Lorsque Jocelyn descendit dans la salle à manger à dix-neuf heures moins dix, Brice et Austin s'y trouvaient déjà. Rien d'étonnant, le vétérinaire étant souvent premier et dernier à table, aimant y rester longtemps. Peu après, Juan et Valentine les rejoignirent, tout comme le trio du GPD et le couple revenus de Burgo Nuevo. Eux, ainsi que les quatre collègues de Jocelyn, s'étaient lavés et avaient troqué leurs tenues de travail contre d'autres plus décontractées. En raison de la relative fraîcheur du soir, Claire et Owen portaient tout deux des blousons en cuir noirs, qu'ils enlevèrent à leur arrivée pour les mettre sur le dossier des chaises qu'ils choisirent. Tandis qu'il portait un polo, noir également, elle portait un T-shirt rouge et n'avait pas oublié de mettre son gant en silicone et son demi-masque.

Noir, rouge, blanc. Comme un serpent venimeux, pensa Jocelyn, qui considérait Claire comme l'élément le plus susceptible de ruiner le dîner.

Enfin, Wheatley arriva le dernier, vêtu comme à son arrivée et n'ayant fait que laisser ses armes, sa casquette et ses lunettes de soleil dans le bungalow où il logeait avec ses officiers. Le mercenaire reconnut Owen, Juan et Brice, les trois hommes ayant été sur Nublar lors de la première partie de l'Opération Royaume Déchu, et il salua ceux qu'il n'avait pas encore vus.

Puis, ils choisirent tous leurs places autour d'une grande table qu'on avait préparée et sur laquelle se trouvaient déjà les assiettes, les couverts, les verres, deux carafes d'eau, une bouteille de rhum, ainsi que deux assiettes de Bocas. Jocelyn prit place à l'extrémité de la table la plus proche de la cuisine, comme pour présider, avec Austin sur sa gauche et Valentine sur sa droite. Du même côté que celui du commandant de l'UCA, dos à la terrasse, prirent également place Wheatley, Franklin, Claire et Owen, tandis que du côté du l'agent de sécurité, dos à la cour, prirent aussi place Brice, Alexander, Zia et Juan.

Tout en buvant du rhum et en mangeant des Bocas, ils discutèrent de la progression de l'Opération et de la suite des événements mais aussi de sujets plus légers. Alors que Jocelyn était satisfaite de constater que l'ambiance, sans être amicale entre tous, restait correcte, les cuisiniers apportèrent le plat principal, consistant en de la queue de bœuf braisée baignant dans une sauce avec des morceaux de tomates, de carottes et d'oignons, formant un ragoût copieux qui avait l'air savoureux pour les convives affamées, et deux grands saladiers contenant du riz blanc furent également posés sur la table.

— … le type était aussi stupide qu'un édaphosaure (1), raconta Juan à Owen alors qu'il se servait en riz.

— Ah les édaphosaures…, dit Brice avec mépris. Toujours à bramer et à se pavaner en faisant leurs intéressants alors que ce n'étaient que des gros tas avec le charisme d'une huître avariée qui faisaient chier le monde.

— Je me rappelle de celui qui a voulu s'en prendre à l'un des ampélosaures (2) pour je ne sais plus quelle raison à la con, quelques jours après les incursions au labo et au Lagon..., narra Owen. Vous auriez dû le voir, chargeant l'ampélo avec la même ferveur et stupidité qu'un inquisiteur au corps flasque se précipitant sur un hérétique plus grand et mieux bâti que lui, dit-il à Claire et aux membres du GPD. L'ampélo a envoyé voler notre pauvre édaph qui s'est retrouvé les quatre fers en l'air dans la boue et la merde. Il n'avait rien compris le bestiau. Quel con…

— Il était toujours vivant ? Vous avez pu le tirer de ce mauvais pas ? S'enquit Zia.

— On n'a pas eu le temps. Le Saurosuchus (3), qui traînait non loin, s'est précipité sur lui et en a fait de la charpie, lui apprit l'ancien soigneur des raptors.

— Mais c'est horrible, dit Franklin.

— Oh bah c'était Nublar post-chute, répondit Owen avec un soupir. Qu'est-ce que tu veux que je te dise ?

— C'était lesquels encore ces édaphosaures ? Leur demanda Wheatley.

— La version herbivore des dimétrodons. Vous savez, les gros lézards quadrupèdes avec la grande voile sur le dos, décrivit le vétérinaire, prenant soin de simplifier sa description et d'éviter de mentionner que les édaphosaures et dimétrodons n'étaient en rien des lézards mais des reptiles mammaliens, un terme qui aurait rendu Wheatley confus.

— Ah, je vois…, dit le mercenaire.

— Ouais, si on avait dû élire un Roi des Cons parmi la collection de Jurassic World, il aurait gagné avec un score de dictateur africain, ajouta Owen.

— C'est à se demander comment l'espèce a pu perdurer pendant le Permien, se demanda Juan. Je crois que ce n'est peut-être pas plus mal que l'espèce ait disparue à nouveau, peu les aimaient. Ça fera des vacances à tout le monde.

— En attendant, ils ont quand même disparu, dit Alexander sérieusement alors qu'il triait le contenu de son assiette. Je trouve que ce n'est pas un sujet sur lequel il est bon de plaisanter.

— On rigole Alexander, c'est bon, soupira Owen. L'humour, ça te parles ?

— Nous aussi ça nous emmerde un peu qu'ils aient disparu et qu'on n'ait pas réussi à les sauver, ajouta Brice. Mais il faut avouer que c'était des cons et des emmerdeurs de première. On était juste moins attachés à eux qu'à d'autres animaux, c'est tout.

— Et ce n'était pas les seuls auxquels vous n'étiez pas si attachés…, dit Zia à voix basse.

Mais le vétérinaire l'avait entendue marmonner.

— Vous disiez, Zia ?

— Rien, répondit-elle, ne désirant pas créer une dispute.

Du bout de la table, Jocelyn remarqua alors qu'Alexander était en train de trier le contenu de son assiette, séparant la viande des légumes.

— Quelque chose ne va pas avec la viande, Alexander ? S'enquit-elle

— Je n'en mange pas. Je suis vegan, répondit le fondateur du GPD.

— Ah. J'avais oublié…, s'excusa la directrice.

— Passez donc vos morceaux à quelqu'un, Juan suggéra à Alexander. Il serait dommage de gâcher une si bonne viande.

— Ouais, aboulez la barbaque…, se proposa Brice.

Le vétérinaire passa son assiette à son voisin de table, qui y déplaça ses morceaux de viande.

— Merci, dit le Breton.

Alors qu'il était en train de couper ses légumes, Alexander leva les yeux vers Wheatley.

— Du coup, vous et votre compagnie avez participé à l'opération Royaume Déchu ?

— Ouais. Et j'ai perdu des hommes au passage. Satanée île…, maugréa le mercenaire avant d'avaler une gorgée de rhum.

— D'accord, dit Alexander d'un ton gêné.

Se rendant compte que Wheatley n'avait pas la meilleure opinion qui soit des animaux, il préféra ne pas poursuivre la conversation.

— Vous avez entendu parler de cette épidémie d'encéphalite sur le littoral ? Demanda soudain Juan à la tablée.

— Sur le littoral ? Répéta Claire. Où ?

— La péninsule de Nicoya, répondit le chef animalier.

— Elle est d'origine virale ? Demanda Zia.

— Personne n'en sait rien pour le moment. Les épidémiologistes savent seulement que la maladie semble toucher principalement les habitants des zones rurales, des gens en contact avec les animaux, le bétail. Et c'est une vraie encéphalite : violents maux de tête, confusion mentale, fièvre, délire.

— Mortelle ? S'enquit Franklin avec une pointe d'inquiétude.

— Jusqu'à présent, la maladie ne semble pas trop méchante et dure à peu près trois semaines. Mais les pouvoirs publics restent inquiets. Ce pays dépend du tourisme, personne ne veut entendre des rumeurs sur une maladie inconnue, déjà qu'il y a certains de nos animaux qui foutent le bordel dans certains secteurs…

— Mais quand j'y pense, se rappela Owen, ce n'est pas justement dans la péninsule de Nicoya qu'il y a les Compys et l'Ornitholestes en cavale ?

— Si, confirma Juan. Ça m'est revenu à l'esprit à l'instant.

— Elle a commencé quand cette épidémie ?

— L'an dernier, au mois de mars.

— Peu après l'attaque de l'Ornitholestes à Bahia Anesco…

— Celle où un bébé a été enlevé et où la mère a commencée à se faire bouffer vivante par les Compys ? Demanda Wheatley.

— Précisément, répondit Owen.

— Quelle histoire horrible…, commenta Jocelyn. Vous pensez qu'il y a un lien entre l'encéphalite et les attaques ?

— Les oiseaux sont porteurs de toutes sortes de virus, fit Zia avec un haussement d'épaules. Ce sont des vecteurs connus. Il n'est donc pas déraisonnable de penser qu'il en va de même pour les dinosaures et d'établir un lien de cause à effet.

— Si cette encéphalite n'est pas contagieuse et que les dinosaures en sont le vecteur, ça voudrait dire que sa propagation dépend d'eux, ajouta Owen. Ça expliquerait pourquoi elle est encore cantonnée dans l'est de la péninsule. Il faudrait juste mettre un terme à l'invasion des Compys.

— En fait, elle a été aussi observée ici, à la Ferme, lui apprit la vétérinaire du GPD, mais pas chez les humains.

Brice, qui regardait son assiette, releva la tête et la tourna vers elle.

— Chez les animaux ? Demanda Claire.

Zia hocha de la tête.

— Oui. Si j'en crois certains carnets de santé, les mêmes symptômes se sont déclarés chez certains, peu après leur arrivée ici. Brice peut confirmer cela.

Le couple regarda alors le vétérinaire français.

— Alors oui, il est vrai qu'on a eu des déclarations de cas dans le mois ayant suivi la Chute, surtout chez les carnivores, reconnut-il. On ne savait pas ce qu'il leur arrivait. On a un peu paniqué au début mais avec des médicaments contre la fièvre, on a réussi à calmer les symptômes. De plus, la plupart des cas étaient bénins. Les animaux semblaient juste plus fatigués que d'ordinaire et ils s'en sont remis en quinze jours. Ils semblent en tout cas plus résistants face à cette encéphalite que les gens de la péninsule de Nicoya, si la leur et celle observée ici sont la même.

— Vous avez perdu tous vos camptosaures et sténonychosaures restants à cette période il n'empêche, lui rappela Zia.

— D'où mon utilisation du mot plupart. Je suis bien au fait que certains des animaux sont morts. Ce n'est pas comme si je n'avais pas été à leur chevet…, s'agaça le vétérinaire. Sans parler du tertre dans le champ qui est là pour me le rappeler tous les jours…

— On aurait aimé avoir été mis au courant à ce sujet…, lui reprocha Owen. Heureusement que Blue ne l'a pas eu. Vous auriez eu de mes nouvelles sinon…

— L'encéphalite viendrait donc de Nublar…, en conclut Juan. Elle n'était pas là au moment de la Chute et je ne me souviens pas que certains l'aient chopée pendant l'opération. Comment est-elle apparue ?

— Mystère et boule de gomme, dit le vétérinaire.

— A moins que ce soit encore une affaire étouffée par le CA ? Fit Claire, faisant lever les yeux de Jocelyn au ciel.

A cet instant, Zia remarqua que Wheatley, jusque-là occupé à mélanger le riz avec ses légumes et la viande dans son assiette pour qu'il s'imbibe de la sauce, avait lentement relevé la tête lorsque Juan avait mentionné l'absence de cas chez les participants à l'opération, que le mercenaire regardait à présent en direction de Jocelyn et que le commandant de l'UCA le fixa un court instant. Juste en face d'Austin, Valentine mâchonnait sa nourriture d'un air absent, comme si il s'était rappelé de quelque chose d'important.

— En tout cas, elle a dû se propager sur l'île via les prédateurs, supposa Juan. Certaines encéphalites se transmettent par la consommation de viande contaminée. Il suffit par exemple que le patient zéro ait été dévoré par un prédateur et que ce dernier l'ait transmis à d'autres animaux via des morsures, entraînant un effet en cascade au terme duquel l'encéphalite s'est répandu à travers l'île, y compris chez les Compys et/ou l'Ornitholestes qui se sont retrouvés à la Péninsule de Nicoya.

— Si c'est le cas, les Cinq Morts devraient être averties, s'inquiéta Owen. Certains animaux de Nublar ont migré là-bas. Y compris des charognards occasionnels.

— Ça fait plus d'un an que les ptérosaures et les Ichthyornis y sont, lui fit remarquer Brice. L'encéphalite s'y trouve peut-être déjà.

— Alors qu'attendez-vous pour informer le gouvernement ou le CSMD ? La Saint-Glinglin ? Lui demanda l'ex-soigneur de raptors.

— Owen, vous pensez bien qu'à un peu plus d'un mois de la vente, on ne peut pas laisser le bruit courir qu'une partie de nos animaux a été contaminée par la même maladie qui sévit chez les ruraux de la Péninsule de Nicoya, répondit Jocelyn. Notre opération se verrait chamboulée et…

— … InGen perdrait de l'argent à cause des délais et compagnie etc.., termina Claire. Ne vous fatiguez pas, Jocelyn. Je connais cet argumentaire par cœur.

— La fondation Lockwood serait aussi impactée dans ce scénario, rétorqua la directrice. Je doute que Monsieur Lockwood et Elijah apprécieraient que vous leur fassiez perdre de l'argent. J'ai cru comprendre que leur soutien était important à vos yeux. Il serait idiot de le perdre pour des raisons si futiles… Libre à vous d'informer les autorités compétentes mais une fois les animaux envoyés dans leurs établissements d'accueil. Pas avant.

Owen et Claire esquissèrent tous deux un rictus. Pourquoi étaient-ils encore surpris par la négligence d'InGen ?

— Raisons futiles… Euh, on parle quand même d'une potentielle épidémie au sein d'un écosystème à haute valeur scientifique, fit remarquer Zia à la directrice. Qui sait ce qu'elle peut entraîner, même si elle est plus ou moins bénigne ?

Après un bref silence, Wheatley prit la parole :

— N'avez-vous pas été dans les Cinq Morts, Brice ? Chez les sauvages ?

— Oui, à l'occasion d'un stage sur les dinosaures en milieu naturel. Ben, c'est comme la Bretagne sauf qu'il fait chaud toute l'année. Il y a des pinnipèdes, les côtes sont magnifiques, les forêts verdoyantes, la bouffe est excellente mais il pleut souvent, il y a des piafs qui n'arrêtent pas de gueuler, des irréductibles réfractaires au changement…

— Et des alcoolos, ajouta Claire sur le ton de la plaisanterie.

— Vous vous y sentiriez chez vous alors ? Lui lança Austin.

Et Jocelyn aussi d'ailleurs…, pensa-il.

— Où ça ? Dans les Cinq Morts ou en Bretagne ? Demanda la directrice déchue.

— Les deux.

— Je suis sûre que vous aimeriez me voir exilée sur une île paumée au milieu de l'océan, rétorqua-elle, comme Napoléon.

— N'empêche, Masrani nous a vraiment fait chier lorsqu'il a cédé les Cinq Morts et leurs animaux, déclara Austin.

— Je n'ose imaginer les dégâts qu'il y aurait eu si InGen et Masrani Global avaient dû gérer la crise que connaissait l'archipel en parallèle de la construction de Jurassic World et des Guerres Sauriennes, dit Owen.

— Ouais, Masrani serait allé se servir sur Sorna pour peupler Jurassic World, ajouta Claire.

— J'en doute fort, rétorqua Alexander.

— Il aurait trouvé un prétexte histoire de bien se faire voir mais il l'aurait quand même fait, insista-elle, quitte à bafouer la promesse qu'il aurait faite à Hammond.

— L'écosystème se serait effondré en quelques années. Un monde où les Cinq Morts n'auraient plus de dinosaures sauvages serait un monde bien triste, glissa Owen.

— En attendant, pas d'écosystème dans les Cinq Morts aurait signifié pas de Garde Grise, avança Austin. Or pas de Garde Grise, pas d'insurrection sur Nublar et un bilan de la Chute moins désastreux.

— Moins désastreux pour InGen Security du moins, le corrigea Claire. Et ne vous inquiétez pas, Lynton aurait trouvé d'autres cobayes pour son expérience avec l'Indominus, soyez-en sûr. Probablement vous et votre équipe d'ailleurs…

Le commandant de l'UCA pouffa de rire.

— Tout ça n'est qu'une théorie complotiste inventée par des meurtriers et des traîtres pour justifier leur croisade sanglante, répondit-il.

— Vous savez qu'est-ce qui est une théorie également ? Ajouta Brice. Cette histoire d'ADN humain chez l'Indominus…

La table devint tout à coup silencieuse et là où la majorité le regarda comme si il venait de laisser échapper une flatulence, Claire et Owen le fixèrent intensément, sachant que ce n'était nullement une théorie, au grand dam de la première.

— Ben quoi ? Ça ne vous arrive pas de regarder les commentaires Youtube ou de traîner sur les plateformes de discussion ? S'étonna le vétérinaire. Il y en a plusieurs qui en parlent…

— C'est grotesque, dit Jocelyn avec beaucoup de scepticisme.

— Sous les vidéos de qui ? Byron Fratelli ? Demanda Franklin.

— Certainement pas lui, répondit Owen. Il n'est pas du genre à se mouiller en abordant des sujets chauds comme la composition génomique de l'Indominus.

— Byron Fratelli ? C'est qui ce con encore ? Demanda Wheatley.

— Un petit jeune qui a une chaîne Youtube où il parle de nos parcs, de nos animaux, de tout ce qu'il y autour et un peu de la compagnie elle-même, lui apprit Austin. Byron le trayeur comme j'aime l'appeler… La franchise Jurassic était la vache à lait de sa chaîne.

— Ce n'est pas celui qui fait des vidéos de dix minutes avec deux pauvres lignes de news ? Fit Zia.

— Si, confirma le commandant de l'UCA. Et il rabâche sans arrêt les mêmes sujets.

— Je les trouve niaises ses vidéos, dit la vétérinaire du GPD.

— Et les dinosaures en CGI pourris et les rugissements à chaque début de vidéo sont gonflants…, ajouta Brice. Ce genre de branleurs me met hors de moi…

— Il a aussi un public fait principalement de mômes crédules et ose défendre InGen qu'importe la situation…, maugréa Claire.

— Je me demande ce qu'il va faire une fois la vente finie ? S'interrogea Juan.

— Il pourrait couvrir le procès de Claire, suggéra Austin.

— Je n'espère pas, répondit la directrice déchue.

— T'inquiète, lui dit son concubin. S'il dit de la merde sur toi, je vais lui rendre une petite visite et lui maraver la tronche. Déjà que je le soupçonne d'être une putain d'Iger…

— Ah bah bravo, lui dit Austin. Vous dites qu'un tel et un tel sont la putain ou les clébards du CA mais vous vous êtes le clébard de Claire. Et frapper un pauvre geek sans défense, bel exemple pour la jeunesse !

— 'Tain, je rigolais ! Je ne vais pas le frapper, rétorqua Owen. Juste le secouer un peu…

— Ces youtubers m'ont l'air de prendre la même voie que les journalistes, déclara Wheatley. Ce seront soit des chômeurs, soit des putes…

— Ben quand même, vous n'y allez pas un peu fort là ? Lui fit remarquer Jocelyn, un peu choquée par ces propos. Dire que tous les journalistes sont des putes…

— Des moutons, dit soudainement Claire. Nombre de fans de la franchise Jurassic sont des moutons veules. Un jour, vous êtes pareille à une reine à leurs yeux mais le lendemain, vous ne valez pas plus qu'une catin, tout ça parce qu'ils ont bu les paroles de leurs bergers et n'ont pas pensé à s'arrêter pour réfléchir au lieu de suivre le troupeau. Du moins, ça c'est quand ils ne sont pas en proie aux guéguerres de factions. Entre les intégristes qui vénèrent John Hammond comme un Dieu et ne jurent que par le premier parc…

— Nublar ou San Diego ? Demanda Zia.

— Nublar bien sûr. Il y a aussi ceux qui considéraient Jurassic World comme le meilleur parc de toute la terre alors que tout n'était pas parfait, loin de là… Les Awesomebros qui n'aiment pas les dinosaures à plumes et qui aimeraient que les dinos soient comme ceux des jouets qu'ils avaient lorsqu'ils étaient en couche-culotte… Ceux un peu matérialistes sur les bords qui étaient obsédés par les jouets, même à trente ans passés… Ceux qui insistent que les dinosaures c'est pour les enfants et que le parc n'aurait pas dû montrer ou parler des dures réalités de la nature occasionnellement… Ceux qui se branlent sur tout l'aspect génétique et les travaux de Wu… Ceux qui s'y intéressaient juste pour les potins, les histoires en coulisse dignes de télénovelas etc. Parmi ceux-là, il y en avait qui me vouaient un culte étrange. Probablement à cause de l'aura glamour qui régnait autour de moi lorsque j'ai pris mes fonctions…

— Si il y a une chose qui me gêne chez les fans, dit Juan, c'est que c'est souvent les mêmes qui sont mis en avant et qu'on écoute avec attention.

— Ceux-là forment carrément une sorte de cercle fermé qu'on ne peut intégrer qu'en remplissant certains critères, dit Owen. Là où certains s'y retrouvent propulsés en un an voire moins, d'autres triment avec ardeur pendant des années et ne reçoivent aucune reconnaissance ou presque…

— Oui. Une élite, majoritairement anglo-saxonne d'ailleurs, ajouta le chef animalier.

— Carrément une aristocratie, renchérit Brice, et comme chez les Habsbourg, il y a une certaine consanguinité. En termes d'opinions mais aussi culturelle comme tu l'as sous-entendu, Juan. Prenez leur fanzine là. Chaque année, c'est toujours les mêmes connards qui ont droit à des interviews, avec la plupart étant des amerloques. Ils ne pourraient pas interviewer des fans costaricains, français, indiens, russes, japonais ou chinois pour changer, histoire d'avoir un peu plus de diversité ?

A la prononciation du mot diversité, Alexander releva la tête mais avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, le vétérinaire ajouta :

— De vraie diversité.

— Mais non voyons. C'est bien connu que toutes les communautés non anglo-saxonnes sont pleines de gens toxiques, rétorqua le chef animalier non sans ironie, se rappelant d'une histoire que son fils lui avait raconté il y a quelque temps au sujet d'une plateforme de discussion.

— Je me demande ce qu'ils vont faire de leurs vies maintenant qu'il n'y a plus de parc ? S'interrogea Jocelyn.

— C'est une question que je me pose aussi, dit Claire. Les suceurs de Mickey se frottent bien les mains en attendant, leur chère compagnie ayant perdu un rival notable dans le domaine des parcs à thèmes. Regrettable qu'on ne puisse pas les accuser de la Chute…, ajouta-elle avant d'avaler une gorgée de rhum.

— Arrêtez, j'imagine un gars sous le Mont Sibo en train de gueuler « Mickey akbar ! Mickey akbar !» avant de se faire exploser et de déclencher une éruption, leur dit Valentine, faisant rire une grande partie de la tablée, à l'exception notable d'Alexander.

— Ou encore un en costume de Mickey faisant évader l'Indominus, ajouta le commandant de l'UCA avant d'imiter la voix de la souris aux grandes oreilles « Oh oh. C'est rigolo… Va t'amuser, gros lézard ! Oh oh… Claire Dearing peut essayer de m'arrêter. Je niquerais cette salope jusqu'à ce qu'elle crève. Oh oh… InGen ira brûler en Enfer ! Oh oh... Ah, j'ai hâte de raconter tout ça à Dingo et Minnie. Oh oh…»

— Ça me rappelle l'épisode spécial de South Park tout ça…, soupira Claire.

Elle remarqua qu'Owen s'était tourné vers Austin et lui lançait un regard pas des plus bienveillants, même si il savait qu'il ne faisait que plaisanter. Il n'avait pas dû apprécier que sa version de Mickey tienne des propos aussi odieux à l'égard de Claire. Celle-ci appréciait que son concubin soit aussi disposé à défendre son honneur mais elle posa sa main sur son poignet et le massa doucement avec son pouce, comme pour l'informer que c'était bon et qu'il pouvait se détendre.

Ayant noté cette tension, Jocelyn revint sur le sujet précédent :

— Disney a encore quelques rivaux. Il y a les parcs Universal, les Six Flags

— S'il vous plaît Jocelyn, pas les Six Flags, lui dit Claire. Il n'y a pas plus fades qu'eux.

— Il n'y a pas aussi des parcs Warner Bros ? Demanda Brice. Il me semble qu'il y en a un en Allemagne. J'y étais allé avec des potes un été lorsque j'étais étudiant.

— Il y avait. Ça a changé de proprio entretemps, lui apprit Claire.

— J'aurais bien dit les SeaWorld mais ils ne font pas le poids face à Disney, proposa Valentine.

— Tant que vous ne mentionnez pas le Parc Spirou, lui lança le vétérinaire avant de pouffer de rire.

S'ensuivit un moment de silence où les membres de la tablée se regardèrent d'un air confus, se demandant qu'est-ce qui suscitait l'hilarité chez lui. La seule qui avait compris la référence était Claire, qui eut un sourire en coin.

— Encore une de vos références typiquement françaises qui ne font rire que vous…, râla Austin.

— Qu'est-ce qu'il y a de si drôle au sujet de ce parc ? Demanda enfin Valentine.

— Ben c'est qu'il est tellement merdique que même Jurassic World pendant et juste après la Chute était plus fréquentable, répondit Brice. Au sujet des parcs à thème français, le plus gros rival de Disney au sein de l'hexagone est le Puy du Fou. A part Claire, qui connaît ?

On lui répondit de façon négative.

— Personne ? Dommage… Comparé à ses fans, ceux de Jurassic World sont un ramassis de Béotiens.

— Combien ils sont vos fans du Puy du Fou ? S'enquit Austin. Quelques milliers ? Même si ils étaient des centaines de milliers, ils ne seraient rien face aux millions de fans qu'avait Jurassic World.

— L'important, mon ami, n'est pas le nombre mais la qualité, rétorqua le vétérinaire.

— J'en ai entendu parler je crois. Ce n'est pas un parc de droite ? Fit Alexander.

— Qu'est-ce que ça peut vous foutre si c'est le cas ? Lui rétorqua Claire.

— Le Puy du Fou, ce n'est pas là où vous avez postulé, Brice ? Demanda Jocelyn.

— En effet, répondit-il. Rapaces, lions, chevaux et animaux de ferme seront presque comme des vacances après toutes ces années passées chez InGen.

— Et c'est là que les légionnaires romains, les chevaliers, les mousquetaires et autre vikings pètent un plomb et commencent à attaquer le public, avec vous disant « Et merde. C'est repartit mon kiki… », plaisanta Claire.

— Comme dans Mondwest, ajouta Owen en ricanant.

Westworld n'est-il pas juste un Puy du Fou pour adultes ? Fit le vétérinaire. Non, le pire qui puisse arriver là-bas, si on ne prend en compte que des éléments internes au parc, est une grève. Ce sont des acteurs, pas des robots. Ça puerait vraiment du cul si on commence à remplacer les premiers par des androïdes hyperréalistes…

— Un soulèvement violent dans un parc à thème impliquant des tarés avec des épées et des chevaux…, résuma Austin. On connait ça nous chez InGen.

— La présence de troupes de la Garde Grise à Nublar ne m'a jamais inspiré confiance perso, glissa Alexander.

— Moi non plus, avoua Valentine. On aurait qu'ils sortaient tout droit de Game of Thrones

— Et on dit qu'il y en plein qui sont des fachos…, ajouta le fondateur du GPD.

— Tu en connais personnellement ? Lui demanda Owen.

— Non mais…

— Ben alors ? Le coupa sèchement l'ex-soigneur de raptors. Qu'est-ce que tu en sais que c'est des fachos ?

— J'ai lu dans un article récemment mis en ligne qu'ils avaient tendance à traiter brutalement leurs prisonniers, reprit Alexander, et que pendant la crise du début des années 2000, tortures et exécutions sommaires de braconniers et de mercenaires par les gardes étaient courantes dans les Cinq Morts. On parle de violations de droits humains fondamentaux.

— Violation ou pas de droits humains, ils gardent l'archipel avec une certaine efficacité il faut le reconnaître, admit Claire. N'êtes-vous pas satisfait que les animaux de ces îles soient protégés ?

— Pas quand il y a atteinte à des droits humains fondamentaux, répondit le fondateur du GPD.

— Il faut savoir ce qu'on veut dans la vie mon petit père.

— Les Whitford ça vous dit quelque chose ? Demanda Wheatley.

— Ce n'était pas un couple de chasseurs de trophées qui ont disparu sur Sorna il y a un peu moins d'une vingtaine d'années ? Répondit Zia.

— Si. Mitch et Tiff Whitford... Je les avais rencontrés à l'occasion d'une chasse au Zimbabwe, en 92. Ils venaient de se marier et c'était leur lune de miel…

Réalisant que le mercenaire était lui aussi un chasseur de trophées ou du moins l'avait été, les membres du GPD commencèrent à le considérer avec méfiance et partager leur table avec lui les fit se sentir mal à l'aise. Quant à Owen et Juan, ils l'avaient appris sur Nublar mais étaient également loin de voir le mercenaire comme un ami.

— Ils savaient ce qui les attendait en allant sur Sorna, déclara l'ex-soigneur de raptors. Ces connards n'ont rien écouté, ont joué aux cons en mettant en danger la vie d'autrui et l'ont payé en se faisant bouffer. Ils ont eu ce qu'il méritait et c'est tout.

— Vous avez un sacré toupet pour tenir de tels propos, Owen, lui dit Wheatley. Si les Whitford n'avaient pas été de simples connaissances et si je ne vous avais pas vu en action sur l'île, ce dîner aurait pris une tout autre tournure, croyez-moi. La Chute a montré que vos amis arriérés et barbares peuvent être tout aussi assoiffés de sang que certains des dinosaures. Combien de personnes ont été capturées par les gardes, maintenues en captivité dans des prisons secrètes, torturées, violées même puis sacrifiées à de sombres dieux païens ou exécutées sauvagement avant que leurs corps ne soient jetés en pâture à la faune ? Je ne serais pas surpris s'il s'avère que Tiff ait connu un sort si horrible, au lieu d'être malencontreusement tombée sur des Baryonyx comme les gardes gris le prétendent.

— Vous avez tellement d'imagination Ken…, rétorqua Owen. Vous devriez écrire des fictions une fois à la retraite.

— Et on a à peine parlé des mutins pendant la Chute…, dit Austin. Comme quoi le reste est loin d'être innocent. J'ai même lu qu'un chef braconnier aurait subi l'aigle de sang, il y a des années.

— L'aigle de sang ? Répéta Franklin.

— Une méthode d'exécution rituelle que les ancêtres barbares de Claire auraient pratiquée durant l'Age sombre. Elle consiste à séparer les côtes…

— Oui, je sais ce que c'est, le coupa l'informaticien, dont l'appétit était mis à rude épreuve par les sujets juste abordés et les tensions palpables autour de la table. J'ai regardé Vikings.

— Nous sommes en train de manger, les reprit Jocelyn. Arrêtez de parler de choses si horribles, s'il vous plaît.

— Si le Costa Rica hésite encore à prendre une décision au sujet des Cinq Morts et de leur gestion, il aura bientôt un état voyou au large de ses côtes, reprit le commandant de l'UCA. L'ONU aurait été déjà forcée de demander la dissolution de la Garde Grise si cette dernière n'était pas soutenue par certains membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies et plusieurs autres pays étrangers.

— Un état voyou ? Voyons Joel, vous poussez le bouchon un peu loin là, lui dit Juan. A vous entendre, on dirait que Caer Draig est un repaire de pirates, à la manière de Nassau il y a trois cent ans. La Garde Grise n'est là uniquement parce que le Costa Rica n'a pas d'armée.

— Et qu'est-ce qui représente la souveraineté du Costa Rica dans les Cinq Morts ? Un pauvre flic et une petite baraque en bois avec le drapeau costaricain devant, au milieu d'une forteresse pleine de mercenaires étrangers. Vous savez qui d'autre était trop dépendante de mercenaires étrangers ? Carthage. Et ça à mal finit pour elle… Vous verrez le jour où les gardes gris déclareront que les Cinq Morts sont à eux et personne d'autre. Votre pays perdra d'abord l'archipel, puis Nublar et Dieu sait quoi après…

— La balkanisation à laquelle vous faites allusion a commencé lorsqu'InGen a acheté Sorna puis Nublar, lui fit remarquer Claire, donc bon…

— Dîtes-moi Joel, qui sont vos sources si fiables et objectives ? Demanda Owen. Le service de propagande d'Iger qu'on appelle Relations publiques ? La CIA, qui souhaiterait la fin de la Garde Grise afin de laisser des multinationales états-uniennes exploiter les ressources des Cinq Morts et qui, selon certains, aurait fait assassiner Bleidd Pennant car il leur a tenu tête ?

— Vous n'êtes pas des plus objectifs non plus Owen, rétorqua Austin. Vous avez des amis et d'anciennes partenaires sexuelles au sein de la Garde.

— En tant que l'une des cibles principales de ce qu'Owen a qualifié avec justesse de service de propagande, intervint Claire, permettez-moi d'avancer un avis que vous considérerez peut-être comme plus objectif, je l'espère du moins. Mon histoire avec la Garde Grise n'est pas des plus heureuses car malgré les avertissements d'Arnold Mountbatten, j'ai fait la conne en prenant de mauvaises décisions et me suis mise à dos les gardes et leur capitaine, Hamada. Paix à son âme…

En parlant du capitaine Hamada, des souvenirs de la Chute lui revinrent et elle s'interrompit, ressentant alors une terrible sensation dans sa poitrine, comme si une main froide et décharnée s'y refermait autour de son cœur. Elle se revit dans ce couloir des ruines du Centre des Visiteurs de Jurassic Park, avec Hamada allongé devant elle, mourant et l'implorant de mettre fin à ses souffrances. De lui agrippant son poignet pour guider la lame d'un poignard droit dans son cœur. De son sang maculant la lame et ses mains…

— Quant aux Pourfendeurs…, reprit-elle après un instant de silence. Gregor Sherman, leur chef, m'a paru sympathique quand je l'ai rencontré durant la Longue Nuit mais lorsque j'ai appris ce que lui et ses hommes ont fait, vous pensez bien que ça m'a considérablement refroidie et que leur mort, aussi atroce à elle pu être aux mains des gardes gris, m'a au final indifférée. Si j'avais été à la place des gardes, si j'avais appris que des camarades et des amis avaient été brutalement assassinés, je crois que j'aurais fait pareil…

— Moi de même, ajouta Owen.

— Vous approuvez l'embuscade et le meurtre d'une quarantaine de personnes ? C'est tout de même osé, s'offusqua Alexander. Ceci dit, vous devez bien vous entendre entre edgelords.

— Vous n'étiez pas sur Nublar lors de la Chute, Alexander. Fermez-là, lui rétorqua sèchement l'ex-soigneur de raptors.

— Ce n'est peut-être pas une si mauvaise chose que l'insurrection ait eu lieu, continua Claire. InGen n'ayant plus de commando d'élite spécialisé dans les opérations noires, j'ai l'impression qu'elle peut nuire de façon moins efficace et que je peux dormir de façon plus tranquille. Est-ce que je me trompe Joel ?

— Qu'est-ce que j'en sais, Claire ? Rétorqua ce dernier avec irritation. Je ne suis que responsable de la sécurité de la Ferme et commandant de l'UCA. Vous devriez plutôt poser cette question à Torres. Ce n'est pas mes oignons…

— Changeons de sujet s'il vous plaît, proposa Jocelyn, agacée par les récentes conversations et les divers sous-entendus et provocations faites par certains membres de la tablée. Décidément, mon père avait raison. Il ne faut jamais parler de politique à table.

— Et heureusement qu'on n'est pas en train de parler des élections, ajouta Wheatley. Parce que sinon, je crains que des couverts commencent à voler…

— Moi les disputes ça me coupe l'appétit, avoua Franklin, qui aurait grandement souhaité qu'ils soient plutôt allé dîner chez Aurelio, un des restaurants de Burgo Nuevo.

— Il est sensible. Il n'aime pas quand ça crie, glissa Zia au couple dans un murmure légèrement moqueur.

L'informaticien soupira.

— Je sais que je suis un fragile, un boulet, un clone raté de Moss de The IT Crowd, et que je suis un gros nul en termes de dinosaures mais putain, tu n'es pas obligé de me rabaisser devant tout le monde, Zia ! Se plaignit-il. Tu es vraiment beauf parfois…

— Oh mais je rigolais, Franklin, lui assura-elle. Petit pédé va…, ajouta-elle à voix basse et d'un ton taquin.

— Zia, la reprit Alexander.

— Tu sais que j'ai le droit de dire pédé sur le ton de la plaisanterie ? C'est un peu comme le privilège du mot en N quand on est noir.

Alexander se tourna alors vivement vers Austin, qui n'avait nullement réagit.

— Pourquoi vous me regardez ? Demanda-il au fondateur du GPD. Elle peut dire le mot nègre si ça lui chante et si l'usage est approprié, je n'en ai rien à péter. Je suis au-dessus de ce genre de conneries…

— Tout ça est très intéressant, commença Brice, parlant la bouche à moitié pleine, mais voyez-vous jeune fille, le problème c'est qu'on s'en fout si vous êtes plutôt moule que saucisse.

— Je ne vous permets pas, rétorqua Zia, offensée par le manque de manières du vétérinaire.

— Elle a raison, Brice, dit Jocelyn à son collègue. On ne vous apprend pas les bonnes manières à Vannes ?

— En même temps, il y a plein de porcs en Bretagne, ajouta Claire.

— Comment ça se fait que vous savez ça ainsi que le fait que les compatriotes de Brice sont des alcoolos ? Vous avez déjà été en France au moins, Claire ? Lui demanda la directrice.

— Ben elle a été chez les Delord, répondit le vétérinaire.

— Qui ça ?

— Ceux qui tiennent le zoo auquel on a vendu des animaux il y a quelques années… Oui, il y a quelques soucis d'alcoolisme en Bretagne çà et là mais ce n'est pas non plus aussi catastrophique que chez ces sous-hommes adeptes de tuning que sont les Chtis. En parlant de boisson, Caer Draig c'est comme Rennes mais en beaucoup plus joli et avec moins de punks à chien. Dieu merci…, poursuivit Brice, larguant encore une fois le reste de la tablée avec des références que seule une personne connaissant bien la France comprendrait. Il y a de sacrés beuveries là-bas, tant qu'il y en a qui sont chargés de récupérer ceux pionçant dehors avant qu'ils commencent à se faire bouffer… Les géosternbergias et les compys ne font pas la différence entre un mec mort et un en train de cuver vous voyez…

— Les villes ayant de gros soucis d'alcoolisme devraient avoir quelques-unes de ces bestioles alors, suggéra Wheatley sur le ton de la plaisanterie.

— Sauf qu'ils boufferaient aussi les clodos par la même occasion, rétorqua Juan.

— Et bonjour l'angoisse pour stopper une invasion de Compys dans une grande ville comme Los Angeles, Paris, Mumbai, Shangaï ou même San José, ajouta Owen.

— Il y a plus de vingt ans, on croyait pouvoir empêcher une éventuelle prolifération incontrôlée des dinosaures avec la solution lysine, raconta Claire, mais le truc a servi à absolument que dalle, tant que Wu et ses équipes se sont dits « Et puis merde ! » et ont retiré la dépendance chez les générations ultérieures d'animaux. Ça allait plus ou moins quand les animaux étaient sur des îles mais il faut admettre que Burgo Nuevo, le domaine de Lockwood et toutes les futures destinations des animaux sont des endroits moins isolés.

— Vous pensez qu'on n'aimerait pas que ça arrive, dit Austin. C'est mauvais pour l'image et les opérations de recapture ça coûte cher.

— Si les animaux s'échappent dans la Nature…, s'inquiéta Juan.

— Oh, arrêtez. On croirait entendre l'autre mathématicien dans les médias…, se moqua Wheatley. Vous savez, celui qui a survécu deux fois aux dinosaures ?

— Ian Malcolm ? Fit Alexander. Le mec se prend pour Hari Seldon (4) mais n'est qu'un pseudoscientifique.

— Un vulgaire prêcheur de la fin des temps, ajouta le mercenaire. Des mecs comme ça, il y en a toujours eu…

S'ensuivit un instant de silence durant lequel Jocelyn vit le fondateur du GPD remuer sur sa chaise et entrouvrir la bouche, comme s'il voulait prendre la parole.

— Vous vouliez dire quelque chose, Alexander ? Demanda-elle.

— Non, ce n'était rien…, répondit-il après avoir jeté un vif regard nerveux au couple.

— On est entre nous, lui dit la directrice d'un ton bienveillant. Parlez librement…

— Monumentale erreur…, murmura Owen à sa concubine.

Alexander se racla la gorge et parla :

— Je repensais au discours qu'avait fait John Hammond après l'incident de San Diego… Après tout ce qui s'est passé, je me demande si le mieux n'est pas de les envoyer dans d'autres parcs mais de les laisser vivre libre.

— Oh putain…, soupira Juan en espagnol et à voix basse.

— Mais enfin Alexander, vous savez bien que cela est impossible, pour tout un tas de raisons, dit Jocelyn. InGen ne peut pas se débarrasser de ses animaux comme ça. Ils sont à elle et…

— … vous les avez créés, brevetés etc.…, compléta Owen. Ça fait plus de vingt ans que ce discours est répété. On connaît la chanson à force.

— Si nous ne vendons pas ces animaux, reprit la directrice, InGen coulera et beaucoup de personnes perdront leurs emplois. J'espère que vous en êtes conscients, Alexander.

— Même si on pouvait les relâcher, ce n'est pas pour autant qu'il faudrait le faire, ajouta Owen.

— Je pense que la plupart des personnes assises autour de cette table sont d'accord pour dire qu'envoyer ces animaux dans d'autres parcs est la meilleure solution, dit Brice. A part Ken qui s'en fout et qui veut juste son chèque…

— Le père Hammond était bien gentil avec son discours mais entre les discours et la réalité, il y a tout un monde, déclara Juan. Si on avait appliqué à la lettre son discours, il n'y aurait plus de dinosaures ou presque dans les Cinq Morts à l'heure qu'il est.

— Sans parler mal, je pense surtout qu'il n'en avait plus grand-chose à foutre vu qu'il savait qu'il n'en avait plus pour très longtemps, ajouta le vétérinaire. Il devait penser : Après moi, le déluge !

— Imaginons un scénario dans lequel Jurassic World s'est effondré des années avant l'éruption du Mont Sibo et où InGen n'a pas récupéré les animaux suite à la chute du parc pour x ou y raison, commença Claire, mais qu'Alexander ici présent désire les sauver, parce que le Sibo menace d'entrer en éruption et détruire toute l'île ou une connerie du genre…

— Ça aurait fait un bon scénar pour un film, l'interrompit Brice. Vous devriez l'envoyer à Hollywood.

— Dinosaures en liberté et volcans en éruption ? Ça aurait été l'enfer si on avait dû aller sur Nublar, dit Franklin. Il aurait fallu m'emmener de force je crois et j'aurais été un tel fardeau que certains auraient tenté de me jeter au premier carnivore venu.

— Admettons que l'Alexander de ce scénario trouve un ou des financeurs, reprit la directrice déchue, arrive à monter l'expédition, débarquer sur Nublar et capturer un certain nombre d'animaux, le tout sans se faire trahir par les mercenaires engagés comme gros bras, les dinosaures pouvant valoir très cher sur le marché noir…

Elle fut à nouveau interrompue, cette fois-ci par un léger bruit sur sa droite, celui d'un rire discret de la part de Wheatley.

— Imaginons que la mission ne soit pas déviée de son objectif et soit un succès, continua-elle sans y prêter attention, où iriez-vous mettre les animaux, Alexander ? Même si on pouvait, il me semble que Guillaume Vuillier vous a expliqué pourquoi les Cinq Morts c'était niet.

— Je ne sais pas… D'autres îles…

— À condition qu'elles ne soient pas elles-aussi volcaniques, car sinon il faudrait recommencer tout ce bordel, dit le mercenaire.

— Sauf que les îles sûres d'un point de vue géologique, avec un climat propice aux dinosaures, suffisamment grandes et inhabitées de préférence, il n'y en a pas des masses, fit remarquer Juan. Et c'est sans parler de l'impact écologique, les îles étant souvent des points chauds de la biodiversité…

— Bon ben sur le continent alors…, en conclut le fondateur du GPD d'une voix un peu hésitante.

Ses propos furent accueillis par un silence soudain, qui régna un instant dans la salle à manger, avant d'être soudain brisé lorsque le couple éclata de rire de concert. Juan et Brice les rejoignirent bientôt dans leur hilarité, tout comme Austin, Wheatley et Valentine peu après, et même Jocelyn ne put s'empêcher d'avoir un rictus moqueur tandis que Zia et Franklin étaient partagés, se sentant certes mal pour leur collègue et ami mais pensant d'un autre côté qu'il allait un peu trop loin.

— Et où sur le continent ? Demanda Owen.

— Le plus loin possible des humains, répondit Alexander.

— Dans les derniers espaces naturels sauvages quoi…, en déduit l'ex-soigneur de raptors. Et une fois qu'ils sont emmenés là-bas, on fait quoi ? On laisse les carnivores bouffer tous les loups, ours, castors, bisons, mustangs et cerfs ? Les sauropodes raser les forêts ? Notre vie sauvage a déjà bien des problèmes… Lâcher les dinosaures dans nos écosystèmes ou les laisser libres pourrait être l'équivalent écologique de l'arrivée de Christophe Colomb en Amérique. Déjà que l'idée de la réintroduction du Mammouth dans la toundra russe suscite des controverses alors qu'ils n'ont disparu de l'Eurasie continentale qu'il y a dix mille ans…

— Mais les dinosaures ont le droit d'être libres, insista le fondateur du GPD.

— La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres, en l'occurrence celle de vivre paisiblement sur son territoire d'origine sans voir ce dernier être envahi par des nouveaux-venus étrangers qui imposeront leur loi…

— Oula ! Ton discours a des relents nauséabonds d'extrême droite, l'interrompit Alexander.

— J'allais ajouter que certains de mes ancêtres ont justement souffert suite à l'arrivée d'immigrants aux tendances destructrices. Voyons, Alexander, ne me dis pas que tu considères les populations indigènes ayant résisté à leur déplacement et massacre lors de la glorieuse construction de notre pays comme un ramassis de fachos intolérants et anti-progrès ?

Trouvant ce discours au sujet de l'histoire des Etats-Unis ridicule, Wheatley eut un rictus et secoua de la tête.

— Ah, bredouilla le fondateur du GPD, déstabilisé par les précisions d'Owen. Je…

— Comme il vous a cassé…, se moqua Claire. D'ailleurs, comment vont tes cousins Paiute, Owen ?

— Ils vont bien. Chip a trouvé du boulot et la fille d'Asta a réussi ses examens. Elle entrera au lycée à la rentrée prochaine.

— Pour en revenir à notre débat, Owen, proposa Alexander, tu as mentionné les Mustangs il y a quelques instants mais n'ont-ils pas été introduits en Amérique par les Espagnols ? Ils sont une espèce exogène et pourtant ils se sont parfaitement intégrés à l'écosystème des Grandes Plaines.

— Il y a une énorme différence entre les mustangs et les dinosaures, répondit l'ex-soigneur de raptors avec un soupir, commençant à perdre patience. Les mustangs sont certes des chevaux originaires d'Europe à la base mais il y a des dizaines de milliers d'années, il y avait plusieurs espèces d'équidés sauvages en Amérique du Nord. Les Mustangs n'ont fait que reprendre une place vacante au sein de l'écosystème. Tu conviendras qu'entre deux espèces d'équidés différentes séparées que de dizaines de milliers d'années et de l'autre le Mustang et le Parasaurolophus par exemple, séparés par plus de soixante-dix millions d'années, il y a tout un monde. Vingt mille ans ne sont que du pipi de chat à côté de ça.

— Alors quoi ? On les garde enfermés ?

— Nos dinosaures sont des fantômes, déclara Juan, aussi majestueux soient-ils, aussi vivants soient-ils. Nous les avons introduits dans un monde qui n'est plus fait pour eux, et nous avons la responsabilité de les garder isolés et hors d'atteinte de notre écosystème. Ce n'est pas une question de droits mais de responsabilité.

— Je respecte votre opinion, répondit Alexander en regardant Owen et le chef animalier, bien que pour être honnête, je suis surpris par le manque de considération que vous avez pour les animaux.

— Pardon ?! S'offusqua l'ex-soigneur de raptors tandis que le chef animalier se voilait la face avec sa paume.

— C'est à eux que vous dîtes ça ? Demanda Brice à Alexander. Alors qu'on m'accuse moi de ce genre de trucs, entre-nous ça passe, mais eux ?! C'est se foutre de la gueule du monde mon vieux ! Ils risquaient leurs vies en sauvant les animaux des ruines du parc tandis que vous étiez sûrement en train de siroter un Starbucks pépère à San Francisco. Non mais faîtes-gaffe, hein ! A force de chercher ainsi des noises aux gens, il va vous arriver des bricoles un jour. Et une question : Votre diplôme de soigneur, vous l'avez eu où ? Dans une pochette surprise ?

— Non, il l'a eu grâce à papa et maman, répondit Owen avec mépris. Jonas me l'a dit.

Alors qu'il s'apprêtait à raconter tout ce qu'il avait traversé lorsqu'il s'occupait des raptors à Nublar, y compris les parties les plus tragiques, Claire l'arrêta en posant doucement sa main sur son bras.

— Ne te fatigue-pas chéri…, lui susurra-elle.

Elle se tourna ensuite vers Alexander.

— Alexander…, commença la directrice déchue avec un soupir. Je crois qu'il faut que vous arrêtiez d'essayer de dire des trucs. Ça vous fatigue déjà, et pour les autres, vous ne vous rendez pas compte de ce que c'est. Quand vous faites ça, vous nous foutez une de ces angoisses... On pourrait vous tuer, je crois. De chagrin, hein !

— Elle a raison quelque part, c'est dangereux ce genre de raisonnements, dit Austin alors que le fondateur du GPD adressait un regard mauvais au couple et surtout à Claire qui venait de l'humilier. Si ça se trouve, il y a des organisations écoterroristes qui projettent de saboter cette opération parce que ses membres pensent sincèrement que les dinosaures ont droit à la liberté, qu'importe le reste.

— On a eu des cons comme ça en Europe, qui ont libérés des Visons d'Amérique et des Tortues de Floride dans la nature, ajouta Brice. Résultat des courses : Ce sont aujourd'hui nos visons et tortues qui pâtissent des "bonnes" intentions de ce genre d'individus. Le concept d'espèces invasives vous parle-il Alexander ? Je ne sais pas comment ça se passe aux Etats-Unis mais en France, on apprend ça au lycée.

— Même pas besoin d'apprendre ça au lycée. Un minimum de culture et de bon sens suffisent, renchérit Austin.

— Cependant Brice, il y a une différence entre des visons et des tortues d'un côté et des dinosaures de plusieurs tonnes de l'autre, intervint Wheatley. Ils sont plus gros et ne se multiplient pas aussi facilement. Si les dinos s'avèrent être vraiment un problème, il n'y a qu'à mettre leurs têtes à prix. Nombre de chasseurs se feraient un plaisir d'en faire leur affaire. Surtout en Amérique, ajouta-il, faisant grimacer les membres du GPD.

— A quel prix ? Vous êtes bien placé pour savoir que la traque de dinosaures n'est pas une promenade de santé, Ken, lui répondit Owen. Et avoir des mecs à moitiés bourré tout dézinguer est une solution qui me déplaît. Ce sont des solutions humaines qu'il faut envisager.

— J'aimerais revenir sur l'éventualité d'un sabotage que Joel a mentionné, proposa Jocelyn. J'invite chacun à faire preuve d'une grande vigilance dans les jours à venir et de signaler, à Joel ou à moi, tout comportement suspect afin que nous puissions prendre des mesures à temps et éviter que les craintes de certains se réalisent. Nous devons travailler main dans la main.

Wheatley pouffa de rire.

— Est-ce qu'il y a un problème, Monsieur Wheatley ?

— Quand on veut que tout le monde travaille main dans la main comme vous dîtes, il convient d'éviter de garder ses petits secrets pour soi, répondit le mercenaire. On m'a déjà fait le coup une fois…

Alors que tout le reste de la table, Jocelyn comprise, se demandait de quoi il parlait, Zia prit la parole :

— Je dois admettre que je suis d'accord. C'est comme cette histoire de compys disparus…

— Zia…, la reprit Alexander, qui ne souhaitait pas être pris au milieu d'une éventuelle dispute entre sa collègue et le vétérinaire.

— Non non…, dit Wheatley. Laissez-là poser les questions qui fâchent.

— Quelle est cette histoire ? Demanda Jocelyn à la vétérinaire du GPD.

— Il y a quelques jours, j'ai découvert que sept Compsognathus étaient morts subitement au cours d'une nuit, au début de l'an dernier, répondit-elle. J'ai lu les rapports. Ceux-ci étaient étrangement pauvres en détail mais je me souviens qu'il était spécifié que les corps avaient été emmenés hors-site.

— Est-ce vrai, Brice ? S'enquit la directrice.

— C'était les compys crevés dont je vous avais parlé, Jocelyn…, dit le vétérinaire. Pedro les avait trouvés morts dans leurs cages un matin. Craignant qu'ils aient chopé une saloperie et qu'il y ait un début d'épidémie, j'ai pris la décision de retirer les corps et de les garder dans l'aile vétérinaire en attendant qu'on vienne les récupérer pour incinération.

— Vous ne pouviez pas les incinérer ici ? Demanda Claire.

— Non. Il y avait un incinérateur avant au labo mais il est partit à Nublar il y a quinze ans. Heureusement, on avait quelqu'un à l'extérieur qui était disposé à les incinérer pour nous et on les a emmenés chez lui. Point.

— C'était qui ce quelqu'un ? Demanda Zia d'un ton un peu trop inquisiteur au goût des employés d'InGen.

— Un gars d'un incinérateur sur San José habilité à l'incinération de déchets biologiques et médicaux. C'est des mecs de la division sécurité qui les ont emmenés. Il y en a qui auraient été tenté de les voler…

Écoutant la conversation avec une grande attention, le couple remarqua alors que Juan tenait son poing droit contre sa bouche et faisait tourner sa fourchette avec sa main gauche tout en ayant un regard absent. La conversation en cours le rendait nerveux. Certes, Brice était son collègue et ami et il appréciait Zia mais savait-il des choses au sujet de ces Compsognathus ?

— Je suis allé voir Pedro entretemps, dit Zia. Lorsque je lui ai parlé de cette affaire, il ne semblait pas très à l'aise.

— Il l'était parce qu'il sait qu'il a merdé ce coup-là, c'est tout ! S'énerva Brice. Même si ce n'était que des Compys, on parle d'une perte de plusieurs millions de dollars pour la vente, un seul compy valant un million. Et oui, c'est cher un compy alors que c'est du menu fretin au sein de notre collection. C'est une perte qui aurait pu être évitée si Pedro avait été plus vigilant. Je veux bien être patient, jeune fille, mais il y a des limites ! Si vous continuez d'insinuer que je suis impliqué dans un trafic ou je ne sais quoi, je vous renverrais chez les soigneurs.

— Jeune fille… jeune fille…, je suis à peine plus jeune que Madame Hodgson je vous signale, rétorqua Zia.

— Assez ! Les reprit Jocelyn. Si vous avez des comptes à régler, ce sera dehors. Ne gâchez pas le repas des autres s'il vous plaît. C'est valable pour tout le monde ce que je viens de dire.

Les deux vétérinaires soupirèrent et se détournèrent l'un de l'autre pour reprendre leur repas. Jocelyn crut pendant un instant à l'efficacité de son rappel à l'ordre lorsque le silence revint. C'était sans compter Claire.

— Et bé, cette histoire de compys m'a l'air pour le moins intrigante…. Entre ça, les corps des autres animaux morts ici balancés dans une fosse commune au milieu des champs alors que ce n'est pas très réglo, le matériel en panne… Tout ça est du propre Jocelyn. Je sens que le rapport que je vais faire à Monsieur Lockwood va être très intéressant.

— Et c'est la faute de qui les restrictions de budget, hein ? Rétorqua Jocelyn à la directrice déchue d'un ton sec. Quand on a entraîné la chute de tout un empire, on évite de se la ramener !

Pendant ce dernier échange, les yeux d'Alexander avaient regardé Jocelyn puis Claire et voyant cette dernière redevenir silencieuse, il crut que la directrice de la ferme avait réussit à rabattre son caquet et à ébranler son mur de fausse assurance. Sentant une brèche et désireux de prendre sa revanche sur Claire pour l'humiliation vécue plus tôt, il s'y engouffra et s'adressa à la directrice déchue :

— La chute de Jurassic World ne tire elle pas ses origines d'une blague de mauvais goût que vous auriez fait au sujet d'Henry Wu au cours d'une soirée il y a des années ?

— Oh, descendez un peu de votre grand cheval, espèce de chevalier blanc moralisateur ! Lui dit Austin, qui trouvait que le fondateur du GPD avait un sacré toupet pour s'exprimer ainsi au sujet d'un événement dramatique qu'il n'avait pas vécu.

— Alexander, vous vous ridiculisez, rétorqua Claire.

— Vous croyez que la Chute ne serait pas arrivée si tout le monde il avait été beau, tout le monde il avait été gentil ? Demanda Brice au fondateur du GPD. Le Sibo n'a pas décidé de se réveiller parce que Claire a fait une blague un peu osée alors qu'elle était bourrée !

— C'était quoi cette blague qu'elle a faite ? Demanda Wheatley, curieux.

— Une histoire de cercles d'amis que Wu aimerait agrandir si on en croit certains témoignages…, se souvint le Français. Dans l'esprit, ça me rappelle un peu la blague sur la capote de Fry, qui est la variante anglo-saxonne d'une blague qu'on a en France sur un de nos animateurs télé. A noter qu'on a aussi notre propre variante, qui concerne Mark…, ajouta-il, réussissant à faire décrocher un sourire à Juan.

— C'est quoi cette blague de Fry ? Demanda Franklin en regardant bizarrement le vétérinaire. On dirait qu'elle vient du forum 18+ de VideoGames. com

— Tu l'as jamais entendu ? S'étonna Valentine. Alors, à ton avis, comment Stephen Fry (5) enlève-il sa capote ?

— Je n'en ai aucune idée, répondit l'informaticien, craignant la réponse.

— En…

— Valentine, l'interrompit Jocelyn, un peu sèchement se rendit-elle compte l'instant d'après. On est à table.

— Et ces blagues sont d'une grossièreté…, renchérit Alexander avec dédain. Pour revenir à un sujet plus sérieux, je me demande comment font certains pour se tenir à la même table que Claire… Valentine, Brice, Juan, Owen… Comment pouvez-vous la tolérer alors que ses actions ont chamboulé vos vies ?

— Qui es-tu pour sous-entendre qu'on ne devrait pas la tolérer ? Rétorqua Juan avec sévérité. Qui es-tu ?! Nous étions à Nublar au moment de la Chute, pas toi ! Donc libre à nous d'être disposé à dîner avec elle si on le désire.

Brice se tourna alors vers le fondateur du GPD et le regarda droit dans les yeux.

— Non mais vous m'avez écouté tout à l'heure ? Vous en allez en prendre une, vous n'allez rien comprendre, l'avertit-il. Je dis ça pour vous, hein. Moi je m'en fous. Par contre si vous devez le frapper, ajouta-il à l'égard du couple qui fusillait Alexander du regard, faîtes-le loin de la table s'il vous plaît. Le premier ou la première qui fout le bordel dans mon assiette, je lui colle mon poing dans la gueule.

— Personne ne frappera personne ! On n'est pas chez les sauvages, merde ! S'énerva Jocelyn alors que Franklin et Zia regardaient nerveusement le couple et leur collègue. Si il y en a qui oseront faire preuve de violence physique, j'ordonnerais à Joel et Valentine de les envoyer passer la nuit au Marais. Ils iront dormir dans la paille, ça leur fera les pieds !

— Ouais ouais…, dit le commandant de l'UCA avec peu de conviction, davantage amusé par la situation qu'autre chose.

— Oh non, pas le Marais ! Se plaignit le vétérinaire. Le nigersaure pue et les ouranosaures pètent.

— Alors on se calme, dit Austin. Parce que s'il faut que je m'appelle mes gars pour maîtriser les bagarreurs…

— Je ne le sentais pas ce dîner. Je voulais manger chez Aurelio moi…, murmura Franklin tout en regardant du coin de l'œil les doigts de Claire se contracter.

— S'il te plaît, Alex, dit Zia. Fous-lui la paix un peu. Il y en a qui aimerait que le calme revienne…

— Comment pouvez-vous la trouver cool ? Demanda le fondateur du GPD à ses deux collègues avec une voix empreinte de déception. Elle ne mérite pas votre amitié. Zia, c'est à cause d'elle que tu n'as pas pu accomplir ton rêve… Elle n'est pas digne de confiance. Elle ne vous a pas dit qu'elle a failli tuer quelqu'un de ses propres mains pendant la Chute ?

— Oui, c'est vrai ça, se rappela Austin. On avait complètement oublié… Il faut dire aussi qu'il s'est passé tellement de trucs durant cette dernière…

— Qui a-elle…, commença Zia.

— Le docteur Ivan Preston, le bras-droit de Wu, répondit Claire d'une voix faible tout en ayant les yeux rivés sur son assiette.

— Bras-droit et petit-ami, précisa le commandant de l'UCA. Elle a eu de la chance qu'il n'ait pas porté plainte. Du moins pas encore…

— J'ai entendu dire que vous avez failli le jeter du haut d'un balcon, ajouta Alexander. La blague mentionnée il y a quelques instants et cet acte en disent long sur vous…

— Insinueriez-vous que je suis homophobe, Alexander ? J'ai couché avec des femmes vous savez, rétorqua Claire, soulevant un regard surpris de la part de Zia. Mais contrairement à certains sur les réseaux sociaux, je n'en fais pas tout un pataquès et estime être suffisamment intéressante pour ne pas avoir à utiliser ma sexualité comme argument principal pour me définir.

— Sans vouloir m'avancer, je ne suis pas sûr que les putes du Mariposa ça compte, dit Austin. Mais après je ne suis pas homo, qu'est-ce que j'en sais… ajouta-il en regardant Zia, comme si il voulait une réponse de sa part et essayait de détendre l'atmosphère à sa manière.

Owen écarquilla les yeux, surpris que le commandant de l'UCA sache au sujet des visites passées de Claire au bordel. Cependant, à y réfléchir, il n'était pas impossible qu'InGen Security ait un peu espionné Claire lors de ses séjours sur le continent, afin de s'assurer qu'une employée clé telle qu'elle ne soit pas impliquée dans des affaires suspectes. Ainsi, on avait dû parler à Austin de ces visites et peut-être même qu'il avait consulté le dossier consacré à l'ex-directrice.

Ignorant la révélation qu'il venait de faire, et sachant que ce n'était qu'une question de temps avant que ça ne s'ébruite, celle-ci releva les yeux, se tourna vers Alexander, posa les mains sur la table et se pencha lentement en avant.

— Ecoutez-moi bien, espèce de sale petit pyjak (6).…, dit-elle en le regardant dans le blanc des yeux. Si vous faîtes encore une remarque déplacée à mon égard ou me provoquez à nouveau de façon gratuite, je vais vous sauter à la gorge et vous étrangler comme un poulet ! J'aimerais ne pas en arriver là car voyez-vous, ma prothèse est plus forte que la main qu'elle remplace, tant que je crains de vous broyer les cordes vocales avec si j'en arrive à de telles extrémités. Quoiqu'à y réfléchir, ça fera des vacances à une partie d'entre-nous…

— Alexander. Fais-toi petit, comme une souris…, grogna Owen.

Intimidé par le couple, Alexander demeura silencieux et finit par baisser les yeux. Il reprit son repas peu après et évita tout contact visuel avec Claire ou Owen. A côté du fondateur du GPD, Zia ne savait pas quoi penser de tout ce qu'elle avait appris au sujet du couple pendant ce repas, que ce soit leur positionnement osé sur certains sujets tels que les violences perpétrées par les gardes gris ou encore les dernières révélations faites au sujet de Claire, surtout le fait qu'elle ait failli tuer le bras-droit de Wu. Décidément, Claire Dearing était une femme très ambiguë, capable de bonté comme de brutalité. Elle et Owen formait un couple attirant, charismatique même, mais redoutable et Zia les aurait vu sans problème à la tête d'un galion pirate ou d'un groupe de bandits dans un Western.

— Homophobe ou pas, vous demeurez une cinglée en attendant, dit Jocelyn. Une cinglée et une menteuse.

— J'ai eu ma part de responsabilité durant la Chute, admit la directrice déchue, mais ce n'est pas moi qui aie caché à tous que le Mont Sibo allait entrer en éruption ! Ce n'est pas moi qui aie fait de l'Indominus un monstre génocidaire à l'intelligence quasi-humaine ! J'ai essayé de limiter les dégâts mais j'ai échoué ! Vous êtes contente ?

— Vous n'êtes pas aussi celle qui s'est dressée face à l'Indominus sur ce pont et l'a vaincue avant que le mosasaure ne l'attrape ? Lui demanda Jocelyn d'un ton sec. Parce que quitte à mitonner, autant y aller jusqu'au bout !

— Claire Dearing la tueuse de dragon… Oui, je connais cette théorie, ajouta Austin. Si certains n'avaient pas sortis leurs portables ou leurs caméras, j'aurais été tenté de croire que le Fantôme de Nublar n'est rien d'autre qu'un conte de bonne femme. Si vous étiez ce Fantôme, Claire, qui pourrait le prouver ? Owen, votre chienchien ? Pas un témoin très objectif… Ces traîtres de gardes gris ? A condition qu'ils vous aient reconnus… Et vous ne figurez pas sur les quelques images que nous avons du combat entre le T. rex et l'Indominus. Même si c'était vrai, personne ne le croirait. Et ce n'est pas des délires d'internautes qui vont essayer de persuader les gens du contraire.

— Qui nous dit qu'il n'y a pas eu de la censure ? Souleva Owen. Que les images où elle pouvait être distinguée ont été supprimées ? Il n'aurait pas fallu que les gens commencent à voir en elle une héroïne, sinon ils auraient cherché un autre responsable pour la Chute et se seraient tournés vers le CA. InGen a encore besoin d'elle comme bouc émissaire…

— Oh arrêtez Owen, vous vous ridiculisez à essayer de faire passer votre grognasse pour la nouvelle Jeanne d'Arc, rétorqua la directrice de la Ferme. Je pense surtout qu'elle s'est terrée dans un trou lorsque l'Indominus a envahi Burroughs et qu'on l'a retrouvée ainsi, avec un bras en moins. Qui sait ? Peut-être qu'elle s'est balafrée toute seule pour attirer la pitié ?

— Vous l'aurez voulu ! S'exclama Claire, excédée.

Elle se leva brutalement de sa chaise et enleva son gant en silicone, révélant sa prothèse à ceux qui ne l'avaient pas encore vu, dont Jocelyn qui frémit, la main artificielle ayant une apparence squelettique à ses yeux. Lorsque Claire saisit ensuite le bas de son T-shirt pour le tirer vers le haut, on échangea des regards circonspects et Valentine lui demanda d'une voix incertaine :

— Euh, vous faîtes quoi là ?

Elle ne répondit pas, posa son T-shirt sur le dossier de sa chaise et alors qu'on regardait la grande cicatrice qui lui barrait la poitrine et disparaissait sous son soutien-gorge, ainsi que celle sur son flanc gauche, infligée par une lame d'épée et que seul Owen savait être une trace de sa tentative de suicide pendant la Chute, elle passa ses mains derrière son chignon et commença à défaire la sangle de son demi-masque.

Jocelyn déglutit et détourna le regard.

— Je ne veux pas voir ça…

Claire retira enfin son demi-masque de son visage, le posa à côté de son assiette et alla se tenir ensuite à l'extrémité de la table la plus proche, entre Owen et Juan. De là, elle exhiba sa longue balafre à toute la tablée.

— Quelle horreur…, dit Alexander en grimaçant.

Il hoqueta de surprise lorsque Zia lui donna un soudain coup de coude dans les côtes.

Claire frappa soudain la table avec ses mains et s'appuyant dessus, elle se pencha en avant, comme pour mieux montrer ses cicatrices. Ses yeux furibonds se braquèrent en particulier sur Alexander, Austin et Jocelyn.

— Ces cicatrices sont-elles celles d'une couarde ?! Gronda-elle, parlant avec une voix encore plus profonde que d'habitude. Le sont-elles ?!

Tout en toisant la tablée, Claire étudia les réactions de tous sauf Owen. Juan, Brice, Zia et Valentine la regardaient en silence et elle lut dans leurs yeux que ce n'était pas une vision très agréable qu'elle leur offrait mais ils maintenaient néanmoins un contact visuel, un signe de respect. Après un moment d'hésitation, Franklin leva les yeux et la regarda lui-aussi. Il déglutit en voyant sa balafre mais osa braver son regard terrible.

Il est bien plus courageux qu'il ne le pense, constata-elle. Plus qu'Alexander en tout cas.

Ce dernier ne la regardait même pas et semblait s'être soudain pris d'un fort intérêt pour ses couverts qu'il caressait nerveusement du bout des doigts en attendant que la situation évolue.

C'est un cas désespéré. Je n'en ai plus rien à foutre de ce tocard !

Quant à Wheatley, il n'était nullement perturbé et tout en adressant un regard neutre à la directrice déchue, ses yeux étudiaient les cicatrices.

Il a dû voir pire au cours de sa carrière.

A droite du mercenaire, Austin sirotait son verre de rhum tout en la regardant mais son air suffisant avait disparu.

A l'opposé de Claire, Jocelyn gardait la tête tournée sur le côté, avec ses yeux regardant le carrelage sur la gauche de Valentine.

— Le sont-elles, Jocelyn ?! Lui demanda la directrice déchue avec sévérité, toujours sur le même timbre de voix.

N'ayant aucune réponse de la part de la directrice de la Ferme, Claire se mit alors en mouvement, passant lentement derrière Owen, Franklin, Wheatley puis Austin tout en regardant ceux assis en face et Jocelyn. Elle avait beau n'être qu'en soutien-gorge au-dessus de la taille, aucun ne la regarda avec concupiscence.

— Le sont-elles ?! Répéta-elle.

Jocelyn ne répondit toujours pas et garda sa tête orientée sur le côté tout en restant immobile. Elle était comme tétanisée par la peur.

— Regardez-moi !

Jocelyn ne réagissant pas, Claire s'avança et saisit son menton avec sa main prosthétique.

— Foutez-moi la paix, espèce de monstre ! Protesta la directrice de la Ferme après avoir sursauté au froid toucher de cette dernière.

Craignant qu'elle ne blesse Jocelyn, Valentine se leva de sa chaise.

— Hé, lâchez-là ! La somma-il.

Mais Austin l'arrêta d'un geste de la main tout en ne quittant pas des yeux les deux femmes, prêt à intervenir s'il le fallait.

— Gardez votre calme, dit Wheatley à Valentine. Laissez-donc ces mesdames s'expliquer.

Claire ne recula pas et fit tourner le menton de Jocelyn dans sa direction pour la forcer à la regarder.

— Répondez-moi ! Tonna-elle tout en se penchant au-dessus d'elle, la dominant tel un grand théropode sur le point d'attraper une petite proie.

Le regard de Jocelyn rencontra d'abord la prothèse, qu'il remonta jusqu'à l'endroit où elle était attachée au bras, avant de passer sur la poitrine, où il plongea entre les seins. Il s'attarda sur le sein droit avant de suivre la cicatrice qui s'y trouvait jusqu'en haut du sternum et au-delà, arrivant finalement au visage et à ce qui s'y trouvait. Jocelyn frémit et grimaça à la vue de la rouge et profonde balafre et du tissu cicatriciel qui l'accompagnait. Au milieu de la peau de Claire aussi blanche qu'une merde de crémier, elle lui évoqua un gouffre rempli de lave au milieu d'une toundra enneigée. Enfin, Jocelyn osa remonter jusqu'aux yeux verts et froids de Claire, qui lui rappelaient ceux d'un reptile, et le regard prédateur que la tristement célèbre Reine des Cendres lui adressait la fit céder.

— Je n'en sais rien ! Répondit-elle enfin, toute tremblotante.

— Bien sûr que vous n'en savez rien ! Rétorqua Claire. Vous n'avez pas idée des souffrances que j'ai endurées, des sacrifices que j'ai faits… Soyez prudente, Jocelyn. Ce visage pourrait être bientôt le vôtre si vous ne faites pas attention.

— C'est une menace ?! Demanda Jocelyn d'une voix apeurée.

— Non, une mise en garde.

La voix de Claire s'était légèrement adoucie et bien qu'elle ne le montrât pas, elle-même avait été effrayée par celle qu'elle avait adoptée depuis qu'elle avait enlevé son masque, semblable à ses oreilles à la voix profonde et caverneuse avec laquelle l'Indominus parlait dans ses cauchemars, probablement influencée par celles de divers animaux et créatures fantastiques doués de parole dans certains films qu'elle avait vus.

La directrice déchue lâcha enfin le menton de Jocelyn et retourna à sa place.

— C'est ça, allez-vous rhabiller Dark Vador, lança Austin à la directrice déchue lorsqu'elle passa à son niveau.

— Faîtes ce qu'il dit et remettez votre masque, bon Dieu ! Vous nous coupez l'appétit. La pria Jocelyn, encore toute tremblotante et ne pouvant s'empêcher de comparer intérieurement Claire à certains voyous de banlieue, en raison de l'agressivité dont elle avait fait preuve et du fait qu'elle s'était promenée autour de la table sans T-shirt.

— Je le remettrais, par bienséance, que si on me promet de plus provoquer pour le reste du repas, répondit Claire alors qu'elle renfilait son T-Shirt.

— D'accord ! Concéda la directrice de la Ferme.

— Merci, dit Claire froidement tout en remettant son gant en silicone.

Puis elle saisit son demi-masque, le réinstalla par-dessus sa balafre au grand soulagement de Jocelyn et d'Alexander, et entreprit de finir son assiette tandis que Wheatley hochait doucement la tête d'un air admiratif, impressionné par la démonstration que Claire venait de faire. Jocelyn se tourna vers Austin :

— Joel. Pouvez-vous envoyer un message au chauffeur. Je veux qu'ils partent dès le repas terminé, dit-elle tout bas.

— Très bien.

Encore secouée, elle saisit son verre et avala cul sec le reste de rhum qui y restait.

Peu après, alors qu'un silence pesant régnait à la table, les cuisiniers ressortirent de la cuisine, apportant le dessert.

— Ah, v'là le dessert ! Annonça Brice alors qu'on déposait les assiettes à dessert sur la table. Du flan à la noix de coco, je crois que ça va me manquer…

— Non mais comment vous faîtes pour encore avoir le cœur à bouffer après le désastre qu'a été ce dîner ?! Lui demanda Jocelyn. Voir sa balafre ne vous a pas coupé l'appétit ?

— Vous savez, j'en ai vu des trucs dégueu au cours de ma carrière de véto. Ce n'est pas une balafre de méchant de James Bond qui va m'empêcher de manger mon flan à la noix de coco.

— Vous vous foutez de tout de toute manière ! C'est bien pour ça que vous vous cassez une fois l'opération finie alors que la compagnie reste à reconstruire… Lui reprocha-elle.

— Reconstruire ? Qu'est-ce que vous voulez qu'on reconstruise ? Il y a des fois où je me demande si je n'aurais pas dû faire comme Jonas, Kate, Barry et tant d'autres et quitter le navire avant qu'il ne m'arrive des bricoles…

Comme si elle croyait qu'il venait d'avouer qu'il n'était pas innocent, Zia se tourna vers le vétérinaire mais ne dit rien. De plus, Brice regardait la directrice patraque.

— Oh mais ne tirez pas cette tête… Ne croyez pas que je ne vais pas me souvenir de vous une fois que je serais rentré en France, ma petite Jocelyn, dit-il affectueusement.

Le vétérinaire balaya ensuite la table du regard et vit que plusieurs n'avaient pas encore commencé à manger leurs parts de flan.

— Par contre les gens, mangez s'il vous plaît, leur suggéra-il. La cuistot ne va pas être contente sinon… Surtout que c'est bon, ajouta-il après avoir avalé une cuillerée.

Mais alors qu'ils s'apprêtaient à toucher à leurs parts, Jocelyn s'impatienta :

— Allez mangez !

La regardant, Brice nota qu'elle n'avait pas non plus touché à sa part.

— Jocelyn. C'est valable pour vous aussi hein.

La directrice renifla, soupira puis se décida à attaquer son flan avec sa cuillère.

Quelques secondes plus tard, Valentine se racla la gorge et prit la parole, souhaitant éviter le retour du silence pesant qui dominait avant l'arrivée du dessert.

— Il y en a qui ont vu la dernière saison de Game of Thrones ? Demanda-il d'une voix hésitante à la tablée.

— C'est ça, parlons de Game of Thrones, répondit Claire de manière sarcastique. Longue Nuit, dragons, reine folle, seigneurs de guerre, savants fous, trahisons, violence, innocents périssant par dizaines ça et là… Ça va ramener de bons souvenirs à certains…

— Ouais, en plus c'était de la merde la dernière saison, déclara Brice. Dès que l'autre con a dit « pas d'éléphants, votre grâce » en bégayant à moitié, je savais que ça allait être daubé du cul.

— Moi je ne l'ai pas trouvée si mal…, dit Austin.

— De quoi ? Mais tu te fous de nous ! S'écria le vétérinaire.

Et s'ensuivit une autre discussion mouvementée, cette fois-ci au sujet de la célèbre saga de Fantasy et de sa controversée huitième saison. Tandis que les uns la défendaient, les autres la démontaient et les choses devinrent houleuses quand certains se mirent à manifester leur soutien envers tel ou tel personnage.

— Mais taisez-vous ! Taisez-vous ! S'égosilla Jocelyn, à bout de nerfs, avant de regarder Wheatley, qui était l'un des rares à n'avoir pas pris part au débat en cours et qui avait l'air de se demander s'il n'aurait pas mieux fait d'aller se coucher avant d'accepter l'offre d'InGen.

— Il n'y a pas à dire, dès qu'il y a du dessert, le repas est tout de suite plus chaleureux, déclara-il.


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Notes

(1) Edaphosaurus : Synapside herbivore caractérisé par la présence d'une grande voile sur le dos. En tant que reptile mammalien, cet animal est davantage apparenté aux mammifères qu'aux dinosaures ou aux lézards.

(2) Ampelosaurus : Sauropode titanosaure originaire du sud de la France.

(3) Saurosuchus : Grand rauisuchien du Trias.

(4) Hari Seldon : Mathématicien de la saga Fondation d'Isaac Asimov.

(5) Stephen Fry : Ecrivain, humoriste, acteur et réalisateur britannique.

(6) Pyjak : Créature simiesque de la saga vidéoludique Mass Effect.