Notes

Suggestions musicales :

Le couple dans l'étable :
- Vanessa's dream
- Abel Korzeniowski, Penny Dreadful: Season 2.

Claire parle de son utopie :
- A nation of thieves
- Bear McCreary, Black Sails.
- Sacred Guardian Of the Mountain
- James Horner, Mighty Joe Young (à partir de 02:15).
- The Campfire in her Soul - Michael Giacchino, Jurassic World: Dominion (jusqu'à 01:33).
- The Glade Part II - Trevor Jones, The Last of the Mohicans.

Le couple s'endort :
- Sleep - Stephan Schütze, Jurassic Park: Operation Genesis.


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— Maintenant on va où ? Demanda-il une fois que ce fut fait. J'étais supposé passer la nuit dans la chambre d'ami mais ça me fait chier de te laisser poireauter dehors jusqu'au matin. Et tu ne peux pas rentrer en ville. Les portails sont gardés et sous vidéosurveillance.

— Si je suis vue demain matin à l'intérieur de la hacienda en ta compagnie, ce sera hautement suspect. Allons-nous trouver un coin tranquille. Tu pourras toujours revenir à la hacienda plus tard.

Contournant la terrasse puis la hacienda elle-même, ils rasèrent les murs, afin d'éviter d'être éventuellement vu par les occupants des chambres, et une fois la demeure dépassée, ils tournèrent à droite, comme pour aller au Camp des Prédateurs. Cette partie du domaine étant en effet plus pourvue en arbres et buissons, ils pouvaient plus facilement se cacher si jamais ils rencontraient des gardes en patrouille sur les chemins et allées. Cependant, ceux-ci se contentant de patrouiller à la périphérie du domaine et à garder ses portes, ils n'en virent aucun cette nuit-là et le seul être qui réagit à leur passage fut un Mantellisaurus qui mugit pour attirer leur attention, probablement pour demander de la nourriture ou même des caresses. L'animal se tenait tout près de la clôture de son enclos, les suivant du regard. Craignant qu'il ne réveille le voisinage, Owen se tourna vers lui et lui dit :

— Chut… Dodo !

L'animal se tut et Owen et Claire continuèrent sur le chemin, passant entre la Plaine Asiatique et plusieurs petits enclos sur leur gauche. Les nuages se clairsemèrent, laissant la lumière de la lune éclairer un peu le domaine et arrivant en vue du Camp des Prédateurs, le couple tourna à droite, passant entre la Plaine et le Marais afin d'éviter le camp et les hommes de l'UCA de faction là-bas, postés dans deux de ses miradors et surveillant les prédateurs. Ils dépassèrent le bâtiment de nuit du Marais ainsi que celui des Tricératops et l'enclos de ces derniers mais Claire mena son concubin encore un peu plus loin, vers le grand bâtiment de nuit entre l'enclos des Titanosaures et la Plaine Jurassique.

Contrairement aux étables à éléphants et girafes pouvant être rencontrées dans les établissements zoologiques des pays tempérés et tout comme les autres étables de la Ferme, la majeure partie de ce bâtiment n'avait pas de murs, juste un vaste toit et de solides piliers le soutenant, laissant voir un ensemble de stalles et de box où les animaux passaient la nuit. Bien sûr, les soigneurs ayant verrouillé la porte d'entrée du bâtiment en partant, rendant les locaux de service inaccessibles, Owen devina que la destination vers laquelle Claire se dirigeait devait être une des stalles inoccupées, auxquelles ils pouvaient accéder en faisant un certain détour.

Ils quittèrent le chemin, Claire sortit une lampe torche de son sac et ils contournèrent l'enclos des Titanosaures par l'ouest. Une fois qu'ils arrivèrent au niveau de deux corrals d'isolement à l'arrière du bâtiment, ils pénétrèrent dans celui attenant à la Plaine Jurassique, ses poteaux étant suffisamment espacés pour laisser un humain adulte se faufiler entre eux tandis que ni barreaux ni grillage les empêchaient de le faire. Le couple traversa le corral en vitesse et se faufila entre les lourds barreaux d'acier d'un portail suffisamment grand pour laisser passer un camion. Entrant ainsi dans l'étable, ils se retrouvèrent dans un large corridor et devant eux et furent accueillis par le mugissement à moitié étouffé du stégosaure qui se trouvait derrière la haute et solide barrière en acier de la stalle qui leur faisait face. L'animal était énorme, aussi long qu'un autocar et avec des plaques dorsales dépassant le haut de la barrière, pourtant haute d'un peu plus de quatre mètres selon les estimations de Claire. Bien que la queue garnie de piquants de l'herbivore ne fût pas agitée, elle et Owen évitèrent de se rapprocher trop près de la barrière et ils tournèrent à gauche, passant devant deux autres stalles contenant également des stégosaures, plus petits que le premier.

La quatrième stalle de cette série étant vide et la dernière avant un cul-de-sac, Claire se faufila entre ses barreaux, suivie d'Owen, et après avoir vérifié qu'il n'y avait pas d'excréments parmi la couche de paille qui recouvrait le sol, elle s'assit contre la barrière à l'opposé de la stalle, du côté du couloir de service utilisé par les soigneurs en journée.

Alors qu'elle sortait son téléphone et sa carte, Owen regarda en direction de la caméra de surveillance la plus proche, fixée en haut d'un des piliers, près du plafond. La lumière était trop faible pour qu'il la distingue mais étant déjà venu là plus tôt au cours du séjour, il connaissait son emplacement approximatif et avait remarqué la couche de poussière qui la recouvrait, elle et son objectif. Ils avaient dès lors su qu'ils n'auraient pas à s'inquiéter des caméras et qu'ils auront juste à quitter les lieux avant l'arrivée des soigneurs au matin. Sur leur droite, se trouvait une autre stalle, beaucoup plus grande que la leur et celle des stégosaures et dotée de sortes de paniers remplis de branches feuillues, suspendus à environ cinq mètres du sol. Entre ces paniers, il vit un petit groupe d'apatosaures, immobiles et grondant doucement alors qu'ils dormaient debout. Le groupe était constitué de deux femelles adultes, de deux juvéniles de la taille d'un Parasaurolophus et d'un autre de la taille d'un cheval. Owen savait qu'il y avait également trois bébés, aussi gros que des moutons et nés à la Ferme plus tôt dans le mois, mais il ne les vit pas et songea qu'ils devaient être soit dans une autre partie de la stalle, soit cachés derrière leurs congénères. Le mâle adulte était quant à lui enfermé dans une stalle séparée.

— Owen… L'appela Claire.

Il vint s'asseoir à côté d'elle et elle désigna avec le faisceau de sa lampe torche la zone qu'elle venait d'entourer sur la carte, la même où elle avait vu le mystérieux bâtiment sur l'exemplaire qu'elle avait pris en photo dans le bureau.

— Sur la carte de Jocelyn, il y avait un bâtiment à ce niveau. Et il n'était pas indiqué sur les cartes récentes. Ça doit être une vieille ferme abandonnée.

Owen sortit son téléphone et se rendit sur Google Maps pour zoomer au niveau de cette zone. Il décrivit ce qu'il vit à sa concubine :

— Ce bâtiment se trouverait dans une sorte de petite clairière. On dirait non pas une ferme mais une sorte de maison.

Etant sur le calque des prises de vue satellites, il passa sur le calque Plan.

— Et il y a un chemin de foret qui la relie à la route…, ajouta-il,… sans traverser le domaine…

— Wu et compagnie auraient pu aller et venir sans être vu par la plupart des gens ici, avec seulement Jocelyn et Austin au courant de sa présence et de ses activités. On le tient ce foutu labo !

— Si ce n'est pas le cas, je veux bien me couper une couille.

Elle sortit une couverture ainsi son sac, et y remit la carte et son téléphone. Elle se releva et commença à harmoniser l'épaisseur de la couche de paille un peu plus loin en vue de s'y coucher.

— Bien joué n'empêche, le félicita-elle.

— Tu peux le dire. C'est moi qui aie fait le pire du boulot tandis que tu jouais les Lady Macbeth dans l'ombre. Je me suis presque prostitué pour toi, lui reprocha-il sur un ton plaisantant. Si on était dans un film et que nos genres étaient inversés, le dit film se ferait tailler en pièces sur les réseaux sociaux.

Elle rit.

— Il n'empêche que mon plan a marché. Il était si rusé que c'eut aurait été un renard si on lui avait attaché une queue.

Venant de finir de préparer sa couche de paille, le couple s'assit, se déchaussa et étendit la couverture sur leurs corps. Claire éteignit sa lampe torche et soupirant à l'aise, ils se blottirent l'un contre l'autre.

— Je crois que je ne saurais jamais te remercier pour ta dévotion, lui dit-elle.

— Que veux-tu ? Je suis loyal, répondit-il. Tu es ma femme. Ma capitaine. Ma reine…

Elle sourit.

— Tu paraphrase Boromir maintenant ? Enfin, c'est mieux que de juste répéter « Tu es ma Reine » à longueur de temps.

— Je n'y peux rien si les dialogues de Jon Snow dans la dernière saison de Game of Thrones étaient plus que limités. A cause d'eux, dès que je dis que tu es ma reine, tu te fous de ma gueule.

— Même pas vrai.

— Tu es ma Reine, déclara-il en imitant l'accent et le jeu de Kit Harington, lui décrochant un sourire en coin. Tu es ma Reine. Tu es ma Reine, répéta-il sur le même ton.

Elle ne put s'empêcher de se moquer de lui et il lui jeta un peu de paille à la figure en représailles.

— Tu vois ?

Elle saisit une poignée de paille et répliqua en la fourrant sous son polo.

— Mais ! Protesta-il d'un ton amusé alors que les brins lui grattaient le ventre et le bas du torse.

Et ils se chamaillèrent tels des enfants, essayant de mettre le maximum de pailles sous les vêtements de l'autre pour l'incommoder. Lorsqu'ils eurent finis, ils se mirent sur le dos, gardant les yeux rivés vers le plafond tandis que le doux grondement des apatosaures dans la stalle sur leur droite commençait à les bercer.

— Ça me rappelle la fois où Isaac nous a surpris en train de s'envoyer en l'air dans le foin, dit Owen dans un soupir, dans l'une des granges à Nublar.

Claire, alors en train d'enlever les brins de paille parmi ses cheveux et dans sa capuche, demanda des précisions :

— Isaac ? Isaac Clement du marketing ?

— Non, Isaac, l'un des stagiaires. Rappelles-toi…

— Ah lui… Je me disais bien que ça ne pouvait pas être cette langue de pute de Clement. On aurait eu des problèmes bien assez tôt sinon…

Se souvenant alors de cet épisode, l'apparence de ce stagiaire lui revint à l'esprit.

— Cet Isaac n'était pas un maigrichon noir de cheveux, à peine majeur, toujours à jouer les Tarzans en grimpant partout et à fouiner là où il ne fallait pas, probablement encore puceau à l'époque ?

— Ouaip.

— Je me souviens de la manière dont tu l'avais rattrapé et chopé par le col. Tu l'as même menacé de lui péter la gueule s'il pipait le moindre mot au sujet de ce qu'il avait vu. J'ai cru un instant que tu allais le défenestrer.

— Et toi tu l'as menacé de le virer de son stage.

— Vrai.

— Dommage qu'on l'ait interdit de se vanter auprès de ses petits camarades de t'avoir vue à poil. C'est le genre d'anecdotes croustillantes dont on raffole à son âge. M'enfin, cet incident lui aura au moins laissé un souvenir impérissable.

— Arrêtes, j'ai dû habiter plusieurs de ses rêves coquins… Le pauvre… Lorsqu'il a quitté la grange, je te parie que certains ont remarqué la putain de gaule qu'il avait. La honte qu'il a dû ressentir…

— Tu ne peux pas lui reprocher d'avoir été au garde à vous devant la directrice adjointe du parc.

L'attention de Claire fut soudain attirée par un couinement provenant de la stalle sur leur gauche. Elle tourna pour la regarder et vit un jeune stégosaure derrière les barreaux. Il donna des coups de pieds à ces derniers, ce qui réveilla sa mère, couchée quelques mètres derrière lui. Elle gronda et le rappela avec une sorte de jappement. Le petit arrêta de donner des coups. Il revint se coucher près de sa mère qui lui donna un petit coup de museau avant de le blottir contre elle à l'aide de sa queue pour le garder au chaud.

— Tu te souviens de la première fois que tu as vu un dinosaure ? Demanda Claire. La première fois que tu en vois un, c'est comme un miracle. Tu lis à leur sujet dans les bouquins, voit les os dans les musées. Mais tu n'y crois pas vraiment, comme si ils étaient une sorte de mythe. Et puis tu en vois un… en chair et en os.

— Nous leurs permettrons d'avoir un nouveau foyer, lui assura Owen.

— Je leur dois bien ça… Ils sont tous ce qu'ils restent d'un royaume que j'étais supposée préserver. Comme eux, je ne suis pas certaine d'avoir une place en ce monde… Blâmée pour tous ces morts, traitée de monstre mais victime de l'avarice et des jeux de pouvoir des hommes. Je suis presque devenue comme l'une d'eux et risque de connaître le même sort, en étant enfermée pour je ne sais combien de temps… Et j'ai aussi été, malgré-moi, la mère de l'un d'entre-eux. On dit que le tyrannosaure est le roi des dinosaures mais même Roberta n'a pas survécu… Ils n'ont ni roi ou reine, ni patrie…

Il passa un bras autour de sa taille.

— Ils ont toi…

— Certains m'appellent en effet la Reine Déchue d'Isla Nublar mais ce n'est qu'un titre donné par moquerie. Quoiqu'il en soit, je n'ai plus aucun pouvoir et même avec les responsabilités que Lockwood m'a confiées, je ne peux pas faire grand-chose pour eux. Si les intentions d'InGen avaient été plus sinistres à leur égard, je crains que j'aurais été incapable de les protéger. Qu'est-ce qu'un roi ou une reine incapable de protéger son peuple ? Si seulement j'étais pleine aux as… Je les rachèterais tous et leur créerai un sanctuaire. Non pas un sanctuaire comme Alexander le voudrait, une espèce de Sorna eco+ dont le résultat ne serait rien d'autre qu'un Battle Royale… Non, pense plutôt à truc dans le genre de ce sanctuaire pour éléphants dans le Tennessee ou de celui où ils ont filmés ce film qu'on avait regardé un coup chez toi, sur Nublar, avec le gars qui avait tous ces lions dans sa baraque… Tippi Hedren est la présidente de ce sanctuaire… (*)

— Shambala Preserve ?

— Ouais, c'est ça. Shambala Preserve. Bref un truc dans ce genre-là mais adapté aux dinosaures, sans touristes si possible… Je le construirais dans quelque lieu reculé, où ils et moi pourrions vivre en paix pour le restant de nos jours… Encore une idée qui ne sera rien d'autre qu'un doux rêve, une utopie, comme bien des choses…

Ils discutèrent encore un peu puis fermèrent les yeux et s'abandonnèrent au sommeil.


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Notes

(*) Le film dont Claire parle est Roar de Noel Marshall.