Le surlendemain, un hélicoptère d'InGen vint chercher Henry Wu et Elijah Mills au domaine Lockwood et emmena les deux hommes au sud, à Palo Alto. Convoqués par Susan Lynton, ils prirent la direction de la salle de réunion dès que l'hélicoptère les eut déposés sur le toit du siège social d'InGen et l'atteignirent rapidement. Situé dans l'un des derniers étages et de grande taille, la salle de réunion était dotée de luminaires, de murs gris et de grandes baies vitrées qui donnaient sur la baie de San Francisco. Au milieu d'un grand mur plaqué de bois, on pouvait voir le logo bleu d'InGen et le centre de la salle était occupé par une grande table autour de laquelle se tenaient déjà la présidente d'InGen, Alistair Iger, Dominick Silverman et Edward Torres. Dès que le généticien et le gérant de la fondation Lockwood franchirent le seuil, un vigile referma la porte derrière eux, afin qu'aucune oreille indiscrète n'écoute la réunion.
— Ed, quelle est la situation avec les animaux volés ? Demanda Lynton peu après le début de cette dernière tandis qu'Iger buvait un verre d'eau pour avaler les médicaments qu'il venait d'ingérer.
— Comme vous le savez, nous avons pu en récupérer une partie suite au raid il y a deux jours. Ceux-là ont été envoyés à Orick et les soigneurs les ont bien réceptionnés.
— Une partie… C'est ça qui me gêne.
Torres leur passa alors une liste, qui figurait les animaux récupérés et les animaux encore manquants :
Récupérés :
— 18 Compsognathus
— 2 Diictodon
— 2 Dimorphodon (tous)
— 1 Euparkeria (le seul)
— 5 Germanodactylus (tous)
— 6 Microceratus
— 5 Proterosuchus (tous)
— 10 Pterodactylus (tous)
— 2 Scutellosaurus (tous)
— 1 Seymouria (le seul)
— 6 Yinlong (tous)
Manquants :
— 2 Archaeopteryx
— 2 Beelzebufo
— 12 Compsognathus
— 1 Didelphodon
— 2 Diictodon
— 1 Longisquama
— 3 Microceratus
— 2 Moschorhinus
— 1 Pegomastax
— 2 Purgatorius
— 1 Simosuchus
— 1 Yi
— Comme vous pouvez le voir, le raid n'a été qu'une demi-victoire, déclara le directeur de la division sécurité. Je doute que nous reverrons ceux manquants, malheureusement. Nous pensons qu'ils ont déjà été expédiés par avion à l'étranger, probablement en Asie où ils deviendront des animaux de compagnie de luxe pour certains riches.
— Combien perdons-nous à cause de ce vol ? Demanda la présidente d'InGen en se tournant vers Dominick Silverman.
Le directeur financier releva les yeux de ses notes pour la regarder.
— Soixante-trois millions de dollars.
Lynton abattit la paume de sa main sur la table.
— Bon sang… Ils nous auront à l'usure s'ils recommencent ce genre d'opérations éclairs. Je suppose que les nouvelles du Costa Rica ne sont guère meilleures ? Il me semble avoir entendu que Bonnie et Clyde ont été libérés.
— En effet, c'est ce que Pedro nous a rapportés. Notre crédibilité en a pris un coup, soupira Iger. Déjà qu'elle a été mise à mal par tout le bordel avec le carnotaure et certaines rumeurs vous concernant, Ed, ajouta-il sur un ton de reproche en se tournant vers Torres.
— Vous et moi savons que ces rumeurs se basent sur du vent, rétorqua le directeur de la division sécurité, avant de regarder le reste de la tablée. Je n'ai jamais rencontré ce… Bonel.
— Sauf qu'en attendant, je dois gérer ces rumeurs et limiter les dégâts, dit le porte-parole avec irritation. Et la tâche est loin d'être aisée. Surtout que j'ai été occupé ces derniers jours avec le mouvement contestataire au domaine.
— L'affaire Germinal, nomma Lynton.
— Germinal ? Répéta Torres.
— Quoi vous ne connaissez pas Germinal ? Le bouquin d'Emile Zola ? Le film avec Gérard Depardieu ? Achetez-vous une culture, Ed, répliqua Lynton.
Elle se tourna ensuite vers Iger.
— Vous avez fait appel aux deux petits jeunes ? Vos bichons…
— Qui ? Jack et Timothy ? Oui, je l'ai fait.
— Oui, eux. Ils sont doués pour nous trouver des excuses, ils auraient pu vendre des boites de céréales dans une autre vie.
— Ça me rappelle ce qu'Isaac a dit un coup, se souvint Silverman.
— Lequel d'Isaac ? Demanda Mills.
— Clement, l'ex-directeur marketing du parc.
— Ah lui…
— Il a dit : Il ne faut jamais prendre les gens pour des cons mais il ne faut pas oublier qu'ils le sont. Ça m'avait beaucoup fait rire.
— Revenons-en à nos tourtereaux, proposa Lynton.
— Je suis d'accord, dit Wu. J'ai cru entendre qu'ils avaient découverts que j'ai séjourné à Burgo Nuevo pendant un temps. Ce n'est qu'une question de temps avant qu'ils ne me retrouvent. Et lorsque ce sera le cas, je crains ce qu'elle va tenter de me faire…
— Soyez sans crainte Henry, le rassura Lynton.
— Mais vous les avez accusés de crimes qu'ils n'ont pas commis, ajouta le généticien, presque sur un ton de reproche, en regardant la présidente, le porte-parole et le directeur de la division sécurité. Et j'ose espérer qu'ils ne figurent pas sur la liste des invités de lundi. Sinon, nous courons droit au désastre.
— Ne vous préoccupez pas d'eux, lui dit Lynton un peu sèchement. Ed, avez-vous déjà pris des dispositions à leur sujet ?
— J'ai demandé à Pedro de déployer un agent à l'aéroport Juan Santamaria, répondit le directeur de la division sécurité.
— Dès que nous connaîtrons leur date de départ, nous devrions aussi envoyer quelqu'un à leur aéroport d'arrivée, déclara la présidente. Mademoiselle Charteris par exemple.
— La secrétaire ? Demanda Mills. La même que vous avez envoyée accomplir l'opération Pot de Miel ? Quels ont été les résultats ?
— L'ours a tapé dedans. Plusieurs fois, répondit-elle avec satisfaction. Dominick, rappelez-moi de lui donner une petite augmentation. Elle a fait du bon travail, elle le mérite.
Le directeur financier acquiesça.
— Vous croyez que Guillaume Vuillier sera un problème ? Demanda Wu. Je me souviens qu'il a été très… inquisitif lors de sa visite à Orick.
— Non, il ne le sera pas, affirma la présidente.
— Comment pouvez-vous en être vraiment sûre ? S'enquit Mills, qui avait du mal à cacher son inquiétude à ce sujet.
— Faîtes-moi confiance. S'il tente quelque chose, alors on saura agir en conséquence. On a à s'inquiéter ni du Centre de Surveillance Mondial de la Désextinction, ni du Groupe de Protection des Dinosaures. Avec ce dernier, Benjamin a eu l'intelligence d'appliquer un grand classique de la compagnie inventé par le bon vieux Hammond en 93. C'est dans les vieilles marmites qu'on fait les meilleures soupes, déclara Lynton. N'êtes-vous pas d'accord, Eli ?
— Je le suis.
— Et bientôt, nous n'aurons plus à nous inquiéter du gouvernement. Et même, nous collaborons encore autour du projet Ellis. Nos atouts les intéressent encore.
— Le projet Ellis, la lubie de Kent… Une vulgaire béquille, marmonna Torres avec médisance.
— En attendant, ce programme est une béquille bien pratique, rétorqua Iger. Si jamais les choses ne..
— Les choses vont à merveille avec le projet Giger, affirma fermement Torres tout en regardant Wu et Mills. Il fera passer le projet Ellis pour un vulgaire programme d'entraînement de chiens d'attaque.
— Ou soyons-juste satisfaits qu'un de ces projets soit prometteur et que l'autre marche déjà, proposa le porte-parole. L'armée est satisfaite de ses résultats obtenus depuis un an en Afghanistan et le long de la frontière Irako-Syrienne contre les mecs de DAECH. De ce que j'ai entendu, ils n'auraient rien compris à ce qui leur est arrivé.
— Je partage le sentiment d'Alistair, déclara Lynton. Je pense qu'au moment venu, le gouvernement serait aussi disposé à s'intéresser au projet Giger avant de vouloir l'arrêter.
Un peu plus tard, la présidente d'InGen annonça la fin de la réunion et lorsque tous, à l'exception d'elle et de Mills, toujours assis sur sa chaise, quittèrent la salle, elle alla fermer la porte et alla s'asseoir sur la table, tout près du gérant de la fondation Lockwood.
— Eli…, commença-elle doucement. Vous et Benjamin êtes ceux qui ont impliqués Madame Dearing et Monsieur Grady dans l'opération. Il vous revient donc de nous assurer qu'ils ne représenteront plus un problème.
Elle se pencha alors vers lui pour réajuster sa cravate.
— Et si vous pouviez tirer quelque bénéfice pécuniaire du projet Giger au cours de votre petite contre-soirée lundi, ce serait formidable, poursuivit Lynton.
Il tourna la tête sur le côté, en direction de la porte, mais elle ajouta :
— Non, inutile d'en parler à Henry. Si vous accomplissez avec brio les missions que je vous confie, alors vous serez hautement récompensé, Eli.
Il vit qu'elle désignait du regard la table de réunion et ses chaises, celles occupées la plupart du temps par les membres du conseil d'administration. Lorsqu'elle lut dans ses yeux qu'il l'avait comprise, elle lui toucha affectueusement l'épaule et lui sourit.
Il prit congé d'elle et quitta la salle. Alors qu'il cherchait Edward Torres dans le bâtiment, il sortit son téléphone et appela Gunnar Eversol, un expatrié britannique vivant dans la région de San Francisco et travaillant comme commissaire-priseur. Cela faisait des mois qu'il était en contact en lui et c'était le petit blond à gueule de bouledogue qu'il avait rencontré pour la première fois et présenté au conseil d'administration d'InGen lors de la réception de mars.
— Oui, Monsieur Eversol ? C'est Eli Mills, dit-il lorsque son contact décrocha.
— Que voulez-vous ?
— J'aimerais vous prévenir que je compte effectuer une petite modification dans le programme de notre soirée Lundi.
— Je croyais que nous l'avions définit en détails, dit Eversol d'un ton agacé. Si je dois informer mes clients que…
— Vos clients vont apprécier ce changement, je le crois sincèrement, le coupa Mills.
— Arrêtez de tourner autour du pot et dîtes-moi de quoi il en retourne.
— Vous arrivez quand à Eureka ?
— Dimanche, dans l'heure de midi.
— Alors venez au manoir en début d'après-midi, proposa le gérant de la fondation Lockwood. Je vais vous montrer.
— D'accord. Je viendrais. Mais ça a intérêt à en valoir la peine.
— Vous ne serez pas déçus.
Ils mirent fin à leur conversation et Mills rangea son téléphone. Il trouva Torres peu après près d'une machine à café.
— Je suppose que vous avez parlé avec Susan de Bonny et Rackham ? Demanda le directeur de la division sécurité.
— Oui. Elle veut que je règle leur cas… qu'on règle leur cas.
Torres tourna la tête et regarda Mills tout en buvant son café. Dans un murmure irrité, le gérant de la fondation Lockwood ajouta :
— Vos petits amis au Costa Rica ont échoués à les envoyer six pieds sous terre. J'ai perdu du fric dans cette histoire. Je croyais que je pouvais compter sur vous.
— Ne me regardez pas comme ça. J'ai aussi l'impression d'avoir été floué. Je croyais que Bonel allait envoyer certains de ses meilleurs hommes, pas des bleus-bites n'ayant jamais quitté leur ghetto ou presque. Rackham et Bonny s'attendront à voir d'autres assassins à leurs trousses. Il faut changer de stratégie pour mieux les duper.
— Je le crois aussi.
Mills se rappela alors d'une information capitale.
— Ils ont laissé quelque chose de précieux avant de partir au Costa Rica, et ils iront le récupérer dès qu'ils rentreront. Vous n'avez qu'à tendre un filet et d'ici dimanche minuit, nous aurons le cerf, la biche et leur faon pris dedans.
Torres regarda Mills d'un air étrange pendant un instant, ne voyant pas ce qu'il entendait avec cette histoire de cerf et de biche mais réfléchissant, il comprit ce qu'il lui demandait, et sut comment il pourrait trouver le lieu où le faon a été laissé. Il hocha de la tête.
— Je vais passer aux ressources humaines.
— Faîtes, je les veux hors d'état de nuire d'ici lundi soir. Ne les tuez pas cependant, leur disparition le soir de leur retour attirait la suspicion. Contentez-vous de les capturer et de les amener. Nous déciderons quoi faire d'eux ensuite.
— Très bien.
