Notes

Suggestions musicales :

- In the Jungle — John Williams, Raiders of the Lost Ark. (Jusqu'à 02:23)


— On aurait dû l'euthanasier ce bestiau. Quel zoo voudrait d'un carnotaure brûlé ? Un cas bien désespéré. Ah, pourquoi la direction traînait les pieds à son sujet ? Fulmina Austin.

Portant tout comme ses compagnons une paire de lunettes de vision nocturne, il voyait le monde en nuances devert.

Avec les véhicules, ils avaient été aussi loin que possible et avaient été jusqu'à les garer sur une piste terreuse pleine d'ornières en pleine jungle, quelque part à l'est de la Tête nuageuse. Une partie des gardes étant sortis du Site D étaient restés avec eux tandis que l'autre patrouillait les routes et les pistes à la lisière de la jungle, veillant à ce qu'aucun civil ne se rapproche de la zone où se trouvait Toro.

— Cette mission est de la folie…, marmonna Lee, un homme fin avec des cheveux noirs et un nez pointu.

— J'en suis conscient mais les enjeux sont trop importants pour la remettre à plus tard, répondit le commandant. Un civil a déjà été tué à cause du raptor de Grady, je ne laisserais pas un autre être dévoré par Toro.

— Si on échoue, on risque la porte, ajouta Meyers.

D'après la smartwatch d'Austin, le carnotaure se trouvait à l'ouest de leur position et pour le cerner, il avait divisé l'équipe de traque en deux groupes, avec une menée par le chauve Miller, son bras-droit. Avec Austin, se trouvaient Lee, Meyers, Steve et Craig, mais aussi Maribel, l'assistante de Brice. Quant à Miller, il avait quatre hommes sous son commandement : Cooper, Spears, Tee et Jaffa.

Le commandant de l'UCA prit sa radio.

— Miller, quelle est votre situation ? Demanda-il.

On avance. On devrait être sur lui en même temps que vous.

Non loin de là, au sud, le groupe de Miller avançait dans les ténèbres, suivant également le signal de la biopuce de Toro. En dehors des quelques communications entre Miller et le commandant, le silence régnait au sein de la troupe depuis plusieurs minutes et la tension était palpable. Cooper, le benjamin de l'unité du haut de ses vingt-deux ans, n'avait jamais traqué de nuit un prédateur aussi dangereux qu'un carnotaure adulte et ses compagnons commencèrent à l'entendre chantonner pour essayer de se détendre.

Petit poney… Petit poney… Petit…

— Qu'est-ce que tu marmonnes, Cooper ? L'interrompit Tee, un quarantenaire d'origine asiatique.

— Quand j'étais petit, je chantais Petit poney… Petit poney dès que j'avais peur. Cette chansonnette aide à me rassurer, répondit Cooper.

— C'est vrai que je préférerais être en train de caresser des petits poneys tout doux que de chasser le carnotaure, admit son camarade.

— Je comprends que tu aies peur mais si tu pouvais arrêter, ce serait bien merci, dit soudain Spears, un afro-américain. Je ne supporte pas d'entendre le mot Poney.

— Pourquoi ? Demanda Cooper.

— Parce que ma mère a été tuée par des poneys.

Pensant bien qu'il devait plaisanter, du moins ils l'espéraient, Tee et Cooper haussèrent des épaules.

— Il y en a qui regardent Mon petit poney parmi vous ? Demanda Jaffa, un quarantenaire avec un début de calvitie

— N'en parlons pas, l'interrompit Spears. Je déteste tout en lien avec cette série. Ses fans… Ces gens-là sont de la sale race. Il faudrait tous les éliminer !

— Heureusement que personne ici n'en est fan, dit Tee.

— Oui, ça coupe court à la discussion, ajouta Miller. Economisez votre souffle.

La troupe redevint silencieuse mais tout bas, Cooper continuait de chantonner :

Petit poney… Petit poney…

Soudain, un grognement rauque les figea sur place.

— P..P… Petit poney ? Bégaya Cooper sous l'effet de la peur.

Sur le qui-vive, ses camarades se tournèrent vers l'origine du grognement, braquant leurs armes vers la végétation dense. Cooper les vit se détendre mais juste à peine. Ce qui avait poussé ce grognement était loin d'être aussi dangereux que le carnotaure mais pouvait quand même présenter un risque.

— Pas petit poney mais gros matou, murmura Tee à Cooper.

Suivant le regard de son collègue, Cooper vit qu'entre deux buissons, un certain mammifère quadrupède à la robe tachetée était accroupi et les regardait avec méfiance.

— Foutre ciel, un jaguar…, dit Miller d'une voix blanche.

— Gentil Monsieur le chat…, murmura Spears tout doucement.

— Viens-tu de présumer le sexe de ce jaguar ? Lui demanda Cooper. Qui te dit ce n'est pas Madame la chatte plutôt ?

— Il aurait pour cela fallu que nous sussions son sexe, dit Tee.

— Fermez-là ! Les reprit Miller. J'ai l'impression qu'il va nous sauter dessus.

— Il a plus peur de nous que nous de lui, dit soudainement Jaffa. Et les jaguars n'attaquent pas un homme adulte.

— Qu'est-ce que tu en sais, Jaffa ?

— J'ai écouté l'exposé sur la faune locale, répondit humblement leur collègue. Evitez les gestes brusques, lever lentement les bras pour paraître plus gros et reculez doucement. Il ne faut surtout pas lui tourner le dos ou s'enfuir en courant.

— Ouais, c'est comme avec les cougars, en conclut Spears.

— Lesquels ? Ceux que tu raccompagne le samedi soir ? Fit Jaffa.

Le jaguar feula.

— Messieurs ! Siffla Miller.

Tout en suivant ces consignes, ils s'éloignèrent du jaguar et celui-ci resta accroupit près des buissons, se contentant de les suivre du regard.

— N'empêche, il a dû avoir une drôle de réaction s'il a croisé Toro…, dit Tee.

— Comparé aux dinosaures, les grands félins font figure de chatons, fit remarquer Jaffa.

Une fois qu'ils eurent reculé suffisamment, ils se remirent en route.

Miller, quelle est votre situation ? Demanda Austin à la radio.

— On avance toujours. Nous venons de rencontrer un jaguar. Personne n'a été blessé.

Ok, nous sommes bientôt en position.

Quelques minutes plus tard, les deux groupes arrivèrent à proximité d'un ruisseau dans un vallon. Au bord du cours d'eau, sous un arbre à la large cime, Toro s'était assis. Sa tête était inclinée vers le bas et son torse se gonflait doucement au gré de sa respiration. Il ronflait assez bruyamment.

Discrètement, les groupes vinrent se positionner derrière des rochers ou des troncs couchés, attendant le signal d'Austin. Le commandant de l'UCA regarda le carnotaure endormi avec soulagement et satisfaction.

S'ils avaient été dans les Cinq Morts, l'équipe aurait été bien plus sur ses gardes, les carnotaures étant actifs aussi bien de jour comme de nuit mais là, Toro n'avait pas arrêté d'être en mouvement depuis son évasion du Site D et avait parcouru environ douze kilomètres en une douzaine d'heures.

Le pauvre bestiau doit être fatigué, constata Austin. Le neutraliser sera facile.

Dans sa tête, le commandant de l'UCA passa en revue l'arsenal qu'ils avaient avec eux. Ils avaient des fusils à projectiles électrochoquants, des fusils tranquillisants, un lance-filets, des aiguillons électriques… toute des armes non létales. Les seules armes létales qu'ils avaient emmenées étaient un fusil à pompe, qui avait davantage un rôle dissuasif qu'offensif dans le cadre de la traque d'un animal du gabarit d'un carnotaure, et quelques pistolets.

Ça devrait suffire.

De l'autre côté du vallon, le groupe de Miller était caché derrière des rochers. Ils pouvaient voir les silhouettes du groupe d'Austin dans leurs lunettes et vice-versa. Alors que leur commandant réfléchissait à un plan d'action, Tee se détendit en poussant un profond soupir de soulagement. Soudain, il se figea et porta la main à sa bouche. Le soldat tressaillit en émettant des sons étouffés : il se retenait de tousser.

— Tee ! Chuchota Miller d'une voix implorante en se retournant vers le ruisseau.

Il secoua la tête d'un air malheureux et montra son cou. Miller comprit qu'il avait un chatouillement dans la gorge et qu'il lui fallait boire de l'eau. Il saisit alors sa gourde et la passa à son collègue.

L'accès de toux fut violent. Miller eut l'impression que le bruit se répercutait dans le vallon comme une détonation.

Le carnotaure bailla avec indolence et se gratta le museau avec sa patte de derrière. Puis il bâilla une seconde fois. Encore fatigué par les épreuves de la veille, il se réveillait lentement.

Derrière les rochers, Tee continuait à émettre des sons rauques.

— Taisez-vous, Tee ! Ordonna Miller.

— Je ne peux pas m'en empêcher, protesta le soldat d'une voix étranglée.

Le nouvel accès de toux fut aussi bruyant que le précédent. Près du ruisseau, le carnotaure se redressa, un peu péniblement, renifla vivement et regardant dans la direction du groupe de Miller, il les repéra.

— Vite ! Mettez-le en joue ! Ordonna Austin à Craig, qui portait un des fusils tranquillisants.

Mais alors que Craig se mettait en position, le carnotaure grogna et chargea le groupe de Miller avant que quiconque n'ait le temps de lâcher un juron.