— Non coupable ! Déclara le juge.
Claire Dearing et Owen Grady lâchèrent un soupir de soulagement, se regardèrent puis s'embrassèrent, contents que leurs démêlés avec les autorités costaricaines soient enfin terminés, tandis qu'au milieu du public ayant assisté à leur procès, Pedro Merced, venu à l'origine en tant que témoin et représentant d'InGen, se leva et prit la direction de la sortie. Dès qu'il fut hors du palais de justice d'Alajuela, il prévint Palo Alto du verdict rendu.
Si le procès avait eu lieu non pas à San José mais dans la ville d'Alajuela, à une demi-heure en voiture du centre-ville de la capitale, c'était car l'incident de Burgo Nuevo et la cavale qui en avait découlée s'était déroulés dans la province éponyme ainsi que celle de Puntarenas, avec la majorité des faits, et le plus graves d'entre eux, ayant eu lieu dans la première.
Pendant toute la matinée et le début d'après-midi du 6 août, une quinzaine de témoins avaient été appelés à la barre, parmi lesquels l'un des policiers qui les avait arrêtés au pont de la rivière Tarcoles, Elena et Alonso Baró, un garde du complexe portuaire d'InGen à Puntarenas, quelques employés du Site D, une serveuse de La Mule Bâtée qui avait vu le couple en compagnie de Rodrigue Santagar ou encore Basil Pabellón du Cañada de las águilas… Certains témoignages avaient été en faveur du couple, d'autres non. Bien sûr, InGen et ceux qu'elle avait soudoyés avaient accusé le couple non pas d'avoir assassinés Jocelyn Hodgson et le fermier Laureano Herrera, mais de ne pas leur avoir porté assistance lorsqu'ils furent attaqués par des dinosaures, ce que les rapports d'autopsie avaient clairement démontrés, tandis que le garde du complexe portuaire avait déclaré qu'ils avaient fait preuve de violence disproportionnée lors de leur fuite. Le juge avait doucement hoché de la tête en les écoutants et après la fin du défilé de témoins, alors que le jury débattait, Claire et Owen avaient ressenti une incertitude quant à leur situation et prié pour que tous les efforts qu'ils avaient accomplis depuis leur arrestation ne fussent pas en vain. Fort heureusement, Rodrigue Santagar avait tenu parole et, par un quelconque moyen, il avait dû persuader la justice d'être clémente envers le couple.
Lorsque celui-ci franchit les portes du palais de justice aux côtés de l'agent du DRS, des policiers écartèrent les manifestants qui s'y trouvaient pour laisser passer le trio. Tout en descendant les marches de l'entrée, ce dernier les regarda. D'un côté il y avait des haineurs qui brandirent d'odieux messages et vilipendèrent Claire lorsqu'elle passa devant eux mais elle les ignora et garda la tête haute, soupçonnant qu'une partie avait dû être payée par la direction d'InGen. De l'autre, des gens l'applaudissaient et l'acclamaient même…
Des applaudissements et des acclamations ?
Elle se tourna vers la source de ces applaudissements et acclamations. Elle vit des visages qui lui souriaient, ceux d'hommes et de femmes de leur âge, dont des couples, d'autres plus âgés et des jeunes aussi. La plupart avaient l'air d'être du pays et tenaient des pancartes sur lesquelles étaient écrit divers messages tels que « InGen sont les vrais coupables ! », « Ils sont innocents. Libérez-les ! », « Des héros, pas des criminels ! ». Agréablement surprise, Claire leur sourit en retour, tout en se demandant si ces supporters étaient une minorité ou non.
— Je ne m'attendais pas à ce que vous ayez des supporters, et encore moins à ce que ceux-ci viennent, nota Rodrigue en anglais.
— Bah écoutez, si un mec aussi con et odieux que Trump en a, pourquoi pas la reine déchue d'Isla Nublar ? Répondit-elle en haussant les épaules. Même si on met sur Youtube mes pires frasques, je suis sûre qu'il y en aura pour m'applaudir de façon non-ironique. Ça me donne presque envie de faire de la politique.
— De vous y remettre vous voulez vous dire ? Lui demanda l'agent du DRS. Vous en faisiez déjà lorsque vous étiez directrice de Jurassic World.
— Il marque un point, fit remarquer Owen à sa concubine.
— C'est une mauvaise idée tout compte fait, ça ne m'a pas réussi, dit-elle.
Ils atteignirent le trottoir et tournèrent pour se diriger vers leur voiture mais juste avant de monter à bord, Claire se figea de surprise en apercevant une jeune femme parmi la foule. Elle tenait une pancarte sur laquelle était collée une illustration de la directrice déchue. Elle la montrait tête nue mais revêtue de l'armure du Fantôme de Nublar, tenant son casque sous un bras et une épée dans l'autre, et semblant regarder au loin avec forte appréhension mais aussi du courage. En bas de l'illustration était écrit le mot Défier. Pour Claire, le message était clair : La jeune femme faisait partie de ceux qui croyaient, à raison, qu'elle était le Fantôme de Nublar et représentait une sorte de figure de rébellion.
Envers qui ? InGen ? Et dans ce récit, l'Indominus en serait une métaphore ?
Elle fut prise d'admiration pour le grand soin apporté dans l'illustration ainsi que sa fidélité car le dessinateur avait même pensé à dessiner son anneau par-dessus l'index du gantelet porté à la main droite, un anneau en argent orné d'une gemme rouge autour de laquelle étaient enroulés deux serpents. L'anneau qu'elle avait perdu lorsque le Fléau de Masrani lui avait arraché son avant-bras. Elle regarda son avant-bras et remarqua qu'elle n'avait même pas pensé plus tôt à mettre le gant en silicone par-dessus sa prothèse. Elle haussa discrètement les épaules, ce n'était pas grave du tout. Sur le coup, elle ressentit même l'envie d'enlever son demi-masque et de révéler son visage tel qu'il était, qu'importe ce qu'il susciterait chez les gens. Horreur, dégoût, compassion, quelque étrange attirance… Elle s'en moquerait. Elle en avait assez de porter ce masque à chaque fois qu'elle était en public, et si jamais elle voulait convaincre davantage de gens qu'elle était le Fantôme de Nublar, montrer sa balafre, la marque des terribles épreuves qu'elle avait traversée, pouvait être un bon point de départ.
— Claire. Montez avant que quelqu'un ne cherche à vous descendre, lui suggéra Rodrigue en ne plaisantant qu'à moitié.
Elle s'engouffra dans le véhicule, s'installant à l'arrière aux côtés d'Owen, et le chauffeur démarra, prenant la direction de la résidence qu'on leur avait attribuée, quelque part du côté de la circonscription d'Escazú, à l'ouest de San José.
Lorsqu'ils y rentrèrent aux alentours de dix-huit heures, le couple fut frappé par une grande fatigue, le contrecoup émotionnel due au procès et des tâches qu'ils avaient dû accomplir pour le gouvernement costaricain. Lors du raid sur l'entrepôt possédé par Sebastián Bonel, là où on avait trouvé le laboratoire et les Compsognathus, ils étaient restés en arrière aux côtés de Rodrigue mais on les avait quand même équipés de gilets pare-balles, au cas où. Juste avant, Claire se souvenait que certains membres de l'Unidad Especial de Intervencion lui avaient lancés des regards hostiles mais elle savait pourquoi : Plusieurs de leurs camarades avaient été tués sur Isla Nublar par l'Indominus lors de la Chute. Ensuite, ils avaient aidés les vétérinaires à soigner les Compsognathus et fournit des conseils au Parc zoologique et botanique national Simón Bolívar en vue de l'hébergement prochain des rescapés.
En plus de toute cette affaire du Bonbon de Licorne, ils avaient dû participer à deux sessions de traque dans la province de Guanacaste, une avant le raid sur les propriétés de Sebastián Bonel et une après. Au cours de ces sessions visant à essayer de retrouver Toro, ils avaient assistés des agents de la Force Publique et du Ministère de l'Environnement. Au cours de la deuxième session, ils avaient découverts des traces fraîches mais avant qu'ils puissent le rattraper, le carnotaure s'était replié dans une zone de forêt dense, où les véhicules ne pouvaient pas le suivre et où une traque à pied aurait pu rapidement virer au cauchemar, surtout que c'était arrivé peu avant la tombée de la nuit. Sachant qu'ils ne retrouveraient pas le prédateur avant le départ du couple, ou son incarcération si son plan s'avérait à échouer malgré ses efforts, Rodrigue avait demandé à Owen de donner une formation accélérée aux agents au sujet de la traque de dinosaures. Malgré les courts délais, Le soigneur s'était non seulement exécuté mais il leur avait aussi vivement recommandé de demander à Caer Draig s'il était possible d'organiser une formation plus complète avec les gardes gris, voire de demander s'il était possible qu'une équipe vienne sur le continent pour aider le gouvernement dans la traque de Toro.
Tandis que Rodrigue s'entretenait avec le garde assigné à la résidence, Claire ouvrit son ordinateur portable, se rendit sur sa boite mail et commença à composer un message destiné à Guillaume Vuillier. A côté, Owen écrivait à sa mère pour la prévenir aussi. Rodrigue vint leur apporter deux enveloppes.
— Tenez. Voici vos billets, dit-il en tendant l'une d'elle. Vous partez dimanche matin. Comme ça, vous aurez juste à temps pour vous reposer un peu avant de vous rendre à Orick pour la vente et en profiter pour régler tout ce bazar avec la fondation Lockwood. J'espère sincèrement qu'elle prendra votre parti et non celui d'InGen.
— Merci, lui dit Claire.
L'agent du DRS leur donna la seconde enveloppe, que lui et le garde avaient auparavant ouverte pour vérifier qu'elle était sûre.
— Et vous avez également reçu un petit cadeau, venant de San Francisco. C'est la part d'un ami à vous. Il a laissé un message à l'intérieur.
Elle regarda l'adresse d'expédition, hocha de la tête et posa l'enveloppe juste à côté de son ordinateur tandis qu'Owen regardait leurs billets d'avion pour indiquer à Caitriona leur heure d'arrivée à l'aéroport de Reno.
— Rodrigue. Merci pour tout, dit la directrice déchue.
— Mais de rien, répondit l'agent. Vous m'avez été d'une aide précieuse, vous savez. C'est moi qui devrais vous remercier. Tenez, ce soir je vous invite au restaurant pour fêter votre victoire au palais de justice et le début de notre amitié. C'est moi qui régale. Mais je vais vous laisser vous reposer un peu. Vingt-heures ça vous dit ?
— Ça roule, acceptèrent-ils.
Rodrigue acquiesça et quitta la résidence, laissant le couple seul. Venant de terminer son message adressé au directeur du CSMD, Claire l'envoya et commença aussitôt l'écriture d'un second email. Dans la case destinataire, elle entra l'adresse d'Elijah Mills, écrivit son message mais au moment de cliquer sur « Envoyer », elle hésita un instant, comme si elle savait qu'envoyer cet email n'en vaudrait pas la peine. Son regard dériva sur l'enveloppe à côté de l'ordinateur, celle expédiée de San Francisco.
