que je combats sur le terrain de squash comme je le ferais sur un ring.

Le jeu reprend et les quinze minutes qui suivent nous font un mal de chien. On aboie, on grogne, on montre les crocs. On jappe de bonheur aussi lorsque le point est beau. Grey va jusqu'à se rouler par terre au paroxysme de notre duel. J'éclate d'hilarité devant le spectacle ridicule, bientôt rejoint par le brun à l'humeur joyeuse. L'euphorie règne maintenant dans nos soixante mètres carrés. Les moments de récupération s'allongent, notre énergie fond comme neige au soleil et je pressens la fin de notre match tout proche. Il ne doit pas être loin de dix-neuf heures, j'ai prévenu Lisa, j'arriverai entre dix-neuf trente et vingt heures, ça sera serré; mais j'ai à peine le temps de divaguer vers l'organisation de ma soirée que deux bouilles féminines pointent le bout de leur nez dans l'entrebâillement de la porte, un sourire en étendard.

« Hé les mecs ! nous interpelle une voix familière dans notre dos, brisant net mes réflexions métaphysiques sur mes deux meilleurs amis.

- Erza ? nous exclamons-nous d'une seule voix en nous retournant.

- Et moi ! annonce la voix cristalline de ma femme, tout sourire.

- Lucy ? hoqueté-je de surprise.»

Lucy et Erza en jupette de tennis se la jouent groupies et feignent l'admiration béate devant nos corps d'athlètes pourtant suants et puants.

« Qu'est-ce que vous faites là ? » s'enquiert Grey.

Je mentirais si je disais ne pas nourrir un intérêt certain pour leur réponse.

« On avait envie de faire un tennis et on savait que vous étiez là alors on a réservé un terrain et débarqué au club. On vient juste de terminer et on s'est dit qu'on pourrait peut-être dîner tous les quatre ? propose Erza avec le ton autoritaire qui lui est propre.

- Je dois retourner au cabinet ce soir, j'ai pas fini de préparer mes dossiers pour l'audience de demain, mens-je avec aplomb. Ce sera sans moi…

- Je sais Natsu, intervient Lucy de sa petite voix en me lançant un regard suppliant, mais on a une table à partir de dix-neuf heure trente, on mangera rapidement… Promis.

- Super idée ! conclut mon pote à qui je n'ai pourtant rien demandé. On a fini d'ici cinq minutes, on vous retrouve au bar après la douche ? »

Je le fusille du regard. Il y en a eu par dizaines des dîners qu'on devait soi-disant expédier et qui se sont éternisés jusqu'à pas d'heure.

« De toute façon, il va bien falloir que tu manges, non ? » enfonce-t-il le clou, sans conscience de ma contrariété.

Je ne sais que maugréer quelques baragouinages pour marquer mon désaccord; j'avais prévu de m'envoyer un simple sandwich au bureau.

Menteur !

Le contre-temps est carrément malvenu.

« Tire pas cette tête ! me charrie Grey. La surprise est plutôt sympa, non ?

- Ouais, j'acquiesce tièdement en engageant. »

Sous la douche, j'essaie de calmer mon agacement, seulement je sais la capacité de Lisanna à transformer un léger contretemps en une scène mémorable et, pour notre tout début, je ne veux pas être retardé par un dîner avec Lucy, je ne veux pas que ma blanche doute de moi ou de l'engagement que je souhaite être mien auprès d'elle. Lorsque je sors en me frictionnant les cheveux, je retrouve Grey dans la même tenue d'Eve que moi, nous partageons lui et moi le degré zéro de la pudeur et nous balader à poil l'un devant l'autre fait partie de nos habitudes. Involontairement, mes yeux coulent sur sa nudité et je déteste que l'image de ma meilleure amie se superpose à ce que mon regard contemple. Je grimace et repousse le plus loin possible ces considérations écœurantes.

« Hé bien, j'te plais plus ? questionne-t-il en plaisantant. C'est quoi cette tronche que tu fais en me reluquant ?

- Simple effet de la vision cauchemardesque de ta bite, annoncé-je sans fioriture. »

Interloqué, il me regarde avant d'exploser de rire.

« Jaloux ! grogne-t-il tout en enfilant son boxer.

- D'ailleurs, en parlant de bite, tu la vois toujours la blonde super mignonne avec qui tu sortais beaucoup il y a quelques semaines ?

- Jade ? propose-t-il après un court instant de réflexion.

- Oui, celle dont j'ai cru comprendre qu'elle avait de sacrés talents de suceuse. »

Le voilà haussant les sourcils, comme choqué de ma remarque.

« Ne tombe pas du ciel, si je sais ça c'est de ta bouche, hein ! me permets-je de faire remarquer. Sans jeu de mots, bien sûr.

- C'est quand même rare que tu parles comme ça.

- Mouais…, je consens à reconnaître avec une mauvaise foi absolue. Tu as raison, je suis un peu énervé par ce dîner avec les filles.

- Allez, m'encourage-t-il, on va faire en sorte que ça soit rapide. Tu as bien une heure à consacrer à ton repas avec ta femme et tes meilleurs amis, non ? Tes dossiers ne s'envoleront pas.

- Oui, je sais... Alors, cette Jade ? reviens-je à la charge, souhaitant recentrer notre conversation sur le sujet qui m'intéresse – les relations amoureuses de Grey.

- Ha ha, t'es curieux ! Hé bien non, je ne la fréquente plus trop.

- Hum… réfléchis-je à voix haute tout en enfilant un polo et un jean propre. Tu t'es lassé de ce super coup ?

- Passé un certain temps, une fille veut plus qu'un plan-cul.

- Elle voulait plus ?

- Ouais.

- Et toi, tu ne veux rien de plus qu'un plan-cul, c'est ça ? »

Il me lance un regard interrogateur.

« Qu'est-ce qu'il y a ? Tu t'inquiètes pour mon cœur ?

- Pour ta bite, uniquement pour ta bite, tu sais bien ! plaisanté-je lourdement. »

Il éclate de rire.

« J'ai dit que je ne fréquentais plus trop Jade, pas que je ne la voyais plus du tout. T'inquiète pas pour ma bite Natsu ! Elle est au moins aussi active que la tienne. »

Je lève les yeux au ciel et enrage intérieurement, je ne tirerai rien de Grey. Il ne me parlera pas de Lisanna, ni de son déjeuner, ni de ses éventuels projets ou attentes la concernant. Comment peut-il imaginer qu'elle ne m'en touchera pas mot ? Je l'observe à la dérobée, les yeux plissés comme si cela pouvait me permettre de lire en lui, de cerner ses intentions. Peut-être s'en fiche-t-il ? Peut-être même souhaite-t-il qu'elle m'en informe et son omission me signifie seulement comme il refuse que je m'en mêle d'une quelconque manière, qu'il me tiendra éloigné de leur histoire.

Lorsque nous retrouvons nos invitées-surprise, elles sont au bar, une coupe de champagne à la main, la bouteille fraîchement entamée plongée dans un seau plein de glace devant elles.

« Perdre aussi vite le bénéfice d'une séance de sport, c'est insensé ! les taquine Grey. C'est une bouteille d'eau que nous devrions partager ensemble ce soir.

- Une eau gazeuse pour Grey Fullbuster, commande Erza en hélant le serveur.

- Quelle bourrique ! lance-t-il tout sourire. Ne l'écoutez pas et amenez deux autres coupes s'il-vous-plaît. »

Je sers prestement deux coupes et descends la mienne en quelques secondes.

« J'ai faim, on passe à table ?

- Rabat-joie, me sourit Lucy d'un air complice, ne stresse pas, je nous ai commandés quatre salades et nous serons servis d'ici quelques minutes. J'ai bien compris que tu voulais travailler ce soir Natsu, je n'ai pas l'intention de contrarier ton planning millimétré. »

Je dépose sur ses joues rosies par sa récente débauche physique un regard attendri, bientôt suivi par un chaste baiser. Franchement, je suis un moins que rien sur ce coup-là. Et tandis que je murmure un bref merci, un sentiment de culpabilité déverse un goût aigre dans ma bouche. Est-ce que je ne devrais pas voir dans cette soirée presque avortée un signe du destin ? Recouvrer une certaine lucidité, renoncer à mon infidèle dessein ? Mais dans mes veines coule aussi l'envie de retrouver Lisa; et cette envie est irrépressible, tumultueuse, elle circule dans un bouillonnement permanent.

En l'espace d'un quart d'heure nous sommes installés à table et notre conversation s'échauffe gentiment, encouragée par la bouteille de champagne sifflée rapidement et la fatigue de notre match.

« Vous faites quoi samedi en quinze, j'ai réservé une dizaine de places pour une pièce de théâtre, propose Erza.

- Samedi en quinze, c'est quoi cette expression de maison de retraite ? raille Grey sans conscience du danger encouru.

- Ça veut dire samedi dans presque trois semaines, ignare !

- Je sais ce que ça veut dire, mais c'est vieux comme expression, non ? assène-t-il en croisant les bras sur sa poitrine. Personne ne parle comme ça. Tu vieillis ma pauvre Erza !

- Non mais, tu m'cherches ? relance-t-elle prête à monter sur ses ergots. »

Lucy et moi partageons un regard mi-amusé, mi-excédé pendant que nos deux amis se crêpent le chignon. Les noms d'oiseau volent bas et nous devons esquiver pour ne pas nous en prendre un en pleine face. Il faut bien quelques minutes pour que la tempête finisse d'emporter les humeurs naturellement belliqueuses des deux têtes brûlées.

« On peut peut-être revenir à nos moutons. » propose sagement Lucy, profitant d'une accalmie.

Elle pointe alors un doigt accusateur vers le ténébreux et menace froidement :

« Une seule réflexion sur l'expression revenir à nos moutons et je t'émascule.

- Oh, réagit mon meilleur ami en arrondissant les yeux comme des soucoupes, visiblement sensible à la perspective envisagée, mais ma chérie, jamais je n'aurais à redire sur ta manière de t'exprimer.

- Ppppffff, soufflé-je en levant les yeux au ciel tout en dégustant ma salade.

- C'est quoi cette histoire de pièce ? reprend sérieusement Grey à l'attention d'Erza.

- En fait, c'est la troupe de théâtre amateur de Gajil qui se produit. On en a parlé avec Reby et on pense que ça serait sympa que ceux d'entre nous qui sont disponibles à cette date assistent à la représentation. Ce serait une surprise, Gajil n'est pas au courant. Vous êtes les premiers à qui je soumets l'idée, vous en pensez quoi ?

- Hum… est-on certain que ce serait une bonne surprise pour lui ? questionné-je. Gajil pourrait ne pas apprécier l'attention. Il a peut-être envie que sa prestation reste confidentielle. »

Chacun des membres de notre clan est pétri de singularités, mais Gajil Redfox peut-être plus qu'aucun autre. Derrière une apparence souvent qualifiée de rock'n'roll à cause de ses nombreux piercings, de ses sourcils entièrement épilés et de ses cheveux longs et indisciplinés, il a l'ambivalence de la brutalité, de l'irritabilité, de la susceptibilité et de l'ultra-sensibilité. Rien n'est tiède chez lui et il n'est jamais aisé de se comporter avec notre géant tant ses réactions dans un sens comme dans l'autre peuvent être exacerbées. Lisanna et lui sont comme chien et chat. J'ignore comment analyser la relation si particulière qu'ils ont développée et qui les amène régulièrement à s'affronter sur des sujets parfois futiles, parfois ultra-sérieux. Gajil a pourtant toujours été protecteur avec Lisanna, surtout pendant notre scolarité, bien mieux que je n'en étais capable, en tout cas bien mieux que je ne m'en acquittais. C'est vrai qu'il a toujours eu la carrure et le tempérament pour. Cependant, à côté de cela, il a la capacité de la faire monter dans les tours comme aucun autre et il ne s'en prive pas. Certainement est-ce le seul moyen qu'il a trouvé pour lui exprimer toute la profondeur de son amitié.

« Si Reby le propose, ça ne peut être qu'une bonne idée, non ? répond Erza. Qui mieux qu'elle connaît Gajil ?

- Bien sûr que c'est une super idée, j'en suis ! annonce Lucy. Et c'est quoi comme pièce ?

- Du Shakespeare, annonce éloquemment la fille à la chevelure écarlate.

- Roméo et Juliette ? propose Grey sous le coup d'une illumination.

- Bingo !

- Ahhhh c'est pas vraiiiii ! nous gaussons-nous, Grey et moi, à l'annonce de l'impensable. C'est lui Roméo ? »

La simultanéité de notre intervention fait sourire les deux jeunes femmes qui dînent avec nous. La complicité qui nous unit, Fulbuster et moi, n'en est que plus manifeste.

« D'après ce que m'a dit Reby… non. Gajil ne tient pas le rôle de Roméo.

- Ben ça aurait pu être drôle, renchéris-je, moqueur. Roméo et Juliette version Metallica.

- Natsu ! gronde Lucy pour me faire taire.

- Merci Lucy, ils sont insupportables parfois ! siffle sa meilleure amie en se frottant les globes oculaires. Il semblerait que Gajil tienne le rôle de Mercutio.

- Ah, fait Grey. Et il est important ce rôle ?

- Erza a raison Grey, tu es ignare ! le tance Lucy. Mercutio a un rôle central dans la pièce, c'est lui qui présente Roméo à Juliette. Enfin, en quelque sorte… Il emmène Roméo au bal où celui-ci rencontrera Juliette.

- Mercutio meurt dans la pièce si je me souviens bien ? fais-je remarquer.

- Oui oui, abonde ma blonde en posant la soie de ces cils sur mon regard, ils meurent tous de toute manière.

- Ah la tragédie ! Mourir d'amour, c'est magnifique, rebondit mon comparse, non sans ironie. »

Je me gausse tandis que Grey me gratifie d'un clin d'œil complice.

« Est-ce qu'ils ont baisé au moins avant de mourir ? questionné-je stupidement. Parce que mourir d'amour sans baiser, c'est abominable !

- Ben, je sais plus, me répond mon ami, profitant de l'air médusé des deux filles au sifflet coupé. Ils ne se sont pas mariés avant de mourir ? Parce que s'il se sont mariés, ils ont sûrement consommé. Tu sais Natsu, avant il fallait être marié pour baiser.

- Ah merci Grey pour cette pertinente remise en perspective.

- Mais de rien Natsu.

- Heureusement qu'aujourd'hui les choses ont évolué, hein ?

- Clairement ! abonde le brun. On serait mal barré tous les deux sinon. Donc ils ont baisé ou pas, je ne me souviens plus ?

- De toute façon, la première fois c'est jamais terrible, renchéris-je dans la provocation. Alors, consommé ou pas, ils n'auront pas connu l'orgasme avec un grand O. Surtout la pauvre Juliette.

- Et je ne crois pas non plus qu'elle aura gratifié son Roméo d'une bonne pipe, déclare magistralement Grey. »

Un regard latéral vers les deux outrées les découvre grises de fureur et de gêne. Un pur bonheur que de les malmener sur le sujet de l'amour romantique si cher à leur cœur.

« Mourir sans connaître le plaisir suprême de la fellation, quelle hérésie ! Y a pas à dire, il n'y a pas mieux que Shakespeare pour nous conduire sur les chemins de la frustration ! conclus-je brillamment.

- Non mais vous ne respectez vraiment rien ! s'écrient en chœur celles qui se sont étranglées avec leur salade. Vous ne comprenez rien à l'Art, rien à la tragédie, rien à l'Amour. Vous êtes irrécupérables ! Non mais c'est quoi le lien entre Shakespeare et la fellation ? »

S'ensuivent des reproches abracadabrants sur l'incapacité masculine à investir ce qu'il y a de plus noble dans l'humain : l'Amour, le vrai, le beau, le… chaste. Et nous de nous défendre avec une mauvaise foi débile mais assumée, on fait aussi partie de l'humain et, peut-être qu'on ne le dit pas, mais on peut aussi investir notre cœur. Cependant, notre organe mâle et virile centralise une bonne partie de nos attentions. Sont-elles seulement capables d'appréhender notre argumentation, les pauvres ne peuvent effectivement pas saisir le diktat de la chose dont elles sont dépourvues. Pour nous, désir et sentiments sont inextricablement liés.

« C'est ridicule d'opposer votre vision de l'Amour à la nôtre, précise Lucy que je trouve contrariée par ma tirade. Nous sommes autant que vous traversées par les désirs charnels mais l'essentiel n'est pas là !

- Nous n'avons pas dit que l'essentiel était là, réfuté-je vivement.

- Juste que l'amour du cœur est inséparable de celui du corps, ajoute Grey.

- Non, interjette simplement la flamboyante. Je ne crois pas. »

D'un même mouvement, nous nous tournons tous les trois vers elle. D'aucuns ignorent comme la demoiselle cultive le mystère concernant ses relations amoureuses. Je soupçonnerais volontiers un désert aride et désolant si je n'avais pas déjà surpris des regards lourds de sens entre elle et Jellal. Pourtant, malgré l'indisposition qui les étreint lorsqu'ils se retrouvent en présence l'un de l'autre, je sais qu'il n'y a rien entre ces deux-là.

« L'amour peut très bien se satisfaire d'une relation dont le sexe serait exclu, explicite Erza.

- Tu es sérieuse ? questionne Grey visiblement interloqué.

- Tout à fait, le sexe n'est que la cerise sur le gâteau, il n'est en rien la substantifique moelle d'une relation. »

J'affiche une moue sceptique. Évidemment que je ne partage pas ce point de vue; peut-être suis-je plus mesuré que ne l'est Grey qui étale son incompréhension, mais si le sexe n'est pas la substantifique moelle d'une relation, il en est au moins le ciment. On ne peut si facilement minimiser le rôle de la satisfaction sexuelle dans l'épanouissement d'un couple. Certainement qu'avec le temps, le désir s'émousse chez certains, les moments charnels s'espacent, la faim de l'autre devient capricieuse, mais c'est loin d'être une fatalité, une malédiction qu'il nous faudrait tous affronter. Je pense que l'amour se cultive – il est un jardin qui se doit d'être cultivé – que le désir s'entretient, qu'il faut intelligence, bienveillance et patience pour mener à bien la mission dans laquelle un couple s'engage. Durer, être heureux, tout simplement.

Comment, dans mes digressions mentales, puis-je oser m'aventurer sur ce terrain-là ? Moi qui ne fais preuve d'aucune intelligence, d'aucune bienveillance envers mon propre couple. Moi qui plonge aveuglément dans le lac maudit de l'infidélité alors que je possède déjà tout ce dont un homme peut rêver. Tout et plus encore, je suis absolument comblé. J'ose un regard coupable vers Lucy.

Bien sûr que Lisanna me visite à ce moment de notre conversation qui, cela étant dit, allonge notre repas d'autant de minutes que je paierai cher. Ce que nous vivons est un peu ce qui est évoqué ici, sauf qu'entre elle et moi elle a imposé sa loi, ça ne doit pas être de l'Amour, il ne doit pas y avoir de Sexe. Tout est insensé dans ce qu'elle veut partager avec moi.

« Tu méconnais les multiples visages de l'amour et de la sexualité Fulbuster ! assène Erza. Des couples s'épanouissent très bien sans sexualité aucune, d'autres au contraire renoncent à la fidélité et enchaînent les aventures sans mettre en péril leur histoire, certains peuvent tomber amoureux indifféremment d'hommes ou de femmes. Il n'y a pas de code rigide, de passage obligé, de case à cocher pour définir l'amour. Parce que l'Amour, le Vrai et le Seul, c'est un sentiment. Juste un sentiment, rien qu'un sentiment et il est le noyau d'une relation.

- Ah Erza, le cœur a ses limites ! Il est utopique de croire que les sentiments suffisent à pérenniser une histoire.

- Je ne dis pas que le sexe n'est pas important, je dis qu'une histoire d'amour peut être belle, satisfaisante, pérenne comme tu dis ! Épanouissante, oui pleinement épanouissante sans qu'il faille en passer par la case Sexe !

- J'avais compris ce que tu voulais dire Erza. Mais je persiste et signe, c'est impossible ! s'enflamme mon ami. C'est comme ceux qui prétendent vivre sans nourriture ni eau, ce ne sont que des illuminés qui mentent, qui se mentent à eux-mêmes. Le sexe c'est la nourriture de l'amour. Et sans lui, faute de carburant, le plus noble des sentiments que tu portes aux nues finit par crever.

- Faux ! C'est faux et je te plains Grey de ne pas connaître cet amour-là. »

Les joues de la rouge s'harmonisent à sa chevelure, ses yeux foudroient et bientôt ses bras viennent former une barrière de fâcherie en se croisant très serré sur sa poitrine. Sur ses lèvres, une moue contrariée se dessine.

Je peine à comprendre ce dont il est véritablement question dans leur affrontement. Je crois qu'il n'y a pas d'incompatibilité dans ce que l'un et l'autre défendent, il n'y a pas de Vérité absolue, juste un chemin que chacun trace en fonction de ses désirs, de son vécu. Et puis l'amour, c'est avant tout une rencontre entre deux personnes, deux personnes avec leur lot d'expériences, d'attentes et de rêves, deux individualités complexes sculptées par l'éducation, les apprentissages, les croyances, l'héritage familial, ce bagage à la fois constitutif et pesant. L'harmonie naît de la concordance de ce qui étreint ces deux personnes lors de leur rencontre, de l'alchimie qui en résulte. Il me semble que cœur et corps ont alors des doléances à défendre.

« Est-ce que tu ne m'aimerais plus si je ne te satisfaisais plus sexuellement, Natsu ? m'interroge Lucy le plus sérieusement du monde.

- Quoi ? m'étranglé-je en zieutant rapidement nos deux amis témoins, court-circuité dans ma réflexion.

- M'aimerais-tu suffisamment pour renoncer à cette dimension de notre couple ?

- C'est quoi cette formulation ? rebondis-je sur la forme. Ne plus me satisfaire sexuellement… Il me semblait que toi et moi faisions l'amour, pas que tu me satisfaisais sexuellement. Et puis, j'avais vaguement l'impression de ne pas être le seul à être satisfait. »

Les sourcils contractés de ma talentueuse compagne indiquent comme elle regrette de s'être ainsi exprimée. Je sais mon regard sévère, mes lèvres pincées.

« Ouh, ça chauffe…, blague Grey pour détendre en vain l'atmosphère. Je crois que s'il y a un couple qui n'est pas concerné par les affres de la frustration, c'est bien vous alors inutile de s'aventurer en terrain miné. Revenons-en à cette pièce de théâtre.

- Ce que je voulais dire Natsu, poursuit Lucy en ignorant superbement le brun, c'est, si pour une raison ou une autre nous ne pouvions plus faire l'amour, est-ce que tu continuerais à me chérir avec autant de fougue qu'aujourd'hui ? Serais-tu capable de m'attendre, de me comprendre, serais-tu prêt à sacrifier cette dimension de notre relation si essentielle à tes yeux ? M'aimerais-tu toujours ? »

L'ambiance autour de la table s'est quelque peu alourdie. Les assiettes sont vides devant nous mais les serveurs, devant percevoir la tension qui règne, ne se précipitent pas pour débarrasser. Erza et Grey restent muets comme des carpes, immobiles comme des statues de sel tandis que Lucy darde sur moi ses prunelles caramel dans lesquels dansent quelques cristaux.

Tu ne vas pas pleurer Lucy. Qu'ai-je donc dit pour que tu doutes ainsi de moi ?

« Tu irais voir ailleurs ? Tu irais rassasier tes bas instincts dans d'autres bras parce que les miens ne te suffisent pas ?

- Non, bien sûr que non, balbutié-je. Je n'ai jamais dit ou pensé ça. »

Après quelques instants de grande concentration, prennent enfin forme dans mon esprit les chemins qu'ont empruntés les réflexions de Lucy, ses craintes, ses espoirs. Il est une réalité criante qui me lacère la gueule. Elle m'aime d'un amour pur et véritable. Elle m'aime inconditionnellement et elle souhaiterait que je l'aime de la même manière.

Oh Lucy, ne peux-tu accepter que si nos amours diffèrent dans leurs formes et dans leurs expressions, ils n'en sont pas moins puissants l'un que l'autre ! Nul ne prévaut, nul ne doit se targuer d'être plus noble que l'autre. Je comprends que tu sois encore pétrie de ces rêves de petite-fille qui ont bercé ton innocence et ta quête amoureuse. J'aime tant d'ailleurs les nuances rose tendre de tes joues lorsque je les baise avec exaltation et que je considère comme reliques de tes rêves perdus. N'oppose pas mon désir de toi et la profondeur chaste des sentiments que tu me portes.

« J'ai peur de comprendre que tu résumes notre histoire d'amour en ce qui me concerne à ce qui se passe dans notre chambre à coucher.

- Pas du tout, dénie Lucy, je veux juste savoir si tu pourrais renoncer au sexe et rester l'amoureux que tu es, me rester fidèle. Saurais-tu m'aimer comme Roméo aime Juliette ? »

Je grimace. Nous n'ignorons pas, Lucy et moi, que notre discussion a deux témoins. Deux témoins qui ont assisté à la naissance de notre histoire, à son épanouissement, à son accomplissement et qui là touchent à la passion qui dévore le cœur de ma femme. Peu connaissent en réalité la démesure dont elle est capable. Pour Erza et Grey ce n'est pourtant pas le cas et ils ne doivent pas être surpris de la teneur de nos échanges.

« Pour toi, je serais prêt à tout sacrifier, abrégé-je dans une sincérité absolue.

- Pour toi, je ferais n'importe quoi, répond Lucy dans un sanglot maîtrisé. Je sacrifierais ma vie si ça pouvait sauver la tienne. J'accepterais tout. As-tu seulement conscience de ça ? »

De longues secondes s'égrènent dans le relatif silence de la salle de restaurant du club.

« Voilà qui est très émouvant, plaisante Grey. Mais le hic c'est que tu continuerais à bander Natsu ! »

Et nous trois d'exploser de rire à sa blague grossière. Alors que nos gorges roulent sous les décharges de nos roucoulades, nos yeux, à Lucy et à moi, se rencontrent. S'étreignent. Un vif sentiment de culpabilité enserre alors mon cœur de lâche.

Oui, lâche ! Je suis d'une lâcheté monstrueuse.

« Ma question était métaphysique. Pour rien au monde je ne renoncerais aux plaisirs de la chair, s'enhardit Lucy devant les yeux amusés de nos amis.

- On avait bien compris Lucy, la rassure la rouge, en caressant la main de sa voisine de table.

- En fait ce que nous voulions dire Natsu et moi, persévère le brun habituellement plus enclin à la tempérance, c'est qu'il peut difficilement y avoir d'amour sans sexe; alors qu'il peut y avoir du sexe sans amour.

- Tu en es l'exemple vivant, abondé-je en le chambrant.

- Et tu penses que c'est propre aux hommes ? s'enquiert Erza en plissant les yeux malicieusement.

- Loin de moi cette pensée misogyne, sorcière manipulatrice ! Crois-tu que je ne te voie pas venir avec tes gros sabots ? Je ne pense pas qu'il faille genrer cette aptitude. Hommes et femmes sont également capables à ce sujet, je suis bien placé pour le savoir.

- Tu ne tombes jamais amoureux de tes conquêtes ? demande Lucy les yeux brillants d'espoir.

- Certaines me plaisent plus que d'autres, mais aucune ne fait battre mon petit cœur insensible. »

À cet instant, le regard habituellement honnête de mon ami balaie rapidement mon visage. Il s'est rembruni, un masque a durci ses traits. Une grimace que je voudrais invisible déforme le sourire que je lui tends et lui de se tendre en retour. Il a vu. Il a senti. A-t-il compris ? Que je sais, que je devine, que je désapprouve ?

« Bon, alors nous irons tous voir Gajil dans Roméo et Juliette, déplacé-je le sujet de notre conversation.

- Ah j'espère que c'est une version rock, propose Lucy. Ça lui irait tellement bien !

- Je n'en sais pas plus, précise Erza. J'ai réservé dix places, je pense que ce sera suffisant.

- Ben, on est déjà quatre ici, remarque Grey.

- Il y a toujours des défections de dernière minute et, souvent, on ne se retrouve pas plus de dix pour ce genre d'événement. C'est une petite salle, je ne pouvais décemment pas réserver davantage de places si on ne les remplit pas toutes. Et visiblement, la troupe a un certain succès, les places s'arrachent comme des petits pains.

- J'en veux une pour Lisanna, exigé-je à voix haute. »

Trois paires d'yeux se tournent vers moi.

Ben quoi ? Il y a quoi de surprenant dans ce que je viens de demander.

« S'il y en a une que je n'ai pas compté, c'est Lisanna, Natsu. On ne peut pas dire que Gajil et elle soient toujours en très bons termes, m'explique Erza, quelque peu mal à l'aise.

- Il n'est même pas question qu'elle ne vienne pas, annoncé-je sans ciller.

- Je suis d'accord avec Natsu, renchérit Grey. Lisa et Gajil se chamaillent tout le temps mais ils s'adorent. Laissons de toute façon Lisa décider.

- Bon, je vais voir s'il reste des places à réserver encore et proposer à l'ensemble du groupe. Ça vous va ?

- Très bonne idée, conclut Lucy. Natsu, tu sais qu'il est vingt-et-une heure trente. Je ne veux pas te presser mais là, tu sembles avoir complètement oublié ton audience de demain. »

Je blêmis, sors mon téléphone de ma poche pour vérifier l'heure. C'est impensable, le feu de la conversation m'a fait perdre le fil du temps. Je me fustige de tant de légèreté, de mon inconséquence et appréhende mes retrouvailles avec la blanche. Aucun message reçu. Évidemment. Et moi qui ne l'ai pas prévenue de mon retard.

En quelques secondes, j'enfile ma veste et m'apprête à prendre congé de mes amis. Lorsque je me penche sur les lèvres de Lucy pour l'embrasser, elle kidnappe mes joues et oblige mon oreille à lui prêter une grande attention. Tandis qu'elle me murmure doucement les mots les plus affolants, je rencontre les pupilles dilatées de Grey, le sourire complice d'Erza. Nos amis suivent, attendris, notre échange amoureux.

« Si tu ne rentres pas trop tard Natsu, je te promets la fellation du siècle. Juste pour te prouver que c'était de la science-fiction, hein, mon idée de cesser de faire l'amour. » susurre-t-elle d'une voix diablement sexy.

Je déglutis et peine à garder contenance. Les deux témoins gloussent de plaisir en constatant mon trouble mais n'ont bien sûr rien saisi de la teneur de l'indécente proposition. Tout au plus conjecturent-ils.

« Et tu sais comme j'excelle en la matière, n'est-ce pas ?

- Je ne rentrerai pas tard, promets-je le feu aux joues en retrouvant l'éclat caramel de ses prunelles. »

oOo

Je devrais courir, me précipiter le long de ce chemin qui mène à la maison que loue ma meilleure amie, mais je prends mon temps, au contraire. Mes pas sont lourds de culpabilité. Ma soirée a ruiné l'enthousiasme de retrouver Lisanna; la perspective de notre prise de bec, inévitable, insinue dans mon esprit la furieuse envie de tourner les talons et de m'enfuir. Retrouver Lucy, oublier cette folie, demander pardon à Lisanna et tourner la page. Brûler le livre plutôt. Être raisonnable. Pourtant je poursuis vers la porte que j'aperçois déjà, la lumière brille à l'unique fenêtre du rez-de-chaussée visible de la rue, trahissant que celle qui vit là est encore au moins éveillée à cette heure. Il n'est que vingt-deux heures mais, prise dans un accès de colère, Lisanna est capable de se mettre au lit et de refuser de m'ouvrir, me laissant comme un con devant chez elle. Je grince des dents tandis que mon poing frappe à sa porte.

Les secondes sont plus lourdes que mes pas, elle ne se précipite pas, tu m'étonnes ! Les yeux qui m'accueillent ne s'affichent cependant pas fâchés mais se sont parés d'un voile d'indifférence. La bouche qui ne prononce aucun mot ne tremble pas sous le coup d'une émotion ou de l'envie de me tendre un sourire. Mon cœur à moi est pourtant heureux de retrouver celle qui le perturbe tant depuis quelques jours, ses battements gagnent en intensité sans que je puisse y remédier d'une quelconque façon. Lucy s'évanouit de mon cerveau avec une facilité que je méprise mais qui n'enraidit pas mes membres d'une réticence sincère. J'entre à la suite de ma blanche et couvre son dos d'un regard de feu. Existe-t-il un antidote au sortilège qui m'enchaîne à Elle ?

Et toi, as-tu conscience de ce qui nous lie désormais, de ce que j'ai cru, pauvre naïf que je suis, accessoire, presque superfétatoire, et qui m'apparaît clairement comme essentiel lorsque l'air que je respire se charge des effluves secrètes de ton corps ?

Ressens-tu seulement la même chose ? Dis-moi, crie-moi, hurle-moi que tu ressens la même chose !

« Salut. » prononcé-je, penaud.

Bien sûr, aucune réaction à ma tentative de communication. Tu t'éloignes de moi à la vitesse de la lumière, te réfugies sur une chaise de ta salle à manger, t'y assois de cette façon qui m'horripile plus que tout – en tailleur – et poursuis la correction des copies posées devant toi. Je m'installe silencieusement en face de ta mine renfrognée. Le grincement des pieds de la chaise que je traîne sur le sol a pour objectif d'attirer ton regard mais… que nenni ! Tu t'obstines, un feutre rose à la main. J'observe la course folle de ton crayon, les arabesques qu'il dessine, les mots envoûtants qu'il écrit. Je ne comprends rien à ce langage, peut-être sont-ce des incantations magiques que tes élèves reçoivent ? Quelle chance ils ont, je suis jaloux de ces mots roses que tu leur distribues, je te vois les doser, les poser en dentelles sur leurs copies. Tes sourcils suivent les volutes inspirées, ils se froncent, se hissent, se fâchent et je devine que des cancres te contrarient. Ta bouche affiche une moue dépitée parfois. L'envie de sourire me prend, mais je la combats, j'y céderai dès que je t'aurais reconquise.

Les minutes succèdent aux minutes et je ne fais qu'admirer le spectacle que tu mets en scène. Oui, tu mets en scène Lisanna ! Le message est clair : j'ai merdé, tes copies sont le symbole de mon inconséquence, tu es chagrin, tu m'en veux… mais tu n'exploses pas. Du moins, pas encore. Penses-tu me chiffonner en agissant ainsi, en me refusant le cérulé de tes prunelles mécontentes ? Tu ne me chiffonnes pas tant que ça à vrai dire. Tu me laisses, petite inconsciente, tout le loisir d'admirer ton minois si craquant, j'assiste en témoin privilégié à cette facette de toi que j'ai trop peu souvent l'occasion de surprendre, ce boulot qui te bouffe, te transporte, te passionne. Ce n'est pas une punition que d'être ainsi près de toi. Je suis certes privé de tout contact réciproque, charnel ou visuel, mais je sais que ma présence te trouble, j'imagine le ballet de ton cœur dans ta poitrine, je vois l'agitation de tes doigts, la mobilité de ta joue, tressaillements équivoques que tu dois maudire. Il n'est plus simple désormais de nous retrouver l'un près de l'autre sans céder à l'urgence de nous mêler intimement. De terribles envies me saisissent, c'est indiscutable. Pourquoi aujourd'hui saurais-je me satisfaire de rester là à te contempler alors que chaque parcelle de mon corps te réclame ?

Je subtilise une de tes copies – celle sur laquelle tu t'affairais, il va sans dire – afin de voir si, à l'endroit, je comprends mieux de quoi il retourne. Les maths, c'est pas mon fort, ça ne m'intéresse pas, ça ne me parle pas. Mon geste est vif et tu ne parviens pas à l'empêcher.

« Putain Natsu, tu fais chier ! lances-tu avec la délicatesse qui te caractérise. Rends-la moi ! »

Mon sourire se fait narquois au coin de ma bouche.

« À te voir ainsi plongée dans tes corrections, le stylo aux lèvres, réfléchie, presque transportée par ce que tu fais, j'aurais juré voir un poète foudroyé par l'inspiration. C'était d'une telle beauté ! Et puis… badaboum… tu parles ! » provoqué-je sciemment.

Des éclairs traversent ton front encoléré, tu luttes pour ne pas me sauter dessus, pour endiguer les noms d'oiseau dont tu es coutumière, que tu souhaites me jeter à la gueule et que je mérite, je ne le nie pas.

« Je suis désolé Lisa, désamorcé-je illico. J'ai eu un contre-temps.

- Pourquoi ne m'as-tu pas prévenue ? demandes-tu en te levant brusquement et en t'éloignant de moi.

- Lucy et Erza nous ont rejoints au squash et ont proposé qu'on dîne ensemble, je n'ai pas pu refuser, m'expliqué-je confusément. Je n'ai pas eu le temps. »

Je me suis aussi levé dans la foulée après avoir reposé la copie de la discorde, je me rapproche de toi. Besoin d'une étreinte, d'un enlacement, d'un simple effleurement. Mes doigts s'écartent lorsque tu passes près de moi mais tu esquives, tu échappes. Nous ne nous touchons pas et la frustration explose dans mon ventre tandis qu'une fois encore tu me fuis.

« Pourquoi ne m'as-tu pas prévenue ? insistes-tu. Je me fiche de connaître ton contre-temps, ça pourrait être le pape, je m'en tape. Je te demande juste un sms Natsu. Imprévu, on annule. Trois mots, trente secondes. Est-ce trop demander ?

- C'est pas ça, me dois-je de reconnaître, contrit. »

Je fonds sur toi à nouveau, je vois que ma volonté de proximité t'irrite. Tu croises les bras tandis que je me plante devant toi.

« Je ne voulais pas annuler, admets-je simplement.

- Tu ne voulais pas ? répètes-tu. »

Ton regard me fusille et m'indispose.

« Si je t'avais avertie d'un contre-temps, tu aurais annulé, n'est-ce pas ?

- Bien sûr, me réponds-tu avec acrimonie.

- Lisanna, j'avais envie de te voir. J'ai ragé quand Lucy et Erza ont débarqué, rager de devoir dîner à quatre, de devoir repousser ma visite de ce soir. Et j'appréhendais bien évidemment ta réaction…

- Mais Natsu, ma réaction est complètement justifiée ! t'énerves-tu en me toisant avec incompréhension.

- Je n'ai pas dit le contraire.

- Ce soir, j'ai vécu une situation que je refuse de vivre.

- Je sais.

- Non, tu ne sais pas. Tu ne sais pas quel genre de sentiment d'insécurité ton retard a induit. Je refuse de t'attendre, tu m'entends ? Pas de méprise entre nous Natsu, je ne te reproche pas d'avoir dîné avec Lucy, je n'ai aucune exigence vis-à-vis de ça. Tu as été clair sur le sujet et je le suis tout autant que toi. Évidemment que tu ne pouvais pas faire autrement que dîner avec tes amis ce soir. »

Je souffle de contrariété. Je sais, je comprends, j'adhère aussi à tout ce qui est dit, tout ce qui est suggéré, tout ce qui va suivre. Je suis juste d'un égoïsme sans fond. Ne pas te voir, ne pas te toucher aujourd'hui alors que mon cerveau avait programmé notre moment à deux était tout simplement au-dessus de mes forces. Voilà ce que je devrais interjeter en ma faveur…

« Ce que je te reproche c'est de m'avoir mise en situation d'attente. Cette pitoyable condition de maîtresse qui m'exècre, m'aboies-tu dessus les yeux gagnés par l'humidité. Celle qui attend qu'on la visite, celle qui organise sa journée, ses sorties autour du petit moment qui va lui être octroyé. Celle qui, patiemment, chez elle, se languit de la venue de son amant. Lui qui l'aura casée entre le fromage et le dessert. Lui qui aura inventé un bobard à sa femme, à ses amis, pour se volatiliser quelques minutes, au pire quelques heures, le temps de faire son affaire.

- Arrête ! je scande avec force. »

Je te saute dessus. Mes bras t'obligent à accepter mon étreinte, ils se nouent autour de ta taille, te plaquent contre mon torse, mon front plonge dans ton cou et mon nez retrouve ton odeur, ces exhalaisons intimes dont il semble que je sois désormais complètement accro. Me défoncer à toi, quelle drôle d'idée ! C'est pourtant une réalité qu'il me faut affronter, l'effet provoqué par ta seule présence étant comparable à celle d'une drogue dure.

Et là, perdu dans tes bras qui m'enlacent enfin, partageant le même oxygène, les mêmes craintes que toi, je me laisse griser par ta respiration tourbillonnante.

« Jamais, je ne veux que tu penses que je te considère comme… ça. Tu n'es pas ma maîtresse Lisanna, nous avons déjà évoqué ce mot, il me fait horreur autant qu'à toi. J'ai été con, égoïste. J'ai refusé de renoncer à te voir ce soir alors que c'était pourtant le plus raisonnable pour toi. Je te promets que ça ne se reproduira pas.

- Oh, Natsu, t'entends-je me murmurer tandis que tes doigts quittent mes épaules pour venir fourrager mes cheveux. »

Je ronronne, ne musèle pas mon plaisir d'être ainsi empoigné, d'être pardonné. Mues par une envie commune, nos bouches migrent doucement, mes lèvres balaient ton cou, s'amusent de ta réaction épidermique. Et bientôt accostent ta mâchoire que tu fais lentement glisser contre mon menton, dans le dessein évident de provoquer nos retrouvailles.

Enfin le baiser. C'est une chaleur et une humidité délicieuses que je viens goûter dans ton antre, contre ta langue audacieuse. On s'embrasse, on se respire. Mes gémissements envahissent ta bouche, tu souris et me laisses m'enhardir. Forcément je deviens vigoureux dans notre accolade, mon corps durcit et se repait de tout ce qui fait de toi une femme, le moelleux de tes hanches, la rondeur de tes fesses sur lesquelles je divague, mais surtout la douceur de ta peau; là sous ma dextre, ta joue mouvante, délurée par le jeu de ma langue dans ta bouche. Nos souffles éperdus trahissent l'émoi de ce simple baiser. Simple baiser… Je me trompe… Rien n'est simple. Rien n'est simple. Ma main glisse dans tes cheveux et tu me laisses œuvrer. Te maîtriser, petite furie, est une exaltation que tu ne peux soupçonner. Je resserre mes entraves sur toi et contemple mon œuvre en entrouvrant les yeux. L'expression licencieuse de ton regard révulsé achève mon self-control. Tu aimes. Tu aimes comme je t'embrasse.

« Gggrrrr, me mets-je à grogner en t'entraînant vers ton canapé que je vais élire meuble de l'année. Regarde-moi encore comme ça ! Regarde-moi tout le temps comme ça ! »

Je me retourne et m'affale sur les coussins verts. Tu m'atterris dessus lourdement, ne parviens pas à endiguer ta chute. Normal, je n'ai pas desserré l'étau autour de tes hanches.

Mes mains parfont ta position sur moi sans que tu n'aies le temps de te rebeller ou de tenter une mutinerie. Nous nous retrouvons donc, comme hier, collés l'un à l'autre, nos bustes s'épousant et se heurtant tandis que je te contrains à reprendre possession de mes lèvres. Exultons ensemble. Encore !

« J'aime tes baisers. » susurré-je amoureusement.

Mes mains dans ton dos imposent ma volonté. Manège troublant qui tourne et retourne, froisse l'étoffe qui te recouvre. Trouve une porte d'entrée. Pénètre sous ton pull.

« J'aime ta peau. »

Tu sursautes.

Bon sang, c'est quoi cette rébellion ? Ce cri étouffé de rires, ces genoux qui se déploient, ce petit cul qui veut s'échapper ? Mais mes doigts sont prompts et excités par la timide tentative de révolte.

« Reviens ! ordonné-je en capturant tes hanches pour briser ton élan et t'astreindre à reprendre ta place. Reste collée contre moi ! »

Je m'excite de toi.

« Je m'excite de toi.

- Il ne faut pas, murmures-tu d'une voix fêlée avant de fondre sur mes lèvres pour me rouler le patin de ma vie. »

Mes sens s'accordent à te décerner l'oscar du baiser le plus foudroyant. J'en reste pétrifié de plaisir de longues secondes mais, petit à petit, je reprends conscience et m'extrais de ta succulente escroquerie, arrachant mes lèvres à ta délectable torture.

« Ne cherche pas à me détourner petite maligne. »

Tu exploses d'un rire malicieux tandis que je reconquiers le territoire perdu sous ton pull. Mes mains retrouvent avec bonheur la sensibilité de ton échine, les frissons qui te hérissent lorsque je danse sur toi à la manière d'une ballerine virevoltante. Tu te tortilles en gloussant. J'adore, j'en redemande de tes sursauts excitants.

« Ai-je le droit de te toucher ici ? m'enquiers-je avec l'innocence d'un subversif brigand.

- Je crois que oui, admets-tu en miaulant sous mes caresses visiblement exquises.

- Hum… et là ?

- Rho ! t'insurges-tu en plaquant tes mains sur ta poitrine fraîchement empaumée.

- J'ai envie de te voir nue, reconnais-je sans enjolivement, me redressant et m'emparant de ta bouche.

- Ça, jamais ! assènes-tu entre rire et essoufflement. »

Mes rires rejoignent les tiens et je savoure notre complicité ressuscitée. J'aime les dandinements qui accompagnent mes divagations sur ton corps. J'exulte de te découvrir, de démasquer les zones névralgiques de ton plaisir, celles qui accroîtront ton désir de moi, qui te rendront folle pourquoi pas, qui nous feront basculer. Est-ce que je veux basculer ? Non, non, c'est un engagement que nous avons pris et, en même temps, là maintenant tout de suite, oui. Oui car mon ventre te réclame, scande ton nom, en quête d'une extase que seule notre fusion physique saurait produire. Le bougre se tord, se distord, il gémit, implore, revendique. Notre joie n'est pas feinte et colore notre trouble d'une légèreté nécessaire. Bien sûr que mon sexe se tend sous tes déhanchements irréfrénables. Es-tu si chatouilleuse ? Sens-tu l'effet dévastateur de nos caresses sur mon désir ?

Tes yeux soudain cessent de rire, ils s'assombrissent, prennent des reflets flous. Ma respiration s'est figée devant le spectacle d'une intensité dramatique.

« Il faut absolument que nous cessions de jouer ainsi Natsu. C'est trop dangereux.

- N'aie pas peur, tenté-je de te rassurer en t'embrassant encore. On ne fait que flirter.

- Pas de dérapage, tu as promis.

- Je ne suis pas un animal, je sais me contrôler. »

La moue qui souhaite coloniser mes lèvres est farouchement combattue et étouffée. Suis-je vraiment honnête ou est-ce que je m'efforce de me convaincre ?

« Je n'en suis pas certaine, murmures-tu contre ma bouche d'une voix affolante, je suis trop sexy et irrésistible, j'en suis consciente. »

Je pouffe de rire. Tes yeux sont joyeux mais exhibent toujours un trouble appétissant. Ni une, ni deux, répondant à un instinct de domination inné, je te renverse adroitement et prends place entre tes cuisses. Là contre ton intimité, force est loi. Et je suis fort ! C'est un sentiment assez honteux, je dois dire, mais je m'excite de te contraindre, de notre position explicite – nous mimons ni plus ni moins l'acte sexuel. Tes mains se sont élevées dans les airs et, te connaissant, je les ai tout d'abord cru menaçantes. Mais de volonté belliqueuse il n'est question puisque, contre toute attente, elle se soumettent en échouant mollement sur l'accoudoir derrière ta tête. Ainsi, tu t'exposes, vulnérable et soumise. Les yeux écarquillés, je réalise. Tes pantomimes, tes soupirs, tes bouderies. Tu joues, tu minaudes… creuses les reins. Tu m'échauffes.

« Tu ne doutes vraiment de rien petite allumeuse ! » fais-je mine de te houspiller, appuyant mon entrejambe contre la tienne en vaines représailles.

Quelle est cette terrible luxure qui enlumine tes iris ? Mon regard plonge dans le tien comme un apnéiste dans l'océan sans fond; ombres et lueurs y dansent et chancellent dans un ballet ensorcelant et captivant. Fascinant, enveloppant, mais ô combien dangereux. Je ne vois plus, je n'entends plus et seul le tambour métronomique de mon cœur s'acharne à me faire garder pied dans la réalité. C'est à la fois rassurant, entêtant et désespérant. Ne devrait-on pas simplement se laisser couler ?

Le temps n'est plus, les secondes se sont figées et mon désir de toi s'exacerbe à m'en faire exploser le bide. Cesse de me défier de la sorte, impudente imprudente ! Cesse ton manège dangereux ! tes yeux de biche papillonnant, tes hanches ondulantes auxquelles je synchronise les miennes. Arrête ça Lisa.

Je me penche et effleure ta joue de mes lèvres fébriles.

« Arrête ça ! te susurré-je à bout de souffle.

- Je te croyais maître infaillible de tes pulsions, rétorques-tu sans paraître moins aguicheuse. Je sens très bien que tu as envie de moi.

- Tu surestimes mon self-control, Lisa, préviens-je. »

Un haussement de sourcil accueille ma remarque. Un sourire illisible habille tes lèvres rouges de mes baisers.

« Et toi, accepté-je de glisser encore plus loin, tu as envie de moi ?

- Hum, réfléchis-tu toute en langueur en dodelinant de la tête et faisant mine d'ignorer la réponse à la pourtant fondamentale interrogation. Je ne répondrai pas à la question. »

Tu me cherches ?

Je mords ma lèvre inférieure et tes yeux se posent sur la meurtrie.

« Je pourrais aller vérifier par moi-même, menacé-je, mi-sérieux, mi-moqueur.

- Chiche ? rétorques-tu, provoquant un séisme de magnitude neuf dans mon pubis. »

Ma main droite ne tremble pas lorsque je la présente à tes yeux frondeurs, sous-entendant que je suis prêt à m'aventurer en terres interdites. Tu glousses effrontément mais je distingue l'appréhension voire un certain malaise dans ton attitude. Je grimace légèrement et plonge mon front dans ton cou, c'est un emplacement que j'affectionne particulièrement. Ainsi niché contre toi, il est un monde de douceur, de tendresse et d'abandon qui m'est offert. Un monde que je ne pensais pas découvrir auprès de toi, ma meilleure amie. Je ferme les yeux et mes doigts courent sur la ceinture de ton jean, faisant fi de ton enraidissement, de ta soudaine pétrification. Dans ton cou, mes yeux sont aveugles et, malgré un haussement de sourcil, je ne parviens pas à croiser ton regard, ta mâchoire est et reste mon horizon.

Ma main déambule autour de ta taille à la recherche d'une faiblesse dans la forteresse Levi's, faiblesse que le gonflement volontaire et exagéré de ton ventre ne permet pas. Petite bourrique !

« Tu m'énerves ! je grogne victime d'une alliance frustration rancœur et abandonne, dépité, ma tentative d'infiltration.

- Tu m'énerves aussi.

- Tu m'irrites pour être plus précis, te contredis-je volontairement.

- Je t'énerve, je t'irrite, je t'excite. Heureusement que tu n'es pas cardiaque. »

J'ai tout autant envie de rire que de t'emboutir mais je ne déserte pas la chaleur de tes bras.

« Je déteste ton jeans, m'entends-je râler avant d'ordonner, autoritaire, mets-toi en jupe demain.

- Ben voyons, rebondis-tu. Et qu'est-ce que ça changerait ?

- Je pourrais te toucher mieux, éclairé-je en caressant tes hanches ceintes dans la toile bleu brut.

- Vu la météo du moment, j'aurais des collants tu sais…

- Des collants ça se retire.

- Un jean aussi ça se retire, oses-tu d'une voix chargée de sous-entendus. »

Mon inspiration est lourde et profonde, je m'arrache du cocon apaisant où j'avais pris place, ton cou, et après avoir pris appui sur mes avant-bras, je sonde tes yeux plissés et étonnamment muets. C'est quoi ce message subliminal que tu m'envoies ?

« Je veux dire que jean ou collants, même combat, éclaires-tu en haussant les épaules. Les règles restent les mêmes.

- Des collants se retirent plus rapidement et plus innocemment, avoué-je sans scrupule.

- L'innocence ne te va pas Natsu. Tu es et restes un fieffé filou et aucun subterfuge ne saurait endormir ma méfiance.

- Tu sous-estimes mes qualités de stratège, soufflé-je avec arrogance.

- Tu rêves ! balances-tu vertement sans souci de paraître aimable. Je te connais par cœur toi et tes manigances. »

Ma gorge explose d'un rire conquis devant tes yeux accusateurs. Je raffole de tes expressions cartoonesques, elles participent au charme si singulier qui est le tien.

Mais voilà que tu quittes ta position, tu te redresses légèrement et moi, instinctivement, je recule devant l'approche du loup. C'est à toi d'éclater de rire devant ma mine interpellée avant de retomber mollement. Puis, d'un geste vif, tu croises les bras pour accrocher le bas de ton pull, le relèves pour me mettre sous le nez la dentelle crème de ton soutien-gorge. Une onde chaude et puissante inonde mon cerveau.

Tu crochètes mon cou et m'attires contre tes lèvres.

« Non mais Lisanna ! m'offusqué-je de son attitude. À quoi tu joues ?

- Je t'offre ce à quoi tu as droit. »

Moult objections éclosent dans mon cortex tandis que je profite de l'offrande. Mes lèvres papillonnent sur le renflement de ta poitrine, la naissance charnue, puis remontent butiner la base de ton cou, repousse le pull qui y est roulé. Ton pouls résonne à cet endroit précis et tes longs gémissements m'encouragent à poursuivre. Mes baisers se font lourds et écrasés, humides, larges, mes mains s'enflamment et flattent ta gorge. Les yeux clos je me laisse accoster par de violentes envies, mes râles s'accordent aux tiens, mes muscles se contractent, mes hanches cherchent ton contact.

Nos baisers virent incendies et tu te plains du feu que ma barbe fait naître sur ta bouche.

J'aime tes maigres tentatives pour en réchapper, elles sont une source d'excitation supplémentaire. Réticences et doutes sont balayés d'un battement de cils. Tes mains dans le bas de mon dos remontent sous mon polo, et les sensations pleuvent, courent le long de mes nerfs ultra-sensibles. Envie de toi. Envie de toi. Mes doigts glissent entre nous, s'immiscent entre tes cuisses et se crispent sur ton sexe. Même positionnés par-dessus ton jeans, ils devinent les reliefs fantasmés. Tu gémis, je gémis, nous gémissons à l'unisson et me voilà entamer une lente mais appuyée farandole contre ton intimité.

Je n'ouvre pas les yeux, je refuse de me heurter à quoi que ce soit, tes objections – pour le moment muettes – tes encouragements – que je crains tout autant. Verser dans l'interdit a un goût dérangeant mais tu te révèles si tentatrice ce soir, tu sembles avoir renoncé à tes serments de sagesse, que t'arrive-t-il ? Ton attitude déroutante me donne la fièvre, la réactivité de ton corps sous mes doigts, la crispation des tiens sur mes omoplates; tout confère à nous faire glisser plus loin. Plus loin, trop loin, il n'y a qu'un souffle. Sans contrôler mes gestes, ma main remonte brutalement sur la ceinture de ton fichu jeans et déboutonne le premier rang… Je plonge…

« Non ! » t'ériges-tu contre ma tentative.

Ta poigne a gelé mon mouvement avant que je n'accède à la source de ma convoitise. Ton sexe. Ni plus, ni moins que ton sexe.

Ta voix grave m'extirpe des méandres du désir poisseux dans lequel je m'embourbais. Les sables mouvants désapprouvent ma fuite et resserrent leurs étreintes sur mon ventre. Si tu savais Lisanna comme mon ventre est en ébullition de ce qu'il a projeté dans le tien. Plonger en toi.

« Non ? » répété-je sottement comme un enfant trop sage pour envisager une désobéissance.

La rencontre de nos yeux est intense mais ton dessein est on ne peut plus lisible. Tu ne veux pas.

Tu ne veux pas ?

Marre !

« Bon sang c'est quoi ce cinéma ? Tu n'arrêtes pas de me chauffer, maugrée-je en quittant ma place contre toi, échappant à tes bras coupables. Et puis après tu râles parce que je veux tester tes limites et répondre à tes provocations. Tu souffles le chaud, le froid, c'est pas simple de te suivre. »

Je me suis levé, éloigné, et trouve refuge sur l'un de tes fauteuils. Restée allongée sur le canapé, tu me lances un regard insatisfait et la frustration déforme le sourire que tu veux afficher.

Pour toi aussi le désir est prégnant, reconnais-le plutôt que de jouer les glaciers séculaires et imprenables.

« Rien en dessous de la ceinture, je me souviens de ta sacro-sainte règle, énoncé-je avec une pointe d'agressivité, croisant les jambes pour mieux te signifier ma contrariété.

- Cette règle te protège autant qu'elle me protège.

- Je sais. »

Mon ton est sec mais je sais pertinemment que tu es dans le vrai.

D'un mouvement souple, tu échappes à ton canapé et te plantes devant moi avant de tomber à genoux pour mieux me faire face. Tes mains se posent sur mes cuisses. J'ai la désagréable impression d'avoir déjà vécu situations similaires lorsque, petit garçon, ma mère se mettait à ma hauteur pour me donner une leçon.

« Je suis responsable. » admets-tu, énigmatique.

Je hausse un sourcil circonspect. Non, ce ne sera pas une leçon…

« J'ai du mal à le reconnaître, ce n'est pas très clair tu vois et je n'en suis pas fière, disons simplement que… je suis jalouse. »

J'écarquille les yeux de surprise et te dévisage pour mieux appréhender les raisons de ta confidence. Un réflexe inattendu place ma main contre la fièvre de ta joue. D'où sort cette envie de te cajoler alors qu'il y a quelques secondes à peine j'aurais aimé te corriger ? Continue…

« Apprendre, poursuis-tu avec appréhension, que tu as passé la soirée avec Lucy alors qu'on devait être tous les deux… Oh j'ai honte Natsu.

- Hé, je comprends… prononcé-je doucement en caressant ta joue pour apaiser ta culpabilité et empêcher la fuite de ton regard.

- Je ne veux pas être cette personne-là ! te défends-tu alors. Je ne veux pas tomber dans cette médiocrité que je méprise. Être jalouse de Lucy, c'est juste inconcevable. »

Malgré moi, mes sourcils se froncent à l'écoute de la réalité confessée. Je n'ai bien évidemment pas anticipé l'écueil de la jalousie car je n'ai tout bonnement rien anticipé du tout. L'inconséquence à l'état brut. Pathétique ! Je fonce tête baissée dans notre histoire sans réfléchir aux dommages collatéraux de ma volition. Je réponds à mes désirs sans me questionner sur les éventuelles conséquences de mes actes d'une indignité affligeante. Il m'a été si facile de m'en affranchir. Cela va même au-delà d'un affranchissement, c'est juste de l'irréflexion pure et simple.

Clairement pourtant, m'apparaissent les risques monstrueux que j'encours.

Perdre Lucy… l'horreur absolue.

Te perdre aussi Lisanna. T'entraîner par le fond avec moi, te faire vivre un cauchemar, juste parce que mon envie de toi s'est éveillée, et qu'elle me terrasse, et que je n'y résiste pas. Sciemment, je décide de ne pas y résister. Peu m'importe quelque part ce que tu dois traverser pour que je sois contenté.

Honte, c'est à moi d'avoir honte, Lisanna.

« Alors, bêtement, par esprit de vengeance ou un truc aussi mesquin que ça, reprends-tu le fil de tes explications sans appréhender mes propres tourments, j'ai voulu jouer avec toi, ou t'emmerder, ou te provoquer, ou un peu tout ça mélangé, tu vois ? J'ai voulu vérifier que… »

Ta phrase est en suspens, comme un souffle que l'on retient.

« Tu avais du pouvoir sur moi… » osé-je la terminer.

C'est un joli livre ouvert que tes yeux coupables Lisa !

« Tu as du pouvoir sur moi. »

J'énonce purement et simplement une vérité. Tu acquiesces mais l'ombre sur ton front jette une ombre sur notre tête-à-tête. Cette ombre est blonde et lumineuse, paradoxe qui devrait me saisir, me rappeler à l'essentiel, à cette vie que nous construisons depuis une décennie et dans laquelle je m'épanouis. Oui, cette ombre a un prénom, Lucy.

« Je ne veux pas être jalouse de ce que vous êtes. Lucy est mon amie Natsu et c'est déjà monstrueux de céder à ce… truc… Je veux dire, toi et moi… »

Je sais ce que tu veux dire.

« Alors si, en plus, je sombre dans une jalousie tellement laide que j'en deviens laide aussi à tes yeux.

- Arrête tes conneries ! m'empressé-je de te bâillonner de mes mains, de mes mots. C'est moi qui ai merdé ce soir. Moi qui n'ai pensé qu'à venir profiter de toi sans tenir compte de la situation dans laquelle je te mettais. Moi qui débarque en vainqueur, exige... J'ai rien à exiger. »

Tu m'observes sur la défensive, encore engluée dans les reproches que tu t'opposes. J'ai été con ce soir, voilà ce qu'il me faut simplement reconnaître.

« Tes baisers, tes caresses, alors que je quitte à peine mon dîner avec Lucy. Je n'ai pas mesuré ce que ça pouvait représenter comme violence pour toi. Ce n'est pas le genre de relation dont tu rêves et j'ai encore beaucoup de progrès à faire pour être à la hauteur de ce que tu attends. »

Tu lèves les yeux au ciel et les mots que tu ne prononces pas résonnent malgré tout dans mon crane.

Sois sérieux deux secondes Natsu ! Ce que j'attends, ce dont je rêve ?...

« Demain, nous sortons, préféré-je m'éloigner de l'écho de l'insatisfaction que je devine. Je passe te prendre à midi Lisa, je t'emmène déjeuner puis après-midi studieuse. On va pouvoir discuter, évoquer d'autres sujets que la douceur de ta peau, tes indéniables talents pour embrasser ou mon obsession de tes fesses. On a besoin de ça.

- L'expo Araki c'est studieux pour toi ?

- Bah oui, un minimum. L'essentiel étant qu'on sorte de chez toi, qu'on ne passe pas notre temps à nous bécoter et à faire monter la tension.

- Qu'on se retrouve un peu comme avant… »

Un sourire répond à ta dernière réplique.

« Un peu seulement, me sens-je tout de même obligé de préciser. Pas tout comme avant.

- Pis c'est clair qu'Araki ne fait pas monter la tension sexuelle, t'emballes-tu en te relevant promptement, la voix moqueuse.

- Pour être honnête, j'ai hâte de voir tes réactions face à ce genre de cliché. Ça risque d'être drôle. »

Une brusque volte-face te met en scène.

« Ah oui c'est vrai, tu as déjà visité l'expo toi. »

Jalousie !

Je me mords les lèvres tandis que tu as repris le chemin de ta cuisine et que je m'engage derrière toi.

oOo

Le retour en voiture est on ne peut plus rapide. Les rues sont désertes et froides, et silencieuses. Passé minuit en pleine semaine, Magnolia est déprimante, surtout dans les quartiers résidentiels que je traverse, principalement habités par des familles. À cette heure, c'est sommeil pour tous ! Et, hormis quelques jeunes quidams désœuvrés qui traînent, je ne croise pas âme qui vive. Cette pseudo bulle qui m'est octroyée n'est pas forcément la bienvenue, ma vigilance s'endort, j'en viens à conduire tel un automate et mon esprit vagabonde.

Pas très glorieux mon comportement de ce soir. Jaloux de Grey, maltraitant de Lucy, profiteur de Lisanna.

Lisanna, sa sensibilité. Bon sang, qu'avais-je donc en tête pour pénétrer ainsi chez elle et vouloir profiter aussi sauvagement de ce qu'elle ne veut pas m'offrir. Cela s'apparente à un comportement pas très net, je dois en convenir. Je suis limite dans mes envies d'elle. Je me laisse déborder et ne maîtrise pas grand-chose. Presque dangereux. Oui, la situation est dangereuse. En tout cas, je plaide coupable de délire obsessionnel et je mérite d'être condamné sans autre forme de procès. Un regard dans le rétroviseur intérieur me confronte au sinople de mes prunelles encore échauffées.

C'est quoi cette lame de fond ?

Ce truc, comme l'a étrangement qualifié Lisanna.

Suis-je amoureux ?

oOo

Le retour dans mes murs, bien que silencieux, a réveillé son habitant le plus attentif. Le maître des lieux. Des ronrons nourris et ininterrompus m'accueillent chaleureusement.

« Salut Happy, murmuré-je en saisissant mon chat. Dis-donc, tu laisses ta maîtresse dormir toute seule, c'est pas sympa ça… »

Happy se roule dans mes bras, colle ses moustaches dans mon cou et s'abandonne aux baisers dont je l'abreuve généreusement. Par acquis de conscience, je passe par la case cuisine pour vérifier qu'il n'a ni faim, ni soif. Évidemment, Lucy n'a pas oublié eau fraîche et nourriture pour notre matou préféré. Je souris en considérant la boule de poils dont le moteur vrombit toujours avec force contre ma gorge. Nous montons les escaliers tous les deux et, parvenu dans la chambre, je le dépose délicatement sur le lit afin de ne pas réveiller ma blonde endormie. Fidèle à ses habitudes lorsque je rentre tard, Lucy a laissé ma lampe de chevet allumée. J'ignore comment elle peut trouver le sommeil avec cette source lumineuse insupportable mais il semblerait que cette attention qui m'est destinée l'apaise et l'aide au contraire à rejoindre le royaume des songes.

Sans bruit, je me rends dans la salle de bains et me glisse sous l'eau chaude de la douche. Cinq minutes suffisent à me détendre et à laver mes parjures. J'évite pourtant scrupuleusement mon regard dans le miroir tandis que le drap de bain joue sur mon corps; et même lorsque je me brosse les dents, je parviens à ne pas me rencontrer. C'est presque soulagé que je rejoins notre chambre à coucher. Le plus discrètement possible, je pénètre notre lit et éteins la lumière.

Mais à peine l'obscurité a-t-elle envahi l'espace de nos rêves que Lucy allume sa propre lampe et se retourne vers moi vertement.

« Pardon, je t'ai réveillée ? m'excusé-je.

- Non, je ne dormais pas. Pourquoi t'être douché Natsu ?

- Quoi ? balbutié-je, pas très fier de moi.

- Tu as pris une douche au club, je te rappelle.

- Oui, c'est vrai, reconnais-je penaud. Le dossier est particulièrement ardu et j'avais besoin de me détendre avant de me coucher. C'est quoi cette question ? »

Lucy se mord les lèvres et je sens une vague d'angoisse lécher mes joues. Est-ce que je rougis ?

« C'est hyper vexant, tu sais ! lance-t-elle légèrement courroucée.

- Qu'est-ce qui est vexant ?

- Que tu aies oublié… »

Je fronce les sourcils et réfléchis à ce que j'ai pu oublier. Anniversaire, fête, rendez-vous important… pas simple de réfléchir sous le coup du stress. Un instant j'ai cru que mon secret était dévoilé, que j'affichais purement et simplement ma trahison.

Le rire cristallin qui explose soudain dans l'espace de notre cocon, puis la disparition de Lucy sous notre couette, le contact chaud de son corps sur mes cuisses qu'elle écarte autoritairement ravivent ma mémoire.

La fellation du siècle. Sa promesse. Comment ai-je pu oublier ?

J'éclate de rire alors que des mains graciles et audacieuses courent sur moi, que mon caleçon m'est littéralement arraché et qu'une bouche gourmande et émérite me gobe sans précaution.

« Hum… j'adore commencer alors que tu es encore mou. » confie ma volcanique compagne sans la moindre pudeur.

D'un mouvement ample, je relève la couette pour voir quel scénario terrible s'est mis en branle contre moi. Les sensations jaillissent en gerbes, des litres de lave en fusion investissent mes veines et déjà je brûle de jouir.

« Ça ne dure jamais très longtemps cet état, il faut que j'en profite. » ose-t-elle la bouche pleine de moi.

Je souris et secoue la tête d'incrédulité puis abandonne l'idée de reluquer, de mettre en relation mon excitation et la précision des caresses que l'on me prodigue, les œillades suggestives que Lucy me lance. Je veux juste ressentir, apprécier, m'envoler. Alors je repousse au loin la couette, comme on sombre dans le déni, et m'allonge simplement, je confie mon corps sans réserve. Mes avant-bras viennent bientôt recouvrir mes yeux, placer un voile protecteur sur mon cœur, me plonger dans une obscurité complice. Je divague et m'évapore vers des contrées lointaines…