— Il est presque midi et il n'est toujours pas arrivé ! Fulmina Juan après avoir regardé sa montre.

Debout à l'orée du village de caravanes et de préfabriqués, il regardait la route par laquelle un convoi était supposé arrivé. A ses côtés, se tenaient plusieurs autres soigneurs, un des vétérinaires intérimaires, deux gardes ainsi que Zia et Franklin.

— Qu'est-ce qui se passe ? Demanda Mills, qui venait d'arriver au village.

— Le convoi des petits animaux, répondit le chef animalier. Il est partit hier de San Diego à seize heures et devait arriver ce matin entre neuf et dix heures.

Une semaine s'était écoulée depuis le séjour de Guillaume à Orick. Au lieu de les envoyer directement à Orick comme les autres animaux, InGen avait en effet d'abord expédié ses plus petits animaux à l'académie de San Diego, l'ex-Jurassic Park en construction, où elle disposait d'installations adéquates pour les accueillir en attendant leur envoi au domaine Lockwood une semaine avant la vente.

Non loin de là, George Lambert rangea le téléphone qu'il avait eu à l'oreille au cours des dernières minutes et vint voir le groupe.

— Je viens d'avoir Torres au téléphone, leur annonça-il. Le convoi a été détourné pendant la nuit. Les animaux ont été volés.

— Volés ?! Répéta Franklin.

— Un détournement ? Réalisa Allison.

— Et l'escorte ?! Demanda Marisol.

— Elle n'a rien pu faire, répondit George. Les voleurs étaient bien organisés selon Torres. Par un quelconque moyen, ils ont même réussit à désactiver les puces des animaux. Vos collègues, messieurs Alex Grunberg et Pedro Olla, ont été envoyés à l'hôpital. Leurs jours ne sont pas en danger.

— C'est arrivé où ? S'enquit Juan.

— Dans la San Antonio Valley. A l'est de San José.

— Vous avez aussi une San José en Californie ? Lui demanda Pasqual.

— Oui, c'est au sud de la baie de San Francisco.

— San José ? Mais c'est juste à côté de Cupertino ! S'écria l'un des gardes. Je suis sûr que c'est ces bâtards de chez Biosyn qui ont fait le coup !

— Cupertino est aussi à vingt minutes en voiture du siège à Palo Alto donc ça ne veut rien dire, lui fit remarquer son collègue. Je ne dis pas qu'il faut rayer Biosyn de la liste des suspects mais je n'ai pas l'impression qu'on ait une piste tangible au sujet de l'identité des voleurs.

— Cela reste néanmoins l'un des scénarii les plus probables, dit George.

— Que comptent faire Torres et le CA ? Demanda Juan.

— Torres a envoyé des hommes sur la piste des voleurs. Mais on craint que les animaux soient déjà loin, qu'on ait eu le temps de les mettre dans un avion ou un bateau en partance pour l'étranger…

— Autant dire qu'on ne les reverra jamais ! Puta ! S'exclama le chef animalier.

— Si on ne les retrouve pas, on accusera une perte de presque cent-quinze millions de dollars, ajouta le cadre d'InGen Security.

— Tout ce qui vous importe c'est le fric que vous perdez. Vous vous en foutez des animaux eux-mêmes, lui rétorqua sévèrement Zia avant de s'en aller.

Le moral miné par cette mauvaise nouvelle, les participants à l'opération retournèrent à leur poste ou prirent la direction du réfectoire pour aller déjeuner tandis que Mills retournait au manoir pour en informer Lockwood.

En début d'après-midi, ils reçurent la liste des animaux volés :

Espèce Effectif

Archaeopteryx 2
Beelzebufo 2
Compsognathus 30
Didelphodon 1
Diictodon 4
Dimorphodon 2
Euparkeria 1
Germanodactylus 5
Longisquama 1
Microceratus 9
Moschorhinus 2
Pegomastax 1
Proterosuchus 5
Pterodactylus 10
Purgatorius 2
Scutellosaurus 2
Seymouria 1
Simosuchus 1
Yi qi 1
Yinlong 6

En fin de journée, alors que le soleil descendait vers l'océan, Valentine Taylor était en train de patrouiller sur la passerelle qui surplombait la fosse des Baurusuchus lorsqu'il vit un de ces prédateurs crocodiliens se mettre à creuser le sol avec une certaine ardeur. Il évoqua au garde d'InGen un gros chien venant de trouver quelque chose, tel un os ou une proie. Il le regarda pousser la terre sur le côté et se mettre à découvrir ce qui était enterré sous la fosse. Changeant d'angle d'observation, Valentine crut discerner une sorte de surface arrondie sous le museau du prédateur, celle d'un objet qui aurait été condamné à l'oubli si InGen et Lockwood n'avait pas décidé d'implanter leur camp de quarantaine pour animaux dans cette cuvette. Entendant des soigneurs emprunter l'allée derrière lui, il les héla par-dessus son épaule :

— Les gars ! Je crois que vous devriez venir voir ça.

— Qu'est-ce qu'ils ont ? Demanda l'une d'eux.

— Je crois qu'ils ont trouvé quelque chose en creusant, répondit le garde.

Les soigneurs empruntèrent un escalier et rejoignirent Valentine sur la passerelle. Il leur pointa ce que le Baurusuchus était en train de déterrer. Du moins, ils crurent au début que c'était un objet mais la surface s'avéra être ni être de la céramique, ni du plastique mais de l'os. L'os pariétal d'une boîte crânienne très développée.

Quelques minutes plus tard, Juan et Brice arrivèrent, suivit d'autres participants de l'opération que la curiosité avait fait converger vers la fosse des Baurusuchus. Le chef animalier et le vétérinaire écarquillèrent les yeux d'étonnement en voyant le crâne que l'animal avait continué de déblayé. Il était reconnaissable par tous car il était doté d'une face aplatie et d'une dentition d'omnivore.

— Un crâne humain…, constata le vétérinaire. J'espère qu'un cimetière indien ne se trouvait pas à cet endroit… Je ne tiens pas à me prendre une malédiction sur la poire.

— Ne dis pas de sornettes ! Lui dit Juan avant de faire un signe de croix discret.

Il se tourna ensuite vers Valentine, qui avait informé ses camarades et George Lambert, qui avait à son tour appelé Mills.

— Lambert et Mills ont été mis au courant. Ils arrivent, annonça-il.

Le garde s'approcha du bord de la passerelle et regarda les trois prédateurs attroupés autour du squelette.

— Vous comptez faire quoi à ce sujet ? Demanda-il à Juan et Brice.

— Les Baurus ont l'estomac solide mais ils pourraient se mettre à croquer les os, répondit le vétérinaire, préoccupé.

— Pour des raisons de sécurité, c'est mieux si on enlève, souligna le chef animalier. Et le plus tôt possible.

— Et si ce n'était pas un cimetière ? Souleva Valentine. Et si le gus ou la gonzesse qu'on a là a été assassiné il y a je ne sais combien d'années ? Cette fosse pourrait être une scène de crime. Enlever les os serait un délit.

— Ouais, c'est pas faux, dit Brice.

— Je ne sais pas si Mills a appelé les flics, ajouta le garde.

— Quoiqu'il en soit, il faudra les mettre dans les cages avant que quiconque n'entre là-dedans, déclara Juan tout en surveillant les Baurusuchus.

Peu après, le gérant de la fondation Lockwood arriva, accompagné par le responsable de la sécurité du camp.

— Que se passe-il ici ? Demanda le premier alors qu'il montait l'escalier.

— Oh, vous avez un ou une macchabée sur les bras, répondit Brice avec désinvolture. L'un des Baurus l'a trouvé.

Mills se figea et blêmit, ce qui surprit les employés d'InGen. Puis, sans dire un mot, il s'avança lentement vers le garde-fou et ses yeux se posèrent sur les ossements.

— Que tout le monde s'éloigne, ordonna-il. George, dîtes à vos hommes de boucler la fosse.

George acquiesça.

— Allez les gars, circulez ! Cria-il à l'encontre des soigneurs et des vétérinaires rassemblés autour de la fosse.

— Mais il faut qu'on mette les Baurus dans les cages, lui fit remarquer Brice. S'il y en a un qui se perfore l'estomac en avalant un des os, ça risque de jaser !

— Ne vous en faîtes pas, on s'en occupe, le rassura le responsable de la sécurité.

Encore préoccupés par cette situation, Juan et Brice prirent la direction de l'escalier, suivant leurs collègues.

Durant le dîner à la tente-réfectoire, ils, et quelques autres, ne purent s'empêcher de regarder George et ses subordonnés les plus proches, comme si ils avaient des doutes au sujet de leur intentions au sujet des ossements. Ils se souvenaient également de l'attitude de Mills lorsqu'on lui avait appris la nature du problème. C'était comme si il avait vu un fantôme.


Au milieu de la nuit, Franklin fut réveillé par une envie d'aller aux toilettes. Discrètement, il sortit du préfabriqué où il dormait avec ses collègues du GPD et une partie des soigneurs. Il se rendit dans l'une des toilettes de chantier et en ressortit quelques minutes plus tard. Mais alors qu'il revenait à son préfabriqué, il commença à entendre du bruit, celui d'un groupe de personnes en train de marcher, se rapprochant du camp.

Etant à la périphérie nord du village, Franklin pouvait voir la grande clôture périphérique du camp, quelques-uns des miradors ainsi que la grande porte. Le bruit venait de l'allée qui longeait le côté ouest de la cuvette, la même qui menait au préfabriqué servant de poste de contrôle du camp, tenu jour et nuit par des factionnaires d'InGen Security. L'informaticien du GPD regarda les sentinelles dans les miradors. Elles semblaient impassibles.

Ils auraient déjà dû voir ou entendre le groupe. C'est rien, probablement une patrouille de leurs collègues. Pas de quoi s'alarmer.

Eteignant la lumière de son téléphone, Franklin resta immobile dans l'obscurité et observa un groupe de faisceaux de lampes torche suivre l'allée dans sa direction. La douzaine d'hommes les portants apparurent peu après et alors qu'ils se rapprochaient, il remarqua que contrairement aux gardes d'InGen vêtus d'uniformes bleu marines, ces hommes étaient non seulement habillés de noir mais ils portaient aussi des aiguillons électriques ainsi que des boucliers pareils à ceux des forces anti-émeutes en plus d'une panoplie d'équipements de protection corporels. Ils évoquèrent à Franklin les soldats de la compagnie qu'il avait vu au Costa Rica.

Des soldats ? Quand ces types sont là, c'est que les ennuis ne sont pas loin.

Il jugea alors bon de ne pas rester planté là à découvert et se glissa derrière un véhicule garé non loin juste avant qu'un des faisceaux de lampe torche ne l'éclaire. Caché derrière le capot, Franklin continua d'épier les soldats et les vit se diriger vers la porte du camp au lieu de continuer tout droit vers le village. Franklin leva les yeux vers les miradors et nota que les sentinelles avaient bel et bien vu le groupe de soldats mais ne réagissaient pas. L'instant d'après, la grande porte s'ouvrit dans un grand bruit sourd et le bruit de marche des soldats s'estompa alors qu'ils s'enfonçaient dans le camp.

Qu'est-ce qu'ils vont faire aux enclos ?

Franklin songea à rentrer dans son préfabriqué et à aller se recoucher mais une intuition le poussa à rester accroupit des minutes durant dans les ténèbres derrière le véhicule et à attendre que les soldats ressortent du camp. Une vingtaine de minutes après leur entrée, il entendit des grondements et des rugissements au loin, ceux des carnivores. L'informaticien pensa dans un premier temps que les prédateurs, tirés de leur sommeil par les soldats, ne faisaient que manifester leur mécontentement mais quelques minutes plus tard, les rugissements redoublèrent d'intensité. Les prédateurs avaient l'air excités. En réponse, un des herbivores beugla même d'irritation.

Mais c'est quoi ce cirque ?

Inquiet, il se demanda s'il ne ferait pas mieux de prévenir Zia, Alexander ainsi que les soigneurs mais il resta, attendant d'avoir plus informations avant de réveiller le village pour rien.

A un moment, une voiture vint du nord et alla se garer près de la grande porte. Un homme, vêtu d'un costume, en sortit et vint ouvrir la porte arrière qui faisait face à la porte avant d'attendre près du véhicule. Franklin reconnut en lui un des vigiles du domaine. Il étudia son attitude. L'homme n'arrêtait pas de bougeotter sur place. Quelque chose le rendait nerveux et il l'entendit parler tout doucement avec un des gardes du camp.

Enfin, les soldats revinrent à la porte et Franklin vit deux d'entre-eux aider un de leurs camarades à avancer. Au cours de l'instant fugace au cours duquel il l'aperçut, Franklin vit que son visage était empourpré, comme si il était en colère… ou qu'il pleurait. Le jeune homme nota aussi qu'on avait passé un bâillon autour de sa bouche, comme pour l'empêcher de crier. Etait-il blessé ?

Tandis que le vigile aidait les soldats à installer leur camarade sur la banquette arrière, un autre fit le tour de la voiture, ouvrit le coffre et y mit le gros sac poubelle noir qu'il portait jusque-là sur son épaule. La portière de la banquette arrière fut refermée, le vigile se réinstalla au volant et la voiture quitta les lieux, repartant d'où elle était venue. Les soldats prirent la même direction, clopinant avec hâte pour s'éloigner du village tandis qu'on refermait la grande porte. Franklin écarquilla les yeux de surprise en voyant que certains portaient des bêches.

Dès que les sentinelles dans les miradors eurent le dos tourné, Franklin quitta sa cachette et retourna à son préfabriqué. Alors qu'il se glissait dans son lit, Zia, couchée dans le lit d'à côté, se mit à bouger et tourna la tête vers lui.

— Ça fait une heure que tu es parti, tu as chopé quelque chose ou quoi ? Lui demanda-elle en chuchotant.

— Non. C'est juste qu'un truc bizarre vient de se passer, répondit-il sur le même ton.

— Quoi ?

— Je te dirais ça demain.

— Ok.

Il lui raconta tout cet épisode le lendemain matin au petit-déjeuner.

— Si ce que tu dis est vrai, je pense que tu devrais en parler à Juan, suggéra-elle.

L'un des gardes fit alors irruption dans la tente-réfectoire.

— Les gars ! Jack a disparu ! Leur apprit-il.

— Jack ? Quel Jack ? Demanda Alfredo.

— Le squelette, répondit le garde.

— Il y a de la sorcellerie indienne dans l'air…, lança Judd.

Madre de Dios, on ne plaisante pas avec ce genre de choses ! Le réprimanda le chef animalier avant de se lever pour sortir du réfectoire.

Juan et plusieurs de ses collègues, ainsi que Zia et Franklin, se rendirent à la fosse des Baurusuchus.

— C'est comme si il n'y avait rien eu, déclara-il peu après avoir l'atteint.

Comme le garde l'avait dit, il n'y avait plus le moindre ossement dans le trou creusé la veille par l'un des prédateurs. Cependant, ils savaient que ces derniers n'étaient pas les coupables car ils auraient sinon vus des fragments d'os éparpillés dans toute la fosse.

— Franklin prétend avoir vu des soldats entrer dans le camp, et les gardes les ont laissés faire, l'informa Marisol. Je me disais bien que quelque chose avait provoqué le raffut que j'ai entendu.

— Tu penses que ces soldats seraient derrière la disparition du squelette ?

Elle hocha de la tête.

— Il a dit qu'ils portaient des aiguillons et des boucliers. Si je devais descendre dans cette fosse, c'est deux objets que je prendrais. Il a ajouté que l'un d'eux a mis un sac poubelle dans le coffre de la voiture du vigile.

— Alors quelqu'un haut-placé vivant actuellement sur ce domaine sait des choses sur l'identité du squelette, déduisit le chef animalier. Qui était de faction à la porte et aux miradors ?

— Aucune idée. Mais si on leur demande qui étaient ces soldats, je sens qu'on va nous envoyer chier.

En observant les prédateurs, la soigneuse nota la présence d'un objet étranger coincé entre les dents de l'un d'eux. En regardant attentivement, elle réalisa que c'était un bout de tissu noir.

— Hé. Tu as vu ? Demanda-elle à Juan.

— Oui.

Il prit sa radio et appela le vétérinaire.

— Brice. Tu pourrais venir à la fosse des Baurus ? L'un d'eux a un truc coincé entre les dents et il serait judicieux de le récupérer.

Ok, j'arrive tout de suite.

Au cours de la journée, la rumeur de la venue d'un groupe de soldats pendant la nuit dernière se répandit comme une traînée de poudre et au cours du dîner, on ne manqua pas d'interpeller George Lambert à ce sujet.

— George. Il s'est passé quoi cette nuit ? Lui demanda Juan.

Le cadre d'InGen Security, alors sur son téléphone, releva la tête.

— Vous faîtes allusion au vacarme qu'ont fait certains des carnivores ? Il y a une équipe de la police qui est venue prendre le squelette, répondit-il.

— La nuit même suivant la découverte ? La police étatsunienne est diligente ma foi, commenta Pasqual, qui se tenait aux côtés de Juan.

— Ouais, ça été rapide, dit Allison avec scepticisme, également présente aux côtés du chef animalier. Vachement rapide…

— Et si ça été le cas, pourquoi on nous a pas réveillés pour mettre en cage les Baurus le temps qu'ils fassent ça ? Ça les aurait beaucoup aidés, fit remarquer Juan. Vous voyez George, je ne suis pas sûr que ce soit des flics. Si j'en crois les descriptions qu'on m'a faites, ils étaient vêtus de noir et étaient équipés de boucliers et d'aiguillons, les mêmes que ceux issus de notre armurerie. Et le seul véhicule qui s'est garé près de la porte était la voiture d'un des gardes du domaine.

— Bon ben ok, ce n'était pas des flics mais certains de nos gars, avoua calmement George. Ils ont été envoyés patrouiller dans le camp histoire de dissuader les éventuels espions traînant dans les bois à la nuit tombée.

— Et pourquoi ils sont sortis du camp avec des bêches et un gros sac poubelle qu'ils ont mis dans le coffre de la voiture ? Ils faisaient du jardinage nocturne ? Le questionna Juan, commençant à perdre patience.

George, venant de réaliser qu'il avait fait une bourde, se figea un court instant et inclina la tête pour regarder son écran, comme pour cacher le mensonge dans ses yeux aux soigneurs.

— George. Mon cul, c'est de l'Oviraptor ? Renchérit Marisol. Vous nous prenez vraiment pour des cons.

Il ne répondit rien. Alors Juan frappa la table avec la paume de ses mains pour le faire réagir, ce qui ne manqua pas de surprendre les gardes assis en compagnie de leur supérieur. Dans le reste du réfectoire, tout le monde se tut pour les regarder.

— Arrêtez de jouer à Pokémon et regarde-nous quand on vous parle !

— Oh, on se détend là ! Lui dit un des gardes.

— Te mêle pas de ça, toi ! Lui rétorqua sèchement Juan.

— C'est à moi que tu parles, Alatriste ? C'est à moi que tu parles ? Répondit le garde, un homme que Juan ne connaissait pas et qui venait probablement d'un des sites étatsuniens d'InGen.

George releva enfin les yeux et d'un signe de la main, il enjoignit son subordonné à se calmer.

— Celui qui les a vus, c'est Monsieur Webb, l'informaticien du Groupe de Protection des Dinosaures ? Demanda-il.

— Oui. Et ?

— Edward a beau l'avoir réintégré à l'opération après ce… malentendu au Costa Rica, ça ne veut pas dire que je lui fais entièrement confiance.

— Même s'il mentait, il y a des preuves qu'on ne peut pas inventer.

De sa poche, le chef animalier sortit alors le morceau de tissu noir qu'ils avaient enlevé de la gueule du Baurusuchus dans la matinée.

— Comme ce bout de tissu. Il sort d'où ? On l'a trouvé planté sur la dent d'un des Baurus !

— Non mais n'importe quel crétin peut arracher un bout de tissu noir et faire un trou dedans pour faire croire qu'il a été retrouvé dans la gueule d'un dinosaure, dit le même garde qui s'était montré agressif envers Juan quelques instants plus tôt.

— On t'a sonné abruti ? Lui demanda sèchement Marisol.

— Mais ferme ta gueule, grosse vache, rétorqua-il à mi-voix.

— Retenez-moi où je vais le frapper…, dit la soigneuse à ses collègues d'un ton courroucé.

George se tourna vers son odieux subordonné.

— Tony, taisez-vous ! Vous aurez intérêt à vous excuser après, l'admonesta-il. La dernière chose dont nous avons besoin est une autre insurrection !

Juan sortit alors son portable et montra l'écran à George. Ce dernier vit une photo montrant le museau d'un Baurusuchus, balafré par une entaille fraîche.

— Et cette entaille sur la gueule du Bauru, c'est nous qui l'avons faite peut-être ?! S'exclama le chef animalier. Elle n'était pas là hier ! On l'a découverte quand on est intervenu sur lui ce matin.

Surpris, George ne répondit rien et n'osa même pas répondre que l'entaille ait pu être infligée par un des congénères de l'animal. Brice, qui s'était avancé de manière à se positionner à côté de Juan, intervint :

— Etant donné ses dimensions, l'entaille a été infligée par le bord d'un outil, tel qu'une bêche. Quelqu'un lui a donné un coup sur le museau, probablement le même type qui a laissé une partie de ses fringues dans sa gueule. Celui qui a été mis à l'arrière de la bagnole pour être surement envoyé à l'hosto.

George hocha faiblement de la tête.

— Pouvez-vous nous donner le morceau de tissu, pour qu'on l'inspecte ? Demanda-il en tendant la main.

Mais Juan remit le bout de tissu dans sa poche.

— Pour que vous le jetiez ? Comme ils ont probablement jetés le squelette quelque part dans la nature, pour qu'on ne le retrouve plus jamais.

Aux abois, George Lambert se leva et s'adressa à tout le monde dans le réfectoire.

— Ecoutez-moi tous ! Il n'y a jamais eu de squelette sur le domaine Lockwood, compris ? Personne n'a rien vu, d'accord ?

— On a tous eu une hallucination collective c'est ça ? Dit Brice d'un ton sarcastique. C'est ça, prenez-nous pour des cons, George ! Si c'est pour dire des conneries, fermez votre gueule et retournez jouer à Pokémon ou vous branler devant des combats de coqs !

— Bien envoyé ! Lança quelqu'un.

— Je ne vous permets pas, Brice ! Siffla le cadre d'InGen Security à l'encontre du vétérinaire. Ecoutez-moi tous, le premier qui racontera des histoires à la presse aura de gros problèmes, je vous le garantis !

Cette menace souleva une vague de protestations chez les soigneurs, les vétérinaires et quelques gardes, la majorité d'entre eux gardant son silence soit car ils étaient loyaux à George et à InGen qu'importe la situation, soit car ils craignaient de recevoir des sanctions si ils protestaient.

— Non mais on est en dictature ou quoi ?! S'exclama Mark.

— C'est un scandale ! Cria un autre soigneur.

— Ouais ben une fois les animaux partis, je me casse ! Déclara un des gardes à son collègue. Je sais qu'on a garanti mon poste mais je préfère être chômeur que travailler pour une compagnie d'enculés de compétition ! Je tiens à pouvoir encore me regarder dans un miroir !

Assis à la même table qu'eux, Valentine Taylor était immobile, plongé dans un silence songeur, commençant à remettre en question sa loyauté envers InGen.

— C'est comme cette histoire avec Owen et Claire ! Dit Pasqual. Des espions et des écoterroristes !? Mon cul ! Mon ! Cul !

— Arrête, Torres va t'envoyer des assassins, ironisa Alfredo.

— Parlez pas de ça les gars, on va vous retrouver suicidés de deux balles dans le dos, leur fit remarquer un des quelques gardes protestataires en plaisantant à moitié.

Alors que la tente-réfectoire bourdonnait, George se leva sans même prendre son plateau tandis que certains le huaient et que les gardes qui lui étaient loyaux tentaient de calmer les employés mécontents. Juan le rattrapa près de la sortie et lui saisit fermement le bras.

— Mills vous paie combien pour toute cette mascarade autour du squelette ? Lui demanda-il. Ne faites pas l'innocent, vous savez tout comme moi qu'il sait qui était ce mort et que c'est lui et non vous qui aviez envoyé ces gars. On aurait dit qu'il allait se chier dessus lorsqu'il l'a vu.

— Ecoutez-moi Juan, je ne sais pas qui est le mort et je m'en fous. Je sais juste que j'allais avoir de gros problèmes si j'avais laissé les flics venir et étudier le squelette. Ça vous suffit comme explicitation ? Cette situation est tout autant inconfortable pour moi qu'elle l'est pour vous, pour vous tous.

Il se dégagea de l'emprise du chef animalier et ajouta :

— Si vous avez besoin de quelque chose, adressez-vous à un des officiers. Je retourne dans ma chambre jouer à Pokémon comme vous dîtes.

Juan regarda le chef de la sécurité prendre la direction du manoir et retourna auprès de ses collègues.

Lorsqu'ils eurent finit de manger, le trio du GPD déposa ses plateaux près de la plonge et sortit de la tente.

— … Parce que si on réfléchit bien, moi je suis un vrai démocrate. George est un fasciste de merde. Un fasciste de merde ! Entendirent-ils quelqu'un pester.

— Il n'empêche, il faudrait qu'on en parle d'une manière ou d'une autre dans le reportage. Franklin, il faudrait que tu filme le Bauru et sa cicatrice demain, suggéra Zia.

— Je te rappelle que Lockwood a un droit de regard là-dessus, répondit-il. S'il n'as pas le temps ou l'énergie de s'en occuper, Mills le fera et selon Juan, ce dernier n'est pas net dans toute cette affaire. Laisse-tomber, il va nous dire de supprimer ce passage.

La vétérinaire se tourna vers le président de leur association.

— Qu'est-ce que tu en penses Alex ?

Jusque-là silencieux, ce dernier parut avoir un léger sursaut.

— Hein ? Ce que j'en pense ? Je ne sais pas, répondit-il d'un air indécis. Je crois qu'il faut mieux attendre la fin de l'opération avant de décider quoi que ce soit.

— Non mais il faut qu'on en parle au moins sur nos réseaux, Alexander ! Notre association sert à ça ! On ne peut pas fermer les yeux là-dessus !

— Je sais, Zia ! Mais on ne nous a pas acceptés au sein de cette opération sans contrepartie. Et l'une de celle-ci nous demande de faire preuve de discrétion jusqu'à l'expédition des animaux dans leurs nouveaux foyers. Essayons plutôt de régler ça à l'amiable avec InGen.

Zia s'arrêta et croisa les bras.

— Donc on est quoi ? Demanda-elle. Ses pions et ceux de la fondation Lockwood ? Un espèce d'outil de verdissement d'image ? J'ai rejoint le GPD pour aider ces animaux, pas pour couvrir ceux leur portant atteinte ! S'énerva-elle.

— Un accident a eu lieu et le Bauru a reçu une entaille. Ce n'est pas la fin du monde. Et ils ne sont pas du genre à se faire de cadeaux entre eux.

— Je ne parle pas que du Bauru balafré et du squelette ! Je parle de tout… ça ! Non seulement les enclos du camp sont médiocres mais certains animaux ont été transportés dans des conditions plus que discutables. Pierce a dû rester allongé dans un container de camion pendant une semaine entière, tout ça parce qu'InGen a refusé d'affréter un avion supplémentaire ! Franklin et moi n'avons pu embarquer à bord de l'Arcadia à cause de l'incident mais tu y étais toi. Certes, tu n'avais pas accès au matos de Franklin mais tu avais ton portable. Tu aurais pu prendre des photos ou filmer avec. Et qu'as-tu fait ? Hein ? Qu'as-tu fait ? Tu ne fais que poster des messages positifs sur nos comptes depuis que tu es allé à la réception au manoir.

— Je comprends ta frustration, Zia, dit Alexander calmement. Vraiment, crois-moi. Mais nous sommes tous très fatigués. Reparlons-en à tête reposée demain. Je te promets de trouver une solution, proposa-il en esquissant un sourire forcé. D'accord ?

— D'accord…, soupira-elle.

— Je vais faire un tour. On se retrouve au village.

Ils regardèrent leur chef s'éloigner en direction du manoir, se dirigeant vers une des allées de promenade.

— Moi qui croyais avoir réglé mes soucis avec InGen. Voilà que Lambert sous-entend que je suis un menteur. Je sens que ça va être reparti pour un tour, déclara Franklin d'un air maussade.

— Si il y a une chose que je sais, c'est que tu n'es pas un menteur, lui dit Zia.

Il ne put s'empêcher d'émettre un petit gloussement amer.

— Ben c'est vrai. Quand tu fais une bourde, au moins tu la fais honnêtement, ajouta-elle.

L'informaticien inclina la tête et soupira.

— Hé. Qu'est-ce qu'il y a ? Demanda-elle, inquiète.

Prenant son courage à deux mains, Franklin décida d'enfin avouer son secret.

— Je dois te dire quelque chose… Quelque chose que j'aurais dû te dire il y a des semaines. Il y a des mois… Non, juste après que j'ai rejoint le GPD. Ça te dérange si on va là-bas pour en parler, dit-il en désignant du regard un belvédère non loin.

Situé à une quarantaine de mètres des chapiteaux, celui-ci donnait sur les lagunes et le Pacifique, qui scintillait dans la lumière du soleil couchant.

— Ok…, dit-elle avec perplexité.

Ils allèrent s'asseoir sur le muret du belvédère et Franklin révéla à son amie les véritables raisons qui l'avaient poussé à rejoindre le Groupe de Protection des Dinosaures. Des passants virent la vétérinaire incliner la tête d'un air peiné et l'informaticien avoir un regard fuyant et honteux. Par la suite, on eut tôt fait de remarquer qu'ils eurent tendance à vouloir s'éviter.

Le surlendemain de la disparition du squelette, un hélicoptère blanc à bandes bleues atterrit sur la grande pelouse du manoir et débarqua Edward Torres, Alistair Iger ainsi qu'une avocate, la même qui était venue le jour du retour de Franklin. Ce trio se rendit directement dans le chapiteau de la vente, où George Lambert et Elijah Mills avaient convoqués tous les participants à l'opération pour une réunion de crise. Le responsable de la sécurité du camp d'InGen avait en effet parlé à son supérieur et à la direction d'InGen des vives réactions suscitées par l'affaire du squelette et afin de tuer dans l'œuf ce qu'ils craignaient être un début de mouvement gréviste voir séditieux, Susan Lynton avait envoyés Torres et Iger à Orick régler ça. A une semaine de la vente, il n'était pas question que les employés commencent à faire preuve de déloyauté, déjà que des traîtres avaient failli provoquer la ruine de l'opération à Burgo Nuevo… InGen avait assez d'ennemis en dehors de ses murs, elle n'en avait pas besoin en son sein.

Quelques furent les promesses… ou les menaces prononcées au cours de la réunion, les employés ne parlèrent plus du squelette par la suite. Du moins, pendant un temps…