— Madame Dearing, l'appela une voix féminine, venant de l'extérieur de la cellule.
Claire se réveilla en gémissant, essuya ses yeux encore humides avec sa main, et regarda vers les barreaux. Une policière se tenait derrière, la regardant.
— Veuillez-vous lever, dit-elle. On vous demande.
Sans prononcer un mot, la directrice déchue se leva et prit la direction de la porte que la policière lui ouvrit. Lorsqu'elles disparurent de leur vue, l'alcoolique (qui avait décuvé pendant la nuit) demanda à la junkie :
— Tu crois que c'était qui l'Angrboda dont elle parlait dans son sommeil ? Une amie ? Une membre de sa famille ? Une fille peut-être ?
Sa compagnonne de cellule répondit par un haussement d'épaules.
Quelques minutes plus tard, Claire entra dans une salle d'interrogatoire où Owen et Franklin attendaient déjà, assis d'un côté de la table. On l'assit à côté de son concubin et ce dernier lui demanda :
— Tu vas bien, chérie ?
— Ça pourrait aller mieux…
La policière ayant escorté Claire referma la porte en partant, laissant le trio seul un moment.
— Tu as encore eu un cauchemar ?
Elle hocha de la tête.
— C'était encore elle ? Devina-il.
— Oui mais cette fois, les choses étaient… différentes. Je n'ai pas trop envie d'en parler pour le moment.
— Ecoute, je suis désolé pour hier. Je n'aurais pas dû dire que tu étais égoïste, que…
— Non, c'est moi qui suis désolée… J'ai encore voulu faire ma tête de mule et j'aurais pu vous mener dans une situation où vous auriez finis blessés ou pire. Je ne me le pardonnerais jamais s'il t'arrivait quelque chose par ma faute.
Ils entendirent un ventre gargouiller.
— Désolé, dit timidement Franklin.
— Ce n'est pas grave…, répondit Claire. J'ai aussi horriblement faim. Vous savez s'ils servent un petit déj ? Je ne sais même pas quelle heure il est.
— Je crois qu'on est au milieu de matinée, répondit Owen. Ils nous ont laissés pioncer en attendant l'arrivée de nos interrogateurs.
La porte s'ouvrit, laissant deux officiers de police entrer et prendre place en face du trio. L'un d'eux, un jeune trentenaire maigre avec des cheveux coupés très courts et un visage imberbe aux traits doux, commença par les présentations, parlant en anglais. Il s'appelait Santiago Muralla et son collègue, un quinquagénaire moustachu plus petit, répondait au nom de Daniel Fuerte. Ce dernier ne parlant pas anglais, Muralla informa le trio qu'il allait faire office de traducteur mais Claire s'adressa directement en espagnol à Fuerte qui n'avait pas arrêté de la dévisager depuis son arrivée.
— Je n'ai jamais cru que j'allais vous rencontrer un jour en chair et en os, Madame Dearing, répondit-il d'une voix suave. Excusez mon audace mais votre balafre, aussi horrible peut-elle être aux yeux des petites natures, n'enlève rien à votre beauté. Elle rajoute même une certaine aura, une aura de férocité. Vous êtes pareille à une pirate ou une guerrière viking…
— Vous allez continuer longtemps, Cyrano ? L'interrompit Claire.
Fuerte se tourna vers Owen, que la scène amusait.
— Belle et féroce, vous avez du goût, Monsieur Grady…
— Arrêtes de draguer, Dan, et mettons-nous au travail, le reprit son collègue. Excusez les manières rustres de mon collège, ajouta-il à l'encontre du couple, il se comporte ainsi avec toutes les belles femmes qu'il croise et ce qu'elles soient de simples collègues, des civiles ou même des criminelles.
Alors que Muralla rappelait les diverses accusations portées à leur encontre et les crimes commis, Fuerte posa des sandwichs et des grands gobelets de cafés sur la table, les mettant à la disposition du trio affamé qui se précipita aussitôt dessus. Lorsque le plus jeune des officiers eut terminé, ils demandèrent aux trois états-uniens d'exposer leur version des faits. Ils relatèrent les événements par ordre chronologique, commençant par l'incident de Blue, le sabotage des écoterroristes, la trahison de Benito et la mort de Jocelyn avant d'enchaîner avec la confrontation avec les assassins.
— Entre nous, c'est une bonne chose que vous ayez buté ces deux racailles de mes deux, dit Fuerte à voix basse au couple. Ils ne nuiront plus personne. Vous avez rendu un petit service au peuple costaricain. Mais ne répétez pas ça devant les médias, surtout ceux de votre pays…
Muralla, qui ne partageait pas l'opinion de son collègue, secoua légèrement la tête et continua de prendre des notes avec sérieux et en silence tandis que Fuerte remuait d'excitation tel un enfant alors que les interrogés abordaient toute la partie en lien avec le Transpercebouse et celle au complexe portuaire. Il ne manqua pas de faire des commentaires du type « J'aurais aimé être là ! », « On croirait que vous êtes en train de décrire un passage de jeux-vidéo ou un film !», « Génial ! » ou « C'est pour ce genre de trucs que je suis devenu flic, Tiago. Pas pour gratter de la paperasse !». Lorsque le couple parla des manigances de Torres, le policier moustachu dit :
— J'ai toujours su que ce gars n'était pas digne de confiance et trempait dans des magouilles. Pourquoi ils ont cru sa version plus haut ? Ils sont vraiment trop cons…
— L'enquête dira laquelle des deux versions est vraie, déclara l'officier Muralla.
Une fois que le trio eut raconté leur version des faits et répondu aux questions qu'ils leur posèrent, Muralla leur apprit que si la justice les déclarait coupables, ils risquaient plusieurs années de prison et que Claire, qui cumulait le plus d'accusations et était déjà dans le collimateur de la justice costaricaine à cause des événements d'Isla Nublar, avaient de grandes chances d'être condamnée.
— Ce serait vraiment triste qu'une femme comme vous aille en prison, dit Fuerte d'un ton compatissant. Je vous promets de creuser tout ça et…
— Dan ? Santiago ? Demandaune voix féminine dans un haut-parleur. Quelqu'un veut les voir.
— Dîtes-lui d'attendre qu'on ait finit, répondit Fuerte à voix haute.
— Il veut les voir maintenant, insista sa collègue.
— C'est qui ? Demanda-il.
— Un mec du DRS.
— Le DRS…, répéta Muralla à voix basse.
— Oh non, pas ces connards aux bras long…, se plaignit Fuerte. Zut !
— Il les attend dans le bureau du commissaire.
Le policier moustachu soupira.
— Vous avez entendus, dit-il au couple.
Le duo de policiers fit sortir le trio hors de la salle d'interrogatoire et l'escorta jusqu'au bureau du commissaire. Lorsqu'ils arrivèrent, l'occupant habituel du bureau informa son visiteur du DRS, le service de renseignement du gouvernement de son pays, que leurs prisonniers états-uniens étaient là et il leur ouvrit la porte, les invitant à entrer.
— En espérant vous revoir bientôt…, dit Fuerte au couple.
Le commissaire referma la porte derrière le trio et ce dernier vit l'envoyé du DRS, assis dans la chaise du commissaire et fumant une pipe. Malgré la chemise impeccablement repassée qu'il portait, ses cheveux sombres et sa moustache soignés, le jeune quarantenaire qui leur faisait face était familier au couple.
— Vous…, siffla Owen, reconnaissant El Manigordo, leur mystérieux contact de Burgo Nuevo.
— Madame Dearing. Monsieur Grady. C'est un plaisir de vous revoir sains et saufs, déclara-il en anglais avec un sourire accueillant. J'ai accouru dès que j'ai su que vous étiez détenus ici.
Il se tourna vers Franklin.
— Monsieur Webb, je présume ?
L'informaticien du GPD hocha de la tête et regarda le couple.
— Vous connaissez ce type ?
— On ne savait pas qu'il bossait pour les services secrets costaricains, répondit Owen. On avait des doutes mais…
— Donc vous admettez que vous le connaissez ? Vous avez bel et bien espionnés en fait mais pas pour les écoterroristes. Moi qui croyais être le mouchard de la bande…, glissa Franklin non sans un soupçon de reproche.
— Madame Dearing et Monsieur Grady ont été perspicaces, dit l'agent du DRS. Je me présente : Rodrigue Santagar, Direction générale du Renseignement et de la Sécurité, Ministère de la Présidence.
— Puisque vous avez le bras long, pourriez-vous expliquer aux flics qu'on est innocents dans l'attaque écoterroriste au Site D et les morts de Jocelyn Hodgson et du vieux fermier ? Rétorqua la directrice déchue.
— Pas si vite…, répondit le costaricain en présentant la paume ouverte de sa main droite. Je sais que vous êtes innocents.
C'est alors qu'on vint toquer à la porte.
— Oui ? Demanda-il.
La porte s'ouvrit et le commissaire apparut. Il balaya le trio du regard.
— Monsieur Franklin Webb ? Appela-il en anglais. Les accusations portées contre vous ont été retirées.
— Je… Je suis libre ? Bafouilla le jeune homme.
— Pas encore. Nous allons vous faire passer un entretien en profondeur pour nous assurer de votre bonne foi et vous rayer définitivement de la liste des suspects dans la mort de Madame Jocelyn Hodgson. Normalement, ça devrait bien se passer. Soyez tranquille, vous serez de retour aux Etats-Unis d'ici la fin de la semaine.
— Mais mon passeport….
— Nous avons vos affaires, lui assura le commissaire. Et vous n'aurez pas à vous inquiéter pour le billet d'avion…
D'un signe de tête et de la main, Santagar invita l'informaticien du GPD à se lever et à rejoindre le commissaire. Avant de quitter la pièce, Franklin se retourna vers le couple.
— Je sais que tout n'a pas été parfait entre nous et je m'excuse pour certains trucs, commença-il d'une voix hésitante, mais je tenais à vous dire au revoir… et à vous remercier de m'avoir supporté et sauvé la vie à plusieurs reprises. J'espère qu'on se reverra à Orick.
— Si on n'est pas jetés en taule, répondit Owen. Au revoir, mec. En espérant que ce séjour t'a appris des leçons utiles…
— Au revoir, Franklin, dit Claire. Et je t'en prie, dis-lui. Evite de la décevoir davantage…
L'informaticien acquiesça faiblement sans dire un autre mot et disparut alors que le commissaire fermait la porte.
— La chance lui a souri, dit Santagar. Un gars comme lui n'aurait pas tenu deux semaines dans nos prisons.
— Et nous ? Lui demanda Owen. Pourquoi vous voulez nous voir après nous avoir laissés dans la merde ? On a failli se faire buter à cause de votre petite enquête !
— Cela faisait partie des risques, et vous en étiez conscients lorsque vous avez acceptés la mission que je vous ai confiée. Du moins, je le croyais…
— Je me demande surtout comment Torres a su que nous avions fouillés la maison, marmonna Claire.
Santagar ouvrit alors son sac pour en sortir une grande pochette hermétique et transparente contenant une micro-caméra, un chargeur solaire et un émetteur.
— Je suis allé à la maison hier. J'y ai trouvé tout ça. La caméra était dans le garage, cachée au-dessus de la porte.
Réalisant que la caméra avait pris des images d'eux et que celles-ci avaient été envoyées à Torres, le couple hocha de la tête et l'agent du DRS ajouta :
— Et nous étions épiés lorsque vous m'avez fait votre rapport. Par une petite trentenaire. Nulle autre que Madame Jocelyn Hodgson si mes yeux ne m'ont pas trahis. Elle croyait être discrète mais c'était peine perdue…
— Oui, elle me l'a dit avant de se faire bouffer, grogna Claire. Cette gourdasse a cru que nous étions des espions !
— Techniquement, vous espionniez pour la république costaricaine.
— Sauf que c'est kif kif pour InGen. On leur a dit qu'on était des espions et ça leur a suffi. Et vous auriez pu nous prévenir si vous l'avez vue !
— Torres avait déjà les images et alors que nous parlions, il était surement en train de commanditer votre assassinat. Et essayer de raisonner Madame Hodgson aurait été futile. InGen vous aurait jeté hors du Site D, les assassins vous auraient attaqués ailleurs, vous n'auriez pas entendus ces hommes parler du train, et celui-ci se serait précipité du haut du viaduc, tuant les dinosaures et les personnes à bord. Avez-vous parlé de vos découvertes à quelqu'un d'autre ?
— Elijah Mills, le gérant de la fondation Lockwood et d'une certain façon notre superviseur dans cette opération, répondit Claire après un silence hésitant. Lorsque lui et Benjamin Lockwood nous ont engagés, ils nous ont demandé d'être leurs yeux et les oreilles sur place. J'ai jugé pertinent de l'informer au sujet des recherches secrètes conduites au Site D, afin qu'il informe à son tour Monsieur Lockwood. Ce dernier et Susan Lynton ne s'entendant guère, j'ai pensé que Lockwood utiliserait ses ressources pour mettre fin à ses plans ou du moins les freiner.
— Ils vous ont mis dans une position bien inconfortable… Faîtes-vous confiance à ce monsieur Mills ?
— Personnellement non, répondit directement Owen. Mais on n'a pas le choix.
— Et vous Claire ? Demanda Santagar, notant qu'elle était plus hésitante.
— Pas tout à fait…, admit-elle.
— Fiez-vous à votre instinct… Lorsque vous rentrerez aux Etats-Unis, soyez autant sur vos gardes qu'ici voir davantage.
— Et quand serons-nous relâchés ?
— Tout dépend de vous. J'ai non seulement encore des questions à vous poser mais j'aurais besoin de votre aide dans une petite affaire…
Le couple soupira d'irritation.
— Sans vouloir nous montrer grossiers, on a assez été dans la merde et on aimerait bien rentrer chez nous, s'énerva Owen. Ce n'est pas marqué Pigeon sur notre front !
— J'entends bien que vous soyez épuisés et désirez qu'on vous laisse en paix après les événements de ces derniers jours mais écoutez mon offre avant de prendre une décision hâtive que vous regretterez.., rétorqua Santagar avec sérieux.
— Et si on la refuse ? Demanda Claire. Je demande par curiosité.
L'agent du DRS éloigna sa pipe et soupira.
— Si vous refusez… Les agents de police vous remettront en cellule, où vous y croupirez en attendant qu'on vous convoque au tribunal. Pour le moment, vous avez autant de chances d'être déclarés coupables que non-coupables mais il suffit que de nouvelles preuves vous incriminant apparaissent, que la présence de Monsieur Webb à vos côtés soit considérée comme un kidnapping, ou encore que la justice soit émue par le discours d'une pauvre mère éplorée dont le fils a été battu, torturé puis violement exécuté par un couple de fous sadiques en cavale… La balance pencherait du côté de Coupables et que Dieu vous garde car un séjour prolongé en prison deviendrait une éventualité très probable pour le tueur de fermier de Zapotal et la reine déchue de l'île des brumes, les avertit-il. Et les prisons mixtes n'existant pas dans ce pays, envisageriez-vous d'être séparés pendant de longues années ? De laisser votre fils grandir sans ses parents ? Je ne le pense pas. Cela ne vous laissera pas indemnes et vous serez bien sots de refuser mon offre, surtout que ce n'est pas la mer à boire. Si vous m'aidez, il y aura des petites souris qui vont murmurer à l'oreille de ceux chargés de traiter votre cas, les encourageant à faire preuve de diligence et de clémence…
— Très bien, dit Claire dans un soupir, persuadée. J'accepte votre mission, quelle qu'elle soit…
— J'accepte aussi, dit Owen. Si on doit faire ça pour enfin sortir de ce merdier…
Santagar hocha la tête avec satisfaction.
— Quelles sont vos questions et qui devront nous espionner cette fois-ci ? Ajouta la directrice déchue.
— Ce n'est pas un travail d'espion que je vous demanderais mais un de consultant, répondit l'agent.
— De consultant ? Répéta Owen.
— Je vous en dirais plus après le déjeuner. Il faudra qu'on parle aussi de ce carnotaure en cavale mais encore après… Tout d'abord, vous allez me révéler tout ce que vous savez au sujet de l'Indominus rex. Sa biologie, son comportement, sa composition génétique, ses secrets… Dîtes-moi tout. L'Indoraptor étant son successeur, les informations que vous me révélerez pourront s'avérer précieuses.
Santagar activa un dictaphone et ajouta :
— Je vous écoute.
