Bien le bonsoir,
Oui, oui, c'est encore moins ! Profitez tant que ça dure ;)
Disclaimer : les personnages appartiennent à Himaruya
Playlist : pour ce chapitre, surtout Amsterdam de Jacques Brel, Le Temps est bon d'Isabelle Pierre et Nightcall de London Grammar. (https) : (/) (/) (open) . (spotify) .com(/playlist/) 7HP7mHnM8TSg8FPZXoXMkO?si=Y7flMeawS3q9KWaM2UJK3Q en retirant les parenthèses et omg j'en ai marre que ff soit si casse-burnes avec les liens !
Bref... Bonne lecture les loulous, j'attends vos avis !
Chapitre IX
« 4 février 1937
Premier jour en mer. Pas encore d'ennuis mais je ne me sens pas bien. Le bateau est plus grand que je ne le pensais, mais c'est bien car au moins on ne se marche pas dessus. Je me sens stupide à écrire en espagnol, Louise m'oblige. D'ici quelques jours quand elle aura perdu ça de vue, je repasserai à l'italien. J'ai l'impression de retenir ma nausée depuis le jour du départ. Est-ce que j'étais vraiment fait pour être résistant ? Si je ne suis pas capable de supporter la vue des morts ?
Ce n'est pas ça le problème, en fait. Ce qui me dérange c'est qu'Antonio les ait fait abattre de sang froid. On aurait pu s'en tirer sans en arriver là. Il me fait peur. Peut-être que je me suis trompé. Peut-être que ce n'est pas quelqu'un de bien. Peut-être que la République espagnole ne devait pas être mon combat. Peut-être qu'elle ne devrait pas. Je me fourvoie depuis le début. Je n'aurais jamais dû quitter l'Italie. Heureusement qu'il y a Gil – je n'aurais jamais cru dire ça d'un Boche un jour. Il comprend ce que c'est de ne pas se sentir à sa place. De ne pas pouvoir retourner en arrière mais de ne trouver sa place nulle part.
Je n'arrive pas à dormir. »
Lovino referma son stylo plume et attendit quelques secondes que l'encre sèche avant de refermer le cahier qui lui servait de journal de bord. Il caressa le cuir noir de la couverture, du bout des doigts. C'était un bel objet, qui lui rappelait les cahiers des luxueuses papeteries romaines, devant les vitrines desquelles il s'était mainte fois perdu à saliver, se promettant que le jour où il deviendrait un journaliste important, il s'en offrirait un.
C'était un cadeau d'Arthur. Quand Lovino avait exprimé le besoin de coucher les événements qu'il vivait par écrit, l'Anglais l'avait regardé avec le plus grand sérieux du monde. Il s'était levé, sans mot dire. Et après un passage près de son lit de camp, où il avait ouvert sa petite valise, il avait ramené ce carnet à Lovino. Gêné, l'Italien avait protesté. Il s'attendait à quelques pages de papier froissé, pas à un cahier de première qualité. Pour toute réponse, Arthur avait déchiré les premières pages que son écriture nerveuse avait déjà noircies. Il les avait pliées en quatre et coincées sous ses bretelles.
« It's yours. » avait-il dit. « I don't need it anymore. »
Ainsi Lovino avait-il appris qu'Arthur, au début de la guerre civile, était un écrivain en quête d'inspiration, bloqué dans son Grand Tour au mauvais endroit, au mauvais moment. En rencontrant quelques Républicains, il avait compris qu'il ne pouvait pas tourner le dos à l'Histoire et repartir en Angleterre. Il n'était pas question de fermer les yeux, croiser les bras et ne rien faire. Alors il était resté. Et il n'avait plus écrit depuis.
Lovino s'était acheté le stylo à Barcelone, avant d'embarquer. Il avait ressenti le besoin d'écrire pour la première fois depuis des semaines – depuis son départ d'Italie. Et il avait fait son caprice pour obtenir un support, et emprunté de l'argent à Francis pour s'offrir le stylo-plume. Et quand était venue la soirée, alors qu'une lampe à l'huile éclairait la petite table assez confortablement pour y écrire sans pour autant déranger le repos de Gilbert, avec qui il partageait sa cabine : ne lui venaient que des banalités. Il ne parvenait pas réellement à exprimer ce qu'il ressentait depuis les homicides. Et ce n'était pas qu'une question de langue : même en italien, les mots lui manquaient.
Il se sentait nauséeux et son estomac était noué. Le bruit des vagues qu'il devinait à travers le hublot ne l'apaisait pas le moins du monde. Le roulis gagnait son cerveau, progressivement. Il n'était décidément pas né pour être marin. Lovino enfila un pull de laine supplémentaire sur son gilet et quitta la cabine, pensant que prendre l'air lui ferait du bien. Il remonta sur le pont via une échelle et se retrouva près de la barre, tenue par Willem. Le blond lui adressa un signe de tête mais resta concentré sur le cap à maintenir. Lovino frissonna dans l'air humide et salé des effluves méditerranéennes. Il y avait quelque chose d'humble et de terrifiant à se retrouver là, au milieu de nulle part, au milieu des vagues, dans une obscurité presque totale. À se demander comment Willem pouvait y naviguer sans peine, mais c'était une question bien trop terrifiante pour que l'Italien s'y attarde sérieusement.
Il s'avança vers la proue du bateau, effleurant au passage quelques cordages et levant les yeux vers les voiles. Ce n'est qu'arrivé au bastingage qu'il remarqua qu'il n'était pas seul. Antonio, contemplant les vagues qui se fracassaient contre la carcasse, profitait également de l'air vespéral. À la différence de Lovino, il semblait très à l'aise. Entendant l'Italien le rejoindre au-dessus du bruit de la mer, il se tourna vers lui.
« Bonsoir. » sourit-il.
« Bonsoir. Désolé, je ne voulais pas te déranger. Je ne t'avais pas vu. »
« Tu ne me déranges pas. » le rassura l'Espagnol. « J'aime juste beaucoup la mer. Et toi ? »
« Hum, non. Je viens de Rome. La mer n'est pas loin, mais elle n'a jamais vraiment fait partie de mon environnement. »
Antonio sourit avec indulgence et regarda les flots à nouveau. Lovino ne l'admettrait sans doute jamais, mais il était terrorisé : ça se voyait.
« Tu n'arrivais pas à dormir ? » s'enquit-il à nouveau.
« Non, pas vraiment. »
Antonio acquiesça, perdant à nouveau ses émeraudes au fond des eaux noires de la nuit. Il aurait aimé pouvoir rassurer Lovino et lui dire que les flots et leurs roulis avaient cet effet sur beaucoup de gens qui découvraient le large pour la première fois. Mais il soupçonnait que les insomnies de Lovino avaient une cause plus profonde dont il était responsable, au moins en partie, et il ne pouvait faire semblant d'en ignorer absolument tout.
« Est-ce que, hum… C'est à cause de ce qu'il s'est passé avant que nous quittions le QG ? »
Lovino se tut un instant, s'approchant du bastingage et s'y accrochant, les mains crispées sur le bois verni. La nuit était si noire qu'il avait l'impression qu'elle l'engloutirait bientôt. Il soupira. Des bribes de souvenir des quatre Italiens se jouèrent dans son esprit.
« Oui… En partie. Je veux dire, je n'ai pas vraiment eu de repos depuis que j'ai quitté l'Italie. Il y toujours eu quelque chose dont je devais m'inquiéter, ou quelqu'un dont je devais me méfier. Mais je… Je n'arrête pas de les revoir. Couchés sur la terre durcie par le froid, encore choqués de ce qui vient de leur arriver. Et toi qui… »
« Qui n'ai pas l'air de me dire que je viens de tuer quatre hommes ? » compléta Antonio, sans oser le regarder, l'air sombre.
« Oui. Quelque chose comme ça. »
« Pour ce que vaut ma parole à tes yeux, Lovino… Je ne tue pas par plaisir. Je ne suis pas entré en guerre pour tuer des gens, tous fascistes qu'ils soient. Ça m'aide à déculpabiliser un peu, voilà tout. Mais ce sont des vies humaines. J'en ai conscience. J'ai… J'ai vu et fait des choses bien pires. Ça n'excuse rien, bien sûr. Mais la guerre que nous menons rend pragmatique sur ce genre d'événements. Sur le moment, tu n'envisages pas d'autre solution. C'est toi ou eux. Et il faut que ça soit eux. Tu ne penses qu'au moment présent, pas à la culpabilité qui suivra. Ou bien si tu y penses, c'est simplement pour te dire que tu auras le temps de regretter pour le restant de tes jours, après. Mais que tu dois le faire, maintenant. »
Lovino accusa le coup. Il mesurait l'ampleur du gouffre entre le combat qu'Antonio menait depuis un an et sa propre résistance depuis l'enfance, dans les enseignements de Romeo. C'est un jeu, Lovi. Il s'était contenté de résister intellectuellement. Mais tu seras libre. Libre dans ta tête. Et c'était une bonne chose. Mais ça ne lui donnait pas le droit de juger ou de faire la leçon à celui qui avait décidé de mettre son âme sur la table contre une résistance faite d'actions.
« En tout cas, sache que je ne suis pas un être sanguinaire et sans cœur… Et que je suis désolé. »
Lovino hocha la tête, sans oser regarder dans la direction d'Antonio.
« Tu avais tes raisons. Je comprends. Je n'ai pas l'habitude de ces méthodes, voilà tout. »
« J'espère que tu ne devras pas t'y habituer, mais… J'ai bien peur que dans une certaine mesure, tu y seras encore confronté si tu restes avec nous. Je ne te force pas à rester… »
« Tu veux que je parte ? » demanda l'Italien, tout à coup piqué au vif.
« Non. » démentit Antonio à une vitesse qui le surprit lui-même. « Non, je ne veux pas que tu partes. Mais je ne veux pas que tu te sentes obligé de rester. Tu sais, si tu décides de partir, on ne te fera rien. »
« C'est bon à savoir. » grinça l'Italien entre ses dents.
Le silence s'installa entre eux, troublé par le roulement des vagues et le sifflement du vent. Lovino inspira profondément l'air salé. Il n'était pas tout à fait à l'aise en présence d'Antonio, mais il se sentait déjà beaucoup mieux qu'en bas, dans la cabine, à tanguer en attendant un sommeil qui ne viendrait sans doute jamais. Il manqua de sursauter quand la voix profonde et douce du Républicain lui parvint à nouveau au-dessus des murmures de la mer.
« Tu sais… Hum, là-bas, tu… M'as probablement sauvé la vie. Je tenais à te remercier. Merci, Lovino. »
L'Italien eut un sourire triste, malgré lui. C'est toi ou eux. Et il faut que ça soit eux.
« De rien. Au moins, nous sommes quittes. »
« Comment ça ? »
« Je crois que… Vous nous avez aussi sauvé la vie, ce soir-là. Si on n'était pas tombés sur vous, on se serait sans doute écrasés quand même. On n'aurait peut-être pas survécu. Ou on se serait retrouvés au milieu de nulle part et on serait morts de froid, de faim à un moment ou l'autre. Ou bien les fascistes et les nazis nous auraient retrouvés et massacrés… On a eu de la chance de tomber sur vous. »
Antonio laissa échapper un petit rire. C'était un son étrange, que Lovino avait déjà entendu, dans les montagnes. Comme une cascade cristalline qui réchauffait de l'intérieur.
« Votre plan d'évasion avait quelques défauts, mais il y avait de l'audace, je l'admets. Honnêtement, Lovi… Vous comptiez faire quoi après avoir semé les Boches ? »
L'Italien eut un rire nerveux.
« Excellente question. C'est une phase du plan à laquelle on n'a pas eu le temps de penser sérieusement. »
Antonio rit à nouveau, puis reprit son sérieux. Il quitta la Méditerranée des yeux et les planta dans les ambres de l'Italien.
« Je suis content que vous soyez avec nous. »
Lovino ne répondit pas, mais il sourit. Sans se retenir et sans se cacher, cette fois. Si même Antonio s'habituait à sa présence et l'appréciait, peut-être qu'il parviendrait enfin à trouver sa place quelque part, finalement.
« Moi aussi. » répondit-il. « Mais je me les gèle. Je vais redescendre. Bonne nuit, Antonio. Et… Merci. »
L'Espagnol lui rendit un sourire qui éclaira un tant soit peu la nuit.
« Bonne nuit. »
Lovino tourna les talons et reprit le chemin de sa cabine, presque à l'aveugle. Une fois de retour, il eut la surprise de trouver la pièce baignée dans la douce lueur d'une lampe allumée. Gilbert était assis en tailleur sur la couchette du bas, massant distraitement son bras meurtri qu'il portait toujours en écharpe.
« Oh, Gil. Désolé de t'avoir réveillé. »
« C'est pas toi, t'en fais pas. » répondit l'Allemand d'une voix sombre.
« Ton bras ? Ou encore un cauchemar ? » s'enquit Lovino.
« Les deux, sans doute. Verdammt. Tu vas dormir ? »
« Je vais essayer. »
L'albinos opina et se releva pour éteindre la lampe, une fois que Lovino eut regagné la couchette du haut. Gilbert se recoucha à contre-cœur, sachant qu'il n'allait sans doute pas retrouver le sommeil mais qu'il n'avait rien d'autre à faire que l'attendre indéfiniment. Il maudissait la musique d'antan, qui jouait si fort à Berlin qu'elle hantait jusqu'à ses cauchemars près de dix ans plus tard.
« Lovino ? »
« Hum ? »
« Pourquoi tu souriais comme un idiot en arrivant ? »
« Oh, hum. L'air marin. »
Gilbert se contenta de cette réponse pour le moment. En vérité, Lovino était pratiquement sûr que le grand air nocturne de la mer n'allait rien lui apporter de bon, mais plutôt le rhume du siècle. Néanmoins, certains progrès avaient été faits cette nuit-là. Il avait l'estime d'Antonio, enfin. Et il lui avait accordé la sienne. L'un comme l'autre semblaient prêts à baisser leur garde et se faire enfin confiance. Pourtant, le sourire de Lovino ne venait pas vraiment de là. Il l'avait appelé Lovi.
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À son réveil le matin suivant, Lovino eut la surprise de voir que le soleil était déjà levé, et une douce lumière matinale s'engouffrait dans la pièce par le hublot. Surtout, il constata que le bateau ne tanguait plus aussi fort que la nuit précédente. Il se redressa dans son lit en se frottant les yeux. Au milieu de leur cabine exiguë, Gilbert se tenait debout, pestant contre les boutons de sa chemise qu'il ne parvenait pas à fermer sans peine, à une main.
« 'lut. » fit Lovino en baillant. « Pourquoi on bouge plus ? »
« Arrêt stratégique à Marseille. Francis part pour des courses d'ici quinze minutes, si tu veux te dégourdir les jambes. »
Lovino sauta presque en bas de sa couchette. Il avait une occasion de retourner sur le plancher des vaches ? Et comment, qu'il en avait envie. Il passa un coup de peigne dans sa tignasse auburn, renifla ses aisselles et enfila un pull sur sa chemise isabelle. Ses souliers lacés, il proposa enfin à Gilbert :
« Besoin d'aide avec ta chemise ? »
« Non, merci. » grommela-t-il. « Je finirai bien par y arriver. Rien ne résiste à Gilbert Beilschmidt ! » lui rappela-t-il en retrouvant un rien de bonne humeur.
« C'est ça ! » répliqua Lovino. « A tout à l'heure ! » ajouta-t-il en quittant la cabine.
Il monta sur le pont avec empressement, d'humeur particulièrement joyeuse. Il retrouva Louise et Diego, qui n'avaient pas dû dormir beaucoup la nuit précédente, au vu de leurs visages fatigués. Antonio et Willem rattrapaient les heures de sommeil passées à veiller tard, et laissaient le commandement du navire à Arthur et Alfred – ce dernier s'esquintant déjà la voix à expliquer à qui voulait l'entendre que l'aviation, c'était l'avenir, et qu'il se réjouissait de voir bientôt les bateaux tomber en désuétude. Vu son teint proche du verdâtre, cette aversion pour la marine ne s'expliquait sans doute pas entièrement par les progrès techniques que constituait l'aviation.
« Lovino, bonjour ! » le salua Francis. « Tu te joins à notre petite escapade ? »
« Avec grand plaisir. »
Il suivit Louise et Francis sur le quai. Leur embarcation, solidement amarrée, rayonnait dans le soleil matinal. Sur la coque, en lettres brunes, était calligraphiée leur couverture :
Carriedo
Vinos españoles
Ils avaient embarqué quelques tonneaux de vin de piètre qualité, obtenu à partir des invendus d'Anselmo Fernandez Carriedo. Sous prétexte de les vendre dans quelques villes européennes, ils avaient accès à quelques ports qui leur permettraient de poursuivre leur voyage, de s'approvisionner régulièrement et, surtout, de n'éveiller l'attention de personne.
« Diego ne vient pas ? » demanda Lovino.
« Oh, non. » répondit Louise. « Il reste à bord au cas où les autorités du port viendraient nous chercher noise. C'est mieux qu'elles soient accueillies par un hispanophone, tu vois. »
« Et les Français ne sont pas près de remarquer qu'il parle un dialecte. » commenta Francis. « Par ici, mes chéris. »
Ils suivirent Francis le long du débarcadère, le soleil timide d'hiver les berçant de sa chaleur encore frileuse. Lovino sentit comme un poids le quitter alors qu'il pénétrait dans cette atmosphère inconnue de bord de mer, se faufilant parmi les badauds et les étals, les marins cuvant leur vin de la veille ou débarquant d'une longue nuit en mer, les marchands offrant à la criée les poissons les plus frais du jour. Le Vieux-Port était en ébullition et Lovino découvrait, au milieu de langues qu'il ne comprenait pas, à quoi ressemblaient la démocratie et la paix.
Il était né en Italie, à la veille de la Grande Guerre, dont il n'avait que de vagues souvenirs – principalement, celui de son père absent, de sa mère triste et inquiète, des lettres qu'il envoyait, et de l'angoisse de le voir jamais revenir. La suite n'avait pas été plus joyeuse. La misère, puis la guerre civile, la mort de ses parents aux premiers jours du fascisme. La résistance silencieuse depuis. L'Espagne et une autre guerre, enfin. Il y avait quelque chose de très étrange à se retrouver catapulté en France au milieu de tout cela, pour n'y prendre qu'une bouchée d'un autre pain que la dictature ou la guerre.
Francis et Louise commencèrent les emplettes par une boulangerie, Lovino les attendit à l'extérieur. Il huma l'air marin vicié d'odeurs de goudron et de poisson séché, couvant du regard et d'un sourire le Vieux-Port baigné par le soleil. Pour la première fois, il comprit qu'il y avait une réalité qu'il n'avait jamais aperçue, au-delà de la méfiance constante, de la peur sans fin. Il comprenait enfin pourquoi, pour certains, la vie valait la peine d'être vécue. Il comprenait enfin que vivre et survivre étaient deux choses totalement différentes, et qu'il n'en connaissait qu'une des deux. Sans doute, quand on vivait pour de vrai, au lieu d'essayer constamment de survivre, la vie pouvait être une belle histoire. Il pensa avec un pincement au cœur que s'il s'en tirait vivant, la vie était une aventure qui le tentait bien.
Louise et Francis sortirent de la boulangerie en discutant gaiement, le tirant de sa rêverie. Louise lui offrit un croissant encore chaud avec un sourire doux, et il mordit dans la pâte fine avec appétit. Il souriait pour lui-même, rejetant pour un instant la noirceur des temps à venir dans un coin reculé de sa tête.
Louise lui prit le bras et ils se dirigèrent vers les halles, à quelques rues de là. Le brouhaha qui y régnait était assourdissant, entre les bruits de conversation des clients déambulant dans les allées, les cris des marchands, les hachoirs percutant les comptoirs. La première escale se fit chez une vieille maraîchère à l'air jovial. Lovino contempla les choux, les pommes de terre, les carottes regorgeant de vie, pendant que Francis redoublait de charme pour négocier un prix avantageux. Ensuite il fallut aller du côté des poissonniers, où l'odeur était presque insoutenable, mais Lovino se trouvait dans une dimension si lointaine sur le moment qu'il ne s'en formalisa pas le moins du monde – ni même des poissons morts qui le dévisageaient de leurs yeux vitreux sur l'étal.
En se laissant entraîner par les deux blonds, il se mit à participer à la conversation et aux courses, et se rendit vite compte qu'il ne s'était pas montré aussi expansif depuis des lustres. La voix guillerette de Louise et l'humour espiègle de Francis lui donnaient envie de sortir de sa carapace sombre et renfermée. Il semblait si facile de rire, en ce moment même. Et de prétendre que rien n'allait mal. Qu'ils ne prenaient pas part à une guerre civile sanglante et violente à quelques heures de bateau des rivages ensoleillés de Marseille. Qu'ils ne tuaient pas des vies humaines de sang froid, plus régulièrement qu'à leur tour. Mais pour l'heure, Lovino avait encore les mains blanches. Et les douces chaleurs des rayons caressèrent sa peau lorsqu'ils quittèrent les halles, les bras chargés de courses.
Le ciel s'assombrit à mesure qu'ils se rapprochaient du quai, alors que le moment de mettre les voiles arrivait à grands pas. Lovino remonta à bord, quelques nuages à l'esprit. Les rumeurs du port se turent. Antonio, derrière la barre, donna l'ordre de lever l'ancre. La guerre venait de reprendre.
Notes et traductions
"Boche" est un terme péjoratif utilisé depuis la première guerre mondiale pour désigner les Allemands.
Le Grand Tour était une tradition anglo-saxonne de "tour d'Europe" à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle. C'était un voyage largement motivé par la culture et les arts. Et le parcours d'Arthur est un peu inspiré d'Hemingway, même si ce dernier était en Espagne pour documenter la guerre civile.
Carriedo - Vinos espagñoles : Carriedo - vins espagnols
J'espère que les hints du passé de Gil vous donnent envie d'en savoir plus, je suis impatiente de vous faire découvrir ça !
Et puis au niveau Spamano ça avance non?
J'espère que ça vous a plus, n'hésitez pas à laisser un commentaire !
