Bonjour tout le monde!

Je vous remercie encore pour toutes vos fabuleuses reviews, voici le chapitre trois!

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Cette fanfiction aborde, et abordera plus tard, des thèmes plus ou moins difficiles comme la dépression, le deuil, l'usage de drogue et les problèmes d'addiction, ainsi que des scènes de violence et de sexe y sont dépeintes.


Chapitre trois : la partie de Dames.


Ace regardait depuis plusieurs minutes la cigarette tombée au sol et piétinée. Il ne s'était même pas rendu compte qu'à un moment donné elle lui avait échappé. Eh bien, ce n'était pas une mauvaise chose, cela avait au moins évité qu'il ne brûle Law.

Law.

La simple pensée amère de son nom et de ce qu'ils venaient de faire le fit frissonner. Il était toujours à moitié dur, il fallait qu'il pense à autre chose. Des vieillards en soubrettes par exemple ou pire encore, la toilette des résidents en EPHADs. La simple vision de la peau fripée et grise le faisait tressaillir de dégoût mais visiblement pas assez pour oublier la main chaude qui s'était trouvée sur lui quelques minutes plus tôt.

Essayant de se calmer, Ace sortit une autre cigarette de son paquet presque vide et l'alluma. Il ne se souvenait plus du moment exact où fumer était devenu un moyen de décompresser mais il en avait vraiment besoin en ce moment-même. C'était en partie à cause de Thatch qu'il avait commencé. Son ami fumait déjà quand il l'avait rencontré au lycée et il avait été le premier à lui proposer une cigarette. Après cela, Ace avait eu une petite période rebelle durant un temps, juste après avoir appris qui était Gol Roger, et il prenait un malin plaisir à fumer dans le dos de sa mère mais surtout dans celui de son grand-père. Garp avait d'ailleurs été celui qui s'en était rendu compte en premier, ce qui n'était pas surprenant, il avait une sorte de sixième sens de flic pour découvrir tout ce que son petit-fils avait essayé de lui cacher dans sa vie. Ace se rappelait encore de l'engueulade à laquelle il avait eu droit de sa part et les réprimandes mesurées de sa mère. Il s'était senti coupable un temps lorsqu'elle lui avait dit qu'elle ne pouvait pas l'en empêcher mais qu'elle n'avait pas envie que son fils unique meure d'un cancer des poumons. Pourtant, cela ne l'avait pas fait arrêter alors même qu'il détestait le goût du tabac à l'époque. Il fallait croire que mourir n'avait jamais inquiété Ace pour un sou et que ce n'était pas seulement une fantaisie passagère récente.

Mais désormais, tout ce qu'il en retenait, c'était que ces souvenirs paraissaient risibles à présent alors que sa mère était celle qui était décédée et que Roger était en phase terminale tandis que lui restait en bonne santé.

Au fur et à mesure que les minutes s'écoulaient et que sa cigarette se consumait, Ace se calma un peu et réussit à faire retomber son érection. Cela n'empêchait pas qu'il n'avait qu'une idée en tête, rentrer chez lui pour terminer le travail.

Il tira une dernière fois sur le petit bâtonnet de nicotine puis le laissa tomber par terre, à côté du cadavre du premier, puis il l'écrasa avec la pointe de son pied.

A peine entra-t-il à nouveau dans le bar qu'une vague de chaleur étouffante l'envahit de toutes parts. Ses amis n'avaient pas bougé d'un pouce, ils étaient toujours accoudés à la même table. Alors qu'il les rejoignait, il jeta un coup d'œil au fauteuil où était assis Law plus tôt. Il avait retrouvé sa place et discutait avec une fille aux cheveux bleus qu'il pensait être l'une des serveuses. Law ne le remarqua pas. Il ne jeta même pas un regard dans sa direction ou à sa recherche pour s'assurer qu'il était bien rentré mais l'un de ses amis, celui aux cheveux blancs, lui le regardait étrangement.

Ace se détourna. A priori, Law ne voulait pas continuer ce qu'il avait commencé ce soir, cela ne servait à rien pour lui d'attendre qu'il change d'avis. Il n'était pas désespéré non plus !

_Qu'est-ce que tu fais ? demanda Izou alors qu'il récupérait la parka qu'il avait laissé sur le tabouret le temps d'aller fumer.

Trois paires d'yeux s'étaient subitement tournées dans sa direction, toutes les sourcils froncés.

_Je suis désolé les gars, je crois que je vais rentrer chez moi. Je suis vraiment crevé.

Ce n'était même pas un mensonge, il se sentait réellement fatigué depuis des semaines. Mais là, c'était comme si une chape de plomb venait de s'abattre sur lui. Il se sentait carrément épuisé, même rentrer chez lui, lui semblait une tâche impossible. Il n'allait pas seulement devoir surmonter l'épreuve de rejoindre l'arrêt de bus le plus proche, il fallait qu'en suite il réussite à se lever de son siège ce qui n'avait rien d'une partie de plaisir. Ces derniers temps, il avait la désagréable impression de pouvoir se confondre avec le tissu limé et sale des sièges des transports en commun qu'il avait l'habitude de prendre. Il n'était même plus autant dégoûté qu'auparavant quand il voyait des taches suspectes dessus.

_Tu te fiches de nous ?

_C'est en plus toi qui as insisté pour que l'on vienne ici. Soi-disant l'ambiance était super et tout et tout…

Ace se sentit légèrement coupable alors que Izou le foudroyait du regard. C'était effectivement à cause de lui qu'ils étaient venus jusqu'ici au lieu de se retrouver dans un bar plus proche de chez eux. En réalité, c'était pour une raison bien précise qu'Ace ne pouvait pas dire à voix haute de peur d'être pris pour un fou. Ou plutôt, de peur que quelqu'un se rende compte à quel point il était foutu.

Depuis qu'il l'avait rencontré, il se sentait étrangement attiré par l'aura glaciale qui se dégageait de Law, et coucher avec lui dans sa voiture, sur un coup de tête, n'avait fait qu'accentuer ce besoin. Au départ, il avait paniqué et avait décidé de ne plus mettre les pieds à l'hôpital, de peur de le recroiser. Aussi grisante était la sensation d'être près de lui, c'était aussi complètement terrifiant. Ils avaient à peine échangé quelques mots, il n'était même pas certain de lui avoir dit son nom à un moment donné puisque le sien il l'avait découvert grâce au badge sur ses habits d'hôpital. Ace avait déjà couché avec des inconnus le temps d'une nuit et même si généralement ce n'était pas prémédité, cette fois-ci avait été tout à fait différente. Ils ne s'étaient pas rencontrés dans un bar, il n'y avait pas eu de flirt. Il y avait juste eu cette tension étrange et d'un coup, il était à moitié nu à l'arrière d'une voiture, en train de se faire branler sur la banquette et à ouvrir la bouche, coincé entre une paire de jambes. Ce n'était pas le genre de chose qui arrivait, d'ordinaire.

Dès lors, Law n'avait pas quitté ses pensées et même s'il avait voulu l'éviter et mettait tou en œuvre pour, il savait qu'il ne pouvait pas faire cela toute sa vie. Finalement, après plsuieurs jours à se cacher, il s'était rendu à l'hôpital pour honorer la promesse qu'il avait faite à sa mère. Sans vraiment qu'il n'en ait conscience, Ace était resté plus longtemps que d'habitude, à trainer dans les couloirs et sur ce fameux siège orange et grinçant. Pas dans la chambre de son père, bien évidemment, il ne voulait pas passer plus de temps nécessaire avec ce monstre.

Ace avait bien dû se rendre à l'évidence à un moment donné, il avait souhaité retrouver Law. Il avait beau être terrifié par ce qu'il dégageait, c'était comme s'il était un papillon de nuit attiré par la lumière d'une lampe. Et s'il s'en rapprochait trop, il ne se brûlerait pas seulement les ailes mais disparaitrait tout entier. Pourtant, il voulait comprendre pourquoi il se sentait autant attiré. Alors, lorsqu'il avait surpris la conversation de deux des gars avec qui il avait vu Law plus tôt dans la semaine à la cafétéria sur une soirée qu'ils planifiaient dans un bar, il s'était dit que changer de lieu pour sa propre soirée avec ses amis ne ferait pas de mal. D'une façon ou d'une autre, écouter les conversations privées ne l'avait pas dérangé et c'est ainsi qu'il avait commencé à chercher les bars dans les alentours de Punk Hasard et qu'il avait trouvé le Bar de l'Arnaque. Malgré son nom plus que singulier, il avait une bonne réputation sur le site Internet et la plupart des commentaires venaient du personnel hospitalier. Et peut-être même qu'il était arrivé à Ace d'apercevoir sur quelques-unes des photographies une personne ressemblant étrangement à Law et que cela avait influencé son jugement de vouloir absolument essayer un nouvel endroit avec ses amis.

_Désolé, je vous promets de me rattraper. Sortir après avoir vu Roger n'était peut-être pas la meilleure des idées.

Si jusque-là Ace ne se sentait que légèrement coupable, le malaise se mit à croître en lui. c'était vraiment écœurant et lâche de sa part d'utiliser cette excuse. Il se fichait bien de se servir d'un connard comme Roger en phase terminale mais ses amis méritaient mieux. Excuse qui pourtant fonctionna. Le regard de ses amis s'adoucit un peu et l'expression d'Izou passa de la colère à la gêne. Qui aurait pensé que son géniteur dont il avait renié l'existence depuis si longtemps et sur son lit de mort pouvait lui être utile.

Marco fut le premier à prendre la parole :

_On comprend, on refera quelque chose une autre fois. Quand tu te sentiras mieux.

_Désolé de m'être emporté, ajouta Izou en hochant la tête.

_C'est bon, marmonna Ace qui ne voulait pas s'attarder là-dessus.

A présent, il se sentait définitivement comme le pire ami, médiocre au possible, alors qu'il enfilait sa veste. Il les salua tous les trois une dernière fois, promis de rapidement les revoir puis quitta le bar. Il eut de la chance d'attraper le bus juste avant qu'il ne parte. Tout le long du trajet jusqu'à chez lui, Ace essaya de ne pas penser à quel point il s'en voulait. Il voulait juste se réfugier au fond de son lit.

Il se rattraperait, se promit-il. En espérant que cette promesse-ci il la tienne correctement.


Le réveil le lendemain matin fut compliqué. Il lui fallut un temps fou pour se rappeler où était son portable qui sonnait depuis le fond de l'une de ses poches de jean qu'il avait laissé traîner au milieu de son appartement en rentrant la veille.

Deadcrush de Alt-j résonnait beaucoup trop fort dans le silence matinal pour qu'il l'ignore et retourne se coucher. L'esprit encore brumeux, Ace faillit tomber de son échelle alors qu'il descendait de la mezzanine pour atteindre son pantalon. Quand il réussit enfin à éteindre l'alarme, il remarqua avec une certaine déception qu'il n'avait reçu aucun nouveau message et que son écran annonçait qu'il était à peine 9h. Pourquoi avait-il mis un réveil aussi tôt un samedi matin ? C'était le week-end, il ne devrait même pas se soucier de combien de temps il dormait durant ces deux jours.

L'espace d'un instant, Ace hésita à retourner dans son lit, ou du moins le matelas qu'il avait mis directement sur la plateforme de sa mezzanine avant de finalement se diriger vers son frigo. Il était debout, autant qu'il en profite pour rattraper le retard qu'il avait accumulé depuis la rentrée. Et Dieu qu'il était conséquent.

C'était tout plein de volonté qu'il s'assit en tailleur devant la table basse de son salon-cuisine, accompagné d'un bol rempli de céréales et de lait, et d'un verre d'eau. Il alluma son ordinateur et ouvrit les derniers cours auxquels il avait assisté. Ce n'était pas fameux, reconnaissait-il. Il manquait la plupart des informations, certaines phrases s'arrêtaient en plein milieu et les quelques notes qui semblaient fournies se trouvaient en réalité être des mots poussés les un sà la suite des autres sans qu'ils n'aient aucun sens. Du moins pour son cerveau, et il espérait que ce n'était qu'un méfait matinal et qu'à force de travailler, son esprit se réveillerait.

Cela faisait plus d'une heure qu'il était penché au-dessus de ses fiches quand la sonnette de sa porte d'entrée retentit. Le son strident le fit sursauter alors qu'il était sur le point de s'endormir, le visage pressé contre son clavier et se fichant complètement de la série de lettres que cela était en train d'écrire sur son document Word. Les céréales avaient été toutes dévorées depuis longtemps maintenant et comme à son habitude d'enfant, il avait laissé le lait au fond du bol, désormais froid et dégoûtant.

La sonnette retentit à nouveau, l'obligeant à se lever. Si c'était encore son voisin d'à côté qui venait taper la discute comme il le faisait souvent, il allait lui claquer la porte au nez.

Avant même qu'il n'est atteint la porte, la sonnerie retentit une troisième, jouant encore plus avec ses nerfs déjà à vif.

_Deux secondes ! s'exclama-t-il en ouvrant sa porte. Quoi ?! Je…oh.

C'était Garp qui se tenait debout dans son entrée. Il avait laissé de côté son uniforme de police pour ses habits de civils qui étaient… flamboyants. Eh bien, pas qu'Ace ait un bon goût dans ses propres tenues vestimentaires, mais celles de son grand-père dépassaient l'entendement avec son vieux jean délavé et surtout sa chemise rose à palmiers bleus. C'était déjà un miracle qu'il ait troqué ses sandales adorées pour des chaussures qui correspondaient davantage à la fin de l'automne.

_Qu'est-ce que tu fais ici ?

_Comment ça ? Tu n'es pas content de me voir ?

Avant qu'Ace n'ait eu le temps de répondre, il s'était déjà pris un coup sur la tête. Putain, son grand-père était tellement taré.

_Tu as oublié, n'est-ce pas ?

C'est alors que le souvenir d'avoir promis à Garp de déjeuner avec lui tous les premiers samedis du mois lui revint en mémoire. C'était pour cela l'alarm du matin ! Comment avait-il pu l'oublier ?

En bégayant, il essaya de trouver une excuse mais son grand-père avait déjà refermé la porte derrière lui et entrait dans son petit appartement.

_Oh, tu travaillais, c'est pour ça. Eh bien, je dois dire que je suis fier que mon petit-fils s'implique tant dans ses études mais tu dois aussi prendre des pauses des fois, tu sais !

Pris au dépourvu, Ace recommença à bégayer, tentant d'expliquer que, effectivement, l'école de commerce lui prenaient beaucoup de temps. Comme la veille avec ses amis, il essaya de ne pas prêter trop d'attention au pincement qu'il avait au cœur pour mentir ainsi. Garp pouvait être étrange et bourru parfois, c'était le moins qu'on puisse dire, mais il était toujours son grand-père, même si ce n'était pas biologiquement.

_Tu veux peut-être que nous repoussions le déjeuner ? demanda l'officier de police en jetant au coup d'œil à la table basse sur laquelle s'amoncelait, entre son ordinateur et son bol, des papiers et des livres qu'il n'avait pas touché depuis le début de l'année.

_Non, c'est bon, une pause me fera le plus grand bien !


Ace a eu énormément de mal à rester concentrer sur la conversation que Garp tentait d'avoir avec lui. Il s'en voulait toujours pour lui avoir menti, ainsi qu'à ses amis. De plus, il ne cessait de regarder son téléphone portable, espérant y découvrir un message de Law. Mais rien du tout. Ce qu'il disait ne pas être désespéré la veille, eh bien… peut-être que c'était un peu faux ? Law avait ce quelque chose de sombre et grisant qui piquait sa curiosité. Et il en avait vraiment besoin en ce moment. Sa vie était si monotone entre l'école de commerce, aller voir Roger deux fois par semaine et le travail que lui demandaient les cours à côté. Pas qu'Ace potassait beaucoup, en vérité, mais il ne trouvait pas d'utilité à ce qu'on lui apprenait. Même les soirées étudiantes étaient devenues ennuyantes à mourir alors qu'il y a encore un an il était toujours le premier à faire la fête.

_Alors, comment se passe l'école ?

Arg, c'était la question tant redoutée et en même temps, il savait qu'il ne pouvait pas échapper à celle-ci.

_Je dirais… bien ? Les cours sont compliqués, ça me demande beaucoup de travail.

_Je vois ça, n'oublie pas de te reposer aussi. Tu fais partie d'une association cette année ?

Ace retint une grimace. Il détestait les associations proposées par son école de commerce. Les profs en parlaient comme des leviers de développement personnel. Lui, les voyait plutôt comme des castes très fermées, qui ne s'ouvraient que si tu avais le bon nom de famille ou un petit chèque joliment rempli. L'année dernière, il était devenu membre de l'une d'entre elles. C'était une association qui mettant en avant les évènements sportifs comme l'aviron ou le rugby. Ce n'étaient pas ses sports favoris mais c'était l'une des moins chers tout en étant bien côtée, alors il avait déboursé, non sans un soupir de résignation, une cinquantaine d'euros. Tout cela, juste pour passer plusieurs heures par semaine avec des gens qu'il n'aimait pas et qu'il trouvait inintéressants au mieux, et véritablement des connards au pire. Ainsi que pour recevoir un polo hideux vert et marron qu'il se servait aujourd'hui pour laver sa salle de bain.

Cette année, il avait décidé de rester à l'écart. C'était plus que préférable pour sa propre santé mentale qu'il pensait déjà frôler le précipice que pour la propre sécurité des autres. Personne n'avait envie que de nouvelles bagarres éclatent, n'est-ce pas ?

_Heu… les inscriptions n'ont pas encore débutées.

Garp fronça les sourcils.

_Ah bon ? On est déjà en octobre pourtant…

_Ils voulaient laisser aux étudiants plus de temps pour se décider, ce n'est pas mal comme idée, je trouve.

_Tu vas prendre la même que l'année dernière ?

_Heu… je pensais changer, tu vois, pour voir d'autres choses.

_Bonne idée, il faut toujours élargir ses horizons !

Ace hocha la tête et essaya d'avaler ce qu'il y avait dans son assiette. Son grand-père avait insisté pour l'emmener dans un restaurant de poissons et de fruits de mer et de payer pour lui. Au début, il avait été ravi mais maintenant qu'il avait son assiette posée juste devant lui, il n'avait plus faim. Le poisson cuit à la vapeur et assaisonné au piment lui rappelait le repas spécial que lui faisait sa mère pour les grandes occasions. Et mentir autant lui retournait aussi l'estomac.

De plus, il n'arrêtait pas de regarder son portable mais il n'avait toujours rien reçu de Law.

_Tu attends un message important ? Est-ce une petite amie, par tout hasard ?

Immédiatement, le visage d'Ace chauffa. Il ne s'attendait pas à être pris sur le vif, même s'il devait reconnaître qu'il n'avait pas été discret. Depuis quand Gapr faisait-il attention à ce genre de chose ?

_Non, non, pas du tout.

_Ace…

Oh, il n'aimait pas quand son grand-père prenait cette voix. C'était le ton qu'il employait pour parler de quelque chose d'important et de sérieux. En somme toute, quelque chose exceptionnelle. Et une aussi grande délicatesse ne signifiait jamais de bonnes nouvelles, Garp préférait toujours crier. Ou râler quand il était dans ses meilleurs jours.

_Ecoutes, tu peux tout me dire, tu le sais, n'est-ce pas ? Si tu n'aimes pas les filles et que tu préfères les garçons… Je ne dis pas que je comprends mais il n'y a pas de problème.

Oh, puttain.

Ah, c'était tellement gênant.

Depuis quand est-ce que Garp et lui parlaient de cela ? Le plus proche qu'ils avaient abordé le sujet était lorsque son grand-père avait cru bon de lui expliquer qu'il devait mettre un préservatif pour ne pas avoir d'enfant et se protéger, comme si du haut de ses dix-sept ans Ace n'était pas au courant !

Et de toute manière, ce n'était pas comme s'il allait lui dire la vérité. Il ne pouvait tout simplement pas. « Alors grand-père, j'aime les deux mais là j'attends juste qu'un gars que je connais à peine et avec qui j'ai baisé dans sa voiture, et qui m'a fait une branlette hier soir en pleine rue, m'envoie un message ». Il voulait éviter de lui provoquer un arrêt cardiaque. Aucun d'eux n'avait les sous pour payer les frais du croque-mort et Ace n'avait aucune envie d'être inculpé pour meurtre. Est-ce que les gens pouvaient réellement mourir de surprise ou de honte ? Eh bien, ce serait une expérience a tester une prochaine fois.

_Non, ce n'est rien de tout cela. Je dois juste rendre un devoir avant 20h ce soir.

_Quoi, pendant le week-end ? Vos professeurs ne vous ménagent pas, hein ? D'accord, eh bien nous n'allons pas tarder. Je ne veux pas te freiner dans tes études, sourit Garp.

Ace essaya de sourire en retour mais cela semblait terriblement faux.

Honteux.

Quand il rentra enfin chez lui, il ne jeta même pas un coup d'œil à l'ordinateur et aux feuilles de cours qui l'attendaient sur sa table basse. A la place, il grimpa l'échelle qui menait jusqu'à sa mezzanine et s'enfouit sous les couvertures, dans son lit.


Ace n'a rien fait d'autre du week-end. Il n'a pas retouché à ses cours ne serait-ce qu'un peu et il n'est seulement sortit de son lit pour se préparer des chocolats chauds, qu'il buvait en dévorant des paquets de gâteaux de retour une fois en haut dans sa mezzanine. Le plafond était juste assez élevé pour qu'il puisse s'asseoir sur son matelas sans se cogner la tête contre et c'était suffisant pour ce qu'il fit de ces deux jours.

C'est ainsi qu'il passa son dimanche, en regardant de vieilles séries sur la petite télévision qu'il avait réussi à monter ici lors de son emménagement quelques années plus tôt, et à penser à sa vie.

Il était à moitié somnolent devant un vieil épisode de X-Files lorsque son portable sonna. C'était un message de Marco.

Marco : Yo ! on arrive chez toi dans 10 minutes !

Merde, est-ce qu'il avait encore oublié quelque chose ? Une autre sortie à laquelle il avait promis de se montrer ?

Marco : et t'as intérêt à nous ouvrir !

Marco : c'est Izou qui parle là

Ace eut à peine le temps d'enfiler des habits qui ne soient ni troués, ni tâchés, de jeter les paquets d'emballage vides et de commencer sa vaisselle, avant que la sonnette ne retentisse. Il passa une main dans ses cheveux complètement indisciplinés et sales, et décida de les attacher avant d'ouvrir la porte. Malgré ses efforts il ne devait pas ressembler à grand-chose mais ce n'était pas très grave pour l'instant. Il était plus ou moins opérationnel, c'était déjà pas mal.

_Salut, dit-il essoufflé alors que Marco, Thatch et Izou se tenaient debout devant son entrée.

Ses amis entrèrent et malgré leur sourire, Ace pouvait voir qu'ils étaient préoccupés. Il leur désigna le canapé et s'excusa en enlevant le bordel qu'il avait laissé sur la table basse. Il empila son ordinateur et toutes ses feuilles de cours volantes, et posa le tas dans un coin de la pièce, ne sachant pas quoi faire d'autre avec.

_Je n'ai plus de bières je crois mais j'ai du thé et euh… un peu de café.

Ace détestait le café mais la première année de son aménagement, ses amis passaient tellement de temps chez lui qu'il avait fini par en acheter du soluble. Alors qu'il en préparait deux tasses pour Marco et Thatch, ainsi que deux autres de thé pour Izou et lui-même, il leur demanda ce qui les amenait ici, espérant qu'il n'avait rien oublié, encore.

Ses trois amis se jetèrent un regard un instant avant que Marco ne prenne la parole.

_On est venu pour voir comment tu allais. On était assez inquiet après que tu sois parti vendredi soir.

_Ah, ça… ça avait été une longue semaine. Y a pas besoin de s'inquiéter, sourit-il.

Il mit les quatre tasses sur un petit plateau et vint les déposer sur la table basse, avant de prendre place sur le vieux pouffe noir et délavé avec des petits flammes rouges dessus qu'il avait récupéré dans une braderie. Il essaya d'éviter le regard de ses amis, mal à l'aise, et il porta la tasse à ses lèvres, même si le thé n'avait pas assez infusé et que l'eau était brûlante. Il n'avait jamais dit qu'il était doué pour mentir, il s'en sortait juste plus ou moins bien la plupart du temps. Avec beaucoup de chance.

_Ace, commença Thatch. Tu es sûr que ça va ?

_Pourquoi ça n'irait pas ?

_Heu… parce tu as perdu ta mère y a pas si longtemps que ça et que depuis tu te coupes de tout le monde.

_Elle ne voudrait pas te voir comme ça, ajouta Izou en triturant son sachet de thé avec sa cuillère.

Involontairement, les doigts d'Ace se crispèrent autour de sa tasse. Il pouvait reconnaître la sensation chaude de la colère qui commençait à fleurir dans sa poitrine. Pourquoi parlaient-ils de sa mère ?

_Et quoi ? Je n'ai pas le droit d'être un peu tranquille ? J'ai perdu ma mère comme tu l'as dit.

_Ace, calmes-toi, tenta Marco. On te dit ça parce qu'on est inquiet justement.

_Tu ne te coupes pas non plus que de nous mais aussi des gens de ton école. White Bay m'a dit que tu ne participais plus à la vie du campus et que tu ne parlais plus à personne. Et tu agis bizarrement, tu ne sors plus que pour coucher avec des inconnus, tu passes des après-midis entiers à l'hôpital pour voir Roger, tu as arrêté la course alors que tu adorais ça… est-ce que l'on parle de toutes les bagarres dans lesquelles tu t'es retrouvé ces derniers temps ?!

_Ce ne sont pas des reproches, Marco semblait-il obligé d'ajouter d'une voix douce.

Ace savait qu'ils avaient raison et que quelque chose clochait avec lui. Il était le fils de Roger après tout, mais c'était comme si depuis ces derniers mois cela avait empiré. Il ne savait pas vraiment quoi mais il savait que son comportement n'avait rien à voir avec comment il agissait avant, même s'il avait toujours été quelqu'un de turbulent qui cherchait les ennuis.

_Tu peux nous en parler, lorsque ça ne va pas bien, tu sais ? On est là pour ça.

Thatch et Izou hochèrent tous les deux la tête. Ace ne savait pas quoi répondre. C'était vraiment touchant de leur part mais que pouvait-il bien leur dire ? Lui-même n'était pas certain de ce qu'il ressentait, de ce qui se passait. Il oscillait toujours entre la colère et une humeur plus taciturne, ou alors il se trouvait qu'il était trop fatigué pour ressentir quoi que ce soit.

_Ecoutez, dit-il finalement, je ne vais mentir, les derniers mois ont été compliqués mais vous n'avez pas besoin de vous inquiéter pour moi.

_Mec, on est tes amis, c'est normal qu'on s'inquiète pour toi, répliqua Thatch.

_Je sais et je suis désolé. Les prochaines fois que ça n'ira pas je vous en parlerai.

Ace essaya de sourire. Il ne savait pas s'ils le croyaient tout à fait mais au moins, ils semblaient rassurés. C'était suffisant pour l'instant, tout du moins.

Assez rapidement, leur discussion partit sur des sujets plus joyeux comme la nouvelle petite copine de Marco. Apparemment, il n'avait pas voulu en parler avant d'être sûr que ce soit quelque chose de sérieux mais il avait fallu que Thatch aille fouiller dans son portable lorsqu'il avait le dos tourner vendredi soir. Wanda était une fille qu'il avait rencontré à une soirée étudiante pour la rentrée de son école de médecine et depuis, d'après les dires de Thatch qui était remonté loin dans leur conversation SMS, il ne s'était pas passé un jour sans qu'ils ne discutent ensemble.

_Pourquoi tu ne nous en as pas parlé avant ?

_Pour pas que vous demandiez à la rencontrer.

_Pourquoi ?

_Je veux la rencontrer !

_On veut le veut tous, histoire de savoir qui a réussi à te capturer dans ses filets !

_Thatch !

_C'est justement pour pas qu'elle voit à quel point mes amis sont des tarés.

Le reste de la soirée a vraiment été agréable. Ils ont fini par commander des pizzas et à jouer à Mario Kart sur la Wii. C'était vraiment sympa, même si Ace ne pouvait pas arrêter de jeter des coups d'œil à son portable dès qu'il en avait l'occasion. C'est Thatch qui s'en rendit compte le premier, d'ailleurs :

_Est-ce que toi aussi tu nous cacherais pas quelqu'un, par hasard ?

Marco et Izou mirent sur pause leur partie et se retournèrent dans sa direction.

_C'est le gars de l'autre soir ? demanda ce dernier.

_Quel gars ?

_Celui du bar ?

_Lui ? T'es sûr ?

Ace fronça les sourcils, il n'arrivait pas à les suivre.

_De quoi est-ce que vous parlez ?

_Du gars au bar, celui avec les tatouages sur les mains.

Ace devint blême. Est-ce que cela signifiait qu'ils les avaient vu dehors, qu'ils avaient vu Law avec sa main dans son pantalon ? Si c'était le cas, il ne pourrait plus les regarder en face !

_Mais arrêtes, tu les imagines vraiment ensemble ? demanda Thatch. Il fait carrément flipper, non ?

_Ecoutes, c'est ce que l'autre gars m'a dit, répondit Izou en haussant les épaules.

_Attends, mais de qui tu parles, là ?

_L'autre soir, après que tu sois parti…

Izou a commencé à lui raconter qu'alors qu'il sortait des toilettes, il avait été abordé par un drôle de type aux cheveux blancs et qui s'excusait sans arrêt. Cependant, cela ne l'avait pas empêché de l'interroger sur Ace. Quand Izou s'était énervé après lui pour se montrer si intrusif et lui avait demandé pourquoi toutes ses questions, l'autre avait répondu qu'il était inquiet pour son ami qui fréquentait Ace et qu'il voulait s'assurer du type de personne qu'il était.

Au fur et à mesure des explications d'Izou, Ace n'en était que plus confus. Ce n'était pas comme si Law et lui étaient réellement proches, ou qu'ils passaient beaucoup de temps ensemble. Ils avaient certainement et pour toute chose, dû se fréquenter une heure seulement, tout au plus. Dont les trois quarts du temps sans parler mais davantage à gémir et se caresser.

_Alors ? demanda Marco en se retournant dans sa direction à nouveay. Y a réellement quelque chose ?

Ace déglutit, mal à l'aise. Tout comme pour son grand-père, il ne pouvait pas leur sortir de but en blanc qu'il voulait simplement se taper Law et qu'il était intrigué par lui. C'était un inconnu et ils ne comprendraient pas. Ses amis avaient déjà dû mal à comprendre le principe de coucher avec des gens rencontrés en soirée. Même Thatch, qui pourtant draguait tout ce qui bougeait, n'entrait pas dans le lit d'inconnues comme cela. En plus, Ace ne pouvait même pas parler de lit pour ce qui l'avait concerné avec Law, alors une banquette-arrière de voiture… ou une rue… ils le prendraient réellement pour un fou.

Alors, il a fait ce qu'il faisait de mieux ces derniers temps, édulcorer la vérité.

_C'est juste un gars que j'ai rencontré à l'hôpital et… enfin vous avez vu, il est plutôt pas mal, alors pourquoi pas ?

Ses trois amis le fixèrent un moment sans rien dire. C'est finalement Thatch qui a pris la parole en premier :

_Alors, c'est peut-être parce que je suis pas attiré par les gars mais ce mec me fait plus flipper qu'autre chose.

Ace roula des yeux même s'il ne pouvait pas nier que Law faisait peur, c'était en fait en partie cette aura qu'il dégageait qui piquait sa curiosité, ou plutôt ce qui l'attirait terriblement.

_Pouvons-nous changer de sujet ? soupira-t-il.

Il n'avait pas envie de parler de ses plans sexes avec ses amis, c'était trop gênant.

Finalement et à son grand soulagement, Ils laissèrent de côté le cas de Law pour se reconcentrer sur la partie de Mario Kart. Ace, pourtant, ne se sentait pas mieux. Il se sentait coupable de leur mentir et il attendait toujours que Law lui envoie un message.


Comme chaque lundi depuis six mois, Ace était parti à l'hôpital, une fois ses cours de la journée terminés. D'ordinaire, Roger était endormi ou complètement dans les vapes à cette heure-là, mais cette fois-ci, lorsqu'il entra dans la chambre sans frapper, il eut la mauvaise surprise de le découvrir redressé dans son lit et les yeux bien ouverts. Trop lucide pour qu'il puisse lui faire face, mais il n'avait pas le choix.

Ace réprima de toutes ses forces son instinct qui le poussait à faire demi-tour immédiatement. Roger et lui ne s'étaient fait face, consciemment, qu'une poignée de fois et généralement, il lui avait fallu plusieurs jours pour se préparer à ce genre de rencontre. Et encore plus pour s'en remettre.

Mais il était trop tard pour faire marche arrière, Roger l'avait vu et lui souriait comme si le putain de soleil sortait de son cul.

_Ace, bonjour !

Il avait juste envie de vomir à la mention de son nom dans sa bouche et à quel point il semblait enthousiaste de le voir. C'est avec dégoût qu'il referma la porte derrière lui et s'avança dans la petite chambre.

_Je suis content de te voir aujourd'hui, les infirmières me disent que tu viens souvent. Alors, comment va l'école ?

N'obtenant aucune réponse, Roger fronça subitement les sourcils tandis qu'Ace restait planter le plus loin possible de son lit.

_Ou le travail ? En fait, je ne sais même pas ce que tu fais, nous n'avons tellement pas la chance de pouvoir parler… nous pouvons rattraper ça aujourd'hui !

Ace ne savait pas quoi dire, il n'avait même pas envie de répondre ou peut-être seulement de l'envoyer bouler. Bien sûr qu'il n'avait pas envie de partager quoique ce soit sur sa vie avec cet homme. Il n'était pas là pour lui, mais pour sa mère. Elle ne voulait pas que Roger meure seul et elle avait insisté pour qu'il donne une chance à son père, et en étant ici, deux fois par semaine, Ace trouvait que c'était déjà bien assez.

_Bien, laisses-moi deviner. Tu as l'air très intelligent, n'est-ce pas ? Tu fais des études d'ingénieur, peut-être ? Ou alors, tu es un intellectuel et tu étudies l'art ou la philosophie ?

_Le commerce, finit-il par répondre, plus parce qu'il n'aimait pas entendre toutes ces présuppositions l'imaginant comme quelqu'un de doué. Je suis plutôt médiocre.

Il n'eut pas le droit de voir le visage déconfit de Roger. Son expression ne se changea pas en dépit ou même en résignation. Au contraire, il avait toujours son foutu sourire et il paraissait tellement authentique. C'était à en vomir.

_Oh, tu es une de ses personnes qui est faite pour la liberté, hein ? La vie normale de la société ne te suffit pas ?

Ace pinça les lèvres. Il détestait à quel point Roger agissait comme s'il le connaissait par cœur et le comprenait. C'était comme si le lien entre eux deux était encore plus réel. Comme si ce lien existait. Comme s'ils se ressemblaient au-delà de l'apparence. Il en avait encore plus la nausée.

_Je ne veux pas parler.

_Oh, d'accord. Nous pouvons jouer aux Dames, si tu préfères. J'ai le plateau juste ici. Je peux t'apprendre, sinon.

Arrêtes de te comporter comme un père, pensa-t-il en s'asseyant sur la chaise près du lit et qu'il recula soigneusement. Mais même ainsi éloigné, ce n'était pas assez et il avait le terrible présentiment, que tant que Roger ne serait pas mort, enterré six pieds sous terre et dévoré par les verres, il aurait toujours l'impression d'être trop proche de lui.

Avant de débuter la partie de Dames, Ace posa le téléphone sur ses genoux. Il avait un peu perdu espoir que Law lui envoie un message et il n'essayait de ne pas trop y penser, il voulait surtout se mettre une alarme pour partir dès que ses trente minutes de visite seraient écoulées.

Au début, Roger n'arrêtait pas de parler, faisant des remarques sur leur jeu. Ace détestait son ton trop enthousiaste et jetait sans cesse des coups d'œil à l'écran de son portable pour vérifier l'heure. C'était comme si les secondes étaient devenues des minutes et les minutes, des heures. Il n'était pas du tout discret et ne cherchait pas à l'être non plus, il se fichait bien que Roger s'en rende compte. D'ailleurs, il ne fit aucun commentaire dessus et lorsqu'Ace levait les yeux de son écran ou du plateau, c'était comme s'il ne se départait jamais de son sourire.

Finalement, au bout d'un moment, Roger arrêta de parler, au grand soulagement d'Ace. La partie continua mais l'étudiant n'arrivait pas à se concentrer. Il n'avait même pas envie de faire l'effort d'essayer de jouer correctement. Il ne fallut que quelques minutes avant que Roger ne le batte, et de peur qu'il veuille parler à nouveau, Ace lui proposa de refaire une partie.

Alors que Roger avançait sa première dame, Ace pouvait voir à quel point le moindre mouvement le faisait grimacer. Ce n'était pas vraiment étonnant puisqu'il en était au stade 4 de son cancer de la prostate. Pas qu'Ace s'intéresse à ce qui lui arrivait, mais un jour, alors qu'il visitait Roger endormi, il avait jeté un coup d'œil au dossier accroché à son lit. N'ayant que cela à faire, il avait parcouru les quelques feuilles sur lesquelles étaient retranscrit l'évolution de la maladie et les traitements adoptés.

Il y avait encore quelques semaines, le cancer avait migré jusqu'aux organes voisins de la prostate, touchant le rectum et la vessie. Il y avait beaucoup de chiffres et de formules scientifiques ou médicales qu'il n'avait pas réussi à déchiffrer, mais Ace avait bien compris qu'il souffrait beaucoup. Et franchement, il n'éprouvait aucune sympathie pour lui. Roger était un monstre, s'il avait pu sortir de prison c'était seulement parce que son cancer était trop avancé. De toute façon, il était dans un tel état qu'il ne pouvait plus rien faire et le gouvernement avait certainement espéré que quelqu'un apprendrait sa véritable identité pour lui régler son compte avant que la maladie ne le fasse.

C'était d'ailleurs, trouvait Ace, assez ironique qu'un trou du cul comme lui meure d'un cancer de la prostate.

_Tu sais, dit soudainement Roger et Ace se tendit, quand tu es né ta mère m'a envoyé une photo de toi. Tu étais si petit et si fragile, j'avais toujours peur qu'il t'arrive quelque chose. Et pourtant, je savais qu'avec Rouge, tu étais en sécurité. Elle était si aimante et douce, et pourtant elle pouvait être une véritable harpie quand on s'attaquait à ceux qu'elle aimait.

Le ton de Roger, malgré sa jovialité apparente, ne dissimulait pas totalement l'émotivité dans sa voix. C'était déroutant et rageant de le voir affecté alors qu'il était à l'origine même de la vie de merde que Rouge avait eu.

Miraculeusement, l'alarme de son portable sonna au moment le plus opportun et Ace sauta littéralement sur ses pieds. Il ne voulait pas l'entendre parler plus, encore moins de sa mère avec autant de tendresse. C'était déroutant de voir un meurtrier comme lui avec des émotions. Et c'était dégoûtant de se souvenir qu'ils s'étaient, apparemment, aimés véritablement.

_Le temps de visite est déjà fini ? demanda son père.

Il souriait toujours mais Ace pouvait voir la fatigue et la douleur derrière son sourire. Il n'arrivait tout simplement pas à savoir si c'était à cause de son corps mourant ou parce que son fils unique voulait absolument l'éviter.

_Oui, répondit-il seulement.

Il récupéra son sac qu'il avait laissé à ses pieds et se retourna en direction de la porte.

_Ça valait le coup de repousser les traitements aujourd'hui pour te voir, en tout cas.

Ace ne répondit rien. Il quitta la chambre, laissant derrière lui Roger, toujours à moitié penché de douleur au-dessus de leur partie de Dames inachevée.

Alors que la porte se refermait, Ace crut entendre quelque chose qui ressemblait à un « merci » mais il ne s'attarda pas dessus. Il a juste marché et avant qu'il ne s'en rende compte, il avait quitté l'hôpital. Il voulait s'éloigner le plus loin possible d'ici et rapidement. Parler, même le stricte minimum le m'était toujours hors de lui et l'horripilait. Il voulait hurler ou casser quelque chose.

A grands pas, Ace se dirigea vers l'arrêt de bus tandis qu'il pouvait en voir un s'éloigner. Avec un soupir, il vint se placer devant l'abri pour vérifier quand est-ce que le prochain était prévu. Le panneau d'affichage indiquait qu'il devait attendre encore huit minutes et rapidement, n'en pouvant plus de trépigner d'impatience, il décida de commencer à rentrer à pied.

Il mit ses écouteurs et lança une musique au hasard. Ace exécrait le silence, cela signifiait être seul avec ses pensées et il détestait cela. Il se retrouvait alors confronté à tout ce qui n'allait pas dans sa vie et, indéniablement, être le fils de Roger en faisait partie.

En fait, c'était comme si tout dans sa vie le ramenait forcément à lui.

Si, enfant, Ace se demandait à quoi pouvait bien ressembler son père, il savait qu'il n'oublierait plus son visage désormais. Roger lui ressemblait trop… ou plutôt, Ace lui-même lui ressemblait trop. Comme si la génétique avait décidé que c'était une bonne idée de lui donner les traits d'un meurtrier. La seule chose qui allégeait un peu son cœur lorsqu'il se regardait dans la glace, c'étaient les taches de rousseur qu'il avait hérité de sa mère. Il regrettait simplement que ce n'ait pas été plus.

C'était d'ailleurs un miracle que personne n'ait encore fait le rapprochement entre Roger et lui, ou alors si les gens l'avaient fait, ils ne lui en avaient pas touché un mot. Il n'y avait que très peu de personne encore en vie qui étaient au courant et c'était déjà bien assez suffisant.

Que ferait-il si jamais les gens de son école de commerce l'apprenaient, par exemple ? Si jamais l'information circulait, il ne pourrait jamais avoir une vie normale. Quoique… c'était déjà le cas. Il était incapable de suivre correctement ses études, il passait des heures à l'hôpital pour visiter son meurtrier de père et pour ce qui était des relations, n'en parlons même pas. Il n'y avait rien de stable dans sa vie, ou le peu qui existait, il le foutait en l'air en quelques secondes. C'était triste mais Ace s'était résigné depuis longtemps.

Alors qu'il tourna en direction du parking extérieur de l'hôpital pour rejoindre la grande rue, il traversa le trottoir sans vraiment faire attention à ce qui l'entourait. C'est seulement l'éclaire jaune et le bruit fort d'un klaxon résonnant au-delà de ses écouteurs qu'il comprit qu'il avait failli être renversé. Merde.

Il voulut s'approcher de la vitre du conducteur pour s'excuser jusqu'à ce qu'il se rende compte de qui était à l'intérieur. Bien sûr, personne n'avait une voiture de cette couleur jaune poussin hideuse, excepté Law.

_Est-ce que tu cherches vraiment à mourir en te jetant comme ça sous mes roues ? grogna le plus vieux.

_Désolé, je ne faisais pas attention.

Law marmonna quelque chose d'incompréhensible avant de se tourner une nouvelle fois dans sa direction.

_Montes, je te ramène.

Ace hésita un instant mais voyant que l'interne commençait à s'agacé, il s'exécuta. Law attendit patiemment qu'il mette sa ceinture avant de démarrer.

_Mets ton adresse dans le GPS.

Le reste du trajet se fit dans le silence, au grand damne d'Ace. Il n'avait qu'une envie, lui demander pourquoi Law ne l'avait pas recontacté. Peut-être c'était-il rendu compte que coucher avec lui ne l'intéressait pas vraiment, en fin de compte.

Ils s'éloignaient de plus en plus de l'hôpital et Ace cala sa joue contre la vitre froide avec un soupir. Il se laissa bercer par le mouvement de la route et était à deux doigts de s'endormir lorsque la voiture s'arrêta. Il pensa à un instant faire semblant de ne pas être réveillé, juste pour ne pas retourner dans son appartement qui lui semblait toujours trop vide. Néanmoins, Law avait eu la gentillesse de le ramener, il ne voulait pas en abuser. Mais en ouvrant les yeux, il se rendit compte que ce n'était pas du tout sa rue.

_Je récupère juste mon dîner, dit-il en sortant de la voiture.

Il revint quelques minutes plus tard avec une boîte à pizza qu'il déposa sur le tableau de bord. L'odeur emplit le petit habitacle et donna l'eau à la bouche à Ace qui n'avait rien avalé depuis ce midi.

_Est-ce que tu comptais réellement m'envoyer un message, finit-il par demander alors qu'ils reprenaient la route.

_Je t'ai dit que j'avais un emploi du temps chargé. Tu es si en manque que ça ?

Ace retint à grande peine ses joues de rougir. C'était assez dur à reconnaître, mais effectivement, depuis la semaine dernière Law était resté coincé dans sa tête et il n'avait qu'une idée toute la journée, recommencer.

Law avait toujours le regard rivé sur la route, mais de là où il était Ace pouvait voir son sourire arrogant. Il attendait une réponse et il hésitait à jouer franc jeu mais il redoutait sa réaction. Heureusement ou non, il fut sauvé par un gargouillement horrible provoqué par son ventre. Pour de bon, cette fois, son visage s'embrasa alors que le silence se faisait pesant dans la voiture.

_Sers-toi, ricana Law.

Ace ne se fit pas prier et il prit le carton à pizza sur ses genoux, les yeux rivés sur son jean. Il pouvait sentir la chaleur que la boîte dégageait à travers le tissu et, dans un sens, c'était un peu réconfortant. Il ne savait pas pourquoi mais la chaleur et le feu avaient cette capacité à le calmer. Quand il était petit, il pouvait passer des heures entières devant la cheminée de son oncle Dragon, à regarder les flammes danser. Il espérait juste qu'il n'était pas un pyromane caché. Ce qui, à ce stade de sa vie, ne serai même pas surprenant.

En ouvrant le carton, l'odeur de fromages devint encore plus forte dans le petit habitacle et il ne lui en fallu pas plus pour en décrocher une part et croquer dedans. C'était brûlant, au point qu'il faillit s'étrangler et que Law se sente obliger de lui dire de faire attention.

Quand ils s'arrêtèrent à un feu rouge, Law tendit son bras pour saisir une part. Ses doigts frôlèrent la cuisse d'Ace qui se crispa instinctivement. Mais ses yeux se posèrent alors sur ses doigts. Il les avait aperçus l'autre soir sur le trottoir devant le bar, les tatouages sur ses mains. Mais il faisait alors trop sombre pour qu'il puisse les lire. DEATH.

Charmant.

_Pourquoi es-tu autant sur les nerfs ? demanda Law sans pour autant quitter la route des yeux et tout en continuant de sourire.

Le plus jeune ne savait pas s'il l'avait fait exprès et même s'il ne le connaissait pas vraiment cela ne le surprendrait pas de sa part. Du peu d'interactions qu'ils avaient eu ensemble, Law s'était souvent montré taquin, n'hésitant pas à jouer de ses charmes. Si, d'ordinaire, Ace jouait lui-même à ce propre jeu, il avait l'impression, avec lui, de ne pas faire partie de la même cour.

_Je ne t'imaginais pas le genre de gars à manger de la pizza, décida-t-il plutôt de changer de sujet.

_Pourquoi ?

Ace haussa les épaules, regardant sa pomme d'Adam monter et descendre alors qu'il avalait une bouchée.

_ C'est juste l'image que tu renvois. Et aussi, vu que tu es médecin donc je t'imagine plus manger des trucs sains.

_Je ne suis pas médecin, seulement interne. Et ce n'est pas dans mes habitudes alimentaires mais comme j'ai eu un malaise plus tôt, je ne vais pas faire la fine bouche.

_Attends, quoi ? Et tu conduits ? On va avoir un accident !

_Calmes-toi. On ne va pas avoir d'accident, répondit Law comme si de rien était et il jeta la croute de sa tranche de pizza dans le carton.

_Et tes collègues t'ont laisser prendre la voiture ? C'est complètement irresponsable !

_Est-ce que tu peux te taire ? Nous sommes arrivés, non ?

Effectivement, Ace ne s'en était pas rendu compte mais ils arrivaient dans sa rue. C'était certainement bien plus rapide que s'il avait dû attendre et prendre le bus, mais il ne pouvait s'empêcher de se renfrogner à l'idée d'être monté dans une voiture dont le conducteur avait fait un malaise plus tôt. Néanmoins, c'était déjà aimable de la part de Law de le lui avoir proposé un tour, donc ce n'était pas comme s'il pouvait réellement lui en vouloir.

L'interne arrêta finalement sa petite voiture jaune criard devant l'immeuble qu'Ace lui indiqua. L'étudiant en commerce en sortit, en tirant son sac à dos qu'il avait calé entre ses pieds durant le trajet et il posa le carton à pizza fermé sur le siège passager.

_Merci, en tout cas.

_Y a pas de quoi.

Ace hésita un instant puis finalement, il se pencha en avant pour regarder le conducteur.

_Est-ce que… tu veux monter un moment ?

Les sourcils de Law se froncèrent avant qu'un sourire arrogant ne vienne fleurir sur ses lèvres.

_Je suis fatigué, je ne vais pas te baiser ce soir.

_Je ne parlais pas de ça ! C'était si tu as besoin de te reposer avant de repartir avec ton histoire de malaise ! Mais laisses tomber, vu que tu ne le prends pas au sérieux !

Law ricana mais Ace s'était déjà redressé, près à partir.

_Je te recontacte.

_Ouais, c'est ça.

_Ace ?

_Hm ?

_La prochaine fois que tu as besoin d'une partie de jambes en l'air, pas besoin de te jeter sous les roues de ma voiture, capice ?

Ace claqua la portière et adressa à Law son plus beau doigt d'honneur. Il ne pouvait pas l'entendre depuis l'extérieur mais l'interne affichait toujours son stupide sourire arrogant et il était presque sûr d'apercevoir à travers la vitre ses lèvres bouger dans un ricanement.

Law redémarra et Ace le regarda s'éloigner rapidement, tout en pestant contre lui.


Le lendemain, alors qu'il était en cours d'anglais, en train de compter les minutes qui le séparaient de la fin de sa journée interminable, son téléphone vibra au fond de son sac à dos.

Law : A quelle heure finis-tu ?

Ace : dans 40 min

Law : Je viens te chercher.