Cela faisait longtemps... J'ai du mal à me remettre à l'écriture, mais j'espère que ce mini-chapitre vous plaira.


Comme toujours, il avait belle allure. Son regard était vif, son visage énergique, ses cheveux luisants, et que dire de sa moustache parfaitement taillée ? Il aurait certes aimé être un peu plus grand, mais son corps trapu et musclé compensait ce manque de hauteur. Quand il marchait ainsi dans les rues de Paris avec sa rutilante casaque rouge, les femmes se pâmaient sur son passage tandis que les malandrins baissaient la tête devant le premier lieutenant de la compagnie des gardes du Cardinal.

Jussac déambulait ainsi fier comme Artaban quand une silhouette très reconnaissable assombrit son humeur… Porthos ! Il avançait face à lui en discutant avec animation avec une demoiselle blonde… Plutôt mignonne au demeurant !

Il réprima alors les railleries qui ne manquaient jamais de lui monter aux lèvres quand il croisait un des quatre paltoquets préférés de Tréville. Il savait se comporter devant une dame ! Bien sûr, s'il avait été accompagné de ses hommes, il aurait expliqué à la jeune fille d'éviter la compagnie de ces butors, mais il ne pouvait prendre de tels risques devant une frêle créature. Ce Porthos était une horrible brute ! Il aurait pu la blesser ! Jussac était toujours attentif à protéger les représentantes du sexe faible.

- Bien le bonjour, monsieur le mousquetaire ! déclara-t-il avec onctuosité.

- Jussac, répondit laconiquement le colosse.

- Vous êtes Monsieur de Jussac !

L'enthousiasme de la demoiselle remua le corps du fringant garde. Il savait qu'il plaisait aux dames, mais elles lui manifestaient rarement autant d'ardeur…

- J'ai tellement entendu parler de vous ! babillait-elle. Il paraît que vous avez été fort méchant avec mon frère !

Son frère… Il s'assombrit aussitôt. Comment avait-il pu ne pas être frappé par la grande ressemblance de cette blonde avec l'un des mousquetaires les plus détestables ? À sa décharge, Aramis était un pédant freluquet qui n'inspirait que du mépris à tout homme digne de ce nom quand sa sœur était toute de grâce et de féminité.

- Pourquoi cette mine maussade tout d'un coup ? continua-t-elle avec des yeux pétillants d'une malice qui augurait bien des délices. Je sais que mon frère est un insupportable raseur ! J'aurais été ravie de le voir rabrouer par un si bel…

- Il suffit ! gronda Porthos.

Avant que Jussac ait pu dire un mot, le butor avait empoigné la délicate jouvencelle et l'avait entraînée loin de lui. Sœur d'Aramis ou pas, il faudrait la délivrer de ces rufians… Il allait réfléchir à un audacieux traquenard pour accomplir cette noble entreprise.


Après s'être changé, Aramis avait passé deux bonnes heures à botter tous les derrières des jeunes et moins jeunes recrues de la compagnie. Finalement, un Tréville excédé l'avait convoqué dans son bureau pour le sermonner.

- Il me semble voir un adolescent débordant de testostérone… Et encore, même D'Artagnan ne s'est jamais conduit avec autant de désinvolture… Non, ne m'interrompez pas ! Je ne veux pas vous entendre ! Vous devez être un exemple pour vos camarades ! Vous ne devez pas vous conduire ainsi ! Et je ne parle même pas de votre tenue négligée !

Athos s'était introduit dans la pièce afin d'expliquer la nouvelle situation d'Aramis au capitaine, mais était resté coi… Il aurait donné sa vie pour son camarade. Il se couperait un bras pour lui… deux même ! Et même une jambe ! Mais expliquer à son vénérable supérieur qu'Aramis devait gérer de nouveaux organes dépassait les limites de sa solidarité… En plus, le brave homme risquait de faire une crise d'apoplexie ! Non, il fallait ménager leur capitaine ! Il n'était plus si jeune ! Presque quarante ans !

- Au lieu de traumatiser vos camarades, prenez quelques hommes avec vous pour relever les gardes actuellement en faction au Louvre !

- À vos ordres, capitaine ! répondirent les deux mousquetaires d'une même voix.

- Non, restez, Athos ! Nous allons laisser votre camarade décharger son trop plein d'énergie sans vous !

Quoi ? Non, c'était une très très très mauvaise idée… une idée catastrophique même ! Non, non, il ne fallait pas laisser cette boule de testostérone sans surveillance avec d'innocentes recrues… Sans parler de ce qui se passerait s'il croisait un garde du Cardinal ! Non, il fallait empêcher ce désastre… Mais Aramis quittait déjà le bureau…

- Capitaine, je crois qu'il serait préférable que je les accompagne. Aramis n'est pas dans son état normal aujourd'hui…

Tréville considéra le visage paniqué de son si stoïque mousquetaire, puis après un rapide coup d'œil pour vérifier que la porte était bien refermée, il se pencha pour chuchoter d'un air gêné :

- Serait-elle indisposée aujourd'hui ? Nous n'avons encore jamais eu ce type de souci avec Aramis…

- Indispo… Pardieu, non ! s'exclama Athos saisi d'horreur à cette seule pensée. C'est tout l'inverse…

Le sourcil gauche du capitaine se fronça peignant sur sa fière figure une perplexité non feinte avant de se figer en une expression sévère.

- Athos, je sais que vous avez certaines faiblesses, mais nous étions convenus que vous ne vous enivreriez jamais avant une journée de travail !

Peste ! Il n'avait pas bu une goutte d'alcool depuis la veille ! Et même s'il l'avait fait, cela n'aurait rien changé ! Contrairement à ses camarades, il pouvait vider un tonneau entier sans que cela ne limitât le moins du monde ses facultés… D'ailleurs, il aurait mieux fait de boire un petit verre – et même plusieurs ! – avant d'aller chercher Aramis ce matin. Cela aurait rendu cette journée infernale plus supportable… Ventre-saint-gris, s'il racontait la vérité à son capitaine, il penserait qu'il était en brindezingue après s'être noyé dans une bouteille !

Quand son supérieur eut terminé ses remontrances, Aramis était parti depuis longtemps avec quatre inconscients qu'Athos devait sauver. Le mousquetaire grimpa sur son cheval et se dirigea vers le Louvre. Tant pis si Tréville l'admonestait plus tard !


Porthos entraînait la jeune fille dans une ruelle en la maintenant par la manche. Seule la qualité du tissu l'empêchait de l'agripper plus fortement. Il bouillonnait de rage, mais il avait le sens des priorités : embrocher un garde du Cardinal était tout à fait acceptable, déchirer une belle étoffe serait une tragédie.

- Quelle était cette comédie ? vitupéra-t-il quand ils furent hors de portée de toute oreille indiscrète. Vous faites les yeux doux à cet infâme maroufle ! Et vous insultez Aramis de surcroît ! Je sais que vous avez…

- Oh Porthos, arrêtez un peu ! l'interrompit-elle en levant les yeux au ciel. Je suis Aramis… Enfin, je l'étais… Vous pensez peut-être que le rustre qui a gardé les muscles et hérité d'une verge est le véritable Aramis, mais j'étais là quand Jussac a insulté Aramis devant une foule ricanante… C'est moi qui ai été outragée ! Ce faquin m'a traitée de femme comme si c'était la pire des offenses ! Comme si c'était synonyme de lâcheté et de faiblesse ! Il va comprendre qu'une femme peut être bien plus dangereuse qu'un homme !

Dans les grands yeux clairs de Renée, Porthos ne voyait plus nulle langueur ou coquetterie mais la colère et la détermination qu'il avait vues si souvent dans le regard de son compagnon d'armes.