Notes
Suggestions musicales :
Au bord de la piscine et la recherche de la carte :
- The World Beneath - Trevor Jones, Dinotopia (à partir de 06:10).
- Nocturnal Activities - John Williams, Indiana Jones and The Temple of Doom (jusqu'à 03:06).
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Durant la pause de midi, Jocelyn attendit l'arrivée d'Owen au réfectoire. Avant de lui parler, elle balaya la salle du regard, cherchant Claire. Elle n'était pas là mais étant donné qu'on ne lui avait pas signalé qu'elle était absente, la directrice de la Ferme savait qu'elle avait dû préférer aller manger seule dans quelque coin tranquille du domaine, loin des regards hostiles que les autres lui auraient portés.
Tant mieux, pensa-elle.
Jocelyn alla alors informer Owen, assis un peu à l'écart des autres, qu'il y avait une chambre d'ami de libre à l'étage et il accepta son offre. Satisfaite, la directrice revint à sa table et envoya un message au cuisinier, lui informant qu'il y aurait un couvert supplémentaire ce soir-là.
L'après-midi passa à une vitesse folle, le soleil se coucha et arriva l'heure du dîner. Le soir, il y avait moins de monde dans le réfectoire qu'à midi et le couvert n'était mis que sur quelques tables où les employés hébergés sur le domaine se regroupaient généralement en fonction de leurs secteurs respectifs, avec les ouvriers d'un côté, les gardes et soldats de l'UCA d'un autre, les soigneurs et l'équipe vétérinaire à une grande table… Owen finit par descendre et alors qu'il cherchait une place de libre, toutes les chaises de la table des soigneurs étant prises, Jocelyn nota qu'il s'était lavé, coiffé et avait enfilé des habits de rechange, consistant en un polo et jean noirs. Elle lui fit signe, l'invitant à s'installer à une place libre à sa table. A cette dernière, étaient non seulement installés d'autres employés de l'Administration mais aussi Valentine Taylor et un de ses collègues, Benito, qui venaient de finir leur tour de garde. Quant à Juan, il était assis comme d'habitude avec les autres soigneurs et les seuls autres soigneurs costaricains à loger sur place étaient Dana, Aura et Inès, originaires d'autres régions du pays. Jocelyn se souvenait que le logement gratuit à la Ferme était l'un des arguments qui avait encouragé elles et leurs collègues étrangers à rester.
Owen s'installa sur la chaise libre de sa table, juste en face d'Austin qui lui adressa un regard méfiant, et mangea avec eux. Au cours de l'entièreté du dîner, Jocelyn lui posa des questions au sujet de son ancien travail à Jurassic World, du programme IBRIS et des raptors, son passé dans la marine ainsi que lui-même. Faisant face à la table des soigneurs, elle remarqua plusieurs de ces derniers jeter de temps à autre des regards à Owen, qui était dos à eux, et échanger des messes basses. Ils étaient divisés autour de la question du conflit que traversait le couple : Là où certains accusaient Claire de le pousser à bout, d'autres leur rappelaient, sans pour autant prendre pleinement parti pour la directrice déchue, qu'Owen n'était pas totalement innocent et l'avait un peu cherché en faisant des remarques déplacées à son égard tandis que d'autres se moquaient de toute cette affaire et avançaient même que ce n'était que du cinéma.
Lorsque le dîner prit fin, les employés du Site D se dispersèrent. Là où certains se rendirent en ville pour aller dans les bars et autres lieux de loisir, d'autres restèrent à l'intérieur du domaine, retournant pour la plupart aux bungalows, tandis que les gardes et soldats de l'UCA de l'équipe de nuit se dirigeaient vers leurs postes respectifs, généralement à la périphérie du domaine et près des enclos à risques. Horatio, Vinny et Mark proposèrent bien à Owen de faire une partie de cartes avec eux dans le réfectoire, où certains restaient parfois jusqu'à assez tard le soir, mais il déclina, leur répondant qu'il était fatigué et préférait prendre du repos. Les trois soigneurs prirent alors congé de lui mais Jocelyn savait qu'il n'était pas tant fatigué que ça et désirait juste qu'on le laisse tranquille en cette mauvaise période. Tout ce dont il avait besoin était un bon remontant et la compagnie d'une jolie femme. Elle le regarda emprunter l'escalier qui conduisait à l'étage puis retourna dans son bureau, continuant de travailler un peu en attendant le départ des cuisiniers. Comme d'habitude, ceux-ci finirent de travailler vers vingt et une heures trente et elle sortit alors dehors pour regarder la terrasse inférieure et sa piscine, où certains se baignaient parfois quand les nuits n'étaient pas trop fraîches. Ne voyant personne ni dans la piscine ni autour, Jocelyn fut satisfaite et retourna alors à l'intérieur. Elle monta à l'étage et toqua à la chambre d'ami, espérant qu'Owen ne soit pas endormit. Il ouvrit peu après et elle fut soulagée de voir qu'il était encore vêtu. C'eut aurait été dommage de le déranger alors qu'il dormait.
— Est-ce que cela vous dirait si on allait prendre un verre ? Lui demanda-elle.
— Où ça, en ville ?
— Non, à la terrasse mais si vous voulez aller en ville, on peut faire ça aussi.
— La terrasse me convient. J'ai un petit truc à régler et je descends.
— Très bien. Je vous attends en bas.
Il attendit qu'elle disparaisse plus loin dans le couloir avant de fermer sa porte puis envoya un message à Claire, l'informant qu'ils seraient à la terrasse. Une fois qu'il fut prêt, il descendit au réfectoire et balaya le plafond du regard. Lui et Claire s'étaient assurés plus tôt qu'il n'y avait pas de caméras de surveillance à ce niveau ou à l'administration mais il préférait vérifier une dernière fois.
— Owen ? L'appela la voix de Jocelyn.
Celle-ci se tenait dans l'embrasure de la porte de la cuisine. Elle avait deux verres en main et une bouteille de vin rouge, qu'elle lui tendit.
— Pourriez-vous amener ça aux transats au bord de la piscine s'il vous plaît ? J'arrive bientôt.
— Pas de problèmes.
Il saisit la bouteille et les deux verres et se rendit au bord de la piscine. Il choisit deux transats entre le bord de la piscine et le mur de la terrasse supérieure, amena une petite table entre les deux et y déposa la bouteille et les deux verres. Jocelyn arriva peu après, transportant une bougie et son support. Les posant sur la table, elle alluma ensuite la bougie avec son briquet et s'excusa auprès d'Owen, devant éteindre la lumière de la terrasse supérieure.
— Je peux servir en attendant si vous voulez, proposa-il
— Très bonne idée.
Elle remonta à la terrasse supérieure, éteignit la lumière et redescendit à la terrasse inférieure, uniquement éclairée par la bougie et la lumière des quelques chambres encore allumées de la hacienda, filtrées par des rideaux. Owen était allongé sur le côté dans un des transats et il avait versé du vin dans les deux verres. Lorsque Jocelyn s'installa dans son transat, il leva son verre.
— A l'opération Royaume Déchu, trinqua-il.
— A l'opération, trinqua-elle en levant son verre.
Ils avalèrent chacun une première gorgée de vin puis reposèrent leurs verres. Soudain, Jocelyn entendit un léger bruit de piétinement, provenant des buissons entre la piscine et la clôture des enclos au-delà. Elle se figea.
— J'ai entendu du bruit, dit-elle.
— Oh ça devait être une guenon.
Elle regarda Owen.
— Vous savez si c'est un singe femelle ou mâle en fonction du bruit fait ?
— Les femelles sont plus actives que les mâles la nuit.
— Intéressant.
Owen soupira intérieurement, soulagé que Jocelyn ait avalé son bobard. Bien sûr, ce n'était pas une guenon qui avait fait ce bruit mais cela, la directrice de la Ferme ne devait pas le savoir.
Son inquiétude initiale passée, Jocelyn posa d'autres questions à Owen et tout en vidant lentement et progressivement leurs verres respectifs, ils enchainèrent divers sujets de discussion. Alors que l'alcool commençait à embrumer son esprit, Jocelyn ressentit une gêne au niveau de son annulaire et enleva son alliance, la posant sur la petite table. Elle en vint à parler à Owen de son mari et de sa vie conjugale :
— … oh il me fait chier, vous n'avez pas idée ! Dit-elle d'une voix qui avait tendance à fluctuer de plus en plus. Je crois que je vais demander le divorce une fois de retour au pays… La seule chose qui me fait hésiter est les enfants. Il faudra organiser la garde partagée, se mettre d'accord sur les pensions alimentaires… tout ça, tout ça…
— Après, quand ça ne va plus, ça ne va plus… Il faut éviter de forcer avant de se faire trop de mal.
Jocelyn tendit son bras et posa une main sur l'épaule d'Owen.
— Vous êtes un gars bien, Owen, vous savez… Vous êtes courageux, intelligent, attentionné, et beau comme un dieu grec !
Elle hoqueta.
— Non mais vraiment ! Ajouta-elle. N'importe quelle femme pourrait s'estimer heureuse de vous avoir.
— Je suis bien d'accord.
Déjà présente, une impression de fatigue s'accentua chez la directrice et elle porta une main à son front pour le masser.
— Vous allez bien ? Lui demanda-il.
— Oh, je suis très fatiguée tout d'un coup… ça doit être le vin. Et le boulot…
Elle laissa retomber sa tête contre le coussin et la fatigue l'envahissant complètement, elle ferma les yeux. L'instant d'après, ses bras se détendirent.
— Jocelyn ?
Mais elle ne répondit pas. Il se leva et s'approcha de son visage. Lorsqu'il s'eut assuré qu'elle respirait, il se détendit, soulagé que le somnifère qu'il avait glissé dans son verre alors qu'elle était à la terrasse supérieure agisse sans effet indésirable. Il regarda en direction des buissons de l'autre côté de la piscine, où il entendit une succession de sons.
Il y eut d'abord un déclic métallique, puis une sorte de léger soupir et enfin un bruit de liquide tombant sur les feuilles mortes et la terre. Il intima à ce qui s'y trouvait de s'approcher et peu après, Claire en émergea, finissant de boucler sa ceinture. Encapuchonnée, elle était habillée d'un sweatshirt et d'un pantalon noirs et avait laissé ses habits de la journée et son demi-masque dans son sac à dos, caché quelque part au milieu de la végétation.
Alors qu'elle se dirigeait vers eux, son visage arbora un air satisfait.
— Excellent travail, Owen.
— Il s'en ait fallu de peu. Quelques minutes de plus et on était en train de barboter dans la piscine. Après, s'il avait fallu que je la saute, je l'aurais sautée. Je crois que tu m'as dit que je pouvais le faire.
— Je n'ai jamais dit ça.
— Si tu l'as dit.
— Oh, peut-être mais j'ai dû ajouter que tu avais intérêt à me sauter avec deux fois plus d'ardeur ensuite.
— Quoiqu'il en soit ce n'est plus possible désormais. Je ne tiens pas à être le voisin de cellule d'Harvey Weinstein.
— Bon, maintenant que cette salope dort, au travail.
— J'espère qu'on ne va pas la réveiller…
— C'est toi qui as voulu utiliser un vulgaire somnifère de pharmacie.
— Mais au moins on a la certitude qu'elle se réveillera. Je ne sais pas comment elle aurait réagi avec le tranquillisant pour cheval que tu as suggéré mais on aurait eu des problèmes je crois.
Claire attrapa la bouteille et vida le reste de son contenu au bord de la piscine avant de la poser sous le transat de Jocelyn.
— Qu'est-ce que ?
— La mise en scène, Owen. Toujours improviser une mise en scène, expliqua-elle en allant vider les deux verres au bord de la piscine. Prends la clé.
Délicatement, il enleva la chaîne du cou de Jocelyn et la mit, elle et la clé, dans sa poche de jean. Claire reposa les deux verres sur la petite table et ils allèrent ensuite à l'escalier mais alors qu'ils les gravissaient, il buta contre une marche et dut s'appuyer contre le mur pour se stabiliser. Elle se retourna.
— C'est rien. J'ai un peu bu…
— Je le sais bien. La guenon a poireauté dans les buissons pendant tout ce temps. Ma vessie n'en pouvait plus…
— Qu'as-tu dis aux autres ?
— Que j'avais un truc à régler avec Jocelyn et que je rentrerais en taxi.
Ils atteignirent le niveau supérieur de la terrasse et entrèrent dans la maison par le réfectoire. A la seule lumière du portable de Claire, ils naviguèrent entre les tables et les chaises tandis qu'Owen commençait à chantonner le thème de La Panthère Rose. Elle le reprit avant que quelqu'un ne soit alerté :
— Owen !
— Pardon, c'était plus fort que moi… S'excusa-il dans un murmure.
— Fais gaffe, tu es bourré…
— J'y peux rien si j'ai dû picoler pour le bien de cette mission.
Ils s'engagèrent dans un couloir sur leur gauche. Le bureau de Jocelyn Hodgson n'était plus très loin, à seulement quelques mètres, mais sa porte faisait presque face au couloir principal de l'administration. Si jamais quelqu'un se trouvait là, il les verrait aussitôt. Owen s'approcha donc de l'intersection de ce couloir et de celui dans lequel ils étaient. Tendant l'oreille, il écouta. Le seul son audible était celui de leur respiration et le chant des insectes et des grenouilles dehors. Il hasarda ensuite un regard au-delà du coin du mur et ne vit bien entendu rien.
— Personne ? Demanda Claire.
— Non.
— Alors on y va.
Elle avança jusqu'à la porte du bureau et prit la clé qu'Owen lui tendait. Elle lui donna son portable pour qu'il éclaire la serrure tandis qu'elle ouvrait.
— Sésame, ouvre-toi…, dit-il.
La porte se déverrouilla et Claire appuya délicatement sur la poignée avant de doucement pousser le battant. Ils se faufilèrent tous deux à l'intérieur du bureau et Claire ferma derrière eux. Elle balaya le bureau avec sa lumière de portable.
— Ok, où sont ces putains de carte ?
Ils se séparèrent pour fouiller chacun une partie du bureau. Claire remarqua la présence de plusieurs piles de documents, de classeurs et de fardes empilées sur le bureau tandis que le clavier de l'ordinateur était à moitié enseveli sous des feuilles.
— Elle ferait bien de ranger. C'est un bordel !
Au terme de plusieurs minutes d'intenses recherches, Owen trouva les cartes parmi une des piles sur le bureau.
— Aha…
Claire sortit sa propre carte de la poche de son pantalon et la compara avec l'un des exemplaires. De prime abord, il ne semblait y avoir aucune différence. Claire avait reporté sur sa carte les bâtiments et les autres structures au bon emplacement et elles semblaient être toutes là. Craignant de l'avoir mal regardé, elle la balaya du regard encore et encore, jusqu'à finalement trouver la seule différence entre les deux. Sur l'ancienne version, il y avait un bâtiment indiqué au nord du domaine, bâtiment qui était absent de sa carte et des plans dont elle s'était servi pour dresser cette dernière.
— Bingo. Je crois que c'est ça.
Elle posa cet exemplaire au sol et demanda à Owen de l'éclairer avec son portable, de manière à ce qu'elle puisse la photographier avec le sien. Dès qu'elle eut pris plusieurs clichés de bonne qualité de cette dernière, ils remirent l'exemplaire dans sa pile et remirent la pile elle-même sur le bureau, là où ils l'avaient trouvée et remirent les choses telles qu'elles étaient du mieux qu'ils purent.
S'assurant d'abord qu'il n'y avait personne dans le couloir, ils s'hasardèrent hors de la pièce, refermèrent la porte à clé et revinrent dans le réfectoire pour sortir sur la terrasse. Ils redescendirent aux transats de la piscine et Claire remit la chaîne et sa clé autour du cou de la directrice droguée et endormie, prenant particulièrement soin de remettre la clé sous son chemisier.
— Bonne nuit, Jocelyn… Fais de beaux rêves, lui souhaita-elle d'un ton moqueur.
Le couple s'éloigna d'elle et alla récupérer le sac de Claire dans les buissons.
