Un peu plus de vingt minutes plus tard, ils se retrouvèrent sur le parking près des cuisines de l'Arche et jouèrent leur scène de réconciliation alors que le minibus débarquait le trio du GPD et ses autres passagers. Tandis qu'ils parlaient à voix basse, s'embrassaient, exprimaient leurs regrets respectifs et s'échangeaient des mièvreries dignes d'un mauvais drame romantique, plusieurs s'arrêtèrent un instant pour les écouter et les regarder.
Une fois leur scène terminée, ils entrèrent ensemble dans l'Arche et allèrent s'asseoir côte à côté dans le cercle de chaises du bureau des soigneurs, saluant timidement les autres au passage. Non loin, Zia et Franklin étaient en train d'échanger des messes basses tout en regardant Claire de temps à autre. Cette dernière remarqua cela et leur adressa un regard méfiant, craignant qu'ils ne parlent d'elle de manière pas très positive. C'est alors que Franklin se leva et alla la voir.
— Claire ? Demanda-il d'une voix hésitante.
— Oui.
— Je… Nous voulions vous demander s'il y avait la possibilité que vous nous accordiez une interview ? Pour le reportage… et pour l'association aussi.
Surprise, elle le toisa silencieusement pendant un instant, puis dit :
— Je vous vois venir mes mignons. Depuis que j'ai donné ma petite conférence de presse lorsque je suis sortie de l'hôpital, aucun journaliste n'a réussi à me mettre le grappin dessus. Quel coup de pub ce serait pour le Groupe de Protection des Dinosaures d'avoir une interview exclusive de Claire Dearing, la tristement célèbre dernière directrice de Jurassic World… Si vous la mettez sur Youtube dans quelques mois, le buzz sera garanti. Les gens aimeraient beaucoup la voir j'en suis certaine… pour se moquer de moi, comme si j'étais une bête de cirque en cage… Ne vous méprenez pas, je suis sûre que vos intentions sont bonnes mais ce sera sans façon. Et ne vous ai-je pas dit au début du séjour que je ne voulais pas que vous preniez d'images de moi ?
— Oui, je m'en souviens mais le truc est que Zia et moi trouvons ça un peu dommage.
Et Alexander, qu'en pense-il ? Se demanda-elle, adressant un regard furtif au président du GPD, que la proposition de Franklin semblait aussi avoir surpris. Oh attends… Je sais. Il ne m'aime pas et je suis sûre que ça ne le dérangerait pas de faire passer mes efforts pour les siens.
—Même si vous avez fait tout ce dont certains vous accusent, ce serait injuste que vous ne soyez qu'un fantôme dans cette opération, poursuivit l'informaticien.
— C'est peut-être mieux ainsi.
Elle prit une profonde inspiration puis dit :
— Saviez-vous que j'ai été cliniquement morte pendant cinq minutes ? Selon certains des médecins qui m'ont soignée à Nicoya, j'aurais même dû y rester. Ni morte, ni tout à fait vivante… Que suis-je si ce n'est un fantôme ? En tout cas, j'ai parfois l'impression de l'être.
— Et pourtant vous êtes ici avec nous, parmi les vivants. Vous vous impliquez autant que nous, les animaux vous importent… Mais vous n'apparaissez pas une seule fois dans les images que j'ai prise, ou de façon si furtive qu'on pourrait facilement vous prendre pour une autre femme. Sans image de vous, comment prouveriez-vous aux gens que vous avez participé à cette opération ? Une image vaut au moins dix témoignages.
— Vous croyez que cette interview aiderait à me donner une nouvelle image ?
— Ne le pensez-vous pas ?
— Une nouvelle image ? Voyons Franklin… Ça se voit que vous ne m'avez jamais vu sans ce masque. Si vous l'enlevez, me donnez des habits noirs, me maquillez un peu et me rasez éventuellement la tête, je ressemblerais à une méchante de l'univers étendu Star Wars. L'ancien du moins, pré-rachat par Disney. Comment voulez-vous que les gens aient de la sympathie lorsqu'on n'a pas une réputation au beau fixe et que l'on ressemble à un méchant ?
— Vous êtes… intimidante c'est vrai mais vous ne semblez pas aussi mauvaise que certains le prétendent. Certains pourraient même vous trouver cool.
— Cool ? Répéta-elle. Franklin, étiez-vous sourd et aveugle ces derniers jours ? J'ai frappé mon mec dans un accès de colère, bon sang ! Et c'est sans parler de…
— Vous voulez parler de votre « dispute » avec Owen ? La coupa-il alors qu'elle était sur le point de mentionner le fait qu'elle avait failli tuer le second de Wu pendant la Chute. Malgré tous vos efforts, la moitié des personnes dans cette pièce savent que c'était du flan et l'autre moitié a des doutes.
Il se rapprocha et ajouta à voix basse :
— Avec Zia, on vous a entendu rire et faire l'amour ces derniers soirs. On ne sait pas ce que vous mijotez mais si vous êtes sados-masos sur les bords, ça ne regarde que vous.
Il réalisa soudain qu'il abordait un peu trop profondément leur vie privée et eut instinctivement un léger mouvement de recul. Elle le regarda dans le blanc des yeux mais alors qu'il s'attendait à ce qu'elle lui envoie une réplique bien sèche, elle se contenta de sourire en coin et de rire doucement.
— Je connais aussi The Room soit dit au passant, ajouta-il. Vous avez réussi là où Tommy Wiseau a échoué.
— Merci.
— Le reportage que nous faisons serait un moyen de faire basculer l'opinion public en votre faveur, reprit Franklin, ne serait-ce qu'un peu. Et je vous ai demandé ça maintenant car on part dans deux jours. Si on pouvait prendre quelques images de vous ici, en train de vous occuper des animaux…
— C'est vrai que les animaux ont quelque chose d'attendrissant ou de terre à terre. Pourquoi croyez-vous que certains politiciens se rendent au salon de l'agriculture, posent avec des agneaux ou partagent des photos de leur animal de compagnie ? Vous marquez quelques points Franklin, répondit Claire, pensive. Je vais y réfléchir. Je vous redis ça à midi.
— Ok. Cool. Cool, cool, cool…, répéta-il nerveusement avant de regagner sa place.
Au même moment, Juan arriva dans le bureau, suivit de Jocelyn. Celle-ci balaya la salle du regard et lorsqu'elle vit le couple côte à côte et semblant en paix, elle se mordilla la lèvre inférieure. Elle alla ensuite auprès du trio du GPD, leur murmura quelque chose puis invita le couple à les rejoindre avec un geste de la main :
— Owen. Claire. Pourriez-vous venir s'il vous plaît ?
Le couple se leva et alla les rejoindre.
— La fin de votre séjour à Burgo Nuevo approchant, je voulais vous informer tous les cinq que vous êtes conviés ce soir à dîner à la hacienda, leur annonça la directrice. Considérez-le comme un dîner d'adieu.
— Mais il y a encore demain soir, souleva Alexander.
— Non seulement je pense que vous serez bien occupés avec les préparatifs du départ mais je reçois également le maire ainsi que Messieurs Merced, Torres et Iger, répondit Jocelyn. Je pense qu'il est plus sage d'éviter que ces deux derniers restent longtemps dans la même pièce que Monsieur Grady et Madame Dearing.
— Je le pense aussi…, dit Owen.
— Juan vous libérera plus tôt aujourd'hui afin que vous puissiez aller vous préparer à votre hôtel, ajouta la directrice. Un chauffeur viendra vous chercher à dix-neuf heures. Il se pourrait que Monsieur Wheatley, le chef de la société militaire privée que le siège a engagé, nous rejoigne.
— Je l'ai rencontré lors de l'opération sur Nublar, lui apprit-il. J'ai entendu dire que lui et ses hommes arriveront en fin de journée, tout comme les soldats d'InGen Security et les vétérinaires et soigneurs de renfort.
— C'est exact, confirma Jocelyn. Bon, je dois y aller. A ce soir, leur dit-elle d'un ton monocorde.
Elle partit et comme tous les matins, Juan annonça au petit groupe leurs affectations respectives.
