Notes

Suggestions musicales :

- Peter - Chris Tilton, Fringe: Season 2 (jusqu'à 1min10).
- Assembling the Team - Henry Jackman, Kong: Skull Island (jusqu'à 00:51).


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L'Ombre de Cabo Blanco a encore frappé ! Un autre bébé enlevé à Montezuma ! Indiquait le titre de l'article.

L'article en question, issu de la version anglaise d'un quotidien costaricain, faisait partie d'un dossier récemment mis à jour que Guillaume Vuillier était en train de consulter. Le directeur du CSMD avait entendu parler de cette Ombre de Cabo Blanco, décrit par certains habitants de la Péninsule de Nicoya comme un spectre buveur de sang, une abomination qui rôdait dans les arbres, enlevait un poisson ou un morceau de viande par une fenêtre ouverte ou pire, un nouveau-né du berceau de temps en temps. Grâce à certains témoignages, on avait pu identifier cette créature comme un Ornitholestes, un petit dinosaure carnivore du Jurassique supérieur, principalement nocturne et pouvant grimper aux arbres aussi facilement qu'un félin.

Craint sur Nublar uniquement par les petits animaux et les mères, l'espèce étant une pilleuse de nids, l'Ornitholestes semait la terreur dans l'extrémité sud-est de la péninsule depuis plus d'un an. Non seulement il décimait les troupes de singes et éliminait tous les chats qu'il rencontrait, aussi bien les petits félins sauvages qu'étaient les ocelots, margays et jaguarondis, que les chats domestiques, voyant en eux des rivaux, mais surtout il avait pris goût aux bébés humains et n'hésitait pas à pénétrer dans les habitations en quête de nourrissons à ravir, poussant les habitants à verrouiller les portes et les fenêtres. Mais l'Ornitholestes n'était pas le seul fléau originaire d'Isla Nublar tourmentant les locaux.

En effet, le nom d'Ombre de Cabo Blanco désignait aussi parfois les compagnons de voyage de l'Ornitholestes et leur progéniture : une troupe de Compsognathus, des dinosaures carnivores de la taille d'un poulet dont les habitudes grégaires et le comportement vorace les amenaient à être souvent comparés aux piranhas. Non seulement, ils s'attaquaient aussi aux bébés mais également aux enfants et même aux adultes isolés et en position de faiblesse, les petits chiens et certains animaux de Ferme tels que la volaille, les chèvres et les porcs tandis que des morsures avaient été même identifiées sur les pattes de bovins et d'équins.

Les Compsognathus étaient également plus téméraires que l'Ornitholestes, n'hésitant pas à s'aventurer au cœur des villages et des bourgs contrairement à ce dernier, qui restait sur la périphérie et dans la jungle. De temps à autre, un ou plusieurs Compsognathus étaient capturés et tués, parfois même jetés aux chiens, mais ces animaux étaient comme un équivalent dinosaurien des rats et se reproduisaient facilement et rapidement.

Certains prétendaient même qu'à l'instar des raptors et des procératosaures ayant servi le Fléau de Masrani pendant la Chute d'Isla Nublar, les Compsognathus étaient dirigés par l'Ornitholestes et obéissaient à ses ordres mais Guillaume savait que cette relation était différente et était davantage une forme de coopération ou d'alliance, comme il existait entre certaines espèces animales qui collaboraient pour accéder à une même source de nourriture ou se protéger des prédateurs. De plus, selon les rapports de la police et des agents du Ministère de l'Environnement et de l'Energie, les Compsognathus et l'Ornitholestes avaient surtout été ensemble dans les semaines ayant suivi leurs débarquement et s'étaient séparés depuis, avec des attaques de la part de chacun ayant lieu parfois presque simultanément en des lieux distants de plusieurs kilomètres. Et là où les Compsognathus étaient concentrés pour le moment près de Cabo Blanco, avec des pionniers s'aventurant au nord et à l'ouest, l'Ornitholestes n'avait pas de territoire fixe et avait tendance à rester près d'un village pendant un temps, y perpétrait une ou deux attaques, puis partait, ne restant jamais longtemps dans un même secteur, agissant presque comme un bandit en cavale et rendant sa traque difficile.

L'apparition soudaine de ces animaux aux abords de la Réserve de Cabo Blanco avait provoqué un fort émoi au sein de la population locale et on s'était demandé comment ils étaient arrivés là, jusqu'à ce que les autorités découvrent au cours d'une enquête que certains habitants de Bahia Anasco et des villages alentours étaient allés sur Isla Nublar peu après que l'île ait été abandonnée par InGen et que sa surveillance par les autorités ait décrut. De leur expédition de pillage, ils avaient ramenés un yacht dont les propriétaires avaient péris lors de la chute de l'île des brumes et à bord duquel l'Ornitholestes et les Compsognathus, ayant échappés aux équipes de nettoyage d'InGen, étaient montés. Personne n'avait remarqué ces passagers clandestins qui, tels Ulysse et ses camarades Achéens à l'intérieur du Cheval de Troie, étaient restés cachés et avaient fait preuve d'une grande discrétion jusqu'à arriver à destination.

Les dinosaures avaient frappés pour la première fois à Bahia Anasco, où un bébé avait été enlevé et tué tandis que sa mère, une jeune femme du nom de Pilar Morales, avait été retrouvée grièvement blessée par d'autres villageois. Non seulement l'Ornitholestes l'avait blessée à l'abdomen avec ses griffes mais les Compsognathus avaient commencés à la dévorer vivante et lorsque Pilar arriva à l'hôpital, elle était entre la vie et la mort. Les médecins avaient pu la sauver mais la perte de son enfant et son attaque avaient été un tel traumatisme qu'elle n'avait toujours pas repris une vie normale et s'était séparée de son mari, qui avait fait partie de l'expédition de pillage sur Nublar.

Guillaume ferma le dossier sur l'Ombre de Cabo Blanco et parcourut les autres dossiers centraméricains.

Il y avait celui consacré aux animaux marins mésozoïques observés au large de la côte Pacifique du Costa Rica et des pays voisins. Après avoir nié dans un premier temps la présence de ces animaux dans les eaux costaricaines, InGen avait prétendu qu'ils s'étaient échappés non pas de Jurassic World mais qu'ils avaient été créés par une autre entreprise de génie génétique et avaient été libérés dans l'océan, ou que c'était peut-être même des animaux originaires du Site B sur Isla Sorna et qui avaient quittés les Cinq Morts avant l'arrivée de la Garde Grise et les scientifiques mandés par les Nations Unies. Ce n'est que lorsque des images et des vidéos de qualité de ces animaux ont fait leur apparition au cours du deuxième trimestre 2018, montrant qu'ils étaient semblables à ceux qui vivaient dans les lagons de Jurassic World, que la multinationale a avoué avoir subi un sabotage quelques jours après la chute du parc, sabotage au cours duquel des agents d'une entreprise rivale auraient ouverts le portail du canal sous-terrain qui reliait l'ensemble des lagons à la côte.

Selon les différentes observations, des individus d'au moins six espèces avaient pu s'échapper et en plus de cartes localisant ces observations, le dossier comportait plusieurs photographies et vidéos. Celles-ci montraient entre-autres la tête de ce que les experts présumaient être un Cryptoclidus brièvement faire surface, non loin d'Isla Nublar ; le corps sans vie de Mixosaurus (1) parmi le contenu d'un filet de pêche ; une carcasse de Platecarpus (2) échouée sur une plage du nord de la péninsule de Nicoya ; un Ophthalmosaurus nager autour d'un voilier scientifique dans la Mer des Fantômes, à l'intérieur de la zone d'exclusion des Cinq Morts ; un petit groupe d'Elasmosaurus nageant au milieu des vagues tout près d'un bateau quelque part en haute mer ; un Xiphactinus saisissant entre ses mâchoires un Espadon-voilier que des pêcheurs sportifs étaient en train de remonter à bord de leur bateau, à seulement quelques kilomètres d'une ville balnéaire; un autre de ces poissons carnassiers géants pendre à une grue tandis qu'un groupe de pêcheurs prenait la pose de part et d'autre de lui, fiers de leur prise.

Alistair Iger avait commenté ce dernier fait divers, déclarant que ces pêcheurs n'avaient pas le droit de pêcher des animaux qui appartenaient à InGen mais lorsqu'on lui rappela son inaction et le déni dont elle avait fait preuve sur la question des animaux marins, la multinationale devint tout à coup plus silencieuse. Etant donné que le gouvernement costaricain n'avait accordé aucun statut juridique particulier à l'espèce, ni aux autres échappées d'Isla Nublar, les pêcheurs ne furent pas inquiétés et avaient pu ramener leur prise chez eux et le bruit courait que des agents du Ministère de l'Environnement et de l'Energie les encourageaient à pêcher tous les individus qu'ils rencontraient, afin d'enrayer le mieux possible un début d'invasion biologique.

Le dossier suivant traitait des ptérosaures et des autres animaux volants qui s'étaient évadés de Nublar entre le séisme dévastateur du 24 décembre et l'abandon définitif de l'île par InGen courant janvier. Ceux-là avaient cherché refuge dans la première terre d'accueil venue et les rapports faisaient état entre-autres d'un couple de Tupandactylus à Arenal, de début de colonies de Pterodaustro sur les rives du Lac Nicaragua ainsi que dans les Cinq Morts, où d'autres ptérosaures ainsi que des Ichtyornis (3) avaient migrés. Wallace Fitz, un écologue travaillant pour le CSMD dans les Cinq Morts, les suivait et envoyait de temps à autre des rapports à San Francisco.

Contrairement aux animaux aquatiques, la majeure partie des animaux terrestres et volants de Jurassic World étaient dotés d'un implant sous-cutané qui permettait à Vishnu, un satellite de Mascom Network, de les suivre et de renseigner leur localisation à Masrani Global et InGen, qui pouvaient ainsi les traquer. Cette dernière avait envoyé son Unité de Confinement des Actifs, plus connue sous le nom d'UCA, récupérer les ptérosaures qui avaient atteints le continent mais d'une part la capture de reptiles volants en liberté n'était pas chose aisée mais certains des animaux se trouvaient hors des frontières du Costa Rica, non seulement au Nicaragua mais aussi au Mexique, à Cuba et dans les Antilles françaises et là où certaines nations avaient autorisés InGen à intervenir sur leurs territoires, d'autres avaient refusés et déclarés que leurs propres autorités allaient décider du sort des ptérosaures. Et c'était sans parler des tentatives de recapture sabotées par des civils, qui désiraient qu'on les laisse tranquilles.

On avait beau eu leur expliquer que les ptérosaures pouvaient devenir potentiellement une espèce invasive et qu'il fallait mieux les capturer le plus rapidement possible avant que leur population croisse et devienne trop importante mais rien n'y fit et ils furent soutenus par plusieurs personnalités et collectifs notables, y compris Alexander Singer du Groupe de Protection des Dinosaures, du moins pendant un temps. Comme par hasard, il n'avait plus écrit à ce sujet sur les réseaux sociaux depuis la réception chez Benjamin Lockwood mais s'opposait toujours à la pêche des Xiphactinus, qu'il jugeait cruelle.

Au final, seuls quelques ptérosaures avaient été capturés et emmenés au complexe d'InGen dans les Montagnes de l'Ismaloya, le Site D (4).

Le directeur du CSMD arriva au dernier dossier, celui dédié à l'opération Royaume Déchu et qui ne demandait qu'à être mis à jour dès qu'ils recevraient des nouvelles. Elle était supposée reprendre bientôt avec le départ des animaux de Burgo Nuevo pendant l'été. Guillaume regarda le coin inférieur droit de son écran d'ordinateur, où la date du 6 mai était indiquée. Il se rendit sur sa boite mail, ouvrit le message que Claire Dearing lui avait envoyé, où elle lui avait parlé de l'offre que Lockwood lui avait faite. En le consultant à nouveau, il remarqua que son stage était supposé commencer le lendemain et que le départ pour le Costa Rica du couple ainsi que du petit groupe du GPD mené par Alexander Singer était prévu pour la deuxième quinzaine de juin.

Guillaume tourna la tête, regardant à travers la fenêtre de son bureau. Dehors, la lumière du jour déclinait alors que la journée tirait sur sa fin, baignant la Région de la Baie de San Francisco dans un halo doré. Tandis qu'il contemplait le quartier japonais et sa Pagode de la Paix, le directeur du CSMD espéra de tout cœur que les choses se passent bien d'ici la vente des animaux début Août et que Claire Dearing mène ses missions à bien et gagne des soutiens de poids. Elle allait en avoir besoin.

En ramenant son regard vers l'ordinateur, ses yeux s'arrêtèrent sur un cadre contenant une photo, sur laquelle il apparaissait souriant aux côtés de plusieurs collègues de la division anti-braconnage d'Interpol. Ils étaient au beau milieu de la jungle, quelque part en Asie, et le groupe était composé à la fois d'agents locaux et d'étrangers tels que Guillaume, dont le visage n'arborait alors ni bouc ni moustache et son cuir chevelu nulle cicatrice. Des souvenirs des opérations auxquelles il avait participé aux quatre coins du globe en tant qu'agent de terrain, avant d'être blessé au Bangladesh en 2010 et de devenir cadre, remontèrent à la surface, y compris plusieurs de celle qu'Interpol avait menée au Costa Rica dans la première moitié des années 2000, l'opération Wyvern.

Travaillant jusque-là au siège d'Interpol à Lyon, Guillaume se souvenait de l'excitation qu'il avait eu lorsqu'on lui avait annoncé qu'on l'envoyait là-bas en tant qu'agent de terrain mais aussi du sentiment étrange et mitigé qu'il avait ressenti en voyant pour la première fois des dinosaures non-aviens vivants de ses propres yeux. Au cours d'une de leurs missions, lui et ses partenaires étaient tombés sur un entrepôt dans lequel des cages étaient entreposées, contenant des petites espèces telles que des Compsognathus ou des Microceratus ainsi que des bébés d'espèces plus grandes, herbivores comme carnivores. Ça avait été une triste vision et savoir que ces animaux auraient été expédiés dans diverses destinations hors du Costa Rica s'ils n'étaient pas intervenus l'avait beaucoup troublé. Là où certains des dinosaures avaient pu être renvoyés dans les Cinq Morts, ceux qui ne pouvaient pas l'être avaient été confiés à InGen faute de mieux et celle-ci les garda au Site D avant de les expédier à Jurassic World.

Guillaume ne revit des animaux déséteints vivants qu'une dizaine d'années plus tard au cours de divers voyages, à New York, Orlando, Singapour, Saint-Aignan… dans des parcs zoologiques à qui InGen avait vendu des spécimens. Mais ça n'avait été qu'une poignée d'individus ou espèces à chaque fois et bien qu'il l'ait souhaité, il ne s'était jamais rendu dans les îles costaricaines habitées par les dinosaures. Jurassic World n'était plus mais les Cinq Morts et leur faune étaient encore là. Chaque année, le Comité de Confinement et de Contrôle des Formes de Vie Déséteintes de l'ONU organisait une visite à Caer Draig et les prédécesseurs de Guillaume avaient à chaque fois fait partie du voyage. La date de celle de cette année n'avait pas encore été annoncée mais il se pourrait grandement que son désir de voir des troupeaux entiers arpenter les vallées luxuriantes, des prédateurs rôder sous les frondaisons de la jungle et des ptérosaures survoler les falaises côtières soit exaucé d'ici décembre.

Il sourit et rit doucement en réalisant que le Costa Rica revienne au cœur de ses préoccupations après toutes ces années, comme si une boucle se bouclait.

En revenant sur la page d'accueil de sa boite mail, il nota d'une part que plusieurs employés du centre lui avaient envoyé des messages dans lesquels ils lui demandaient s'il était possible qu'ils s'absentent le matin du 24 mai, et d'autre part qu'il avait reçu un mail de la part d'un certain AttoliniEnthusiast au sujet d'une Bethany. Dubitatif car ne connaissant pas cet expéditeur, Guillaume l'ouvrit et lut l'email :

Objet : Bethany

Bonjour Monsieur Vuillier,

Je sais que vous étiez présent à la réception du 23 mars au manoir Lockwood à Orick. Avant que vous ne fraternisiez avec Benjamin Lockwood, je vous suggère d'enquêter sur un certain projet Bethany.

Cordialement,

Ayant initialement voulu mettre cet email à la poubelle, Guillaume hésita. Cet AttoliniEnthusiast savait qu'il s'était rendu à la réception chez Lockwood or le directeur du CSMD n'en avait parlé qu'à Peggy et d'autres de ses subordonnés. Soit c'était l'un des employés du centre, soit l'un des autres invités de la réception et ces derniers étaient relativement nombreux. Guillaume avait noté que ce mystérieux expéditeur semblait presque le mettre en garde contre Benjamin Lockwood, qui lui avait pourtant semblé être quelqu'un de tout à fait sympathique et respectable lorsqu'il avait parlé avec lui cette soirée-là. En tout cas, il l'était bien plus que les membres de l'actuel conseil d'administration d'InGen.

Il est bien gentil de me suggérer d'enquêter sur ce projet Bethany, pensa Guillaume, mais il ne me donne aucun élément à son sujet, pas même un début de piste. Veut-il que j'enquête sur du vent ?

On frappa à sa porte.

— Entrez, dit-il.

La porte s'ouvrit. C'était Peggy.

— Oui, Peggy ?

— Je voulais vous demander si je pouvais m'absenter une partie de la matinée vendredi 24 pour assister à une conférence à l'Université de Berkeley. D'ailleurs nous serons plusieurs à y aller. Les autres devraient vous envoyer leurs demandes dans la journée.

— J'en ai déjà reçu quelques-unes. Je n'ai pas encore ouvert leurs emails. Sur quel sujet portera cette conférence ?

La vie au bord du chaos. Elle commence à dix heures et le conférencier sera Ian Malcolm.

Apprenant que le célèbre mathématicien et survivant des incidents de 1993 et 1997 allait donner une conférence de l'autre côté de la baie, l'attention de Guillaume crut.

— Ian Malcolm ? Je pense que ce sera une conférence très intéressante. Puisque vous m'en parlez, je me demande même si je ne vais pas moi aussi m'absenter vendredi matin pour y assister.

— Si vous le souhaitez, vous pouvez venir avec nous, lui proposa Peggy, ayant noté son grand intérêt. Claudia a un monospace huit places et il en reste une.

— Ce sera avec plaisir.

— Comme ça, vous pourrez vous assurer que l'on aille bien à la conférence et non prendre des bières dans quelque pub.

— Ça peut être une raison supplémentaire. Ce sera tout ?

— Oui.

Mais alors qu'elle tournait les talons, il l'arrêta :

— Avant que vous partiez… Quand je vous dis Bethany, à quoi vous pensez ? Lui demanda-il.

— Bethany…, répéta son assistante. Bethany de la compta ? Elle vous intéresse ? Elle sera du voyage vendredi prochain soit dit au passant.

Guillaume sourit et secoua la tête.

— Non. Bethany est une jolie femme je l'admets mais ce n'est pas d'elle dont il est sujet, bien que vous avez soulevés que Bethany est un prénom.

— Pourquoi m'avez-vous posé cette question ?

— Un ami est en train d'écrire un roman, une sorte de thriller, et il a posé une énigme concernant un élément nommé Bethany.

— Dans Bethany, il y a Beth, qui est aussi un diminutif d'Elizabeth, proposa-elle, mais ça ne vous avance à rien puisque des Elizabeth, il y en a des mille et des cents.

— En effet. Je crains être dans le brouillard quand à cette énigme. Ce sera tout, Peggy.

Elle sortit et il se cala dans sa chaise, songeur.

Il eut alors l'idée d'écrire Bethany dans la barre de recherche d'une encyclopédie en ligne et remarqua qu'en plus d'être un prénom, Bethany était aussi le nom de plusieurs villes, pour la plupart situées dans le monde Anglo-Saxon. Parmi celles situées en dehors de ce dernier, l'une d'elles attira son attention car mentionnée en tête des résultats de recherches : Bethany, nom anglais d'un village mentionné dans la Bible, situé près de Jérusalem et connu aujourd'hui sous le nom d'Al-Eizariya, le lieu de Lazare.

Lazare, le saint connu pour avoir ressuscité et dont on avait donné le nom aux taxons (5) qui n'étaient pas retrouvés dans le registre fossile pendant une période significative de l'histoire de la Terre mais qui réapparaissaient plus tard. Le cœlacanthe était l'exemple le plus célèbre de taxon Lazare, étant donné que l'on croyait cet ordre de poissons éteint depuis soixante-six millions d'années avant que l'on découvre des spécimens vivants au large de l'Afrique du Sud en 1938.

D'un certain point de vue, les espèces déséteintes par le biais de l'ingénierie génétique, « ressuscitées » par la Science, pourraient être considérées comme des taxons Lazare et si l'un des dinosaures d'InGen se retrouvait fossilisé suite à un concours exceptionnel de circonstances et que des paléontologues extraterrestres visitant la Terre le retrouvaient dans des millions d'années, il y aurait fort à parier que ceux-ci, circonspects, considèrent bel et bien les dinosaures non-aviens comme un taxon Lazare, puisqu'ils auraient disparus à la fin de l'ère Mésozoïque avant de réapparaître subitement au cours de la période Holocène.

Et Guillaume était directeur d'une organisation dont l'objectif était d'étudier et de suivre la Désextinction. Le fait qu'on l'ait encouragé à enquêter sur un projet faisant référence à Lazare n'était pas un hasard. Mais pourquoi cet AttoliniEnthusiast voulait-il qu'il le fasse et en quoi consistait ce projet Bethany ?


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Notes

(1) Mixosaurus : Petit ichtyosaure du Trias.

(2) Platecarpus : Petit mosasaure.

(3) Ichtyornis : Théropode volant du Crétacé Supérieur ressemblant à un oiseau de mer.

(4) Là où Isla Sorna est connue pour être le Site B d'InGen, la Ferme près de Burgo Nuevo est en effet appelée Site D. Mais quels sont les Sites A et C ? Etant donné que le Jurassic Park de San Diego devait être le site phare d'InGen avant d'être abandonné au profit d'Isla Nublar, on l'avait appelé Site A, même s'il avait été techniquement acquis après Isla Sorna. Isla Nublar et le site de Burgo Nuevo ayant été acquis que des années plus tard, on les avait respectivement nommés Site C et Site D selon la même logique.

(5) Taxon : Entité censée regrouper tous les organismes vivants possédant en commun certains caractères taxinomiques ou diagnostiques bien définis comme l'espèce, le genre, la famille, l'ordre…