Réveillé par une odeur de viande ainsi que l'agitation de ses voisins, Boomer ouvrit les yeux, releva la tête et bailla, ouvrant en grand ses mâchoires garnies de dents tranchantes. Boomer était un Metriacanthosaurus adulte mâle, long de huit mètres et haut de plus deux mètres, avec un corps brun sombre rayé d'orange et de noir, de la queue à la tête, qui comportait également des rayures beiges et vertes citrons ainsi que des petites crêtes au-dessus des yeux.

Son enclos, situé au nord du Camp des Prédateurs, englobait une clairière, quelques arbres ainsi qu'un trou d'eau. Il était suffisamment grand pour qu'il puisse s'y dégourdir les jambes et trotter si l'envie l'en prenait mais on en faisant rapidement le tour et en dehors des nourrissages tous les deux à trois jours et des vains concours de rugissements avec les carnivores voisins, l'existence de Boomer était devenue bien morne. Quelques animaux locaux pénétraient parfois dans son enclos par accident mais les pourchasser avaient fini par le lasser, tant qu'il n'aurait pas bougé si l'un d'eux s'était tenu à quelque pas de lui. Le pire était qu'il se sentait seul. Les métriacanthosaures ne chassaient pas obligatoirement en meute et certains dans les Cinq Morts se contentaient d'une vie solitaire mais Boomer avait toujours eu de la compagnie et, à Jurassic World, une meute, constituée de deux femelles adultes et de quatre juvéniles qu'il avait eu avec l'une d'elles. Tous sauf lui avaient péri lors de la chute du parc.

Sachant que c'était l'heure du nourrissage, le carnosaure se leva et quitta l'ombre de l'arbre sous lequel il s'était assoupi, se dirigeant vers la clôture à quelques mètres de là. Collant son museau balafré contre les barreaux d'acier, prenant soin cependant de ne pas toucher les fils électrifiés entre, il regarda les soigneurs et leurs véhicules approcher.

Boomer haïssait les Hommes. Non pas car l'un de leurs sabres l'avait balafré mais car ils avaient tués deux de ses fils et leur mère puis lui avait repris sa liberté. Dans le royaume de cendres qu'était devenu Isla Nublar, le métriacanthosaure s'était taillé un territoire dans le haut-plateau du sud, là où il avait suivi les troupeaux qui avaient fui le nord et le cœur de l'île lorsque la grande montagne avait tonné et craché sa fumée dans le ciel et son feu à ses pieds, brûlant les forêts et souillant les cours d'eau de cendre et de suie.. Chaque jour, des réfugiés avaient afflué dans le sud de l'île, relativement intact comparé au nord brûlé, et parmi eux, il y avait eu d'autres prédateurs, petits et grands. Boomer avait pu en repousser une partie pendant un temps mais certains étaient soit plus gros que lui, soit agissait à plusieurs, le chassant des plus belles carcasses. Puis les Hommes, qui s'étaient retirés dans leurs grottes et leurs arbres de pierre autour du grand lac salé et avaient pour la plupart quittés l'île, étaient revenus en nombre, reprenant les territoires qu'ils avaient perdus, mettant au passage nombre des animaux qu'ils trouvaient dans le ventre de leurs monstres de métal. Les autres, ils les avaient tués et Boomer les avait vu abattre les pourtant grands et puissants Mamenchisaurus avant de brûler leurs cadavres. Ça avait été un énorme gâchis de bonne viande... Ils avaient finis par l'avoir lui aussi et lorsqu'il s'était réveillé après avoir été piqué par l'un de leurs dards, il s'était retrouvé entre des parois de métal et n'avait revu le Soleil que lorsqu'on l'avait débarqué dans cet enclos, situé dans une contrée inconnue plus fraîche que l'île où il avait vécu.

Le métriacanthosaure entendit des grognements et des roucoulements excités, provenant d'un enclos à sa droite. C'était ceux des carnotaures, ces maudits orientaux cornus et hauts sur pattes qui avaient envahi son territoire à Nublar, juste avant que les hommes ne les capturent.

Les soigneurs et le groupe venaient de nourrir les animaux du Camp des Prédateurs. Tandis que Mark et Allison avaient nourrit ceux de la partie sud du Camp, en majorité de petites espèces, Juan, Marisol et le groupe avaient nourrit ceux des enclos de part et d'autre de la large bande enherbée dans la partie nord. Ainsi, ils avaient nourrit les plus gros animaux du camp, à l'exception des Kaprosuchus et de Clafoutis l'Estemmenosuchus qui occupaient des enclos marécageux dans la partie sud, et parmi ceux-là, il y avait les Baurusuchus et Blue. Celle-ci s'était enfin montrée mais elle avait encore une fois ignorée Owen, à sa grande déception, se contentant d'emporter sa pitance au plus profond de son enclos, laissant le groupe l'observer qu'un court instant.

Tandis que l'une des camionnettes était stationnée à la limite d'un bosquet droit devant, le groupe et Juan marchaient aux côtés du tracteur, conduit par Marisol. L'autre camionnette, conduite par Allison, les avait devancés et était déjà garée au fond de la zone des grands prédateurs, dont les enclos étaient organisés autour d'une boucle. Au-delà du bosquet, qui bordait une partie de l'enclos du métriacanthosaure, il y avait un autre enclos, aménagé plus en retrait et caché derrière une végétation dense. On y accédait que par un sentier et à l'entrée de celui-ci, cloué sur un tronc, il y avait un panneau, sur lequel était dessiné une tête de dilophosaure, un prédateur du début du Jurassique qui avait la spécificité d'avoir deux crêtes au sommet du crâne qui formaient un V. Le dinosaure avait la gueule ouverte et sa collerette semblable à celle du Lézard à collerette australien était déployée. Sous le dessin, le message suivant était écrit en espagnol et en anglais :

Attention dilophosaures !

Port de visière, de vêtements à manches longues et de gants obligatoires !
La direction déclinera toute responsabilité en cas d'incident et de non-respect de cette consigne.

— A Jurassic World, les visiteurs ne pouvaient observer les dilophosaures qu'au travers de baies vitrées, Juan expliqua à Franklin et Zia, mais ici, leur clôture est faite de mailles, ce qui fait qu'ils peuvent très bien vous cracher dessus même si vous êtes à plusieurs mètres de la clôture. Si le venin atterrit sur votre peau, ça va picoter sévère mais en la rinçant abondamment sous l'eau, ça passera et vous aurez juste une rougeur pendant un jour ou deux. En revanche, si vous en recevez dans les yeux, vous serez bon pour l'hôpital et risquerez fort de devenirs aveugles. Généralement, il n'y a que Mark qui s'occupe d'eux et si jamais vous voulez les voir, ce sera uniquement en sa présence ou la mienne. Entendu ?

— Oui, répondirent-ils.

Marisol arrêta le tracteur devant l'enclos de Boomer et les soigneurs allèrent déposer un veau dans un enclos plus petit attenant. Peu après, la porte entre les deux enclos coulissa, laissant le métriacanthosaure pénétrer dans l'enclos secondaire et alors que le carnivore se nourrissait, la porte se referma derrière lui, l'y enfermant pour la nuit. Ainsi, les soigneurs pourraient aller nettoyer son enclos principal le lendemain matin sans courir le risque de se faire croquer.

Continuant, ils passèrent devant l'entrée d'une allée sur leur droite, passant entre l'enclos secondaire de Boomer et un autre, qui lui contenait un couple de carnotaures, alors assis dans l'herbe et en train de prendre un bain de soleil. C'était des théropodes de constitution légère et de taille moyenne, hauts de trois mètres. Là où l'un des individus, rouge pâle avec des marbrures noires, avait une longueur d'environ sept mètres cinquante, l'autre, principalement noir avec des marques orangées sur la face et le long de son dos, le dépassait d'environ un mètre et avait une corne brisée. Juan leur dit leurs noms : Ariane et Astérion.

Leurs bras étaient minuscules, semblables à des moignons, et le crâne assez épais et solide contrastait avec une mâchoire inférieure fine, tandis que les yeux placés à l'avant du crâne conféraient une vision binoculaire et une perception des profondeurs. En regardant leur peau, composée de fines écailles et de rangées d'écailles bulbeuses plus grosses sur la longueur du corps, Claire frissonna car elle lui rappela celle de l'Indominus, qui avait de l'ADN de carnotaure.

Comme certains des enclos du Camp des Prédateurs, les enclos des grands carnivores, étaient entourés sur une partie de leur périmètre par une clôture basse en bois servant de garde-corps. En longeant l'enclos des carnotaures, le groupe remarqua que l'herbe entre le garde-corps et la grande clôture de l'enclos était assez haute, suffisamment pour que les brins touchent presque les fils électriques les plus bas.

— Il faut vraiment couper l'herbe là, glissa Juan à Marisol d'un air préoccupé, parlant à voix basse et en espagnol afin de ne pas inquiéter Franklin, qui regardait les prédateurs non sans un peu de nervosité.

Elle hocha de la tête.

— Si les autres ne seront pas surchargés demain, on les enverra l'enlever, dit-elle en désignant le groupe d'un léger signe de la tête. Car si on demande à l'autre ricaine de nous envoyer les ouvriers, elle va oublier ou le faire qu'à la fin de la semaine. Et d'ici là, les deux affreux pourront très bien se rendre compte qu'ils ont une opportunité…

Deux enclos plus loin, le groupe vit un troisième carnotaure, rouge pâle avec des marbrures noires également mais plus grand que les deux autres, d'une longueur de neuf mètres. Zia nota avec horreur que son corps était recouvert de brûlures.

— Il a pris cher lui…, remarqua Franklin.

— Ah Toro…, dit le chef animalier, ou Toro-800 comme on a commencé à le surnommer après l'avoir récupéré. Brûlures au troisième degré, côtes cassées, blessures à l'abdomen, rien ne l'arrête…

— Hugh Glass (1) peut se rhabiller à côté de lui, commenta Owen.

— Comment a-il eu ses brûlures ? Lui demanda la vétérinaire du GPD.

— Nous ne sommes pas sûrs. Les carnotaures avaient leur enclos dans le secteur de la Cartago or une bonne partie de la vallée a été ravagée par un incendie de forêt pendant la Chute. On suppose qu'il les a eues au cours de cette dernière. C'est un miracle qu'il ait survécu.

De son côté, Claire trouva étonnant que l'opération ait sauvé cet animal au lieu de l'abattre, ne serait-ce que par pitié. Etant donné son aspect repoussant, elle savait qu'InGen allait probablement le vendre pour un prix moindre que les deux autres. Et si personne n'allait vouloir de lui, qu'allait-ils en faire ?

Allison vint les rejoindre et ils nourrirent les carnotaures puis passèrent aux animaux suivants : Miriam et Pierce, le couple d'Acrocanthosaurus. Le groupe les vit couchés au milieu de l'enclos, l'un avec la tête posée sur le dos de l'autre.

Ils atteignirent la porte de l'enclos de nuit des acrocanthosaures, que Juan ouvrit et la camionnette pénétra à l'intérieur en marche arrière, ne s'arrêtant à la limite d'une zone d'herbe particulièrement piétinée. Pendant ce temps, l'un des prédateurs, celui dont la tête reposait sur le sol, avait ouvert les yeux et observait avec attention les soigneurs et le groupe s'affairer à l'arrière du véhicule. Il se leva, réveillant brusquement son congénère qui siffla de mécontentement.

Alors qu'ils déchargeaient la première carcasse de bœuf, Franklin remarqua leur réveil et en voyant l'un d'eux approcher de la clôture d'un pas lourd, il déglutit et eut un mouvement de recul, intimidé qu'il était par le prédateur. Celui-ci s'arrêta à la clôture entre les deux enclos, surveillant leurs moindres faits et gestes et reniflant l'odeur des carcasses tandis que l'autre le rejoignait.

La première carcasse venant d'être posée, le groupe s'activa à décharger la seconde mais les deux prédateurs, excités, s'agitèrent, se mordant l'un l'autre ou donnant des coups de tête dans le portail, faisant sursauter plusieurs au sein du groupe, dont Franklin qui tourna immédiatement le regard vers le portail, craignant de le voir céder sous les coups et de laisser les acrocanthosaures les atteindre. Ils étaient si gros qu'il était sûr qu'ils auraient encore faim si ils les dévoraient tous ainsi que les deux carcasses de bœuf. La plupart des soigneurs quant à eux ne s'étaient pas arrêté dans leur tâche, se contentant de les surveiller d'un œil et ne semblaient pas plus inquiets que ça. A croire que tout ce ménage était habituel…

L'informaticien se demanda comment ils faisaient pour être aussi impassibles et pour être d'humeur à plaisanter alors qu'ils étaient en présence de certains des animaux les plus dangereux de la planète entière. Plus tôt, dans le camp, ils avaient eu un délire durant lequel Mark était monté sur la remorque et avait brandit aux cieux le même fœtus de vache qu'il lui avait donné plus tôt alors que l'un de ses collègues avait mis la musique du Roi Lion, dans une sorte d'imitation trash de la célèbre scène du film d'animation de Disney.

Une fois la seconde carcasse posée non loin de la première, le groupe et la camionnette sortirent de l'enclos et peu après, Juan entra un code dans un boîtier et le portail entre les deux enclos coulissa, permettant enfin aux deux acrocanthosaures d'accéder à leur repas et à le dévorer avec appétit, arrachant de grands lambeaux de chair avec leurs longues dents courbées.

Ils les observèrent pendant un moment puis finirent leur tour du secteur par les Baryonyx, que Mark et Allison avaient nourris de poissons et de poulets un peu plus tôt, alors que le groupe était occupé avec les carnotaures.

Le nourrissage des carnivores terminé et la journée arrivant à sa fin, Juan emmena le couple et le trio du GPD au bureau des soigneurs. Là, il leur parla plus en détail des tâches qu'ils allaient avoir dès le lendemain matin, leur exposant les consignes et leurs affectations dans les différents secteurs.


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Notes

(1) Hugh Glass : Trappeur états-unien qui, après avoir été grièvement blessé par un grizzly et laissé pour mort, a parcouru plus de trois cent kilomètres en six semaines. Son histoire a inspiré le film The Revenant, où il est incarné par Leonardo DiCaprio.