Le Chant de la Planète
Livre I : Origines
Chapitre VIII
Panser les blessures
Era 1967
" La douleur est un siècle et la mort un moment."
Jean-Louis Baptiste Gresset
Merci à Mélior Silverdjane, Lunagarden, et emokami pour leurs reviews.
Voici le chapitre de septembre 2014 en retard (je rappelle que normalement, j'étais censée diffuser au moins un chapitre par mois, mais ^^; ...).
Celui d'octobre 2014 est toujours à 7 pages. Je n'ai pas trop avancé, on a pas mal bougé la semaine dernière ... Encore des affaires du grand-père à mettre à la déchetterie ... j'espère pouvoir diffuser celui-la ce mois-ci, au pire, ce sera pour mai.
Era 1967, trois jours plus tard après l'attaque, Cosmo Canyon.
Les survivants purent enfin achever leurs réparations sommaires, apporter les soins aux blessés, et s'occuper de leurs protecteurs morts pour leur patrie. Cependant, la colère des rescapés grondait contre un liongre en particulier : Seto. Ce lâche qui les avait quittés au moment critique. Ils le haïssaient pour avoir fait une chose pareille. Bien sûr, Bugenhagen savait ce que les gens disaient et pensaient, et cela lui déchirait le cœur. Cacher la vérité aux autres était si dur…
Pourtant, il se devait d'honorer sa promesse envers le couple. Il ne comprenait pas pourquoi ce dernier lui avait ordonné de taire le rôle de l'époux dans cette bataille qui aurait pu leur coûter bien plus cher, mais supposa que le guerrier avait ses raisons. Ça faisait mal… si mal de connaître les faits, et de ne pas pouvoir les révéler parce qu'il était un homme de parole… d'entendre les insultes et les théories les plus sordides et les plus humiliantes qui soient pour la « désertion » de Seto, de la lâcheté jusqu'à la trahison.
Les liongres survivants qui savaient la vérité et, disons-le franchement, étaient agacés par l'ignorance des deux pattes, avaient décidé de quitter le Cosmo Canyon après la cérémonie d'adieu aux guerriers morts pour la ville. Ils préféraient s'isoler des humains, mais n'abandonnaient pas totalement ceux qu'ils avaient protégés pendant si longtemps. Ils assurèrent qu'ils continueraient leurs patrouilles pour que les voyageurs puissent accéder aux habitations et qu'ils viendraient pour la fête annuelle d'Ifrit. Après tout, c'était ce dieu qui les avait réunis…
Ce jour-là – ou plutôt je devrais dire ce crépuscule-là –, les villageois se mirent tous en rond autour de la Bougie Cosmo. Ils laissèrent juste une ouverture pour que les transporteurs funéraires puissent passer afin de jeter les morts dans le feu. Nés des flammes de leur dieu protecteur, ils retournaient à celles-ci… Bugenhagen présidait la cérémonie, non seulement en tant que chef, mais aussi en tant qu'ami proche de la plupart des décédés. Le vieil homme soupira tandis qu'il se mettait debout avec difficulté. Ses blessures aux chevilles n'étaient toujours pas guéries, et, il devait l'admettre, ça commençait à l'inquiéter.
Cette guerre lui avait fait réaliser à quel point la vie était fragile et précieuse sur Gaïa… que c'était dur de devoir dire « au revoir » à des camarades chers… Nanaki était assis à ses côtés, silencieux, le museau baissé de tristesse et de honte. Il sentait tous ces regards sombres et accusateurs sur lui. Le chef du village se retint de faire une remarque acerbe, qui n'aurait pas eu sa place ici. Le petit faisait partie des quelques liongres qui restaient et il n'avait pas envie qu'il vive sans arrêt exclu.
« Avant de commencer, j'aimerais vous informer de quelque chose, mes amis. » souffla le proche de Kenmei.
Tout le monde l'observa avec curiosité. Il était exceptionnel que Bugenhagen fasse une déclaration avant une cérémonie d'adieu, mais en général, ce n'était pas pour rien. Face au silence intrigué qu'il entendait, le maire sentit qu'il pouvait parler sans problème et qu'il avait toute l'attention des habitants.
« Je sais que vous en voulez tous à Seto pour avoir fui. Cependant, Nanaki n'est pas son père. Souvenez-vous qu'il est aussi le fils de Kenmei, qui, elle, a combattu jusqu'à la fin.
- Quelle garantie avons-nous qu'il ne va pas se conduire comme ce lâche ? » persiffla Hago.
« Je ne suis pas mon père ! » lâcha Nanaki, hargneux, blessé et outré qu'on ose penser qu'il était comme lui. « Je le hais de toutes mes forces, encore plus que vous, parce qu'il n'était même pas là quand mama est morte alors qu'elle le réclamait !
- C'est ce que tu dis ! Mais nous n'avons aucune preuve que tu ne vas pas nous abandonner, liongreau. » acheva une femme d'un ton empli de mépris sur le dernier mot.
Cette phrase provoqua une vague de grondements dangereusement sourds de la part des descendants d'Ifrit survivants, qui fixèrent avec colère celle qui avait inconsidérément lancé cette remarque. Celle-ci, d'ailleurs, sembla perdre courage et se recula d'un pas, un peu effrayée à l'idée de se faire attaquer et déchiqueter en morceaux pour sa pique assassine.
« Assez ! » fit le maire du village d'une voix forte et sèche pour couvrir les accusations et les insultes qui commençaient déjà à fuser entre le clan des humains et celui des liongres, le regard cependant peiné.
« Ne pensez-vous pas qu'il y a eu assez de morts comme ça lorsque les Gis nous ont assaillis ? Qu'il n'y a pas eu assez de rage et de pleurs, de séparation et de douleur ? Vous souhaitez poursuivre sur cette voie et provoquer une nouvelle guerre, alors qu'on vient à peine à panser nos blessures ? Continuez comme ça, et les Gis profiteront de nos querelles intestines pour se rassembler à nouveau et nous éradiquer ! C'est ça que vous voulez ?! Attrister ceux qui ont péri pour nous protéger, et déclencher notre destruction totale ?! Parce que vous êtes bien partis pour, jeunes imbéciles !
- Mais, Bugenhagen, c'est elle qui… » plaida l'un des liongres.
Il se tut cependant lorsque l'homme leva une main pour le couper dans sa défense.
« Je ne veux rien entendre, Sarza, même si effectivement, Mona est en tort. Aujourd'hui est un jour de deuil et de recueillement, où nous devons nous montrer unis face à l'adversité et la douleur de l'absence de nos êtres chers. Ce n'est pas un jour pour la guerre. Nous ne sommes pas des protégés d'Odin ou des Chevaliers de la Table Ronde, mais d'Ifrit ! Il n'a jamais aimé les querelles ! Montrez-vous dignes de lui, ou partez ! »
Mouchés par la remontrance de leur dirigeant, liongres et humains baissèrent la tête, honteux. C'était vrai… Cette bataille avec les Gis avait provoqué bien trop de torts, bien trop de maux…
« Nanaki était, comme il vient de le dire, présent lors de la mort de sa mère. » poursuivit le vieillard, d'un ton calme mais ferme, signe qu'il n'accepterait pas les interruptions intempestives et inutiles. « Une telle perte ne peut que l'encourager à faire en sorte de ne pas suivre l'exemple de son père. Cependant, je vous demanderai de ne pas juger ce dernier trop vite. Nous ne savons pas pourquoi il a quitté le champ de bataille, c'est un fait. Je suis sûr d'une chose : Seto est un liongre d'honneur. Il n'aurait jamais abandonné les siens. Nous aurions vu les signes s'il avait décidé de nous vendre aux Gis. Je compte continuer mon enquête sur lui. Si vraiment il a trahi le Cosmo Canyon, je vous en informerai. » acheva-t-il.
« Ce qui ne risque pas… Si seulement je pouvais leur montrer que Seto était bel et bien une personne digne de confiance… Malheureusement, je dois tenir ma langue, même si cela est difficile… Nanaki, pardonne-moi… » songea le vieillard, attristé de devoir garder le silence sur cette promesse jusqu'à ce que le fils de Kenmei et Seto soit suffisamment mature pour connaître la vérité.
Il espérait juste pouvoir être encore en vie quand le temps viendrait.
Les habitants acquiescèrent. Oui, Bugenhagen avait raison… Seto ne les avait jamais abandonnés. Quelle que soit la situation du village, il avait toujours été là pour eux. Le maire soupira, puis se secoua la tête. Il avait une cérémonie d'adieu à présider et à mener à bien. Il fit signe au souffleur, qui patientait tranquillement près de la corne de Béhémoth Alpha, de faire son office. Celui-ci s'exécuta.
Contrairement au soir de l'attaque, le son, bien que grave, était plus triste, empreint de peine. Les transporteurs funéraires arrivèrent alors à la suite de la mélodie, drapés dans des étoffes de couleur orange, tandis qu'ils soulevaient les brancards des combattants morts pour le village. Les liongres décédés n'avaient pas de vêtements à l'opposé des humains, pudiques depuis les âges obscurs.
Avec douceur et respect, chaque corps fut basculé dans les flammes. Les porteurs se reculaient du brasier à chaque fois afin d'éviter de se faire toucher par les braises et les étincelles qui jaillissaient lorsque le cadavre commençait à être dévoré par le feu. Nul ne sut combien de temps ils restèrent là, à regarder leurs amis et leurs familles disparaître dans la Bougie Cosmo.
Le soleil s'était enfin couché et laissait place à la nuit et ses mystères. Silencieux, les survivants observèrent le dernier lieu de repos de leurs morts alors que la lumière de la fournaise creusait davantage leurs traits tirés par la peine. Les liongres inspirèrent, puis levèrent le museau vers la lune et hurlèrent à l'unisson pour un ultime hymne d'adieu à leurs pairs. Les humains se fixèrent, incertains, puis décidèrent d'imiter leurs protecteurs.
Leurs yeux se portèrent sur Mona, qui baissa la tête comme si elle savait ce qu'ils allaient lui demander. Il était vrai qu'elle était l'une des meilleures chanteuses du village. Elle soupira, puis plaça ses deux mains à plat à l'emplacement de son cœur avant de contempler la Bougie Cosmo et de commencer à fredonner. À sa grande surprise, malgré la querelle qu'elle avait provoquée, tous les habitants l'accompagnèrent dans sa mélopée. Son être chauffa agréablement, tel un phénix qui s'embrasait à la fin de sa vie pour mieux renaître de ses cendres. Ils lui pardonnaient…
Les hommes psalmodièrent tandis que quelques personnes sortaient des instruments à corde, à vent et à percussions. Néanmoins, l'élément principal de la chanson, c'était les voix humaines et liongres.
I close my eyes, tell us why must we suffer
(Je ferme les yeux, dites-nous pourquoi devons-nous souffrir)
Release your hands, for your will drags us under
(Relâchez votre poigne, car votre volonté nous engloutit)
My legs grow tired, tell us where must we wander
(Mes jambes se fatiguent, dites-nous où devons-nous errer)
How can we carry on if redemption's beyond us ?
(Comment pouvons-nous continuer si la rédemption est hors de portée ?)
Mona inspira profondément, puis commença à chanter d'une voix claire et douce.
To all of my children in whom Life flows abundant
(À tous mes enfants en qui la vie coule en abondance)
To all of my children to whom Death hath passed his judgement
(À tous mes enfants que la Mort a jugés)
The soul yearns for honor, and the flesh the hereafter
(L'âme aspire à l'honneur, et la chair au futur)
Look to those who walked before to lead those who walk after
(Regardez ceux qui vous ont précédés pour diriger les générations futures)
Shining is the Land's light of justice
(La lumière de justice de la Terre est resplendissante)
Ever flows the Land's well of purpose
(La Terre est une source intarissable de raison d'être)
Walk free, walk free, walk free, believe...
(Sois libre, sois libre, aie foi...)
The Land is alive, so believe...
(La Terre est vivante, alors aie foi...)
À ce moment-là, le chœur prononça un mot, et la chanteuse, une autre. Les deux « clans » s'accordaient assez bien malgré la différence de ton et de son.
Suffer (Feel) Promise (Think) Witness (Teach) Reason
(Souffre (Ressent) Promet (Réfléchis) Observe (Enseigne) Raisonne)
(Hear) Follow(Feel) Wander (Think) Stumble (Teach) Listen
((Entend) Suis (Ressent) Erre (Réfléchis)Trébuche (Enseigne) Écoute)
(Speak) Honor (Speak) Value (Tell) Whisper(Tell) Mention
((Parle) Honore (Parle) Estime(Révèle) Murmure (Informe) Mentionne)
(Hope) Ponder (Hope) Warrant (Wish) Cherish(Wish) Welcome
((Espère) Considère (Espère) Garantis(Souhaite) Chéris (Souhaite) Accueille)
(Roam) Witness(Roam) Listen (Roam) Suffer (Roam) Sanction
((Parcours) Observe (Parcours) Ecoute (Vagabonde) Souffre (Erre) Approuve)
(Sleep) Weather (Sleep) Wander (Sleep) Answer
((Dors) Supporte (Dors) Erre(Dors) Répond)
Sleep on
(Continue à dormir)
Mona chanta à nouveau seule, mais elle semblait à présent s'impliquer complètement dans la chanson.
Now open your eyes while our plight is repeated
(Maintenant ouvre tes yeux pendant que nous répétons notre complainte)
Still deaf to our cries, lost in hope we lie defeated
(Toujours sourd à nos cris, perdu dans l'espoir nous reposons vaincus)
Our souls have been torn and our bodies forsaken
(Nos âmes ont été déchirées et nos corps délaissés)
Bearing sins of the past, for our future is taken
(Pliés sous les péchés du passé, notre futur est compromis)
War born of strife, these trials persuade us not
(Une guerre, née de notre lutte, mais ces épreuves ne nous arrêtent pas)
(Feel what? Learn what?)
(Ressentir quoi ? Apprendre quoi ?)
Words without sound, these lies betray our thoughts
(Des mots, sans un son, ces mensonges trahissent nos pensées)
Mired by a plague of doubt, the Land, she mourns
(Empêtré par une épidémie de doutes, la Terre pleure)
(See what? Hear What?)
(Voir quoi ? Entendre quoi ?)
Judgment binds all we hold to a memory of scorn
(Le jugement relie tout ce qui nous est cher à un souvenir de rejet)
Tell us why, given Life, we are meant to die, helpless in our cries?
(Dites-nous pourquoi nous recevons la vie, si ce n'est que pour mourir, sans échappatoire à nos tourments ?)
La « bataille » de chœurs recommença. Toujours aussi puissante, aussi prenante. Bugenhagen eut l'impression de sentir son être frémir face à ce « combat ».
Witness (Feel) Suffer (Think) Borrow (Teach) Reason
(Témoigne (Ressens) Souffre (Réfléchis) Emprunte (Enseigne) Raisonne)
(Hear) Follow (Feel) Stumble (Think) Wander (Teach) Listen
((Écoute) Suis (Ressens) Trébuche (Réfléchis) Erre (Enseigne) Écoute)
(Blink) Whisper (Blink) Shoulder (Blink) Ponder (Blink) Weather
(Cligne) Murmure (Cligne) Soutiens (Cligne) Considère (Cligne) Supporte
(Hear) Answer (Look) Answer (Think)
((Entend) Répond (Regarde) Répond (Pense))
Answer together
(Répondez ensemble)
Mona + choeur
Thy Life is a riddle, to bear rapture and sorrow
(Ta vie est une énigme, pleine de joies et de peines)
To listen, to suffer, to entrust unto tomorrow
(Écoute et souffre, aie foi en l'avenir)
In one fleeting moment, from the Land doth life flow
(En un moment éphémère, le sang de la Terre s'écoulera)
Yet in one fleeting moment, for anew it doth grow
(Mais seulement pour un moment éphémère, car elle renaîtra à nouveau)
In the same fleeting moment
(En ce même moment éphémère)
Thou must live
(Tu dois vivre)
Die
(Mourir)
And know
(Et Savoir)
(NDA : Paroles de la chanson « Answers », du jeu Final Fantasy XIV. La mélodie est composée par Nobuo Uematsu, et arrangée par Tsutomu Narita. Les paroles sont de Yaeko Sato, et chantées par Susan Calloway. J'ai trouvé que ça collait bien.)
Lorsque la mélodie des humains et des liongres se tut, se regardèrent, les yeux emplis de tristesse et de peine, puis contemplèrent les flammes, silencieux et pensifs. Petit à petit, la fatigue et la lassitude suite à la bataille et aux réparations s'emparèrent d'eux, mais ils ne voulaient pas quitter leurs morts. Ils se couchèrent à même le sol, comme Ifrit avant eux, sur ce petit plateau. Progressivement, le sommeil recouvrit leurs êtres.
Cependant, soucieux, Bugenhagen mit plus de temps à s'endormir. Les Shinra qui créaient une société d'armement, les Gis qui les avaient attaqué, sans compter l'apparition brève de la déesse de la douleur par Taahrun, Innyatima, dont la chute avait été tout aussi soudaine… Tout ça ne lui disait rien qui vaille. Un mauvais pressentiment étreignit son esprit préoccupé. Il avait l'intuition que leur monde allait bientôt connaître des évènements bien plus sombres…
Comme pour confirmer ses craintes, une plainte discrète, mais claire et vibrante de souffrance, qui semblait émaner des entrailles de Gaïa elle-même, se fit entendre. Elle s'insinuait lentement en lui, agita son cœur, ses os et ses mains…
Cependant, il était le seul à l'écouter. Les autres dormaient profondément, trop écrasés par la perte des leurs pour s'inquiéter des larmes de la Planète.
Il fut ainsi l'unique personne à être suffisamment soucieuse pour l'avenir du monde.
