Neris était chanceuse, elle se trouvait non loin du bâtiment qui servait d'accès à la Grille. Elle en prit alors la direction, sa main droite jamais bien loin de sa cuisse droite, où était attaché un petit bâtonnet qui pourrait l'aider à se battre si besoin, sans qu'elle n'ait à sortir son disque, légèrement plus lent à dégainer.
Rapidement, elle parvint à l'axe qu'elle souhaitait rejoindre, et elle remarqua aussitôt quelqu'un : une silhouette s'agitait en tout sens, et le programme au milieu de la voie semblait réellement paniqué. Mais s'agissait-il réellement d'un programme ?
« Hé, toi ! » l'interpella Neris en s'approchant d'un pas rapide et assuré.
La silhouette masculine fit volte-face pour la regarder, et Neris eut un peu plus d'espoir en remarquant qu'aucune ligne lumineuse n'ornait sa tenue.
« Qui es-tu ? D'où viens-tu ? l'interrogea-t-elle après avoir vérifié que personne ne rodait autour d'eux.
— Je… je m'appelle Sam Flynn, je suis sorti de ce bâtiment, mais c'est pas normal, j'étais dans un bureau caché dans la boîte de mon père et… et… »
La fin de sa phrase se perdit dans son anxiété évidente, et le cœur de Neris manqua d'exploser d'excitation. Le fils de Kevin Flynn, il était là, devant elle. Il venait du monde des humains, de leur monde, et le portail venait de s'ouvrir. Il y avait une chance.
« Il ne faut pas que tu restes là, commença Neris avec précipitation. Ils ne doivent pas te trouver. Les utilisateurs sont rares dans le coin, et s'ils apprennent en plus que tu es le fils du grand concepteur, tu vas passer un sale quart d'heure.
— Quoi ? Pourquoi ? Que… qu'est-ce qui se passe exactement ?
— Tu es dans la Grille, Sam. Et accessoirement dans la merde aussi, mais bon. Tu ne dois pas laisser les programmes en orange qui cachent leur visage t'approcher.
— Les programmes en orange ? La Grille ? répéta le jeune homme aux courts cheveux châtains, incrédule.
— Le monde numérique que ton père a créé il y a des années, ce monde qui se transforme en cage si on ne parvient pas à en sortir rapidement. Et moi je suis Neris, je veux sortir de là. Ne les laisse pas t'attraper Sam, tu seras exécuté, si tu as de la chance.
— Quoi ? Mais… je…
— On doit faire vite », le brusqua Neris en saisissait vivement les épaules de Sam.
Mais le son d'un vaisseau résonnait déjà, et il entamait sa descente alors qu'un morceau du sol se soulevait pour empêcher les contrevenants de fuir.
« Planque-toi, Sam ! Dégage de là, et ne les laisse pas te trouver ! »
Neris, tout en criant, avait poussé brusquement Sam, pour qu'il chute de la plateforme et qu'il atteigne le sol en contrebas. Par chance, Neris l'avait fait suffisamment tôt pour que son plan ait une chance de fonctionner, et Sam se releva avant de fuir à toute allure, même s'il avait encore beaucoup de mal à assimiler ce qui lui arrivait. Neris poussa un soupir de soulagement en le voyant disparaître, mais sa quiétude prit fin lorsque deux gardes l'empoignèrent par les épaules. Ils avaient tout d'abord échangé entre eux en voyant que Neris était maintenant seule sur la plateforme, mais ils avaient conclu qu'il y avait bien quelque chose qui clochait avec elle, et que l'autre serait appréhendé plus tard si besoin. Neris n'avait pas suffisamment d'espace pour se battre, en plus elle était seule, alors elle ne protesta que peu alors que les gardes la désarmaient avant de la mener à bord du vaisseau, où ses pieds furent entravés par un système de verrouillage automatique placé sur le sol. Autour d'elle, des programmes eux aussi arrêtés, et au loin, de très gros ennuis. Le vaisseau survolait maintenant la Grille, et Neris savait où il se poserait. Elle savait également que ses chances de s'en sortir étaient aussi minces que la bienveillance de Clu. Mais elle ne devait pas flancher, elle ne s'accordait pas le droit de paniquer. Elle avait fait le bon choix, Sam était sauf, il allait pouvoir retrouver son père, retourner dans le vrai monde et mettre fin à la folie qui grandissait ici, en éradiquant Clu et son prosélytisme. Neris devait lutter contre son instinct de survie, mais elle en viendrait à bout, elle le savait. Il s'était affaibli au fil des cycles passés ici, à perdre espoir, et de toute façon il n'y avait rien qu'elle puisse faire pour annuler son action. À part peut-être faire un scandale pour parler à Clu, et lui livrer Sam, ou Quorra, ou Kevin Flynn. Donc oui, autant mourir, c'était de loin préférable. La rousse songea qu'elle n'avait pas de chance en ce moment, mais elle parvint à relativiser : elle n'était pas prisonnière à cause de ce qu'elle avait fait sous le porche, mais à cause d'une simple patrouille qui avait probablement repéré Sam Flynn. Donc concrètement, cela pourrait être pire, elle aurait pu être exécutée sur place. Ou Torturée peut-être.
Quoi qu'il en soit, cela faisait deux fois en un laps de temps extrêmement court qu'elle se mettait en danger pour sauver quelqu'un, et ça ne lui réussissait pas.
Le fil des pensées de Neris fut interrompu par le son de la descente du vaisseau. Ça y est, ils touchaient le sol. Neris fut escortée jusqu'à un petit groupe de programmes qui les attendaient. L'un d'eux commença à scanner chaque visage, et à prononcer à chaque fois une formulation toute faite, assurant que le programme serait rectifié, ou bien que l'individu appréhendé devait se rendre aux Jeux. Neris savait déjà quel serait le verdict : elle ne pouvait pas être « rectifiée », les utilisateurs, les humains, ne pouvaient pas l'être. Alors, Neris regarda à peine le programme escorté par deux soldats lorsqu'il émit un bip avant de dire simplement « Jeux ».
Aussitôt le verdict rendu, Neris fut menée sur une plateforme où ses pieds furent une fois de plus maintenus au sol. La plateforme se mit en mouvement, descendant dans les entrailles de la Grille. Enfin, le plateau s'immobilisa, et la pièce où se trouvait maintenant Neris s'éclaira. Elle n'était jamais venue ici, mais elle savait ce qu'il s'y faisait. C'était sans doute là que les candidats aux Jeux étaient équipés. Le long des murs, des sortes de sculptures de femmes reflétaient la lumière, et les moulures se séparèrent en deux, laissant sortir des programmes habillées de blanc, montées sur de hauts talons et surmontées de chignons parfaits. Des Sirènes.
Elle s'approchèrent de Neris, qui bronchait le moins possible. Concentrée sur le calme qu'elle devait garder dans son esprit pour ne pas mourir trop tôt une fois les jeux commencés, Neris réagit à peine lorsque les Sirènes remplacèrent sa veste par des morceaux d'armure pour consolider la tenue qu'elle portait. Malgré sa concentration ailleurs, Neris reconnut l'une des Sirènes. La programmes aux cheveux blonds et aux yeux très maquillés était souvent au club tenu par Castor, et elle avait déjà discuté avec elle. Une fois son travail achevé, Gem fixa Neris, et elle prit la parole :
« Tu avais tenu longtemps », remarqua-t-elle.
Neris pensait percevoir une pointe de déception dans sa voix, et la rousse se contenta de hausser les épaules avant de répondre à la Sirène :
« On fait tous une erreur à un moment. J'ai eu de la chance, j'ai eu droit à plusieurs erreurs.
— Bonne chance », conclut Gem après un instant de silence.
Les Sirènes retournèrent à leurs emplacements, et les pieds de Neris se libérèrent. Alors qu'elle marchait vers la porte qui venait de s'ouvrir, la femme aux yeux verts songea que ça n'avait rien à voir avec la chance, mais elle chassa cette pensée pour mieux se concentrer.
L'ouverture débouchait sur une sorte de grande cage transparente, d'où Neris pouvait apercevoir les autres condamnés, ainsi que le vaisseau de Clu, où le tyran était en train de s'installer pour profiter des festivités. Car il ne s'agissait pas de jeux, mais d'exécutions distrayantes qui avaient beaucoup d'avantages pour Clu, le principal étant que les condamnés se détruisaient seuls.
La nacelle transportant Neris se stoppa à l'extrémité d'une première arène, et la rousse saisit son disque, replacé dans son dos par les Sirènes quelques minutes plus tôt. L'arme circulaire s'illumina, et une visière transparente se mit en place sur la partie supérieure du visage de Neris. Elle devait rester concentrée sur le programme qui s'avançait lentement de l'autre côté. Ce n'était pas chose aisée, car la foule en délire pouvait sans mal accaparer une partie de l'attention.
Le premier adversaire de Neris attaqua très rapidement. La rousse aux yeux verts n'eut pas de mal à faire dévier la trajectoire du disque, et elle lança le sien pendant que le programme face à elle était désarmé. Il n'était pas bien vaillant, car il perdit dès ce premier tir. La partie comme la vie. Le disque de Neris lui revint, et elle regarda l'arène se mouvoir pour passer au deuxième round. Partout autour d'elle, d'autres petites arènes se mettaient en mouvement dès que l'un des programmes périssait, et l'attention de la foule était ballottée entre les combats simultanés qui se jouaient devant les spectateurs. Neris ne comprenait pas pourquoi ils s'amusaient autant, alors que n'importe lequel d'entre eux pourrait se retrouver à sa place au moindre pas de travers.
Le deuxième programme que Neris devait combattre avait décidé de frimer un peu. Avant même de commencer le combat, il fit une série de figures acrobatiques pour montrer ce qu'il savait faire. Mais Neris, loin d'être impressionnée, en profita pour lancer vivement son disque à l'endroit où les jambes de son adversaire allaient bientôt se poser. Pensant à ses figures plus qu'au disque de Neris, le programme ne vit pas l'arme arriver et il éclata en pixels.
Le troisième programme vit le disque filer vers lui après que Neris l'eut lancé vers le sol, mais il ne s'attendait pas à le voir passer entre ses jambes. Il crut que Neris avait raté son tir, et il ricana d'une voix entrecoupée de pics graves peu naturels. Mais son rire se stoppa quand Neris lui fit un signe d'au revoir en posant deux doigts contre sa visière, au niveau de sa tempe gauche. Le disque encore en mouvement avait heurté le mur derrière le programme, puis le plafond de l'arène, et il filait maintenant vers le dos de ce troisième adversaire. Ce dernier périt alors, et Neris rattrapa son disque d'un geste leste. Elle était douée pour les calculs de trajectoires, et ses coups étaient inconnus de la plupart des programmes, et ainsi souvent très efficaces. Neris avait beaucoup travaillé les angles et les vitesses pour gagner en précision, et maintenant elle était capable de faire de beaux enchaînements comme celui-ci. La foule semblait apprécier, car lorsque le flot de pixels du troisième adversaire de Neris se déversa sur le sol, des acclamations et des applaudissements s'élevèrent depuis les gradins bondés. Le public l'aimait bien, pour l'instant du moins.
Les combats s'enchaînaient, et le nombre de candidats restants diminuait. Neris était un peu plus anxieuse à chaque victoire, et bientôt, elle remarqua avec horreur que les pans de murs transparents étaient en train de s'assembler pour former une seule et grande arène.
C'était le combat final.
C'était la fin.
Elle allait mourir.
La voix automatique qui décrivait le déroulement des combats énonça le nom des deux derniers combattants. Neris n'était qu'un numéro, son adversaire avait un nom, ce qui ne présageait déjà rien de bon. Les spectateurs acclamaient Rinzler, et Neris soupçonnait de nombreux programmes de n'avoir pas bronché depuis le début des Jeux afin de se ménager pour se déchaîner maintenant.
Face à elle, le redoutable programme s'avançait de quelques pas. L'avait-il reconnue ? Après tout, la ligne courbe barrée qui reliait les clavicules de Neris était visible lors de son coup d'éclat tout à l'heure, c'était peut-être suffisant pour l'identifier, ou au moins pour faire naître le doute… Mais finalement, est-ce que cela changerait quelque chose ? Rinzler prévoyait de toute façon de l'éliminer, c'est pour ça qu'il était là. Il était imbattable, raison pour laquelle Clu le chargeait des derniers combats des Jeux. Rinzler était l'exécuteur préféré du tyran, et le public adorait le voir se battre contre des programmes condamnés.
Neris n'avait pas lâché son disque, et elle regarda Rinzler dégainer le sien, qui était en réalité l'assemblage de deux disques aux couleurs singulières : l'extérieur des deux armes mortelles était de la même couleur que le disque de Neris, mais l'intérieur était d'un orange pâle. Neris ignorait pourquoi ces disques étaient si singuliers, et elle ne put s'empêcher de les fixer lorsque son dernier adversaire en fit lentement osciller un en le regardant lui-même. La rousse se reconcentra lorsque le programme casqué orienta à nouveau la tête vers elle, et le souvenir de la mer, de l'herbe et de tant d'autres choses lui revint brutalement. Était-ce son cerveau qui lui repassait ce qui lui manquait le plus pour lui donner davantage de courage afin de faire face à la mort ? C'était probable malheureusement.
Rinzler ouvrit le bal. Il accomplit une figure acrobatique déjà trop compliquée pour Neris en s'appuyant d'un main sur le sol, et il lança un premier disque sur sa droite, vers le mur. Neris n'entendait presque plus que le son métallique produit par le disque sur lequel Rinzler s'était appuyé lors de son premier lancer, mais il fallait à tout prix rester concentrée. En atteignant à nouveau le sol, le Garde Noir mit en mouvement son deuxième disque, vers le mur opposé. Il mettait déjà Neris en danger, en la poussant à se placer sur la trajectoire du deuxième disque si elle essayait d'éviter le premier. L'un des disques arrivant déjà presque sur elle, Neris pivota sur le côté et se laissa tomber vers l'arrière, se rattrapant sur ses mains pour prendre la position du pont. Le disque fila au-dessus d'elle, et en poussant vivement sur ses pieds elle se propulsa vers l'arrière et atterrit sur ses deux jambes, à bonne distance de la trajectoire du deuxième disque.
« Bien joué, songea-t-elle. Tu vis tes derniers instants, fais en sorte que les programmes se souviennent de toi un minimum, ne te contente pas d'esquives trop simples tant que tu maîtrises un tant soit peu la situation. »
Obliquant de nouveau face à son adversaire, Neris eut le temps de le voir rattraper ses deux disques en ajoutant une figure acrobatique entre les deux récupérations. Immobile à présent, Rinzler semblait fixer Neris : il l'invitait à attaquer. Trop aimable. La rousse imaginait bien Clu en train de donner ses instructions au puissant Garde Noir : « Laisse le temps à l'autre de tenter sa chance, sinon les combats seront trop courts, et les spectateurs s'ennuieront. Et je m'ennuierai ». Mais qu'importe cette mise en scène, Neris attaqua. Elle fit un lancer simple, ne pensant pas que son adversaire pourrait se laisser avoir par l'un des coups qu'elle maîtrisait : il était attentif à chacun de ses mouvements, Neris ne pourrait pas bénéficier de l'effet de surprise nécessaire pour espérer le mettre en difficulté.
Le disque filait vers le programme à l'armure noire ponctuée de orange, et plutôt que de s'écarter sur le côté pour l'éviter, Rinzler effectua une série de mouvements qui lui permirent de s'arracher du sol et de s'élever au-dessus du disque juste avant qu'il ne parvienne à sa hauteur. La silhouette du Garde Noir effectua une rotation dans les airs, une jambe tendue et l'autre légèrement pliée pour préparer l'atterrissage, tandis que le disque de Neris poursuivait son chemin juste sous le corps du redoutable soldat. Juste après le passage de l'arme, Rinzler se réceptionna accroupi sur le sol, main droite posée sur la surface translucide, bras gauche tendu vers l'arrière. Le disque de Neris avait heurté le mur derrière lui, et il revenait vers sa propriétaire, menaçant de toucher Rinzler, mais ce dernier se baissa juste à temps d'une dizaine de centimètres, et le combattant releva la tête vers Neris. La femme aux yeux vert jade ne pouvait pas voir son visage, mais elle devinait sans peine l'air de défi qui devait y être gravé. En rattrapant son disque, Neris poussa un long soupir qui rendait visible son désespoir, et elle marmonna « Survivre, survivre, survivre… », comme si ce mot n'avait plus de réelle signification et qu'elle devait le répéter pour qu'il retrouve une valeur sémantique. Cependant, une alarme fit dévier l'attention de Neris : sur les murs de l'arène, un cadran pivotait, signe que la gravité allait s'inverser dans peu de temps. Ne voulant surtout pas risquer de se trouver encore pratiquement au milieu de l'arène lorsque cela se produirait, Neris commença aussitôt à courir vers le mur derrière elle. Pourtant, Rinzler ne semblait pas vouloir la laisser faire, car Neris le vit apparaître dans son champ de vision : il l'avait rattrapée, et après une demi-vrille dans les airs, il atterrit juste devant elle. La rousse n'était pas en garde, et il n'eut aucun mal à la propulser en arrière d'un coup de pied dans le ventre.
Le souffle coupé, Neris se redressa en catastrophe, mais il était trop tard pour rejoindre le mur. Elle eut tout juste le temps de se remettre sur ses jambes et de grommeler d'une voix affaiblie « Espèce d'enfoiré » avant que la gravité ne s'inverse brutalement et ne la plaque contre le plafond. Le souffle encore court, Neris retint une plainte de douleur, et elle actionna comme elle le pouvait ses muscles pour se redresser. Voyant la silhouette de son adversaire filer vers elle depuis les airs, elle accéléra le mouvement et roula sur le côté pour éviter que le Garde Noir ne lui tombe dessus. Repoussant vivement le sol de ses mains, Neris se remit en position de combat juste à temps pour esquiver de nombreuses attaques. Elle parait et évitait les coups bien plus qu'elle n'en donnait, car s'il était déjà difficile de faire le poids à distance face à deux disques, en combat rapproché c'était une horreur. Chaque fois qu'elle mettait son disque sur la trajectoire de l'une des armes de son adversaire, Neris risquait de se faire couper en deux par une autre manœuvre offensive. Ça ne passa pas loin d'ailleurs, lorsque Neris bloqua un coup presque trop tard, encore déstabilisée par la dernière attaque. Le deuxième disque aux lumières bicolores effleura son épaule droite, et un cri de douleur échappa à la rousse. Piquée au vif, la peur passa au cran au-dessus, et Neris trouva l'énergie et l'efficacité nécessaire pour bondir contre le mur près d'elle et se poser derrière son adversaire. Ayant compris ce qu'elle comptait faire, Rinzler avait commencé rapidement à pivoter, mais Neris avait calculé sa trajectoire pour que l'un de ses pieds atterrisse directement sur l'articulation du genoux gauche de son adversaire. Ce dernier vacilla en écartant les bras pour se stabiliser au plus vite, et Neris attaqua. Pour la première fois, son disque manqua d'atteindre le Garde Noir, mais Rinzler parvint à bloquer juste à temps la nouvelle offensive. Malgré cet échec, Neris put faire reculer d'un pas le combattant qui essayait de la tuer, grâce à une série de coups rapides enchaînés pendant que la surprise pouvait encore jouer en la faveur de la rousse condamnée. Neris était fière d'elle, mais cette alacrité soudaine fut de courte durée : mécontent d'avoir perdu l'avantage pendant quelques secondes, Rinzler passa à la vitesse supérieure. Après une nouvelle figure que Neris serait incapable de décrire, le redouté soldat asséna un puissant coup à la condamnée qu'il était chargé d'éliminer, et l'humaine mal barrée se retrouva par terre avant de comprendre ce qui lui arrivait. Douloureusement, Neris se retourna pour ne plus faire face au sol qui avait été le plafond de l'arène, et elle se redressa comme elle le pouvait. Elle ne voyait plus Rinzler, et l'alarme prévenant les combattants de la proche inversion de la gravité retentissait une fois encore. Neris n'eut pas le temps de se relever, et elle chuta vers ce qui était à nouveau le sol de l'arène presque transparente. Retenant un grognement de douleur, la rousse se releva enfin, et elle chercha rapidement Rinzler du regard. Pivotant sur elle-même, elle l'aperçut enfin : il s'apprêtait à lui tomber dessus, littéralement. Dans un élan de panique, Neris recula, mais elle n'était encore en appui que sur une jambe lorsque le Garde Noir atteignit le sol juste devant elle. Un simple coup de pied suffit alors pour faire chuter Neris, qui fut incapable de reculer avant que Rinzler n'appuie un pied sur la cheville gauche de la combattante à présent en mauvaise posture. Neris ne pouvait plus se lever, mais elle avait toujours son disque. Cependant, avant qu'elle ne puisse s'en servir, la pression sur sa cheville disparut, remplacée immédiatement par une pression plus forte encore contre son poignet droit. Au-dessus d'elle, Rinzler avait immobilisé son bras à l'aide de son pied gauche, et il força Neris à rester clouée au sol en approchant l'un de ses disques de sa gorge.
C'était terminé, Neris ne pouvait plus rien faire. Elle devait maintenant se forcer à rester aussi calme que possible, à ne pas trembler de peur, à ne pas montrer que son poignet droit la faisait souffrir, à cacher la terrible crainte que lui causait la proximité du disque lumineux dont elle avait l'impression de sentir d'ores et déjà la morsure dans sa chair. La foule impatiente criait en cœur, les spectateurs voulaient que Rinzler l'achève. Le temps allait s'arrêter dans quelques instants.
Malgré tout, Neris ne pouvait se résoudre à cesser de résister à la Mort qui se penchait sur elle sous les traits du sombre guerrier qui entravait ses mouvements. La rousse étendue au sol tenta en vain de libérer son bras droit en tirant dessus et en essayant de le bouger de gauche à droite. Son poignet ne bougea pas d'un pouce, mais son épaule étala au sol le sang qui suintait de la blessure infligée moins d'une minute plus tôt par le programme qui s'apprêtait à la tuer. La tache rouge vif n'était plus maintenant sous le corps meurtri de Neris, elle était visible, et elle attira l'attention du Garde Noir. Sans comprendre, Neris vit son casque pivoter de son visage vers le sol juste à côté d'elle. Tournant la tête à son tour pour découvrir ce qui avait bien pu détourner son bourreau de sa victime, elle aperçut elle aussi une partie de la tache rouge qui maculait le sol. Paniquée, Neris bougea une nouvelle fois son épaule pour s'efforcer de rendre de nouveau invisible la trace colorée, mais il était trop tard. Au-dessus d'elle, Rinzler la regarda à nouveau, et Neris l'entendit murmurer « Utilisatrice… » d'une voix étrange en plus d'être modifiée par le casque que le soldat portait. On aurait presque dit un sifflement se transformant en mot avant de s'éteindre dans un souffle aux résonances métalliques, et Neris trouvait cela assez terrifiant. Et là, soudainement, la femme aux yeux verts se demanda si elle n'espérait pas inconsciemment depuis le début du combat que ce moment arrive, que son adversaire s'aperçoive qu'elle n'était pas un programme, afin que naisse cette hésitation, afin que Neris soit gratifiée de quelques secondes de vie supplémentaires.
Les deux secondes suivantes furent les plus longues de la vie de Neris. Souffle en suspens, elle attendait. Allait-elle tout de même mourir maintenant ? Allait-elle vivre encore une minute ? Deux ? Trois si elle était chanceuse ?
Enfin, Rinzler ré-assembla ses deux disques, qui s'éteignirent sous les plaintes frustrées des spectateurs et sous la respiration de Neris qui reprit dès cet instant.
