Bien le bonjour !

Et oui, me revoilà ! Bonne nouvelle, écrire n'est plus aussi compliqué que cela l'a été ces derniers mois, donc on va croiser les doigts pour que ça continue comme ça. J'espère vous retrouver nombreuses et nombreux pour ce chapitre de Patria ! (J'ai concentré mes efforts sur ce dernier puisque la twittosphère a insisté pour qu'il en soit ainsi... Mais j'ai de nouveau des idées pour Renaissance, donc patience)

Disclaimer: quand ils ne sont pas historiques, les personnages cités appartiennent à Hidekaz Himaruya.

Bonne lecture !


Chapitre VII

Antonio quitta la pièce reconvertie en chambre où le partisan italien venait d'être interrogé. Après plusieurs jours dans les montagnes sans presque aucune nouvelle de ses amis et alliés, le chef rebelle était soulagé et très heureux d'être de retour dans l'ancienne scierie, et ce même si son escapade en montagne avec le bel inconnu lui avait permis de revoir sa famille. Au cours de son interrogatoire, l'Italien avait radicalement changé d'attitude. Sans doute avait-il retrouvé sa véritable nature, et en cela, le délai depuis sa commotion avait dû jouer.

Il s'était mis à parler très vite, en anglais, à expliquer le plus de circonstances possibles qui expliquaient sa présence ici et maintenant, et à fournir force détails pour, sans doute, gagner la confiance d'Alfred et Arthur, qui avaient mené l'interrogatoire. Du reste, cela s'était passé sans heurt et sans douleur infligée, même involontairement, à leur prisonnier.

Antonio accorda un regard et un sourire à l'albinos hébété et désœuvré, le bras en écharpe, qui était assis sur son lit, dans l'attente de pouvoir s'entretenir avec Lovino, si leur sort était favorable, ou d'apprendre le lieu et l'heure de leur exécution, s'il ne l'était pas.

« Tu peux occuper mon lit aussi longtemps que ta guérison le nécessite. » l'informa Antonio, en espagnol. « Francis a besoin de sommeil. »

Gilbert ne comprit bien évidemment pas, mais le sourire doux et le ton calme, prévenant, bienveillant du jeune Méditerranéen le mit en confiance. Il le salua d'un signe de tête alors que le brun continuait sa route à travers la scierie pour gagner la porte principale et s'engouffrer dans l'air frais de la nuit. Il y avait quelque chose de rassurant à se retrouver là, sur le seuil d'un repère de révolutionnaires encerclé de fascistes et d'Allemands, mais efficacement surveillé et couvert par des alliés habiles au tir et habitués à cette besogne importante. Antonio retrouvait peu à peu le rythme et l'atmosphère de sa vie habituelle, et bien qu'il présageât que les temps à venir ne seraient guère tendres, il se sentait heureux de cet état de fait. Le vent frais fouetta son visage dans la nuit noire. Il entendit des pas le rejoindre sur le seuil de la porte et reconnut celui de Francis.

« Il te fait quelle impression ? » interrogea-t-il son ami.

« Mon niveau d'anglais est médiocre. » confessa Francis. « Mais sa fougue en expliquant son passé de partisan m'a parue sincère. On ne peut pas simuler le dévouement à une cause. Pas éternellement, en tout cas. C'est pour cela que Franco et Mussolini, et Hitler, parviennent si facilement à repérer les sujets qui ne leur sont pas fidèles. »

« J'aurais aimé pouvoir juger moi-même du contenu de sa déposition. » avoua Antonio.

Francis soupira.

« Je suis d'accord. Pourquoi tant de gens parlent-ils anglais de nos jours ? »

Il redevint sérieux.

« Leurs deux versions concordent. À moins qu'ils aient prévu le crash, ce dont je doute fort, ils n'ont pas eu l'opportunité d'échafauder une version officielle. Surtout vu l'état dans lequel on les a trouvés… De plus, je doute que la Wehrmacht aille jusqu'à organiser des sabotages de ses propres avions pour approcher les rebelles républicains. Je pense qu'on peut leur faire confiance. »

« Nous n'avons pas vraiment le choix. C'est ça ou les tuer pour être certains qu'ils ne s'évadent ni ne parlent. Tu penses qu'ils voudront rester avec nous ? »

« Je ne sais pas pour Lovino. Mais j'ai parlé longuement avec Gilbert. Mon allemand est rudimentaire et rouillé, mais de ce que j'ai compris, plus rien ne l'attend en Allemagne. Et s'il retourne vers la Wehrmacht, il est mort. Quel choix ça laisse à un homme comme lui ? Il est mécano. On aura besoin de lui, c'est certain. »

Antonio acquiesça, le regard perdu dans les arbres dépouillés de leurs feuilles et plongés dans le noir. Comme eux, les Républicains connaîtraient des saisons. Des renaissances après des périodes nues, des périodes de doutes et de soupçons.

« Si Lovino en a été réduit à intégrer l'armée pour y échapper en Italie… Et que même sa solution extrême a failli, alors lui non plus n'a plus rien à espérer d'un retour en Italie. Est-ce qu'il voudra exporter son combat en Espagne ? »

« Je ne sais pas. Toi, tu ferais quoi ? »

Antonio garda le silence. Un courant d'air froid souffla soudain. Francis frissonna, Antonio s'assombrit.

oOo

À dire vrai, Antonio ne savait trop comment se sentir par rapport à l'arrivée des deux potentielles nouvelles recrues dans sa petite horde de résistants. Arthur et Alfred étaient complètement charmés par les récits aventureux du partigiano et commencèrent rapidement à lui faire confiance, voire même à l'apprécier. Au cours des jours qui suivirent son arrivée au quartier général, ils continuèrent de le cuisiner sur son passé, bien moins pour tester sa couverture que dans le but de sortir un peu de leur quotidien certes dangereux, mais relativement inactif et dès lors ennuyeux ces derniers temps.

Quant à Lovino, il tomba complètement sous le charme quand Alfred lui apporta l'exemplaire de Brave New World qu'il gardait toujours sous son oreiller. Il voulut en apprendre plus sur les deux hommes à son tour, se formalisant très peu de la distance et de la froideur d'Antonio à son égard depuis qu'ils étaient redescendus des coteaux. Ils n'avaient de toute façon aucun moyen de communiquer l'un avec l'autre. Tandis que Lovino pouvait aisément converser avec les deux anglophones, et inclure Gilbert sans trop de peine dans la conversation avec ses rudiments d'allemand. Alors Francis même pouvait intervenir, mais Antonio était parfaitement exclu. Il n'en devenait que d'humeur plus sombre au fil des jours.

Bien que chacun continuait de remplir ses tâches au sein de leur groupuscule, Antonio s'inquiétait. Ses contacts à Madrid ne lui avaient donné aucune nouvelle depuis bien trop longtemps à son goût. Il demeurait bien informé sur les mouvements des troupes nationalistes et allemandes grâce à leur proximité géographique, mais le reste était inquiétant. Et il s'ennuyait. Et il désespérait d'avoir enfin à nouveau quelque chose à faire, quelque opération à préparer, quelque mission à orchestrer. Il devait être patient.

Mais si rien de nouveau n'apparaissait sur l'échiquier, et si aucune information ne lui parvenait de Madrid, il faudrait bien qu'il se résigne à s'y rendre en personne. Il détestait cela, mais c'était déjà arrivé : il fallait parfois qu'il s'absente et s'éloigne de son QG pour quelques jours, une semaine en général, et laisse sa bande aux bons soins de Francis et Arthur. Il n'en résultait que du stress supplémentaire pour les trois hommes, mais ils n'avaient pas le choix : à Madrid, et surtout quand on était soviétique, on ne se fiait qu'aux hommes que l'on connaissait plus que de nom. On ne se fiait qu'aux hommes dont on connaissait le visage.

Il était grand temps qu'un peu d'action revienne dans leur quotidien. Ils rouillaient. Et peut-être, de l'action ne serait pas une bonne idée tant que les Italien et Allemand étaient parmi eux, tant qu'ils n'auraient rien appris du moins. Pour le moment, ils n'étaient que deux poids morts et deux bouches supplémentaires à nourrir. Il faudrait rapidement leur trouver une utilité, ou les former à être de bons républicains utiles. Sinon, ils devraient se séparer d'eux, et d'une façon qui ne plairait à personne. Les laisser en vie serait trop risqué.

Alors que l'esprit d'Antonio se perdait dans les souvenirs des trop nombreuses exécutions qu'il avait vues, son cœur se serra en imaginant de reconnaître, de dos, la silhouette de l'Italien face à un mur criblé de balles et le visage dans un sac. Il chassa cette pensée. Elle n'avait pas lieu d'être. Ils avaient échangé trois mots et la même phrase à répétition ? Quel lieu y avait-il de le regretter s'ils en arrivaient là ?

Un craquement dans les branches le ramena à la réalité et à l'instant présent. Il avait pris, bien trop rapidement, l'habitude de sortir s'exiler comme pour matérialiser la distance mentale qui le séparait de ses hommes depuis quelques jours. Il restait immobile, assis à même le sol, sans lumière, dans les fourrés. Mais soudain, il ne se sentit plus seul. Il n'était plus seul. Des craquements réguliers au sol et des bruits sourds sur la terre l'informèrent que deux personnes arrivaient. L'une, petite à la démarche légère l'autre, plus grande et sans doute plus musculeuse. Il passa une main sous sa chemise et sortit un Colt de son holster.

À l'affût, il retint sa respiration et la réduisit à un souffle inaudible. Puis un sifflement imitant le chant du geai le rassura. Une seule personne sifflait ce cri de la sorte, et c'était une bonne nouvelle. Madrid était venue à lui. Il répondit par le code convenu et sortit de sa cachette, tout sourire.

Émergèrent des branchages une jeune femme fluette suivie d'une armoire à glace, tous deux blonds comme les blés. Ils virent Antonio et aussitôt, l'air concentré de la femme se fendit d'un sourire, tandis que son compagnon restait impassible et lui adressait un signe de tête. Ils gardèrent le silence jusqu'à être tous les trois entrés dans l'ancienne scierie et avoir fermé la porte. La blonde sauta au cou d'Antonio.

« Je suis si contente de te voir ! »

« Moi aussi, Louise, moi aussi. Je m'inquiétais beaucoup pour vous. »

Il tendit la main à l'homme resté un peu en arrière, et ajouta :

« Content de te voir aussi, Will. »

Le blond eut un petit sourire en serrant la main avec toute la chaleur dont il était capable – ce n'était sans doute pas grand-chose, mais l'intention y était. Dans le même temps, Antonio remarqua que le silence était total dans le QG. L'arrivée des nouveaux venus n'était pas passée inaperçue et, même si Antonio était avec eux, ça ne voulait pas dire que les autres ne devaient pas rester sur leurs gardes.

Quand ils le virent tout sourires, libre de ses mouvements, et qu'ils reconnurent (du moins pour certains des rebelles) l'homme et la femme qui accompagnaient Antonio, l'agitation reprit.

« Louise ! Willem ! » s'écria Francis en quittant sa place autour de la table. « Quelle bonne surprise ! »

Il se mit à leur poser des questions en français, et ils répondirent dans la même langue, d'une voie enjouée quoique sérieuse quand il le fallait pour Louise, et avec peu de mots pour le dénommé Willem.

Lovino et Gilbert ne comprenaient plus rien. Qui étaient ces gens ? Il y avait donc une (des ?) femme parmi les troupes de républicains ? Pourquoi parler en français, quand, clairement, toute la bande ne le comprenait pas ni ne le parlait ? Décidément, la situation, et la situation linguistique plus particulièrement, devenaient si complexes que cela en était même absurde. Sans doute, les deux nouveaux venus parlaient l'espagnol aussi sinon quel chemin de croix d'essayer d'organiser la moindre opération avec des langues maternelles aussi hétéroclites.

Lovino fit signe à Gilbert de le suivre et ils osèrent s'aventurer dans l'entrée du QG.

« Ah ! » fit Louise avant de repasser à l'espagnol. « On ne les connait pas, ceux-là. »

« Nous non plus. » rétorqua Antonio, et à ce moment, la méfiance était clairement perceptible dans son regard et son intonation. « Un ancien soldat italien et un mécano de la Wehrmacht. »

« Ça a bien changé, par ici. » commenta Willem d'un ton légèrement ironique.

« Que font-ils là ? »

« Je ne sais pas encore trop quoi en faire. On les a récupérés dans un crash d'avion, apparemment ce sont des déserteurs aux idées révolutionnaires et ils pourraient nous rejoindre. La communication est un peu difficile. »

« Io parlo italiano, Antonio. » remarqua Louise, amusée.

« Und Deutsch. » compléta Willem.

« Und Deutsch. » sourit Louise.

Lovino et Gilbert se sentirent soulagés, heureux et un peu nostalgiques d'entendre quelqu'un prononcer leur langue avec une bonne prononciation. Cette jeune femme était étonnante, et ils avaient hâte de faire sa connaissance. Pour peu qu'on le leur permette.

« Décidément, je suis content de vous voir. » répondit Antonio en souriant enfin.

Il avait eu l'air sombre et préoccupé au cours des derniers jours, si bien que Lovino avait oublié ce sourire, qu'il avait pourtant déjà vu à de nombreuses reprises dans les montagnes. Un sourire doux et prévenant. Cela lui revenait à présent. Antonio, tout chef rebelle qu'il était, n'en était pas pour autant une brute épaisse et bourrue, ni même sanguinaire. Il y avait de la douceur en lui, une tendresse de cœur qui interpellait Lovino parce qu'elle n'avait, parce qu'elle ne devait pas avoir sa place dans ces montagnes, dans cette guerre. Comment pouvait-elle subsister au milieu des armes et des combats pour la survie et la république ?

Il ne se considérait pas lui-même comme une brute épaisse et bourrue, encore moins comme quelqu'un de sanguinaire : sa résistance avait principalement été une résistance intellectuelle, à travers des écrits, des textes, des journaux. Néanmoins, il se savait d'humeur sombre et presque paranoïaque avant de quitter l'Italie. Il allait sans dire que son bref séjour parmi les troupes fascistes n'avait fait qu'accentuer cela. Était-il même encore capable de sourire ?

De même, les républicains qui l'entouraient semblaient tous porter leurs tragédies et celle de l'Espagne dans leurs yeux. Oh, ils riaient, ils parlaient gaiement. Cela leur arrivait. Mais elles restaient latentes, présentes.

Antonio, en revanche… Antonio, quand il souriait, tout le reste disparaissait.

oOo

Ils s'étaient tous attablés avec Louise et Willem et avaient bu du vin en faisant connaissance. Lovino et Gilbert avaient pu parler dans leur langue maternelle, et avaient fait résonner la scierie d'accents qui lui étaient presque complètement inconnus. Louise parlait très bien l'italien et l'allemand, tandis que Willem, s'il comprenait parfaitement l'allemand, le parlait dans une forme très proche du dialecte néerlandais, et Gilbert avait parfois du mal à le suivre. Leur mère avait travaillé pour l'état-major pendant la guerre, et avait ainsi appris l'allemand, l'italien, l'anglais et le russe pour pouvoir comprendre les messages interceptés et correspondre avec ses homologues de la Triple Entente. Elle avait eu la bonne idée de transmettre ces connaissances, et ses deux langues maternelles belges, à ses enfants, qui servaient désormais dans une autre guerre.

Lovino la trouva d'emblée fascinante et buvait ses paroles. Louise s'amusait comme une folle et ça ne faisait pas l'ombre d'un doute qu'elle avait choisi de faire confiance aux deux nouvelles recrues malgré leur nationalité et leurs antécédents chez les fascistes et les nazis.

À une heure avancée de la soirée cependant, et après avoir interceptés à plusieurs reprises les regards insistants d'Antonio, Louise et Willem Vermeulen mirent fin à la séance en envoyant tout le monde au lit. Restèrent seulement les frère et sœur avec Antonio autour de la table qui semblait démesurément grande maintenant que presque tous ses occupants l'avaient désertée.

« Pourquoi avez-vous mis si longtemps à rentrer ? Vous avez eu des problèmes ? »

« Non, du tout. » le rassura Willem. « On a fait un détour pour raccompagner un informateur grillé à la frontière française avant qu'il ne soit abattu. »

Antonio acquiesça, soulagé. Ils ne devaient pas s'attendre à une mauvaise nouvelle aux conséquences désastreuses pour le groupuscule, alors.

« Quelles nouvelles de Madrid ? » demanda-t-il encore.

Pour toute réponse, Louise sortit une feuille de papier pliée en quatre de son corsage et la fit glisser sur la table vers Antonio.

« Les choses vont bouger d'ici peu. Et nous aussi. » dit-elle, énigmatique.


On remercie Will et Louise qui m'ont remotivée à écrire quand j'ai eu l'idée de les inclure dans Patria ! (Je ne sais pas pourquoi je n'y avais jamais pensé avant...) Un petit teaser : Cuba alias Diego Suarez fera également bientôt son apparition ! #MaTeamSOU

Traductions

Io parlo italiano, Antonio : moi je parle italien, Antonio.

Und deutsch : et allemand.

Notes

Brave New World est une dystopie d'Aldous Huxley parue en 1932.

Colt est une marque d'armes américaine. Je n'avais pas trop d'inspiration et pas envie de me perdre dans mille recherches sur les revolvers employés durant la guerre d'Espagne, du coup c'est un revolver qui est utilisé dans le film Pour qui sonne le glas (tiré du livre d'Hemingway que j'utilise comme référence pour certains aspects du quotidien républicain).

La Triple Entente, en 1914 : France, Royaume-Uni, Russie. Elles étaient opposées à la Triple Alliance Allemagne, Italie, Autriche-Hongrie. En 1915, l'Italie rejoint la Triple Entente (qui change de nom, du coup).

Les langues maternelles belges : aujourd'hui, il y a trois langues nationales (français, néerlandais, allemand) mais puisque la partie germanophone n'a été annexée à la Belgique qu'après la première guerre mondiale, il n'y avait que deux langues nationales durant celles-ci.

J'espère que vous avez aimé ce chapitre, promis tout démarre dans le prochain ! Laissez-moi vos avis en reviews, et promis, on se revoit bientôt !

A bientôt.