Au même moment, quelque part dans l'ouest du canton de Burgo Nuevo, une voiture suivait une route en terre, roulant vers une maison isolée, celle d'une ferme située non loin du chemin de fer. A bord de la voiture, se trouvaient Martí Padilla, son chauffeur ainsi qu'un jeune homme et une jeune femme d'une vingtaine d'années, deux jumeaux habillés en noir et portant un pistolet à leur ceinture, tout comme Padilla et leur chauffeur. Les quatre portaient un médaillon représentant une tête de singe, indiquant leur appartenance au gang des Singes Noirs. Ils franchirent un portail laissé ouvert et peu après, la voiture s'arrêta dans l'herbe, à l'opposé d'une autre voiture déjà garée près de laquelle attendait cinq hommes armés arborant le tatouage des Gavilanes. Martí Padilla reconnut l'un d'eux, leur chef, un homme du nom de Bosco Iglesia. Les deux groupes de gangsters se toisèrent en silence pendant un instant avant de tourner la tête vers l'entrée de la maison. La porte venait de s'ouvrir, laissant passer Jeremy Rankin, Dorian Faraday, Adrian Bentley et William McSweeney, qui portait une valise. Alors qu'Iglesia se demandait où étaient le blond, l'indienne et le scientifique, Rankin s'avança et s'adressa en espagnol aux deux chefs de gang :

— Ok Messieurs. On doit parler de la performance de vos hommes et du bilan de cette journée. Par ici, je vous prie.

Suivant le mercenaire anglais, les gangsters prirent à droite, pour contourner l'angle décrit par la maison. Rankin leur désigna un espace à la lisière d'un pré de hautes herbes et lui et ses hommes vinrent se positionner à quelques mètres en face d'eux, à côté d'une souche sur laquelle McSweeney posa la valise et l'ouvrit, révélant les liasses de billets qu'elle contenait. Se retournant, Iglesia vit qu'Eric Aubrey les suivait, cigarette en main. Le chef des Gavilanes ne se préoccupa pas des faits et gestes du scientifique, qui devait être à l'intérieur de la maison, mais l'absence présumée de la tireuse d'élite du groupe de Rankin l'inquiéta et il balaya les environs du regard. Lui et quelques autres sentirent également une drôle d'odeur mais avant qu'ils ne puissent le faire remarquer, Rankin commença la réunion. Alors que ce dernier se lançait dans une diatribe, Adrian sortit une flasque de la poche de son pantalon et but une gorgée du liquide qu'il contenait. Les gangsters constatèrent que l'ex-employé d'InGen Security souhaitait grandement être ailleurs et en meilleure compagnie.

— Le plan était simple pourtant ! S'exclama Rankin. Aiguillage modifié, le train fonce vers le viaduc. Le train saute du viaduc… Boum, plus de dinosaures ! Plus de dinosaures, pas de vente. Pas de vente, pas d'argent pour InGen…. Pas d'argent, effondrement économique. Effondrement économique, InGen kaput… InGen kaput.

— Plus de dinosaures, je ne suis pas sûr. Il y en a encore au complexe, fit remarquer Padilla.

— C'est une façon de parler ! On n'est pas là pour enculer les mouches ! Rétorqua Rankin. Bref tout ça pour vous dire que tout aurait marché si vous aviez laissé des gardes au levier ! Pourquoi vous ne l'avez pas fait ?!

— Vous ne nous avez pas dit que ce train serait autant défendu ! Lui reprocha Iglesia tandis que Padilla ne se sentait pas du tout concerné par le problème de l'aiguillage. On s'est fait canarder ! J'ai perdu quinze motos, trois véhicules de poursuite et plus de la moitié des hommes impliqués dans cette opération ! Cette opération nous a apportés plus de mal que de bien : Vous nous avez foutus dans le pétrin, monsieur !

— Oui. Et nos deux organisations ont perdus des hommes, ajouta Padilla.

— Moi plus que vous, Padilla, lui fit remarquer Iglesia avant de se retourner vers Rankin. Si nous avons décidés de nous allier à vous contre InGen, c'est car elle a envoyé au massacre les hommes que nous lui avons prêtés.

— Inutile de me rappeler les raisons qui m'ont poussé à vous contacter, lui dit Rankin. Lorsque nous avons passé notre marché, vous vous rappelez bien que je vous avais promis la moitié de la somme en cas de succès ? Demanda-il aux deux chefs de gangs.

— Oui.

— Or cette journée ayant été un échec, je vous informe que je vais garder cette moitié.

Il ferma la valise.

— J'en ai terminé avec vous, vous allez partir sans demander votre reste, ajouta-il.

Les gangsters s'agitèrent et les visages de leurs chefs s'empourprèrent.

— Comment osez-vous, après ce qui s'est passé ?! C'est scandaleux ! Ça ne va pas se passer comme ça ! S'écria Iglesia.

L'anglais sortit ensuite son téléphone de sa poche, composa un numéro et montra son écran aux gangsters.

— Vous voyez mon téléphone. Si j'appuie sur le bouton vert, le téléphone va sonner chez les flics et quelqu'un finira par décrocher. Si vous n'avez pas décarré d'ici là, je leur dirais que ce sont les Gavilanes et les Singes Noirs qui ont attaqués le convoi d'InGen.

Iglesia secoua la tête d'un air incrédule et ricana. Il s'était toujours demandé comme un homme avec un physique aussi… banal que celui de Rankin soit à la tête d'une équipe de mercenaires et se croie être intimidant de quelque manière que ce soit. L'anglais ressemblait davantage à un fonctionnaire ou à un conseiller principal d'éducation qu'à un soldat et si Iglesia ne l'avait jamais rencontré et croisé un beau jour dans la rue, il aurait même présumé qu'il était du genre à se faire rabaisser en permanence par son patron. Certes, la rumeur disait que Rankin était un ancien des services secrets mais ce n'était que des on-dit. Certains de ses compagnons n'inspiraient pas le charisme, tels que le binoclard qui semblait plus avoir sa place derrière le comptoir d'une épicerie ou l'étatsunien porté sur la bibine. En revanche, Faraday et Aubrey avaient la gueule de l'emploi pour lui. Ceux-là pourraient se montrer réellement dangereux.

— Ecoute-nous l'angliche, tu files le fric et t'arrêtes de faire le mariole, menaça-il.

— Sinon quoi ? Vous allez me tirez dessus ? Leur demanda Rankin d'un ton provocateur.

Iglesia et ses hommes dégainèrent leurs armes et les braquèrent sur Rankin et son équipe. Padilla et son escorte, se sentant également insultés par Rankin, les copièrent.

— Exactement. On va te descendre toi et tes petits copains, déclara le chef des Gavilanes. Réfléchis, vous êtes en sous-sombre et si jamais l'un de vous parvient à s'échapper, on enverra des gars à ses trousses et il ne quittera jamais le pays.

— Mouais…, fit Rankin, sceptique.

Iglesia enleva le cran d'arrêt de son pistolet.

— Je compte jusqu'à trois…, commença-il.

— Vous n'avez pas été sans remarquer l'absence à mes côtés de Mademoiselle Grewal, ma tireuse d'élite, leur fit remarquer Rankin.

— Oui, et ?

— A votre avis, où est-elle ?

Les gangsters balayèrent à nouveau les environs du regard, à la recherche de la tireuse d'élite, puis, ayant réalisé que Rankin les avait peut-être menés à cet endroit précis de la propriété pour une raison, regardèrent la maison et plus particulièrement la fenêtre du dernier niveau, sous les combles. Cette fenêtre les surplombait et était ouverte. Là, ils crurent voir une ombre.

Elle est là-haut.

— Ne sentez-vous pas aussi comme une drôle d'odeur ? Ajouta le mercenaire anglais.

Les gangsters se mirent à renifler vivement.

— Putain mais ça sent l'essence ! S'écria l'un d'eux.

Soudain, on regarda Aubrey, qui était toujours en train de fumer sa cigarette en silence tout en les toisant avec mépris. Les gangsters réalisent alors avec horreur que les britanniques les avaient menés droit dans un piège.

— Vous avez peut-être l'avantage du nombre mais j'ai l'avantage du terrain, déclara Rankin en regardant les gangsters. Il me suffit de faire un signe et non seulement votre retraite sera coupée par les flammes mais on pourra vous canarder. Ce serait un piège dont vous ne ressortiriez pas vivants et on dira à vos hommes qu'un de vous a malencontreusement laissé tomber à terre son mégot encore chaud sur une fuite d'essence. Donc non, c'est à vous d'arrêter de jouer aux cons. Voyons, vous avez la possibilité de partir d'ici en vie et sans à être inquiétés par les flics.

Défaits et consternés par la traîtrise de Rankin, Iglesia et Padilla se mirent à enrager.

— Vous ne valez pas mieux qu'InGen, misérable avorton ! S'exclama le second.

— Je ne suis qu'un mercenaire moi…, déclara Rankin en haussant les épaules. Je ne fais qu'obéir aux ordres et récupéré le solde qui m'est du. Et mon employeur n'a jamais prétendu être meilleur qu'InGen. Ils sont ennemis et en guerre, c'est tout ce qu'il y à savoir. C'est le capitalisme mes petits pères…

— On s'en va ! Dit Padilla à son escorte.

— Faîtes-donc. Je ne vous retiens pas, leur dit Rankin. La prochaine fois que vous voudrez du boulot, vous n'avez qu'à aller voir Luc Besson. Il aime bien les gars comme vous.

— Luc Besson, c'est qui ? Demanda l'un des gardes du corps de Padilla.

— C'est un réalisateur, bouffon ! Il faisait de putains de bons films il y a vingt-trente ans. Mais depuis le début du millénaire, il ne produit presque que des bouses où des mecs comme vous font les mongols devant la caméra.

— Ah, il vous a traité de mongols. Prenez ça ! Les railla un des Gavilanes tandis que plusieurs de ses camarades étaient tout aussi amusés.

Les singes noirs leur adressèrent un regard courroucé. Leur chef se tourna plutôt vers les britanniques et Adrian.

— Monsieur Rankin, si vous remettez le pied au Costa Rica, vous êtes un homme mort. Et nous n'épargnerons pas vos hommes non plus. Estimez-vous chanceux que notre influence ne dépasse pas les frontières de ce pays.

Il se tourna ensuite vers son escorte.

— On s'en va. Rentrons à San José.

Rankin et ses hommes regardèrent la délégation des Singes Noirs retourner à leur véhicule puis se tournèrent vers celle des Gavilanes, qui se préparaient aussi à partir.

C'est alors qu'Iglesia demanda à un de ses hommes de lui passer un objet rectangulaire aplatit.

— Dommage pour vous que vous ayez décidé de couper court à notre collaboration, dit le chef de gang. Une des équipes que j'ai déployées près du viaduc a trouvé cette tablette près d'une voiture accidentée, un coup des Cascabels. Leur route s'est arrêtée là.

Il alluma ensuite la tablette et montra son écran à l'équipe de Rankin. Ils y virent le logo d'InGen.

— Attendez, c'est une tablette de l'UCA, reconnut Adrian. Ils s'en servent pour traquer les animaux.

— Et ? Lui demanda Rankin.

— Le carnotaure…, réalisa Faraday. Avec cette tablette, on pourrait le suivre, non ?

— En théorie oui, répondit Adrian.

— Ce n'est pas bête, dit Rankin, devinant le début de plan que son subordonné devait être en train d'imaginer.

Il regarda Iglesia avec insistance.

— Passez-nous la tablette ! Lui ordonna-il.

Le chef des Gavilanes secoua la tête.

— Je pensais bien qu'elle vous intéresserait. Nous pouvons vous la donner mais pas sans compensation. On comptait aller chasser cet animal pour venger nos frères tombés et se faire du fric en revendant des parties de son corps sur le marché noir.

— D'accord !

Rankin rouvrit la valise, saisit une liasse ou deux et les tendit à Iglesia, lui donnant une fraction de la somme qu'il lui aurait versé si ils avaient réussi à détruire le train.

— Si vous ne voulez pas qu'on vous tende une embuscade avant votre départ du pays, je vous suggérerais de donner plus.

Rankin grogna et saisit quelques autres liasses.

— Pour les veuves et les enfants de ceux qui sont tombés, dit-il. On n'a pas peur de vous.

— Libre à vous de croire ce que vous voulez, dit Iglesia en comptant l'argent. Je suis prêt à vous excuser si vous me donnez encore une petite liasse.

Après avoir soupiré de manière bien audible, l'anglais concéda à lui donner encore un peu d'argent.

— Voici votre fric, rouspéta-il en lui donnant la dernière liasse. Maintenant disparaissez !

— Ça fera l'affaire, dit le chef des Gavilanes après avoir compté les billets dans la dernière liasse. Adieu, monsieur Rankin.

Iglesia et son escorte tournèrent ensuite les talons et quittèrent le lieu de l'entrevue.

— C'est la dernière fois que je fais affaire avec des gangs de ce pays, marmonna Rankin en les regardant monter dans leur véhicule.

Il regarda ensuite Adrian et lui donna la tablette.

— Adrian, allez apporter cette tablette au Docteur Scherrer et bossez-dessus ensemble.

Alors que l'ex-employé d'InGen Security acquiesçait, une idée sombre germa dans l'esprit de Rankin.

— Si on parvient à localiser ce carnotaure, on pourrait faire d'une pierre deux coups…, ajouta-il.